Eilean Leòd­hais agus Na Hea­radh (zone hébridienne)

Eilean Leòd­hais agus Na Hea­radh (zone hébridienne)

Eilean Leòd­hais agus Na Hearadh

Zone Hébri­dienne

Ce sont des îles, au nord-ouest de l’Écosse, les contre­forts de l’At­lan­tique, légè­re­ment décol­lées de la grande île, et elles portent des noms gaé­liques écos­sais ou anglais ; Ben­be­cu­la, Ber­ne­ray, South Uist, Bar­ra, Saint-Kil­da. La plus grande île est com­po­sée de deux topo­nymes : Lewis (Eilean Leòd­hais) et Har­ris (Na Hea­radh). Ce sont en fait deux îles col­lées, donc une seule île. La pre­mière est répu­tée pour ses figu­rines, la seconde pour la fabri­ca­tion du meilleur tweed du monde, un tis­su de laine croi­sée en che­vrons, qui fera les beaux jours de la culture anglo-saxonne.

Nous sommes ici dans un des finis­tères du monde, sous des lati­tudes et un cli­mat qui n’au­gurent qu’un ciel gris et un vent à décor­ner les bœufs. L’é­té, il fait rare­ment plus de 16°C et l’hi­ver, il y gèle rare­ment, comme si l’ar­chi­pel tout entier était des­ti­né à subir un hiver humide toute l’an­née, fouet­té par les embruns char­gés d’iode. Une cor­ne­muse entonne Ama­zing grace, l’hymne écos­sais qui résonne sur la lande ; nous y sommes, le décor est plan­té, avec tous ses clichés.

Pho­to d’en-tête Max Her­mans­son on Uns­plash, sui­vante par Pao­lo Chia­bran­do on Uns­plash.

Je sors à peine de la lec­ture d’un livre de Peter May, l’au­teur écos­sais de la suite chi­noise, un maître de la lit­té­ra­ture poli­cière. L’île des chas­seurs d’oi­seaux (The Black­house) est une œuvre magis­trale dont l’ac­tion se situe aux confins de l’île de Lewis, à Stor­no­way. Sur fond de drame per­son­nel, l’ins­pec­teur Fionn­lagh Macleoid va revivre un drame qu’il avait occul­té au plus pro­fond de sa mémoire. Mais ce n’est pas tant le sujet de l’his­toire qui m’a cap­ti­vé que cette his­toire de chas­seurs d’oiseaux.

L’île de Lewis est répu­tée pour sa chasse aux oiseaux, aux gugas. Le guga est le petit du fou de Bas­san, qu’on trouve sur une petite île située à 64 kilo­mètres au nord du point le plus sep­ten­trio­nal de l’île de Lewis, sur le pro­mon­toire rocheux de Sula Sgeir, un îlot d’à peine un sixième de kilo­mètre car­ré. Tous les ans, une poi­gnée d’hommes se rend sur l’île pour y chas­ser de quoi ali­men­ter la demande d’a­ma­teurs de pous­sins de l’île de Lewis. Si cette chasse ances­trale peut paraître bar­bare au pre­mier abord, c’est qu’elle l’est, et la conser­va­tion des cou­tumes n’est, à mon sens, pas une rai­son pour conti­nuer de per­pé­tuer des tra­di­tions imbéciles.

On trou­ve­ra sur Dai­ly­mo­tion un docu­men­taire un peu daté sur la chasse au guga et sur Atlas Obs­cu­ra quelques pistes sur les rai­sons culi­naires qui poussent ces hommes à se livrer à cette chasse qui consiste à déci­mer des popu­la­tions entières de pous­sins de fous de bas­sans sur une île sanc­tuaire, même si celle-ci est désor­mais est enca­drée par des quotas.

Pour le coup, s’il y a une chose qu’il faut rete­nir de l’île de Lewis (pour l’île de Har­ris, on retien­dra le tweed et ses fabriques de tis­sus pro­té­gées par une appel­la­tion contrô­lée depuis 1993), ce sont les très célèbres figu­rines de Lewis, connues éga­le­ment sous le nom de figu­rines de Uig, ou Fir-Tài­lisg en gaé­lique écos­sais (les pièces d’é­checs de Lewis). Ces pièces dont la plu­part ont été sculp­tées dans des dents de morses, mais aus­si dans des dents de baleine consti­tuent un ensemble de 93 pièces dont 78 sont des pièces de jeu d’é­checs. Datant du XIIè siècle, elles ont été trou­vées en 1831 aux alen­tours de la baie de Uig à envi­ron vingt cen­ti­mètres de la sur­face du sol, dans une mai­son en pierre sèche. Fabri­quées à Trond­heim en Nor­vège, dont Lewis était une colo­nie, ces pièces sont une des icônes liées à l’île de Lewis.

Ces pièces mas­sives, avec leurs grands yeux ronds comme des billes, ont la par­ti­cu­la­ri­tés d’être très grandes pour des pièces d’é­chec (envi­ron 8cm de haut pour le roi), et très sim­pli­fiées en ce qui concerne les pions (de simples pierres tom­bales sty­li­sées) ; elles pro­viennent de plu­sieurs jeux incom­plets, prin­ci­pa­le­ment consti­tués de pièces majeures. Elles sont par­ti­cu­liè­re­ment expres­sives ; les rois ont leur épée posée sur les genoux, les reines ont la main posée sur le visage dans une atti­tude médi­ta­tive. Les pièces d’angles, celles qu’on pren­drait pour des tours aujourd’­hui, sont repré­sen­tées par des guer­riers vêtus de peau de bête ; ce sont les « ber­ser­kr », les guer­riers-fauves, ren­dus fous par les pri­va­tions, véri­tables machines de guerre condi­tion­nées pour tuer…

Pour en reve­nir aux reines, elles ont toutes cette atti­tude son­geuse et d’une moro­si­té abys­sale. Si dans les jeux antiques, la reine ne pou­vait se dépla­cer qu’en dia­go­nale, elle fini­ra par deve­nir la pièce la plus puis­sante de l’é­chi­quier et ce n’est que grâce à elle que le roi est pro­té­gé ; c’est dire à quelle point la reine, dans la sym­bo­lique euro­péenne, prend une dimen­sion puis­sante sur le jeu politique.

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Boreaa­li­nen vyö­hyke (zone boréale)

Boreaa­li­nen vyö­hyke (zone boréale)

Boreaa­li­nen vyöhyke

Zone boréale

Le boréal est entré dans ma vie par plu­sieurs angles dif­fé­rents. Le pre­mier aura été la décou­verte de l’au­teur danois Jørn Riel, aujourd’­hui âgé de 88 ans et qui a écrit la série des racon­tars arc­tiques qui ont émaillé mes nuits d’é­tu­diants de beaux sou­ve­nirs et d’his­toires humaines fas­ci­nantes, que je n’ai tou­jours pas fini de lire, me les réser­vant comme de pré­cieux tré­sors, des cadeaux qu’on ne déballe pas tous à la fois. L’homme vit aujourd’­hui en Malai­sie, pour décon­ge­ler, dit-il. Et puis par cette porte ouverte sont entrés les très beaux textes de Jean Malau­rie (97 ans), Ulti­ma Thu­lé, Les der­niers rois de Thu­lé, des oeuvres magis­trales qui m’ont aus­si ouvert les portes de ceux de Paul-Émile Vic­tor, puis bien d’autres encore après. Le der­nier en date est un polar, écrit par Son­ja Del­zongle, un thril­ler très dur, qui m’a don­né des cau­che­mars et qui porte le simple nom de Boréal, et que j’ai ache­té à cause de la belle cou­ver­ture aux teintes vert pas­tel et de la pho­to d’un ours sur la ban­quise. Petite parenthèse.

Pho­to d’en-tête Wim Pau­wels on Uns­plash

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le boréal va mal. Il est loin de nous, loin des yeux, loin du cœur, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne dit rien de notre monde qui va mal.

Un des symp­tômes de ce mal, c’est le Zacha­riæ Iss­trøm. C’est un immense gla­cier groën­lan­dais de 91 780 km2, dont la vitesse d’é­cou­le­ment a plus que dou­blé ces cinq der­nières années. Sa fonte, ain­si que celle d’un autre gla­cier, le Nio­ghalvf­jerd­sf­jor­den, qui se trouve sur le même sous-conti­nent gla­cé, n’au­rait qu’une inci­dence mineure sur l’a­ve­nir de l’hu­ma­ni­té : l’é­lé­va­tion du niveau de la mer de plus d’un mètre… Une paille, avec les consé­quences qu’on ima­gine. Lire l’ar­ticle sur Le monde.

Pho­to by Eric Welch on Uns­plash

Dans le livre de Son­ja Del­zongle, sans vou­loir dévoi­ler l’in­trigue, il est ques­tion d’une gigan­tesque faille qui se creuse dans l’in­land­sis du Groën­land. La réa­li­té dépasse alors la fic­tion puis­qu’on vient de décou­vrir (avant l’é­cri­ture du bou­quin) le canyon ter­restre le plus pro­fond du monde, non pas au Groën­land mais sous la glace de l’An­tar­tique, très exac­te­ment sous le gla­cier Den­man. Avec une pro­fon­deur de 3500 mètres sous le niveau de la mer, il dépasse la pro­fon­deur du canyon de Col­ca au Pérou.

Ce même relief abri­te­rait éga­le­ment celui du point le plus bas de la sur­face ter­restre non recou­vert d’eau (bien qu’il soit recou­vert par de la glace) — Géo.

En Islande, pays des glaces, pays des gla­ciers, on vient de rendre hom­mage au pre­mier gla­cier dis­pa­ru du pays. Une plaque com­mé­mo­ra­tive posée en août 2019 fait état de la dis­pa­ri­tion du gla­cier, en forme de lettre au futur (Bréf til framtíða­rin­nar), pré­ve­nant que d’i­ci 200 ans, tous les gla­ciers du pays auront dis­pa­ru. L’Okjö­kull n’est plus désor­mais qu’une petite calotte recou­vrant le vol­can Ok et décla­ré mort par le gla­cio­logue Oddur Sigurðs­son. Les pho­tos satel­lites qu’on peut trou­ver sur le web sont édi­fiantes ; entre 1986 et 2019, le gla­cier a tout sim­ple­ment disparu…

Cer­tains ont cru que le Groen­land était leur ter­rain de jeu per­son­nel et qu’ils pou­vaient s’y ins­tal­ler en fai­sant fi de tout. Ain­si les États-Unis ont colo­ni­sé le nord-ouest de cette terre gla­cée pour construire la plus grande base mili­taire entiè­re­ment creu­sée dans la glace, Camp Cen­tu­ry. Ins­tal­lée entre 1959 et 1967, le but de cette ville sou­ter­raine était de pou­voir sto­cker près de 600 ogives nucléaires au plus près des côtes de l’URSS. Si l’exis­tence de la base ain­si que du pro­jet n’ont été révé­lés qu’en 1997, on sait à pré­sent que l’ins­tal­la­tion est vic­time du réchauf­fe­ment des zones gla­ciaires et qu’elle risque d’être mise à nu si la glace conti­nue de fondre. Ce ne serait pas si grave si n’y étaient pas sto­ckés 200 000 litres de fuel et plus encore d’eaux usées et c’est sans comp­ter les fuites liées à l’a­ban­don du réac­teur nucléaire qui appro­vi­sion­nait la base en élec­tri­ci­té. La ville sou­ter­raine étant enfouie sous plus de trente mètres de glaces, on ima­gine par­fai­te­ment le risque de pol­lu­tion qu’en­trai­ne­rait la dis­per­sion de liquides hau­te­ment toxiques dans le sous-sol… Mais qu’on se ras­sure, les Amé­ri­cains ne se sentent abso­lu­ment pas concer­nés par les erreurs de leurs ainés et ne comptent pas inves­tir le moindre dol­lar dans la dépol­lu­tion du site.

Pour en savoir plus, voir cette vidéo sur Camp Cen­tu­ry sur Dai­ly­mo­tion.

Pour se ras­su­rer sur les inten­tions des êtres humains au regard des terres gla­cées, lais­sez-moi vous faire décou­vrir ces cairns que construisent les peuples inuit et yupik le long de la cein­ture allant de l’A­las­ka au Groen­land. Le mot inuk­shuk (au plu­riel inuk­suit) défi­nit une forme qui aurait la capa­ci­té d’a­gir comme un être humain. La construc­tion de pierre qui porte aujourd’­hui ce nom est plu­tôt consi­dé­rée par les Inuits comme inunn­guaq (plu­riel : inunn­guait) ; ce qui res­semble à un être humain, et le terme Inuk­su­ga­lait désigne le lieu « où il y a beau­coup d’i­nuk­suit ». Mais que sont ces empilements ?

Leur forme clai­re­ment anthro­po­morphe a réso­lu­ment une fonc­tion liée à la chasse. Si on peut faci­le­ment ima­gi­ner que c’est une sorte de totem, il n’en est rien. L’i­nuk­shut sert en réa­li­té d’é­pou­van­tail à l’at­ten­tion des cari­bous pour les atti­rer dans des culs de sac ; les chas­seurs sont géné­ra­le­ment cachés der­rière les hommes de pierre et attendent les ani­maux qui se font pié­ger. Les inuk­suit pou­vait éga­le­ment ser­vir de cache à nour­ri­ture, de borne de ter­ri­toire ou de pan­neau direc­tion­nel, le bras le plus long indi­quant la direc­tion du vil­lage le plus proche.

Aujourd’­hui, l’i­nuk­shuk fait office de sym­bole pour une nation qui cherche ses repères, autant que son auto­no­mie, puisque c’est la forme sty­li­sée qu’on trouve sur le dra­peau du ter­ri­toire fédé­ral cana­dien du Nuna­vut, mais aus­si du Nunat­sia­vut, l’as­so­cia­tion des Inuits du Labra­dor.

Voi­ci la légende de la créa­tion du pre­mier inukshuk :

Il y a très long­temps, un petit gar­çon aimé de ses parents, choyé, pro­té­gé, par son père qui était un grand chas­seur, et sa mère si douce… Il se retrou­va pour­tant très aigri à la nais­sance de sa petite sœur, car elle devînt l’ob­jet de toute l’at­ten­tion de ses parents, et le petit gar­çon, triste, éner­vé et plein de ran­cœur, déci­da de par­tir, seul.

Sur le che­min, il ren­con­tra un cha­man. Mais ce der­nier n’é­tait pas un “anga­kok” (cha­man en langue inuit) bon pour les humains. Il ensei­gna donc au gar­çon per­du, l’art du cha­ma­nisme pour se ven­ger des Hommes. Les années pas­sèrent et le petit gar­çon gran­dit, et avec lui la haine qu’il por­tait désor­mais aux Hommes. Il apprit à maî­tri­ser la magie du grand cha­man, et réveilla le grand vent du Nord, qui souf­fla en tem­pête et sou­le­va un ter­rible bliz­zard… Il vou­lait ain­si faire dis­pa­raître toutes les habi­ta­tions et les vil­lages des Hommes. Mais face à cet oura­gan blanc qui mor­dait sa famille, qui l’a­vait tant aimé, il fût pris de remords.

Mon­té au som­met de la plus haute col­line, il ouvrit grand les bras pour lut­ter contre vent gla­cial du Nord. Le com­bat dura toute la nuit. Et au petit matin, la tem­pête avait ces­sée… mais le jeune gar­çon lui, avait été chan­gé en pierre. C’est ain­si qu’ap­pa­rût le tout pre­mier Inukshuk.

Il est temps de refer­mer la page boréale de ce blog, dans un hiver qui res­semble à un prin­temps et qui n’an­nonce rien de bon pour les mois pro­chains, pour la terre, pour le jar­din. Je nour­ris un rêve secret, celui de rejoindre un jour les terres gla­cées des régions arc­tiques, bien au-delà du cercle polaire et au-des­sus encore des gla­ciers de l’Is­lande. Il y a trois lieux qui m’en­chantent et qui sont pour moi comme des nir­va­nas où j’ai­me­rais un jour poser le pied.

Les îles Lofo­ten, un archi­pel au nord de la Nor­vège et au large de Bodø, où les falaises tombent à pic dans une mer noire, où sub­sistent encore quelques vil­lages de pêcheurs et où les noms des îles se finissent tous en -øya (Austvågøya, Gim­søya, etc.).

J’ai­me­rais aus­si vivre quelques semaines à Trom­sø, encore plus au nord de la Nor­vège, la ville de plus de cin­quante mille habi­tants la plus sep­ten­trio­nale du monde. Plus de 6000 étu­diants y étu­dient la gla­cio­lo­gie et la cli­ma­to­lo­gie arc­tique, et selon les périodes de l’an­née, dans l’obs­cu­ri­té de la nuit polaire… Enchâs­sée dans un dédale de fjords aux eaux pro­fondes et de mon­tagnes ennei­gées, la ville est un refuge, loin des côtes de la haute mer et des vents impétueux.

J’ai­me­rais connaître le pays sâme fin­lan­dais (Sáp­mi), plus connu sous le nom de Lapo­nie, plus à l’est que Trom­sø, pour y admi­rer les aurores boréales et y voir, dit-on, le blanc le plus blanc du monde. Il n’y a rien qui me ferait plus plai­sir au monde que faire la connais­sance de ce peuple encore un peu pré­ser­vé, dont on dit que les jeunes filles ont les yeux clairs et les che­veux de la cou­leur de la neige.

Pho­to ci-des­sous © Eri­ka Larsen

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Íslenskt svæði (zone islandaise)

Íslenskt svæði (zone islandaise)

Íslenskt svæði

(zone islan­daise)

L’é­trange lumière blanche venue d’Islande

Je n’ai jamais eu l’op­por­tu­ni­té de la voir de mes propres yeux, mais il paraît que l’é­trange lumière venue d’Is­lande a quelque chose de magique qu’on ne peut, bien évi­dem­ment, voir qu’à des lati­tudes où la nuit dure long­temps, bien que plus que la valeur d’une nuit humaine. Est-ce que l’Is­lande en dehors de l’hi­ver est une Islande heu­reuse ? Un jour, je le sau­rais cer­tai­ne­ment, j’en ai la convic­tion. Peut-être même que j’y pas­se­rai plus de temps que néces­saire, là-haut ou peut-être au large de la Nor­vège, à Hen­ning­svær, dans l’ar­chi­pel de Lofo­ten… Va savoir.

Je suis entré dans la nou­velle année en reve­nant du Viet­nam. En réa­li­té, j’ai fait un rêve, dans lequel j’é­tais dans une par­tie du Viet­nam que je ne connais pas ; le sud. Cer­tai­ne­ment Hô-Chi-Minh-Ville, mais rien n’est moins cer­tain. Tout ce que je sais, c’est qu’il y fai­sait chaud et humide et que j’é­tais à mille lieues de chez moi, ce qui en cette période de l’an­née, dans un cas comme dans l’autre, est tout sim­ple­ment impos­sible. Il en résulte que la longue nuit qui a don­né nais­sance à ce rêve s’est ter­mi­née dans un bien-être facile à recon­naître. Je suis retour­né aux lumières de mon inté­rieur, ne sou­hai­tant pas en sor­tir en atten­dant que la nou­velle année arrive ; j’ai allu­mé des bou­gies et pro­fi­té de ma jour­née en ne fai­sant rien d’autre que bou­qui­ner. Un soleil clair dans un beau ciel lumi­neux, clin­quant, lais­sait pré­sa­ger que la nuit qui allait nous emme­ner en 2020 allait être froide, ce qui arri­va effec­ti­ve­ment. J’ai lais­sé une bou­teille de Cham­pagne sur le per­ron, pour qu’elle soit à la tem­pé­ra­ture de dehors, ce qui est à mon sens la meilleure condi­tion pour plei­ne­ment en appré­cier la saveur. Trop froid, dirons les connais­seurs qui le pré­fèrent à 8°C, mais les connais­seurs ne me connaissent pas et ne savent pas que j’aime le Cham­pagne bien froid.

Mes nuits sont longues, res­semblent à celle d’un ani­mal hiber­nant, des nuits boréales, frag­men­tées sou­vent ; je fais des tours de cadrants comme si je ten­tais de battre un record de mar­motte ; j’ai rare­ment été aus­si peu actif, ce qui signi­fie que j’at­teins un point d’é­qui­libre par­fait, puis­qu’il est le signe avant-cou­reur d’autre chose.

J’ai dans la tête des petites musiques qui traînent et qui me suivent toute la jour­née. Mais je lis aus­si des polars, genre lit­té­raire que j’au­rais trai­té il y a quelques années de cela de sous-genre, mais c’é­tait sans avoir encore décou­vert les œuvres de Ragnar Jónas­sonn et d’Arnal­dur Indriðason.

Et puis, il y a Björk. Björk mais aus­si tous les autres qui viennent de l’île boréale magique, celle qui s’ap­pelle terre de glace ; Óla­fur Arnalds, Sigur Rós, Múm, Amii­na, Jóhann Jóhanns­son, Ásgeir Traus­ti… autant de créa­ti­vi­té dans un aus­si petit pays paraît presque sus­pect. Seule­ment 332 000 habi­tants, dont 128 000 dans la capi­tale Reyk­ja­vik (la baie des fumées) et une toute jeune pre­mière ministre, Katrín Jakobsdót­tir, 43 ans et un sou­rire à se dam­ner… 

Pre­nez quelques ins­tants, déten­dez-vous et ima­gi­nez-vous assis sur un fau­teuil en face de l’At­lan­tique nord, il fait froid et sec, le pay­sage est blanc et ven­teux, mais incroya­ble­ment calme. Il n’y a rien d’autre que la nature et vous, et vous écou­tez Boga par le groupe Amii­na, sur l’al­bum Kurr… Et là, il n’y a plus rien d’autre, à part l’Islande…

Pho­to d’en-tête © Jon Flo­brant on Uns­plash

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Win­ter — Rick Bass

Winter Wonderland in Apgar Village

Pho­to © Gla­cierNPS

L’hi­ver com­mence à s’en aller. La jour­née d’hier, belle et fraiche en était le pre­mier signe. Lorsque l’hu­mi­di­té com­mence à s’é­va­po­rer et qu’elle laisse la place à de belles jour­nées lumi­neuses, c’est là que tout rede­vient clair et que l’im­pres­sion de sor­tir de la nuit est la plus forte.
Rick Bass est un écri­vain amé­ri­cain très impli­qué dans les pro­blèmes envi­ron­ne­men­taux de son pays et c’est à un tour­nant de sa vie qu’il décide de par­tir pour le nord du Mon­ta­na, à Troy, à moins de 100 kilo­mètres de la fron­tière rec­ti­ligne qui sépare son pays du Cana­da. Un choix de vie qu’il décide de prendre en s’ins­tal­lant dans ce nord froid que l’hi­ver va bien­tôt recou­vrir de blanc. Son livre est un jour­nal, le jour­nal d’une nou­velle vie qui va se foca­li­ser sur l’hi­ver, puis­qu’en fait, si on pou­vait résu­mer ces lieux en deux mots, ce serait forêt et hiver.

Aujourd’­hui, la mati­née est ven­teuse et chaude, les herbes sont presque cou­chées à plat. Il n’y a rien de plus exci­tant que le vent. Si, un nou­vel amour — et puis le vent. Mais le vent a tou­jours été là. Avant même de connaître l’a­mour, vous connais­siez le vent. Le vent était capable de vous gri­ser quand vous étiez petit, et il le peut encore, et ne s’en pri­ve­ra pas.

Inévi­ta­ble­ment, Bass n’é­tant pas de la région, il se heur­te­ra aux rive­rains avec qui les rela­tions ne sont pas tou­jours simples et tendres. Par­fois rudes, par­fois agres­sifs, ceux qui le voient arri­ver ne lui faci­li­te­ront pas la vie, mais débon­naire et dans la bonne atti­tude de celui qui veut apprendre, il s’a­mu­se­ra à écou­ter les bons conseils, peut-être aus­si pour sa propre sur­vie. Car il attend l’hi­ver avec impa­tience, il en attend le bruit étouf­fé et le froid saisissant.

C’est un pays de len­teur. Un pays d’il y a long­temps. On apprend plus faci­le­ment cer­taines choses quand on les regarde arri­ver au ralenti.

Winter Fishing on Lake McDonald

Pho­to © Gla­cierNPS

L’é­cri­ture de Bass est douce et poé­tique, il encap­sule les idées dans des mots en s’ap­puyant sur cette culture du froid qui est si pré­gnante dans ces lieux, don­nant corps au racon­tars, aux his­toires de fan­tômes qui sont la culture orale des pays

Je crois à la vieille légende de Jim Brid­ger, à l’é­poque où il a pas­sé l’hi­ver du côté de Yel­lows­tone. Il est ensuite retour­né dans l’est où il a racon­té aux cita­dins de ces régions que quand les trap­peurs essayaient de se par­ler, les mots gelaient en sor­tant de leur bouche ; ils ne pou­vaient pas entendre ce qu’ils se disaient les uns aux autres, parce que les paroles gelaient dès la seconde où elles fran­chis­saient leurs lèvres — si bien qu’ils étaient obli­gés de ramas­ser les mots gelés, de les rap­por­ter autour du feu de camp le soir et de les décon­ge­ler, afin de savoir ce qui s’é­tait dit dans la jour­née, en recons­ti­tuant les phrases mot par mot. Moi je peux ima­gi­ner qu’il fasse aus­si froid.

Winter- Rick BassWin­ter est un livre de l’ap­pren­tis­sage de la nature froide, de la vie recluse dans la forêt de nord-amé­ri­caine, de l’at­tente des pre­miers flo­cons mais aus­si du prin­temps redou­té. Cer­tains n’aiment pas l’hi­ver ni le froid et cela peut se com­prendre, mais il y a une forme de renon­ce­ment dans l’a­mour de cette sai­son, un aban­don pour la soli­tude et l’i­so­le­ment dont ce livre, en quelque sorte, se fait le porte-parole.

Rick Bass, Win­ter (notes from Montana)
Folio. Col­lec­tion Voyage.006
tra­duit de l’a­mé­ri­cain par Béa­trice Vierne
© 1991

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Moka au bar, petits gâteaux au gin­gembre et glögg au safran au chant du bruant des neiges

Moka au bar, petits gâteaux au gin­gembre et glögg au safran au chant du bruant des neiges

Je pen­sais avoir le temps de faire plein de choses d’i­ci à la fin de l’an­née, m’é­pan­cher sur ces lignes, deve­nir autre chose, deve­nir ico­no­graphe et puis le temps m’a rat­tra­pé. La fatigue aus­si. Je finis l’an­née affai­bli, la san­té et le som­meil en vrac, le corps qui ne suit plus et l’im­pres­sion d’être sur la corde, à deux doigts d’ex­plo­ser. Une semaine avant les vacances, j’ai la pos­si­bi­li­té de souf­fler un peu en cou­pant avec l’u­ni­ver­si­té, mais je sens au creux de ma chair que ça ne va plus. J’ai per­du du poids et je me sens mal. Alors je dépose les armes, je pré­fère m’ar­rê­ter là pour l’ins­tant et ne pas trop me mettre la pression.

Iceland 2009 - Breiðamerkurjökull

Pho­to © Breiða­mer­kur­jö­kull par Tomas Buch­tele

Je vais conti­nuer mes petites révo­lu­tions, les volon­taires et les invo­lon­taires, me lais­ser ber­cer par le res­sac inson­dable des jours qui se suc­cèdent, attendre non pas la fin du monde, mais le début de la vie. Je me rends compte que j’au­rai pas­sé mon année à m’ou­vrir aux autres, je me suis trans­fi­gu­ré, je me suis atten­dri, je me suis ouvert, j’ai com­pris ce qu’é­tait l’é­change, je me suis nour­ri de ces autres en même temps que j’ai pu venir en aide, du moins l’es­pé­ré-je modes­te­ment, et j’ai de la peine en moi quand je regarde le monde se fer­mer, se racor­nir, deve­nir triste et égoïste, se détour­ner et se replier sur lui-même, se ter­rer dans l’ombre. Cette année aura été riche, même si elle s’est dépeu­plée, très cer­tai­ne­ment parce que les pro­messes ne sont pas faites pour être tenues. Mais tout ceci fait désor­mais par­tie des ombres et res­te­ra dans l’ombre. La lumière se trouve de l’autre côté.

J’ai dépo­sé aus­si les livres, plus vrai­ment la tête à se rem­plir de loge­ment social, d’his­toire des ins­ti­tu­tions, de socio­lo­gie et de ter­ri­toire, d’ur­ba­nisme et de vie col­lec­tive, plus vrai­ment la tête non plus à se faire du mal avec le géno­cide cam­bod­gien et autres choses tristes. Je pose tout, je fais un break et je lis Jørn Riel que j’aime lire pen­dant ces jours sombres où la lumière s’ab­sente tôt le soir pour ne reve­nir que tard le matin, et je ne pense plus à rien. J’ai tout dépo­sé quelque part pour ne pas m’en sai­sir par hasard, les hasards font par­fois mal les choses. Et puis je vais dor­mir aus­si, dor­mir pour rêver et pour me repo­ser. L’hi­ver des jours lumi­neux et des soirs téné­breux pas­se­ra et le prin­temps reviendra.

Le prin­temps arc­tique. Anton, décon­cer­té, ébou­rif­fa d’une main ses che­veux. Son regard tom­ba sur les traces de pas du bruant. De petits traits noirs, en fili­grane, un des­sin dépour­vu de sens. Il fixa les traces et y lut sa propre vie. Il se sou­vint de ses rêves. Le rêve du héros polaire, le rêve de fuite. Le rêve du rêve. Dans les traces, il trou­va une sorte de lien. Ces petits traits misé­rables sans autre impor­tance que d’a­voir été lais­sées par le bruant. Ce bruant, qui avait fait des cen­taines, peut-être des mil­liers de kilo­mètres, pour pou­voir poser ses empreintes exac­te­ment ici, dans la neige devant les pieds d’Anton.

Jørn Riel, Un safa­ri arctique
Edi­tions 10/18, 1976, 1994 pour la tra­duc­tion française.

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