Café du matin

#10

Der­nier café avant le prochain

C’est mar­rant, les absents, ceux qui par lâche­té ne viennent pas. J’es­saie d’en ana­ly­ser la rai­son. A part la lâche­té, je ne vois pas. La peur de ne pas assu­mer, peut-être ? Oui eh bien on en revient au même, c’est de la lâcheté.

Et puis il y a ceux qui font sem­blant, des lâches aus­si, un sou­rire ému au coin des lèvres, mais qui ne trompe per­sonne et qui te disent bon ben bonne route, bon cou­rage, plein de bonnes choses pour la suite, hein, avec un air empreint de malaise qui tra­duit plus que le malaise, peut-être un petit sen­ti­ment de vic­toire, un truc pas abou­ti dont ils ne savent pas eux-mêmes à quoi ça cor­res­pond, ça fait tout bizarre, ben ouais, c’est ça. Prends moi pour un couillon.

Et puis il y a ceux qui te demandent, qui te sup­plient presque, de pas­ser les revoir des temps en temps, d’al­ler boire un coup ensemble, alors qu’ils savent que ça n’ar­ri­ve­ra pas.

Et puis il y a encore ceux qui sont réel­le­ment affec­tés mais ne le montrent pas, qui t’ai­maient bien, parce que toi, le couillon, t’é­tais un mec gen­til, tou­jours de bonne humeur, tou­jours prêt à rendre ser­vice du moment que ça ne te fai­sait pas perdre trop de temps, qui n’hé­si­taient pas à faire des heures supp’ même pas payées, parce que tu ne deman­dais rien, parce que tu es juste un mec gen­til qui ne demande rien à per­sonne, qui fait juste son bou­lot du mieux qu’il peut, qui essaie d’être un peu créa­tif sans trop déran­ger l’ordre éta­bli, parce que ça, quand ça bous­cule trop, on te le fait remarquer.

Bref.

C’est fini, tu as ras­sem­blé toutes tes affaires dans deux ou trois sacs, tes sty­los, tes vieux cahiers de notes, deux ou trois bibe­lots qui te suivent sur tous les bureaux que tu as occu­pé, tu as plié les gaules, ton petit ordi­na­teur avec le char­geur posé sur le bureau à côté du télé­phone por­table que tu n’as jamais uti­li­sé, tu as déjà ren­du les clefs, il ne te reste plus qu’à par­tir. Tu as atten­du que tout le monde parte ce ven­dre­di soir, veille de week-end. Il n’y a plus per­sonne, sauf une per­sonne, celle que tu n’as pas envie de voir et qui te bre­douille des adieux par­fai­te­ment hypocrites.

Et puis c’est plus fort que toi, les larmes montent, et tu te dis, non pas main­te­nant, ça ne sert à rien et tu as beau te dire ça, ça monte dans la gorge, ça arrive aux yeux qui se brouillent et il n’y a rien à faire, ça sort tout seul, et toi tu restes assis là sur ton fau­teuil à regar­der le cou­loir vide, lumière éteinte, et il ne se passe rien, il ne se pas­se­ra plus rien, c’est fini. On aban­donne. Schlussk­lappe. On remballe.

Mais bon. Une nou­velle his­toire s’ouvre et celle-ci se ferme. Il ne peut y avoir deux his­toires enche­vê­trées, deux réa­li­tés pré­sentes ne peuvent se pro­duire en même temps. Ce sont des choses qui n’ar­rivent pas.

Der­nière cap­sule de café, je lave­rai ma tasse à la mai­son. Il n’y a plus rien sur mon bureau blanc. A part l’his­toire que j’ai bien vou­lu y écrire et qui res­te­ra peut-être quelques temps gra­vée à sa surface.

Der­nier café. Avant le prochain.

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