Café stam­bou­liote #11

Café stam­bou­liote #11

Café du matin

#11

Café stam­bou­liote

Istan­bul est une ville qui confine à la mélan­co­lie, le fameux hüzün dont parle Orhan Pamuk.

Dans la mys­tique sou­fie, le hüzün trouve son ori­gine dans un sen­ti­ment de manque dû à notre trop grand éloi­gne­ment de Dieu. On retrouve quelque chose de proche du hüzün dans la culture japo­naise, asso­cié à la noblesse de l’échec. Mon­taigne fait état d’une expé­rience simi­laire, avec ce sen­ti­ment de mélan­co­lie face aux ruines antiques. L’architecture d’Istanbul, ses palais en ruine, son atmo­sphère en noir et blanc, tout cela contri­bue au hüzün que l’on res­sent inévi­ta­ble­ment lorsqu’on y habite ou sim­ple­ment lorsqu’on s’y promène.

Cette mélan­co­lie, on ne la res­sent pas for­cé­ment tout de suite, il faut attendre un peu. Par­fois même, elle sur­vient lors­qu’on quitte la ville, ou alors lors­qu’on y revient et qu’on se dit que tel­le­ment de choses ont chan­gé et que le fait de ne pas retrou­ver les mêmes choses au même endroit est le triste constat de l’im­per­ma­nence du temps. Si je retourne à Istan­bul dans dix ans, je ferai cer­tai­ne­ment le constat que lors de mon der­nier séjour ; il me reste à espé­rer que je n’at­ten­drai pas aus­si long­temps pour revoir le Désir du Monde.

Istan­bul est triste comme une femme qui se réveille et qui dit qu’elle n’est pas belle, avec ses che­veux en bataille, ses yeux encore fer­més et le teint un peu terne, dépa­naillée dans son pyja­ma frois­sé, mais ce n’est qu’un ques­tion de point de vue. Tout est dans le regard de celui qui l’aime.

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Café du matin #2

Café du matin #2

Café du matin

#2

Café à mer

Café du matin, je ne sais plus com­bien. Une crème oran­gée, mous­seuse, qui reste sur les parois de la tasse tan­dis que je bois la der­nière goutte dans un léger bruit de bouche qui me per­met d’as­pi­rer tout ce qui peut res­ter dans la tasse.

Un fre­lon asia­tique s’est intro­duit dans la mai­son. Son bour­don­ne­ment lourd de grosse bête volante qui pro­longe mon mal de crâne a fini par ces­ser, et il a dis­pa­ru dans la cui­sine, cer­tai­ne­ment lové dans un des pots des plantes qui sur­plombent le plan de travail.

Un coup d’œil dans le miroir de l’en­trée, j’ai les che­veux pla­qués sur le crâne, les yeux rou­gis de n’a­voir pas assez dor­mi, la peau fri­pée comme un vieux sac en papier, l’im­pres­sion que l’o­deur des draps me colle à la peau, mais que se passe-t-il ? Qui est cette per­sonne en face de moi ? Il va me fal­loir encore quelques heures de som­meil pour sup­por­ter cette jour­née. Ou alors attendre que ma peau se res­serre. Que les petits vais­seaux écla­tés dans le blanc de mes yeux se rétractent. Que je prenne une bonne douche qui efface les traces de cette nuit agi­tée sous mon crâne. Que je fasse dégon­fler ces pau­pières qui me donnent un air de laman­tin endor­mi. Tem­pête sous mon crâne.

Il fait beau ce matin, le soleil me chauffe le dos. L’air est chaud, je le sens lors­qu’il pénètre mes pou­mons, alors qu’il est à peine midi. Mois d’a­vril qui ne pro­met rien du tout, la semaine pro­chaine sera fraiche, il fau­dra res­sor­tir les petits pulls pour le matin. Et de quoi se pro­té­ger de la pluie.

Le vent chasse les pétales du ceri­sier qui a fleu­ri tôt cette année, en une nuée qui res­semble à des flo­cons de neige. Sou­ve­nir d’un café allon­gé sur les hau­teurs du cime­tière d’Eyüp Sul­tan, un café turc ser­ré, que je bois jus­qu’à cette étroite limite qui sépare le liquide du marc. C’est presque un art. Il ne me manque plus que le fes otto­man vis­sé sur le crâne pour répondre au cliché.

Pro­fite, ça ne va pas durer…

Après une après-midi cani­cu­laire pas­sé à arpen­ter les rues pen­tues de Fener et de Balat, je me suis assou­pi dans les grands poufs d’un café ins­tal­lé sur les rives de la Corne d’or, écra­sé par la cha­leur et trans­pi­rant comme un bœuf entur­ban­né. Sur le moment, on en souf­fri­rait presque, mais la sen­sa­tion de bien-être qui per­dure n’a aucun équivalent.

Il y avait aus­si un grand café le long du Bos­phore, là où les vapur déversent désor­mais le flot des Stam­bou­liotes à Kaba­taş, le Kap­tan­lar Aile Çay Bah­çe­si, le jar­din de thé des capi­taines, où des enfants sau­taient dans les eaux froides et tour­men­tées, sou­vent dans le plus simple appa­reil, et où l’on pou­vait boire des jus de fruits frais et du thé noir bien fort. Tout ceci n’existe plus. Il ne reste là que le béton encore frais qui forment de longs quais sans âme.

Dans une après-midi lan­gou­reuse, je retrace ces moments de ma vie où la joie d’être au monde écrase tout le reste, et je finis par m’en­dor­mir sur le cana­pé du jar­din, les che­veux en bataille et les routes de la soie de Fran­ko­pan posé sur le ventre. Avec ça et l’a­mour, je peux mou­rir tranquille.

Der makam‑i ‘Uzzal usules Devr‑i kebir

by Hes­pe­rion XXI et Jor­di Savall | Can­te­mir Dimi­trie (1673–1723)

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On n’en a pas fini avec Byzance, ni avec Constan­ti­nople d’ailleurs…

On n’en a pas fini avec Byzance, ni avec Constan­ti­nople d’ailleurs…

On n’en a pas fini avec Byzance

Ni avec Constan­ti­nople d’ailleurs…

Bir varmış, bir yok­muş. Voi­là. Nous y sommes. Les lubies d’une col­lègue qui revient de voyage, un guide tou­ris­tique datant de 2007 et qui contient quelques infor­ma­tions fausses (il exis­te­rait une syna­gogue toute en bois à Fener qu’on pour­rait visi­ter, elle n’existe plus depuis 1937 et était construite en pierre), la lec­ture de mes car­nets de voyages sur mon blog, et la sou­ve­nir de la lec­ture d’un livre de William Dal­rymple sur les écrits d’un moine chré­tien d’O­rient du VIè siècle, un beau livre d’art caché dans la biblio­thèque, le sou­ve­nir d’un livre lu en 2012, celui d’A­lain Nadaud, L’i­co­no­claste, alors que je bat­tais le pavé d’Is­tan­bul, dans les quar­tiers sud de Sul­ta­nah­met, la lec­ture actuelle du Dic­tion­naire amou­reux d’Is­tan­bul de Metin Ardi­ti… Voi­ci les ingré­dients de cette jour­née enso­leillée un peu fraîche, où tout m’in­vite à repar­tir. Il me semble que la der­nière fois que je suis par­ti à l’é­tran­ger, c’é­tait en 2018, et le virus du départ com­mence à four­miller. Alors oui, ça cha­touille, ça com­mence à frémir.

Avant tout, un peu de musique pour se mettre dans l’ambiance.

Der makam‑i ‘Uzzal usules Devr‑i kebir

by Hes­pe­rion XXI et Jor­di Savall | Can­te­mir Dimi­trie (1673–1723)

Après une année pour le moins com­pli­quée — je ne me plains pas, il y a des situa­tions bien pires —, tout se sta­bi­lise, tout rede­vient nor­mal, même si au fond, je sais que ce qui est per­du ne peut rede­ve­nir la normalité.

Dès lors, une nou­velle vie, un nou­veau cycle se met en place. Il faut que tout rede­vienne comme avant. Et dans le démar­rage de ce nou­veau cycle, il y a ce fré­mis­se­ment, cette envie incon­trô­lable de par­tir, cette fabri­ca­tion d’an­ti­corps contre la moro­si­té qui me contrôle.

En turc, les contes débutent tou­jours par ces mots : Bir varmış, bir yok­muş. Il était une fois, et une fois il n’é­tait pas. Ici, l’ab­sence défi­nit le pré­sent. Réa­li­té et inexis­tence sont d’une même impor­tance. Plus encore, la forme uti­li­sée pour les deux verbes, varmış et yok­muş, est celle du qu’en-dira-t-on, un temps propre à la langue turque qu’on appelle miş li geç­miş soit : « le pas­sé en miş » : il semble que… il paraît que… Plus pré­ci­sé­ment : on raconte que… La forme directe aurait été : Bir vardı, bir yok­tu. Mais ici, le sens dou­ble­ment plus trouble : il sem­ble­rait qu’il y avait une fois, et il sem­ble­rait qu’une fois il n’y avait pas. Et moi, qui vous raconte cette his­toire, je ne suis sûr de rien, pas même de mon incer­ti­tude.
Des­cartes n’est pas né à Istan­bul.
Cette coexis­tence de contraires mêlés de flou se retrouve sans cesse dans la langue. Pour « Quelles sont les nou­velles ? » on dira : Ne var, ne yok ? Soit : « Qu’y a‑t-il et que n’y a‑t-il pas ? » Pour dire de quel­qu’un qu’il a accom­pli une tâche sans y consen­tir, on use­ra de l’ex­pres­sion : Ister iste­mez. « Il le vou­lait et il ne le vou­lait pas. » Lors­qu’en fran­çais on dit : « Quoi qu’il arrive », en turc, ce sera : Ne olur, ne olmaz, soit « Quoi qu’il advienne, et quoi qu’il n’ad­vienne pas. » Enfin, si l’on est allé faire des achats, on dira qu’on a fait des alış, veriş. Lit­té­ra­le­ment, des « acquis et des ces­sions ». Des achats et des ventes.
Qu’une telle dua­li­té se retrouve si sou­vent dans la langue en dit long sur sa sub­ti­li­té, autant que sur l’in­sai­sis­sa­bi­li­té de la pen­sée qu’elle exprime.

Dic­tion­naire amou­reux d’Is­tan­bul, Metin Ardi­ti
Plon, Gras­set, 2022

Trois noms pour une ville qui en contient des cen­taines. Mille visages qui tra­duisent une his­toire des plus chao­tiques, des dépla­ce­ments de popu­la­tions fré­né­tiques au fur à mesure des his­toires de domi­na­tions pour un lieu à la confluence des conti­nents, des langues, des mers. Un endroit unique au monde dont le nom vient du grec, εις την Πόλιν, eis tên Pólin, dans la ville. Tout sim­ple­ment. Dans la ville… tout est fait comme si le mot le plus impor­tant était LA ville. Il faut en fait remon­ter à l’é­poque de Byzance, avant que Constan­tin n’en fasse la deuxième Rome puis­qu’il était d’u­sage qu’on l’ap­pelle Βασιλὶς τῶν πόλεων, Basilìs tỗn póleôn, la Reine des Villes, ou plus sobre­ment ἡ Πόλις, ê Pólis, La Ville. En toute sobriété.

Il serait illu­soire de croire que la ville de Constan­tin existe encore. Constan­ti­nople appar­tient à l’his­toire, un simple frag­ment qui ne dit pas grand-chose de ce que fut la ville. Ce serait comme visi­ter Paris et ima­gi­ner y croi­ser des tan­neurs sur le bord de la Bièvre. Ce serait éga­le­ment illu­soire de croire que la ville serait encore par­se­mée d’é­glises datant d’a­vant 1453, date de la prise de la ville par les Turcs. Oh certes il est reste quelques unes, dont la plus célèbre est Sainte-Sophie, et si l’on peut encore en voir quelques unes, conver­ties en mos­quées ou non, la plu­part se trouvent à six pieds sous terre, ense­ve­lies, détruites par le feu ou le rem­ploi pour d’autres bâtiments.

Mais ce n’est pas ce qu’on vient cher­cher à Istan­bul, en tout cas pas com­plè­te­ment. On y vient pour la dou­ceur de la vie sur les rives du Bos­phore, le verre de thé accom­pa­gné de bak­la­vas à la pis­tache à la ter­rasse d’un café enso­leillé alors que le muez­zin lance son plus beau chant dans une indif­fé­rence qua­si-géné­rale, à moins que ce ne soit une contem­pla­tion pro­fonde qui ne dit pas son nom. On y vient pour ses quar­tiers enche­vê­trés, ses konak et ses yalı, ses rues qui n’ar­rêtent pas de mon­ter et par­fois de des­cendre. Mais sur­tout on vient ici pour y voir des visages et des sou­rires, pour prendre le temps de ne rien faire d’autre que de pro­fi­ter d’être là. 

En fait, on y va uni­que­ment pour man­ger un sand­wich au maque­reau grillé (balık ekmek) en buvant un Turşu suyu à Eminönü, au pied de la Yeni Camii. Le reste n’a que peu d’im­por­tance, ce n’est que du pati­nage artistique.

His­toire de sou­rire un peu, de se culti­ver et d’être hor­ri­fié par­fois, je redonne ici en lec­ture les six articles écrits d’a­près le livre d’A­lain Nadaud, L’i­co­no­claste. Ce livre est un puits de science pour qui veut se pen­cher sur l’his­toire de Constan­ti­nople et de ses empe­reurs facé­tieux, en pleine tour­mente de la que­relle des images, entre ico­no­clastes et ico­no­doules. Un régal à lire sans modération.

Voi­là, une nou­velle aven­ture est en route. Je compte les jours avant le départ, avec beau­coup d’at­tentes, beau­coup d’en­vies, trop peut-être. J’ai com­men­cé mon car­net de voyage alors que je ne suis même pas encore sur le départ.

Déjà je me prends à rêver de man­ger des böreks sur le bord du Bos­phore, de boire un thé à la ter­rasse du café Basin, non loin de Beya­zit, de sen­tir l’o­deur du pois­son frit à Eminönü, de sucer le sucre liquide des bak­la­vas à côté de la Rus­tem Paşa Camii, fouiller dans les bacs à livres pour trou­ver de vieux corans au mar­ché aux livres, de flâ­ner par­mi les étals du mar­ché de Kadıköy, d’é­cou­ter sans rien faire d’autre le muez­zin de la Yeni Camii, de regar­der les gens mar­cher dans la rue et les vieux jouer avec leur tes­bih, et tout sim­ple­ment de lais­ser le soleil turc cares­ser ma peau en pre­nant le temps de ne rien faire.

On n’en a pas fini avec Istanbul…

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Lettres du Bos­phore, par Sébas­tien de Cour­tois, la rage sourde

Lettres du Bos­phore, par Sébas­tien de Cour­tois, la rage sourde

Il n’y a pas vrai­ment de hasards, il n’y a que des cor­res­pon­dances. Et de cor­res­pon­dance, cette fois-ci, il est ques­tion dans le der­nier livre de Sébas­tien de Cour­tois, Lettres du Bos­phore. Pour avoir déjà lu et par­lé de son livre, aux mêmes édi­tions (Le Pas­seur), Un thé à Istan­bul, je m’at­ten­dais avec ce titre à une nou­velle ode de l’au­teur à sa ville de cœur, à la ville dans laquelle il vit depuis des années, et où il raconte ses ren­contres sur fond de foi reli­gieuse, d’a­mour de l’autre et peut-être aus­si d’a­mour tout court… Si les thèmes sont les mêmes, cette cor­res­pon­dance est cette fois-ci plu­tôt un échange entre lui et sa ville, et plus glo­ba­le­ment la Tur­quie qu’il est en train de voir chan­ger sous ses fenêtres qui donnent sur la ville.

Istanbul - avril 2012 - jour 6 - 142 - Yeni cami depuis le Bosphore

Le livre n’est pas encore sor­ti qu’on me pro­pose de le lire, chose que je ne sau­rais refu­ser. Je m’im­pa­tiente, je guette ma boîte aux lettres dans laquelle je finis par rece­voir un pli rem­bour­ré de papier bulle. Le livre est là, sur ma table de salon, à côté des pre­miers brins de muguets que j’ai jetés dans un petit vase. Hasard du calen­drier — est-ce vrai­ment un hasard ? — le livre qui vient d’ar­ri­ver cor­res­pond à une autre date. Nous sommes le 17 avril. Déjà, le matin, je me réveille un peu étour­di, furieux, triste, mal à l’aise. La Tur­quie (enfin, seule­ment 51%) vient de voter les pleins pou­voirs au chef de l’E­tat, Recep Tayyip Erdoğan, le 16 avril, c’est encore tout frais. Étran­ge­ment, un livre qui est sur le point de sor­tir en librai­rie ne peut en aucun cas par­ler de l’ac­tua­li­té immé­diate, ce serait inquié­tant, et c’est pour­tant de cela dont il est ques­tion. Pas de l’é­vé­ne­ment en lui-même, mais l’ob­ser­va­tion de l’in­té­rieur de la lente et inexo­rable chute d’un pays. Encore une fois, les Lettres du Bos­phore de Cour­tois ne sont pas une réqui­si­toire, elles gardent la pru­dence de l’ob­ser­va­teur dans un monde qui a sérieu­se­ment besoin qu’on lui accorde l’at­ten­tion du sen­ti­ment objec­tif et le froi­deur d’un regard sans conces­sion. Et éga­le­ment la dou­ceur par­fois amère de l’af­fect. On n’est jamais autant tou­ché que lorsque ce que l’on aime pro­fon­dé­ment prend une tour­nure acide et dire que de Cour­tois aime la Tur­quie est un doux euphé­misme. Ce n’est pas un amour de tou­riste, ni un amour patri­mo­nial, encore moins un amour folk­lo­rique, mais un amour pro­fond, pour son peuple, sa culture, ce qu’il remue au tré­fonds de la chair, même lors­qu’il est tein­té de hüzün

Pre­mier cha­pitre, l’o­pium du peuple, 6 novembre 2015, le décor est plan­té. La situa­tion poli­tique est inquié­tante. Pour celui qui regarde des deux côtés de la lor­gnette, les fris­sons par­courent l’é­chine. On pour­rait se conten­ter d’é­cou­ter les médias, mais lorsque le cri de détresse pro­vient de l’in­té­rieur et qu’on a la pos­si­bi­li­té d’y voir plus clair par soi-même, on ne peut faire autre­ment que de se cacher le visage dans les mains, de peur, d’in­com­pré­hen­sion, de tris­tesse tein­tée de colère.

J’ai du mal à lire le livre d’une traite. Si Un thé à Istan­bul était un livre plu­tôt enthou­siaste et amou­reux, les Lettres du Bos­phore sont ani­mées d’une rage sourde. Au même moment, le calen­drier élec­to­ral en France se pré­cise. Je me rends vers la mai­rie de ma ville en ce dimanche 23 avril pour le pre­mier tour des pré­si­den­tielles. Il fait beau même si la fraî­cheur est encore bien pré­sente. Je ne peux m’empêcher de pen­ser à mes amis res­tés en Tur­quie qui ont fait le même geste une semaine aupa­ra­vant, dans d’autres cir­cons­tances, mais eux y sont allés la peur au ventre, le regard inquiet. C’est à ce moment-là que je me dis qu’il ne fau­drait fina­le­ment pas grand-chose pour que les choses bas­culent du mau­vais côté. Jus­qu’à 20 heures, je traîne dans mon jar­din, fei­gnant de d’ar­ra­cher les pis­sen­lits et le plan­tain qui com­mencent à pous­ser dans les mas­sifs, arro­sant les hor­ten­sias qui ont déjà soif. Il n’a pas beau­coup plu. 19h59, je me pose devant la télé pour voir appa­raître les deux visages. On y est. L’hor­reur est à por­tée de main. Qui a fait ça ? Qui a fait en sorte qu’on en arrive là ? Mon regard se tourne vers Istan­bul. Tout est si facile. Je pense à ces simples mots… « élu par le peuple »… oui ! Mais par quelle conscience ? A quel point peut-on avoir le regard embru­mé pour se tour­ner vers de telles extré­mi­tés ? Vik­tor Orbán a été élu par le peuple, Vla­di­mir Pou­tine aus­si, Islam Kari­mov de même, Hugo Chá­vez, Charles de Gaulle aus­si (ce qui ne l’a pas empê­ché de dire des salo­pe­ries sur les Algé­riens, ce qui ne l’a pas empê­ché de faire des salo­pe­ries et de se com­por­ter comme un dic­ta­teur avant de se faire mettre à la porte par le même peuple qui l’a­vait élu…).  Tout se brouille en moi, je me dis qu’il vau­drait mieux que je retourne à mes lectures.

En sep­tembre 2015, je lisais le livre magis­tral de William Dal­rymple, Dans l’ombre de Byzance. For­mi­dable plon­gée dans les his­toires incon­nues des Chré­tiens d’O­rient et de leur place dans le monde moderne. Loin de faire du pro­sé­ly­tisme, loin de me pré­oc­cu­per du sort des croyants, de quelle confes­sion qu’ils soient, je m’in­quiète tou­jours du sort de ceux qui sont pour­chas­sés pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils pensent, pour ce qu’ils espèrent. Le sou­ve­nir de ce livre me rend encore plus amer au sou­ve­nir des mani­gances d’un état pour effa­cer les traces gênantes dans l’op­tique de la construc­tion d’un nou­veau récit natio­nal. Je ne m’y attarde pas, il suf­fit de retour­ner dans ces pages pour com­prendre ce qui se passe et qui ne se dit pas.

Je par­lais de luci­di­té plus haut. De Cour­tois fait le même constat, lui qui était à Istan­bul le jour où des tou­ristes ont été assas­si­nés dans l’at­ten­tat de Sultanahmet :

Le conflit s’an­nonce féroce. Alors qu’il y a moins de dix ans, à l’est, les choses se pas­saient plu­tôt bien : la Tur­quie et la Syrie avait sup­pri­mé les visas, les bour­geois d’A­lep venaient faire leurs courses à Gazian­tep, Bachar al-Assad était le « frère » de Recep Tayyip Erdoğan, et le gou­ver­ne­ment turc enta­mait un pro­ces­sus de paix avec les Kurdes. Il était même ques­tion de réou­vrir la fron­tière tur­co-armé­nienne ! Erdoğan aurait pu res­ter dans l’his­toire pour de bonnes choses, mais en quelques années, c’est le contraire qui s’est pas­sé. Radi­ca­le­ment. D’une poli­tique de « zéro pro­blème avec ses voi­sins », le pays est allé dans la direc­tion inverse en s’im­pli­quant dès 2011 dans la guerre civile syrienne. Le refou­lé est reve­nu au grand galop avec des dia­tribes natio­na­listes d’un autre temps. Aux ordres, les médias conti­nuent de relayer la pro­pa­gande offi­cielle, celle d’une vaste théo­rie du com­plot fai­sant de la Tur­quie un pays assié­gé, ce qui relève du pur fan­tasme. A Istan­bul, l’at­ten­tat de mar­di n’é­tait qu’un rap­pel de ce déni, une preuve fla­grante qu’il ne s’a­git pas d’être seule­ment opti­miste ou pes­si­miste, mais le besoin d’une indis­pen­sable lucidité.

Entre deux tours. Le pays se déchire pour savoir s’il faut s’abs­te­nir, voter blanc, prendre par­ti, ne pas prendre par­ti. C’est un vaste chan­tier, je ne recon­nais plus mon pays. A l’ins­tar de ces éti­quettes col­lées sur les paquets de ciga­rettes, on pour­rait presque col­ler sur les affiches élec­to­rales : Se culti­ver nuit gra­ve­ment à l’i­gno­rance… C’est ce que j’ai en tête lorsque j’en­tends des gens de mon pays dire que les Arabes sont une sous-race, que les Musul­mans ne sont pas comme nous, que l’im­mi­gra­tion est le can­cer de notre socié­té. Il y a des ter­ro­ristes par­tout !!! Sen­tir la peur s’in­si­nuer sous les moindres replis de sa chair, quelle jouis­sance pour ceux qui l’ins­til­lent !!! L’his­toire se répète, nous sommes en train de som­brer alors qu’il était si facile de faire en sorte que tout se passe bien.

Turquie - jour 3 - Istanbul - 89 - Sur le Bosphore de Beşiktaş à Beşiktaş - Kandilli

Comme le dit de Cour­tois, un peuple est libre de choi­sir son gou­ver­ne­ment, est libre de choi­sir sa liber­té, de choi­sir entre les ténèbres et la lumière. N’empêche… La liber­té, c’est choi­sir la lon­gueur de ses chaînes et il sem­ble­rait que celles choi­sies soient incroya­ble­ment courtes… Et le pire, c’est qu’on se doute de ce qui va se pas­ser après ; le réta­blis­se­ment de la peine de mort (pra­tique pour les oppo­sants), endur­cis­se­ment de la reli­gion (j’ose à peine y pen­ser), concen­tra­tion des pou­voirs poli­tiques, bref, c’est le déman­tè­le­ment sys­té­ma­tique de l’hé­ri­tage d’A­tatürk. La liber­té se paie cher :

A l’é­cart, Dün­dar grif­fonne quelques lignes sur son car­net. Élé­gant, une barbe poivre et sel, il porte un cos­tume sombre sur une cra­vate noire. Le deuil de la démo­cra­tie turque ? « Oui, d’une cer­taine manière, répond-il d’une voix timide et amu­sée. Au cours du pre­mier mois de ma déten­tion j’é­tais en iso­le­ment total, mais par la fenêtre de ma cel­lule, je voyais la liber­té… Chez moi, c’est le contraire, ma fenêtre donne sur un cime­tière et sur le palais de jus­tice, les deux endroits où finissent nor­ma­le­ment les jour­na­listes en Turquie. »

Sébas­tien de Cour­tois a des attaches pro­fondes, il par­court le pays en amou­reux tran­si qui a pour lui cette sau­vage conscience que l’in­croyable com­plexi­té du pays qui l’a adop­té va au-delà de l’op­po­si­tion poli­tique. Heu­reu­se­ment, il n’est pas ques­tion que de géo­po­li­tique, même si c’est vrai­sem­bla­ble­ment ce qui paraît le plus inquié­tant aujourd’­hui, alors que les der­nières années connais­saient un aller simple vers la séré­ni­té. On se frotte les yeux en se deman­dant com­ment on en est arri­vé là. Cet amour se com­pose de dia­logues avec ceux qui sont aujourd’­hui les obser­va­teurs du monde, les intel­lec­tuels, les écri­vains, mais aus­si avec ceux qui vivent leur vie de tous les jours, sans distinction.

Je n’at­ten­drai pas le second tour des élec­tions pré­si­den­tielles dans mon pays pour finir le livre, j’ai tout à coup envie de décor­ré­ler l’ac­tua­li­té de mes lec­tures, ne pas en faire de sombres amal­games et écou­ter les meilleures pages du livre, l’é­cri­ture à la fois sucrée et intran­si­geante de de Cour­tois, en tirer la sève pour m’en nour­rir et espé­rer encore que les choses peuvent chan­ger. En cet ins­tant, je pense à Sum­ru, à Sıtkı, à Emin, Meh­met, Firat, Nihat, Sadık, Abdul­lah, Fatoş et Bukem, à tous ceux ren­con­trés sur le bord du Bos­phore ou dans les mon­tagnes de Cap­pa­doce et qui sont deve­nus mes amis, qui eux, alors qu’ils vivent dans ce grand et beau pays que l’on ne connaît encore pas assez vu d’i­ci, conti­nuent de croire que le pire est pas­sé. Je me plonge jus­qu’à l’en­dor­mis­se­ment dans les déam­bu­la­tions de l’au­teur au cœur des mey­hane, dans les rues où l’on joue au tav­la sur les trot­toirs et où l’on boit du çay et (pour l’ins­tant encore) du rakı, et où l’on entend encore par­fois les envo­lées char­mantes du bağ­la­ma.

La Tur­quie est un pays qui se mérite, il n’est pas une simple étape de vie, une des­ti­na­tion par­mi d’autres, mais un choix, une expé­rience. Il faut en accep­ter le pire pour com­prendre le bien, lire, se ren­sei­gner, goû­ter les plats et cou­rir la cam­pagne. Les saveurs y sont puis­santes. […] Si les Turcs ont une leçon à nous don­ner, c’est bien celle de la joie de vivre.

Lettres du Bos­phore- Sébas­tien de Cour­tois aux édi­tions Le Passeur

Mer­ci à Le Pas­seur Édi­teur et l’a­gence Lan­gage et Pro­jets Conseils. Pho­tos © Romuald Le Peru

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Car­net de voyage en Tur­quie : Balades poé­tiques et visages stambouliotes

Car­net de voyage en Tur­quie : Balades poé­tiques et visages stambouliotes

Épi­sode pré­cé­dent : Car­net de voyage en Tur­quie : L’église cachée (Saklı Kilise), la val­lée de Pan­carlık et le rama­dan à İstanbul

Bul­le­tin météo de la jour­née (same­di 18 août 2012) :
10h00 : 28.8°C / humi­di­té : 52% / vent 22 km/h
14h00 : 31°C / humi­di­té : 46% / vent 28 km/h
22h00 : 28,9°C / humi­di­té : 54% / vent 22 km/h

C’est aujourd’­hui le der­nier jour du rama­dan (rama­zan), un jour vécu à la fois comme une libé­ra­tion et comme un renou­veau, après un mois lunaire éprou­vant pour les corps et les esprits, un mois cen­sé mettre son âme à l’é­preuve et puri­fier. Demain, ce sera la fête. Je plains ces hommes et ces femmes qui s’as­treignent à ne pas man­ger et sur­tout à ne pas boire pen­dant ces longues jour­nées tor­rides. Rama­dan, c’est aus­si l’oc­ca­sion de se retrou­ver tous ensemble dans la rue et par­ta­ger ensemble dans une ambiance cha­leu­reuse son repas dès lors que le muez­zin a com­men­cé sa longue com­plainte, qui sur l’hip­po­drome, entre Sul­ta­nah­met Camii et Sainte-Sophie, dure près de 8 minutes… une éter­ni­té qui trans­perce le cœur et donne la chair de poule, mal­gré la sueur qui conti­nue de dégou­li­ner sur mon corps et la cha­leur insen­sée. Je regar­dais hier soir les belles femmes endi­man­chées (ou plu­tôt enra­ma­da­nées) dans leurs man­teaux longs traî­nant par terre, bou­ton­nés jus­qu’au col dans lequel est coin­cé un fou­lard ser­ré qui leur enserre le visage. Com­ment sup­por­ter la cha­leur dans ces condi­tions ? Cer­taines sont visi­ble­ment à l’aise finan­ciè­re­ment, mais on sent clai­re­ment le poids de la tra­di­tion ; ce n’est pas ici que traîne la jeu­nesse stam­bou­liote émancipée.

Il fait nuit, une nuit noire, mais cer­tai­ne­ment pas calme. Les mina­rets de Sul­tu­nah­met, ten­dus comme des chan­delles vers le haut, ne sont qu’à 50 mètres de la chambre. A un peu plus de 4 heures du matin, j’en­tends comme un cra­que­ment dans l’air calme de la nuit, le micro est ouvert et le muez­zin entame sa longue plainte en sup­pliant le nom d’Al­lah. Le nez dans l’o­reiller, un œil à moi­tié ouvert, il ne me vien­drait jamais à l’i­dée de me lever à cette heure-ci pour prier, mais la magie opère quand-même, mal­gré l’heure, mal­gré la fatigue et je me ren­dors avant que les der­niers mots soient prononcés.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 001 - Sultanahmet

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 005 - Marmara

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 007 - Hippodrome

Avant d’al­ler déjeu­ner, je m’ins­talle quelques ins­tants sur le toit d’hô­tel où per­sonne ne vient, le soleil a déjà com­men­cé à chauf­fer le zinc des toi­tures sur les­quelles les pattes des cor­beaux (kuz­gun) grincent dans un petit cli­que­tis désa­gréable. Le monde s’ar­rête ici, comme dans tous les lieux sur les­quels je me suis repo­sé pen­dant ce voyage. Je me sens vidé, inca­pable d’en absor­ber davan­tage ; la cou­pure devient inévi­table. Mar­ma­ra brûle à main droite, lais­sant pan­te­lantes les sil­houettes des car­gos qui attendent leur tour pour fran­chir le Bos­phore, dans un air mâti­né des traces de gas-oil consu­mé. Sul­ta­nah­met Camii, à main gauche et du haut de ses six mina­rets, flam­boie comme une armée de lances au len­de­main de la vic­toire et mal­gré sa pierre grise et sombre, ren­voie une lumière aveu­glante qui fait pleu­rer mes yeux fatigués.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 010 - Tombeau du Sultan Ahmed Ier

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 019 - Tombeau du Sultan Ahmed Ier

J’i­rai voir ce matin le tom­beau de celui qui a don­né son nom à la grande Mos­quée Bleu, le Sul­tan Ahmet Ier, juste en face de Sainte-Sophie et der­rière la fon­taine. Il était encore en tra­vaux la der­nière fois que je suis venu et je m’en­gouffre dans ce mau­so­lée spa­cieux où reposent le Sul­tan, son épouse et ses enfants dans de tout petits cer­cueils recou­verts de feu­trine verte et à la tête des­quels se trouvent les tur­bans blancs indi­quant leur rang. Je suis plus ému par les faïences et les motifs des­si­nés sur le plâtre que par le lieu lui-même. Quand on a visi­té les tom­beaux qu’on peut voir dans l’en­ceinte de Sainte-Sophie, celui-ci paraît bien pâle, bien peu charmant…

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 022 - Tombeau du Sultan Ahmed Ier

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 023 - Tombeau du Sultan Ahmed Ier

Mais je repère quand-même quelques dou­ceurs à me mettre sous la dent. Le détail des motifs nacrés de la porte majes­tueuse me donne à voir des étoiles de bois incrus­té d’i­voire et de nacre, dans un mélange éton­nant de cou­leurs simples, pri­mi­tives, asso­cié au cuivre des poi­gnées et des gonds, des ser­rures et des orne­ments. La céra­mique d’Iz­nik com­mence à me sor­tir par les yeux, même si je recon­nais que la mul­ti­pli­ci­té des motifs m’im­pres­sionne à chaque fois un peu plus, sur­tout depuis que je sais que les vrais car­reaux authen­tiques sont fabri­qués à la vitesse du temps qui passe à l’ombre des ton­nelles de la ville médi­ter­ra­néenne. Pas moins de vingt-sept opé­ra­tions sont néces­saires pour pro­duire ces motifs à la sim­pli­ci­té enfantine.

Pour ce der­nier jour, j’ai déci­dé de visi­ter à nou­veau Sainte-Sophie ; cette église exerce sur moi un attrait incom­pré­hen­sible. La plus grande église du monde en dehors du monde chré­tien est une ode aux croyances bar­bares, un lieu saint qui a sur­vé­cu aux hommes, aux reli­gions, aux trem­ble­ments de terre — qui sait pour com­bien de temps encore. J’y reviens parce que je suis atteint du syn­drome de Jéru­sa­lem. Au contact des lieux sacrés, peu importe de quelle reli­gion il est ques­tion, je me sens comme enva­hi par une force qui me dépasse et me laisse pan­te­lant sur le bas-côté, vidé de ma sub­stance au pro­fit de quelque chose que je ne peux contrô­ler et dont la puis­sance m’é­treint. C’est peut-être ce que Mir­cea Eliade appelle le sacré. Vivre des épi­pha­nies qui res­semblent à des orgasmes spi­ri­tuels à chaque coin de rue n’est pas don­né à tout le monde. Cer­tains en sont même morts dans d’a­troces souffrances.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 027 - Hippodrome

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 028 - Sainte-Sophie

Sous le soleil écra­sant, les dômes de plomb du ham­mam Hase­ki Hür­rem sont d’une gri­saille épous­tou­flante, les petits bubons de verre étin­ce­lant sur cette pesante cara­pace. Au pied de la plus grande église du monde chré­tien orien­tal, les empiè­te­ments des mina­rets paraissent comme les pieds gigan­tesques d’une sta­tue d’empereur romain que le temps aurait façon­né jus­qu’à ce qu’on n’en voit plus que l’ar­ma­ture. L’in­gé­nio­si­té de cette archi­tec­ture qui trans­forme une base car­rée en tour ronde dans une dou­ceur de bak­la­va est là le véri­table génie de ceux qui ont des­si­né la beau­té de cette Istan­bul otto­mane. La brique rose dans l’ombre du bâti­ment semble fraîche comme des bis­cuits de Reims dans une char­lotte à la fram­boise, mais ce n’est qu’une illu­sion. Le soleil écrase tout.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 029 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 032 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 033 - Sainte-Sophie

Dans le jar­din qui entoure l’é­glise, je m’at­tarde sur les piliers des colonnes qui ornaient autre­fois les alen­tours et qui, recou­verts par une terre tas­sée par les années de conquête, ont été pré­ser­vés des sac­cages. Sur cer­tains d’entre eux, on peut encore voir gra­vé le nom de Théo­dose, l’empereur bâtis­seur et der­nier empe­reur romain à avoir régné sur l’Em­pire d’O­rient uni­fié. Des colonnes au cha­pi­teau sculp­té dans un style corin­thien pur se retrouvent affu­blées sur leur fut d’une croix latine, absur­di­té com­plète qu’on ne voit qu’ici.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 035 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 037 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 038 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 040 - Sainte-Sophie

L’ef­fet est tou­jours le même quand on rentre dans l’é­glise, ou non, il est à chaque fois ampli­fié, parce qu’on s’at­tend à ce qu’on va y trou­ver. Une ambiance bar­bare, brute, sau­vage, l’élé­ment le plus repré­sen­ta­tif de l’art byzan­tin dans toute sa splen­deur, en terre musul­mane de sur­croît. Tout ici fait vaciller les sens, parce qu’on n’y com­prend plus rien, si tant est qu’on tente de per­cer le mys­tère. On est accueilli par un Christ sur son trône, qui semble, de son regard sévère nous lan­cer un aver­tis­se­ment. Son impo­sante sta­ture écrase celui qui entre ici. Misé­rable ver­mis­seau, pros­terne-toi… Les lourdes portes de bronze incitent à ne pas res­ter trop long­temps ; per­sonne ne son­ge­rait à tam­bou­ri­ner des­sus pour l’ou­vrir. Cer­taines portes laté­rales du nar­thex ne sont plus de style byzan­tin mais pré­sentent une forme d’o­give telle qu’on en voit sur les bâti­ments otto­mans. Qui brouille ain­si les pistes ?

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 042 - Sainte-Sophie

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Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 045 - Sainte-Sophie

Dans ce nar­thex déjà par­cou­ru, mon regard se perd dans les marbres colo­rés, vei­nés comme une peau dia­phane sous laquelle on ver­rait le sang cou­ler alors que ce sont cer­tai­ne­ment des litres et des litres de sang qui, sur le sol, ont été répan­dus suite aux que­relles des images et aux inva­sions suc­ces­sives… Sous les pilastres bor­dés d’une frise flo­rale repré­sen­tant cer­tai­ne­ment des vignes, sym­bole chris­tique par excel­lence, ce sont des plaques incrus­tées de cou­leurs qui déjà annoncent les volutes flo­rales des céra­miques d’Iz­nik, les contours des portes sont capi­ton­nés de gros clous de bronze, cen­sés tenir la struc­ture pour des siècles ; la preuve par l’exemple, tout tient par­fai­te­ment en place. Sur une porte en bronze, un vase conte­nant deux feuilles sty­li­sées et confron­tées, des palmes ? Le long des fenêtres, des mosaïques faites de tout petits car­reaux dorés, recou­vrant savam­ment les ren­fle­ments de la struc­ture, s’ornent par­fois de feuilles enrou­lées, motifs qui alternent un peu avec les croix omni­pré­sentes. Ici c’est un trou de ser­rure qui m’in­trigue, lais­sant sup­po­ser des salles secrètes qui n’ont peut-être jamais été ouvertes, là c’est une vasque en marbre ornée d’é­cri­tures arabes, recou­verte d’une chape de bronze. Tous les maté­riaux d’i­ci sont des matières hau­te­ment nobles. Le bronze, la pierre, le marbre de Pro­con­nèse, le por­phyre rouge sang, la lumière, l’or.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 049 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 050 - Sainte-Sophie

Ici encore, ce sont des plaques mar­que­tées de marbres, un vert sombre et gra­nu­leux pour le fond, un vei­né jaune et rouge pour don­ner du relief, un por­phyre pour rem­plir un disque, un vert fin et clair pour les volutes flo­rales… Au des­sus d’un pilastre, c’est ici une repro­duc­tion d’é­glise en minia­ture, cer­tai­ne­ment Sainte-Sophie elle-même, une croix repré­sen­tée au milieu, entre des rideaux qu’on ima­gine être de pourpre impé­riale. Entre cha­cune des plaques de marbres, c’est un frise faite de car­rés alter­nés don­nant l’im­pres­sion d’une den­telle ; lorsque la pierre se fait tissu…

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 052 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 053 - Sainte-Sophie

Et puis, chan­ge­ment de décor, nous sommes dans une mos­quée. Der­rière les cuivres décou­pés d’é­toiles, les pointes des flèches ten­dues vers le ciel se ter­mi­nant par un crois­sant de lune, lui aus­si poin­tant vers le haut, ce sont les médaillons dans lequel on peut lire en arabe le nom d’Al­lah, les vitraux d’un pur style otto­man. Un coup d’œil en arrière et l’on tombe à nou­veau sur la den­telle de pierre grise, fleurs infi­nies qui donnent le ver­tige, sur le sol à nou­veau, de gigan­tesques disques de marbres colo­rés qui font comme des bulles sous le vide immense de la cou­pole. Une pièce est ouverte sur le côté du nar­thex et j’ac­cède à une pièce que je n’ai jamais vue : il me semble que c’est l’horo­lo­gion, là où se trouvent les psau­tiers. Ici encore les pistes sont brouillés. Dans cette petite enclave sacrée, les murs sont recou­verts de céra­miques otto­manes. Au pla­fond, je découvre des anneaux scel­lés dans la pierre. Que font-ils là ? Sur les marbres bleus et dans la lumière qui filtre au tra­vers des lucarnes, un chat reste là, assis, se lais­sant cares­ser par tous ces gens gros­siers qui osent venir ici.

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Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 063 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 066 - Sainte-Sophie

Sur un autre pilastre, je découvre, là où devait se trou­ver autre­fois une porte, la trace d’une main prise dans la cou­leur de la pierre. Fas­ci­nant, et sur­tout, incom­pré­hen­sible. C’est là que réside le mys­tère de ce magni­fique monu­ment, dans toutes les petits choses cachées qu’il faut se don­ner la peine de décou­vrir. Ces lustres impo­sants des­cen­dant du ciel comme des sou­coupes volantes, rap­pe­lant les plus grands mys­tères des livres d’E­ze­chiel et d’Enoch…

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Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 071 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 073 - Sainte-Sophie

Cer­taines des colonnes sont cer­clées, les autres pas. Et puis au bas des cer­taines d’entre elles, des frises grecques qui, aux join­tures sont comme des swas­ti­kas. Est-ce que les autres regardent aus­si par terre ? Par là où la lumière entre, la pierre prend une teinte irréelle. Il se passe quelque chose ici qu’on ne voit nulle part ailleurs. Des motifs de vigne que j’ai vus quelques jours aupa­ra­vant dans les tré­fonds de la Cap­pa­doce, notam­ment à Mus­ta­fa­paşa sur l’é­glise Saint Constan­tin et Sainte Hélène. De la loge impé­riale on voit les arches de sou­tè­ne­ment en pierre sèche raclées par le soleil crû. Je suis épui­sé de tous ces détails, j’ai l’im­pres­sion de vaciller et l’es­pace d’un ins­tant, ma vue se trouble, j’ai comme mal au cœur ; le désir de par­tir d’i­ci est le plus fort. La cha­leur m’a rin­cé, exté­nué, l’é­mo­tion a, quant à elle, été la plus forte et encore main­te­nant me détruit. Il n’y a plus rien, plus rien. Je dois m’as­seoir pour ne pas tom­ber… Quelques instants…

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Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 104 - Sainte-Sophie

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Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 122 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 131 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 135 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 138 - Sainte-Sophie

Au centre d’un des séra­phins brûle un cœur d’or. Les séra­phins, ces êtres redou­tables, divins et pour­tant tou­jours des­truc­teurs, objets de fan­tasmes, déli­ca­te­ment repré­sen­tés par des plumes bleues ten­ta­trices… Sous mes mains, sur la ram­barde de marbre, une ins­crip­tion en grec que je n’ar­rive plus à déchif­frer. Peut-être une reven­di­ca­tion d’un insur­gé de l’é­poque de la Sédi­tion Nika… Et puis au-des­sus de ma tête cette étrange mosaïque noire et or dans les ren­fle­ments entre les arcades. Encore un petit coin étrange. Je pro­fite des fenêtres ouvertes pour m’ex­ta­sier depuis ici sur ces mina­rets ten­dus comme des arcs, dépas­sant des rotondes. Sur les murs du nar­thex, on trouve les plaques gra­vées des déci­sions finales du fameux synode de 1165, dans un grec presque com­pré­hen­sible. Mono­grammes, croix, chrismes, le nom d’Al­lah, de petits cro­chets au-des­sus des portes qui devaient rete­nir autre­fois des ten­tures, his­toire de ne pas don­ner un air trop évident aux choses. Chaque émo­tion en son temps. Cette fois-ci, je dois sor­tir de l’é­glise et j’emprunte une sor­tie que je ne connais­sais pas, la Belle Porte sur le fron­ton duquel se dresse une mosaïque de la Vierge en majes­té. Dehors, c’est le bap­tis­tère que je découvre avec sa bai­gnoire immense, taillée dans un seul bloc de marbre. C’est ici qu’é­taient immer­gés les empe­reurs de l’Em­pire Romain d’O­rient, dans cette cuve que per­sonne ne visite guère. Et pour­tant, c’est tout un symbole.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 146 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 149 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 151 - Sadık au Grand Bazar

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 152 - Marché aux livres

Pour reprendre mon souffle, je m’as­sois à l’ombre, englou­tis­sant toute l’eau de ma bou­teille, et je me pose pour écou­ter le chant du muez­zin. Je reprends mon che­min pour m’en­fon­cer vers le Grand Bazar. J’ai un ren­dez-vous non loin de Beyazıt Camii avec Sadık, le ven­deur de cuivres. Il m’a fait pro­mettre de reve­nir pour m’of­frir un kebab que nous man­geons, assis dans son échoppe, sur une des tables qu’il est cen­sé vendre et qu’il a posée en plein milieu. Il ferme la porte, his­toire de faire com­prendre que c’est fer­mé pen­dant l’heure du repas, impro­vi­sée. J’ai peur qu’il fasse chaud, mais il me montre une trappe au pla­fond, un simple van­tail qu’il ouvre avec une corde. Il se marre en disant « otto­man air condi­tion­ning !! ». Malin comme un singe le Sadık… Contrai­re­ment à ma der­nière visite, il a lais­sé pous­sé sa barbe qui dit bien ce qu’il est, un homme indé­pen­dant qui se fiche de ce qu’on pense de lui. Sa mous­tache se perd avec le reste des poils de son visage ; il a l’œil mali­cieux et tendre. Nous échan­geons quelques mots dans un anglais qu’il mai­trise moins bien que moi, mais tout passe par les yeux et pen­dant ce temps, l’ayran coule à flots… Dehors, près du mar­ché aux livres, je retrouve le même petit chat que j’a­vais pris dans mes bras au mois d’a­vril. Il a gran­di à pré­sent, mais c’est le même, j’en suis cer­tain. Il pas­se­ra peut-être sa vie ici s’il ne se fait pas écra­ser par une voi­ture sur Divan Yolu.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 153 - Au pied de Beyazıt Camii

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 155 - Au pied de Beyazıt Camii

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 157 - Au pied de Beyazıt Camii

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 158 - Au pied de Beyazıt Camii

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 161 - Au pied de Beyazıt Camii

Au pied de la belle mos­quée Beyazıt Camii, la mos­quée construite par le sul­tan Baja­zed II, suc­ces­seur du conqué­rant Meh­met II et des­ti­tué par son fils Selim, se trouve un mar­ché d’un genre par­ti­cu­lier, car ici on y trouve des billets de tous les pays, et sur­tout un incroyable mar­ché au tes­bih, ces cha­pe­lets le plus sou­vent faits de billes de bois, que les hommes (les femmes aus­si, mais pas à Istan­bul) s’a­musent à égre­ner toute la jour­née pour s’oc­cu­per les mains. Ici, on échange des regards, on négo­cie ferme, on s’en­gueule et on s’empoigne, les billets de lires turques passent de mains en mains et les tes­bih rejoignent les mains caleuses de leurs nou­veaux pro­prié­taires. Je m’a­muse à regar­der les visages des hommes, cer­tains éma­ciés et buri­nés, d’autres avec un seul œil res­tant, cer­tains ron­douillards et bon-enfant, d’autres durs, mal rasés, inquié­tants presque. Ces visages soit bar­bus, soit mous­ta­chus, soit pas vrai­ment rasés, ont par­fois la dou­ceur des heures débonnaires.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 165 - Dans le tramway

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 167 - Yeni Camii, Eminönü

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 170 - Yeni Camii, Eminönü

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 174 - Eminönü

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 175 - Eminönü

La fin de jour­née arrive, la cha­leur, elle, ne des­cend pas. Le soleil tanne ma peau bien bru­nie par plus trois semaines pas­sés dans cette four­naise turque ; pas aus­si fort tou­te­fois que dans la baie de Keko­va ou sur les hau­teurs de Pamuk­kale. Devant la Yeni Camii qui prend les teintes renardes du soleil décrois­sant, les gens cir­culent en ne jetant même plus un coup d’œil à ce monu­ment majes­tueux qui assied la place. Sur les bords de la Corne d’Or, l’o­deur des maque­reaux grillés refoule vers les quais. C’est presque un bon­heur de sen­tir cette odeur âcre reve­nir me cha­touiller les naseaux. Je n’ar­rive plus à quit­ter cette place qui, déci­dé­ment, reste mon lieu d’a­mar­rage pré­fé­ré. Ici, tout semble conver­ger ; ceux qui des­cendent du Grand Bazar, ceux qui viennent de Sul­ta­nah­met par le tram, ceux qui viennent de Gala­ta depuis l’autre côté du pont… Car­re­four inévi­table, croi­se­ment de toutes les inten­tions, c’est Eminönü. Je reste à m’ex­ta­sier devant les vapu­ru qui patientent sur le quai en cra­chant leur immonde fumée cras­seuse, por­tant cha­cun des noms de per­son­na­li­tés de la ville, puis devant les ven­deurs de simits, les petits gitans qui étalent leurs kilims à même le sol pour vendre des petites pochettes pec­to­rales cou­sues de sequins brillants et les ven­deurs de moules déme­su­rées qu’on mange crues avec une giclée de jus de citron, comme on man­ge­rait des huîtres sur le port de Can­cale. Dans une rue un peu recu­lée, je mange un bak­la­va accom­pa­gné d’un thé et d’un Sir­ma au citron. Je m’a­muse en regar­dant les voi­tures dans les­quelles s’en­tassent par­fois une bonne dizaine de per­sonnes sous les cris des corbeaux.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 176 - Eminönü

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 178 - Eminönü

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 182 - Sous le pont de Galata

Je décide, une fois n’est pas cou­tume, d’al­ler diner sous le pont de Gala­ta. Une mul­ti­tude de res­tau­rants s’est ins­tal­lée sous la route, un étage infé­rieur qui fait pen­ser aux anciens ponts pari­siens ou au Ponte Vec­chio de Flo­rence, sauf qu’i­ci on passe sur une cour­sive d’où pendent les fils en nylon des pêcheurs juste au-des­sus de nos têtes. Je m’ar­rête à une ter­rasse qui donne du côté le plus étroit de la Corne d’Or, sous une enseigne colo­rée qui donne au Bos­phore une cou­leur rouge sang. C’est un de ces res­tau­rants qui ne sert pas d’al­cool, rama­dan ou pas. Moi qui vou­lait boire une Efes Pil­sen, je me conten­te­rai ce soir d’un jus d’a­bri­cot (Kayısı suyu) et d’un maque­reau grillé. La fatigue me tance, le bruit des voi­tures pas­sant au-des­sus et les cris des gamins, enro­bés dans les mélo­pées des hauts-par­leurs ven­dant leur Bos­pho­rus tour !!!! Bos­pho­rus tour !!!! com­mencent à me taper sur les nerfs. Je ne sup­porte plus le bruit de cette ville infer­nale que j’aime tant. Il est temps pour moi de par­tir. Qui a dit que les vacances étaient faites pour se repo­ser ? Il y a les week-ends pour ça. Les voyages sont faits pour vous érein­ter, vous esso­rer comme ces car­pettes éli­mées qu’on lave à grande eau et à la brosse à pont sur les pro­me­nades sétoises.

Je retourne à l’hô­tel, en emprun­tant le tun­nel dévas­té pas­sant sous la route d’E­minönü, en pas­sant devant un reste de mur byzan­tin, au pied de la Mos­quée Bleue, devant des manières de mai­sons kurdes qui sont en réa­li­té la façade d’un res­tau­rant d’où sort une plainte douce accom­pa­gnée par un ud magique. Demain soir, je ne serai plus à Istan­bul et je me demande déjà com­ment je vais faire pour reve­nir à Paris. Je veux dire, com­ment je vais faire pour reve­nir dans mon élé­ment natu­rel après autant de cham­bar­de­ments et d’é­mo­tions. La pro­chaine que je vien­drai ici, je cher­che­rai les mor­ceaux de moi que j’ai lais­sés sur place.

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Épi­sode sui­vant : Car­net de voyage en Tur­quie : les tristes ves­tiges et la fin du voyage

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