May 31, 2017 | Livres et carnets, Sur les portulans |
Mogao (莫高窟), grottes d’une hauteur inégalée, Dunhuang (敦煌市) ou Touen-Houang, et tous les noms qui y sont associés, Nikolaï Mikhaïlovitch Prjevalski, celui qui donna son nom au cheval des steppes, au rougequeue et à la ligulaire de Chine, Sir Aurel Stein, Paul Pelliot, l’abbé Wáng Yuánlù, mais aussi le lac et l’oasis du Croissant de Lune, Yueyaquan (月牙泉) voici ce qui constitue un des univers les plus fascinants dans l’histoire de la Chine, ou plutôt de cette région du monde aujourd’hui rattachée à la Chine, non seulement à cause de l’objet lui-même de la découverte, mais également de ce qu’on peut appeler un pillage en bonne et due forme, du fantasme de découverte lié à cet endroit hors du commun et de l’étrange silence qui est fait aujourd’hui sur les manuscrits qui y ont été trouvés.
Oasis du Croissant de lune — Yueyaquan. Photo © Feel planet
A deux pas du désert de Gobi, dans une oasis aux falaises élevées, la pierre est creusée de 492 chapelles bouddhistes dans lesquelles sont peintes des fresques somptueuses, où l’on trouve des statues colossales du Bouddha, mais bien au-delà de ces trésors inestimables dont l’émergence se situe entre le IVe et le XIVe siècles, que la sécheresse du désert a pu maintenir en très bon état, une des plus superbes découvertes de l’histoire de l’humanité y a été faite par un Anglais dont le nom résonne encore comme l’apogée de la traîtrise aux oreilles des Chinois, Sir Aurel Stein. Dans une des grottes, il découvre en 1907 une bibliothèque murée dont le mur de brique finit par être abattu ; la découverte y est colossale. Près de 50000 documents, objets, statues, bannières s’y trouvent déposés depuis une date antérieure au XIe siècle. Stein, n’ayant que peu de temps devant lui, arrive à marchander quelques manuscrits, dont le célèbre Soûtra du diamant. Finalement, entre ses deux expéditions, il prélève près de 20000 documents et objets. Après lui, en 1908, le Français Paul Pelliot emporte 10000 objets, dont des textes nestoriens et des traductions en chinois de textes d’inspiration chrétienne. C’est la découverte de cette grotte, communément appelée grotte 17 que nous raconte Peter Hopkirk.
Wáng Yuánlù, gardien des grottes de Dunhuang
Stein écrivit : « Je n’avais rien d’autre à faire qu’attendre. »
Pas pour longtemps, ainsi que la suite devait le prouver. Pus tard, au cours de cette nuit-là, Chiang entra silencieusement dans la tente de Stein et sortit avec excitation plusieurs manuscrits cachés sous son manteau. Stein vit du premier coup d’œil que ces textes roulés étaient très anciens. Les dissimulant à nouveau sous ses vêtements — car le prêtre avait insisté pour que cela se passe dans le plus absolu secret — Chiang s’esquiva et rejoignit discrètement sa petite cellule de moine située au pied d’un gigantesque Bouddha assis taillé dans la paroi de la falaise. Il passa le reste de la nuit absorbé dans ces manuscrits, s’efforçant d’identifier ces textes et de déterminer leurs dates. A l’aube, il revint sous la tente de Stein, « son visage exprimant à la fois le triomphe et la stupéfaction ». Transporté de joie, il lui déclara que ces traductions chinoises de soûtra bouddhistes portaient des colophons qui permettaient d’établir que ces textes avaient été traduits par Hsuan-tsang lui-même d’après des manuscrits originaux qu’il avait rapporté de l’Inde.
Il s’agissait d’un extraordinaire présage — « signe divin », comme le qualifiait Stein — que même cet homme inquiet qu’était Wang ne pourrait manquer de reconnaître. En effet, lorsque le petit prêtre avait prélevé de sa chambre secrète ces manuscrits-là, il ne pouvait absolument pas savoir que ces documents étaient directement liés à Hsuan-tsang. Chiang s’empressa de lui annoncer la nouvelle. Il assura à Wang qu’il ne pouvait y avoir qu’une explication : au-delà de sa tombe, Hsuan-tsang avait lui-même choisi ce moment pour révéler ces textes bouddhistes sacrés à Stein, « afin que son admirateur et disciple de l’Inde lointaine », puisse les rapporter d’où ils étaient venus. Chiang n’eut pas besoin d’insister davantage. Le dévot prêtre n’était pas près d’oublier ce présage. En quelques heures, le mur qui bloquait la niche où se trouvaient les manuscrits était abattu, et avant la tombée du jour, Stein scrutait la chambre secrète à la lumière de la rudimentaire lampe à huile de Wang. Cette scène en rappelle une autre qui s’était déroulée quinze ans auparavant, lorsque Howard Carter contempla la tombe de Toutânkhamon à la lueur vacillante d’une bougie.
En tant qu’archéologue, Stein ne pouvait qu’être bouleversé par ce qu’il voyait. « Ce que me révéla cette petite pièce avait de quoi me faire écarquiller les yeux, raconta-t-il ». Amoncelés en plusieurs couches, sans aucun ordre, apparurent à la faible lueur de la petite lampe que tenait le prêtre la masse compacte que formaient ces énormes paquets de manuscrits qui s’élevaient jusqu’à trois mètres de haut et remplissaient, ainsi que des mesures ultérieures le prouvèrent, un espace de près de cent cinquante mètres cubes. C’était selon les mots de Leonard Woolley, l’homme qui avait découvert Ur, « une première archéologique sans précédent ». Le Times Literary Supplement déclara que « seuls quelques rares archéologues ont fait une aussi extraordinaire découverte ».
Au fur et à mesure que leur travail quotidien se poursuivait, étaient extraits de la chambre secrète non seulement d’innombrables manuscrits en chinois, sanskrit, sogdien, tibétain, turc oriental, runique, ouighour, révélant aussi des langues inconnues, mais encore une riche moisson de peintures bouddhiques. A leur extrémité triangulaire et à leurs banderoles flottantes, Stein reconnut tout de suite que quelques-unes étaient des bannières de temples, et d’autres des peintures votives destinées à être accrochées au mur. Toutes étaient peintes sur une soie extrêmement fine ou sur du papier. Beaucoup étaient très froissés, leur plis semblaient « repassés » à certains endroits, parce qu’elles étaient restées pendant neuf siècles sous le tas de manuscrits. Plutôt que dans leur qualité, l’importance de ces peintures résidait dans leur ancienneté — et donc dans leur rareté. Les peintures de la dynastie T’ang, auxquelles toutes celles-ci appartenaient, sont extrêmement rares, de même que celles provenant d’ateliers locaux comme ceux des oasis. La plupart des peintures furent détruites au milieu du IXe siècle lors d’une vague d’anticléricalisme qui eut pour conséquence la fermeture ou la destruction de quelque quarante mille temples et sanctuaires bouddhiques dans toute la Chine. Par chance, Touen-houang tomba aux mains des Tibétains en 781 apr. J.-C. et en resta en leur possession pendant les soixante-sept années suivantes. Ses temples et ses sanctuaires échappèrent ainsi à la destruction perpétrée dans toute la Chine à cette époque.
Certaines bannières trouvées parmi les manuscrits étaient si longues, lorsqu’elles furent dépliées, que des spécialistes pensèrent qu’elles avaient été spécialement conçues pour être suspendues en haut des falaises de Touen-houang. Stein ne put dérouler la plupart des peintures sur soie qu’il trouva, tant le poids écrasant des manuscrits sous lesquels elles avaient été ensevelies durant des siècles les avaient comprimées et transformées en petits paquets fragiles et durs. Plus tard, avec une dextérité de chirurgiens neurologues, des spécialistes réussirent à les déplier dans les laboratoires du British Museum, après les avoir traités chimiquement. Cette opération dura sept ans.
Peter Hopkirk, Bouddhas et rôdeurs sur la route de la soie
Picquier poche
Paul Pelliot dans la grotte 17 à Mogao
Si les découvertes de Pelliot sont aujourd’hui conservées au Louvre et au Musée Guimet, celles de Stein sont disséminées entre Londres et New Delhi. Le British Museum, loin de faire honneur à un de ses plus extraordinaires découvreur n’expose, à part le soûtra du diamant, que quelques manuscrits trouvés dans la grotte 17. La quasi intégralité de ces documents est actuellement conservées dans des caisses, à l’abri de la lumière… et des regards. Etrange hommage à une des plus sensationnelles découvertes de l’archéologie de la Route de la soie.
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May 20, 2017 | Livres et carnets, Sur les portulans |
Au cœur de la mahāprajñāpāramitā (प्रज्ञापारमिता), le corpus des œuvres littéraires du grand véhicule, mahāyāna (महायान), se trouve un des sūtras les plus connus du bouddhisme, à l’origine des grandes idées du courant chan et zen.
Après avoir entendu le Sūtra du Diamant, Huìnéng (惠能) se rend au monastère du mont de la prune jaune (黄梅山) et est assigné dans la cuisine, où il demeure six mois.
Un jour, Shénxiù (神秀), moine érudit et assistant du patriarche, écrit un poème sur un mur :
身是菩提樹, Le corps est l’arbre de l’Éveil,
心如明鏡臺。 L’esprit est comme un brillant miroir dressé.
時時勤拂拭, À chaque instant je l’époussette,
勿使惹塵埃。 Et n’y laisse aucune poussière.
Illettré, Huineng se fait lire le poème, et puis il y répond par ces vers qu’il demande à quelqu’un d’écrire à côté du précédent :
菩提本無樹, Il n’y a aucun arbre dans l’Éveil,
明鏡亦非臺。 Le miroir n’est pas dressé.
本來無一物, Puisque fondamentalement rien n’a d’existence,
何處惹塵埃。 Où de la poussière pourrait-elle se déposer ?
(source Wikipedia)
L’importance du Vajracchedikāprajñāpāramitāsūtra réside dans la symbolique du diamant, la pierre la plus dure mais aussi la plus tranchante qui soit, capable de couper toutes les autres pierres, qui, lorsqu’elle est pure peut avoir la transparence de l’eau, et fait référence à la doctrine de la vacuité qui elle, transperce toutes les autres doctrines substantielles, représente l’absence de caractère fixe et inchangeant de toute chose. Bouddha y converse avec son disciple Subhuti de la vacuité, de la préciosité du diamant qui malgré sa pureté empêche le sage d’atteindre l’éveil.
Respectueusement imprimé par Wang Jie pour être distribué gratuitement à tous, au bénéfice de ses parents, le 15e jour du 4e mois, 9e année de l’ère Xiantong. Cliquez sur l’image pour la voir en grand.
L’exégèse du sūtra demeure compliquée du fait que les traductions du sanskrit se sont diffusées dans le monde bouddhiste, jusqu’au Gandhara et au Khotan, et notamment en chinois simplifié. C’est une de ces versions que Sir Aurel Stein a découvert nichée au cœur des magnifiques grottes de Dunhuang. Si le manuscrit trouvé n’avait été qu’un simple manuscrit, il n’aurait pas été si célèbre. C’est aujourd’hui le seul manuscrit rapporté par Aurel Stein qui soit exposé au public dans les salles de la British Library, et pour cause, il est daté de 868 et se trouve être le premier document retrouvé imprimé de l’humanité, six cents ans avant les premières impressions de Gutenberg, ce qui ne renseigne absolument en rien sur les procédés utilisés à l’époque, mais peu importe, la réalité est là, il a bien été imprimé et porte aujourd’hui la cote Or. 8210/p.
Le plus célèbre manuscrit issu de la masse encombrant la pièce est sans aucun doute le Soûtra du Diamant. Sa renommée n’a rien à voir avec le texte lui-même, dont il existe d’innombrables exemplaires (il y en avait plus de cinq cents, complets ou non, qui faisaient partie du seul butin de Stein à Touen-Houang). Celui-ci semble être le plus ancien livre imprimé que l’on connaisse, fabriqué il y a plus de mille ans à partir de blocs d’impression en bois. Dans un ouvrage chinois contemporain ayant pour thème l’histoire de l’imprimerie et publié en 1961 par la Bibliothèque Nationale de Pékin, ce texte est ainsi décrit : « Le Soûtra du Diamant, imprimé en l’année 868 […], est le plus ancien livre imprimé qui existe au monde ; il est fait de sept bandes de papier jointes les unes aux autres, comprenant sur la première page une gravure d’un grand talent. » L’auteur ajoute : « Ce célèbre rouleau fut volé il y a plus de cinquante ans par l’Anglais Ssu T’an-yin [Stein] ; cet acte fait encore grincer les dents des Chinois, qui lui vouent une haine acharnée. » Ce livre est maintenant exposé au British Museum, à quelques pas du célèbre ouvrage occidental : la Bible de Gutenberg. Le rouleau de Touen-houang, qui mesure quatre mètres et huit centimètres de long, porte la date exacte du 11 mai 868 ainsi que le nom de l’homme qui le commanda et le diffusa. Cela fait de lui non pas le plus ancien imprimeur connu, ainsi qu’on le prétend parfois, mais le plus ancien éditeur.
Peter Hopkirk, Bouddhas et rôdeurs sur la route de la soie
Picquier poche
L’histoire détaillé du manuscrit sur le site du International Dunhuang Project.
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May 13, 2017 | Arts, Livres et carnets, Sur les portulans |
Sale habitude chez ces cartographes que de dessiner les plans de pays qui n’existent que dans leurs rêves… On aurait pu les croire sur parole, leur attribuer le mérite de l’invention de nouvelles terres, on aurait même pu les suivre les yeux fermés en se disant que de nouveaux mondes étaient à portée de vue… mais voilà qu’ils nous servent des cartes dessinant le contour des déserts, à la lisière d’étendues de sables dont l’échelle nous laisse supposer qu’il n’y a que la mort au bout de la route. Le sable, la poussière, les vestiges des âmes perdues sur les routes commerçantes, les oasis dévastées, les maisons de torchis protégeant encore à demi-mots les derniers ustensiles de la vie quotidienne.
Tourfan fait partie de ces vestiges du passé, dont il ne reste plus rien aujourd’hui. L’âme de Tourfan, en tout cas, a disparu. Tourfan, un nom qui sonne bien peu chinois (Turpan, تۇرپان en ouïghour), et qui pourtant est une des principales préfectures de l’immense région autonome du Xinjiang, coincée entre la Mongolie et le Kazakhstan. En réalité, Tourfan n’a jamais eu un grand intérêt en soi. En revanche, les alentours sont truffés de vestiges encore visibles aujourd’hui, comme la grotte des mille bouddhas de Bezeklik, ou les vestiges de la culture gushi à Gaochang (قاراغوجا, Qara-Hoja), à deux pas des Monts Flamboyants, ces immenses falaises de grès rouges qui réfléchissent une chaleur incroyable. Voilà. Nous sommes au cœur de la Chine que l’on nommait autrefois Turkestan Chinois, où les températures dans ces plaines et ces montagnes désertiques peuvent facilement monter à plus de 40°C.
Albert von Le Coq, archéologue un peu replet et portant fièrement son nom français qui trahit des origines huguenotes, parcourt les anciennes routes commerciales. Avec son adjoint Bartus, ils prélèveront des fresques à la scie directement dans les grottes de Bezeklik, remplissant ainsi près de 300 caisses de bois remplies de bourre de coton et de feutre d’antiquités et de fresques fragiles, qui rentreront en Allemagne et qui seront allègrement détruites pendant les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale… Tragique histoire que ce pillage systématique justifié par une soi-disant instabilité politique de la région à cette période. C’est lui qui ramènera notamment cette superbe fresque représentant Bouddha ainsi qu’un moine aux cheveux roux et aux yeux bleus, certainement un tokharien, le tout peint dans un style aux drapés qui ne sont pas sans rappeler les influences de la statuaire grecque, et les couleurs de l’art byzantin. Curieux syncrétisme témoin d’une époque où l’art voyageait plus vite que les hommes…
Fresque de la grotte des mille bouddhas de Bezeklik représentant un moine tokharien
La ville de Tourfan se trouve à deux cent quarante kilomètres au nord du point ultra-secret, situé près de Lou-lan, où la Chine a testé ses premières armes nucléaires. Cette verte et fertile oasis consiste en une très vaste dépression naturelle d’environ sept cent soixante dix mille kilomètres carrés, que les géographes considèrent comme l’une des plus profondes à la surface du globe. Autour de la ville s’élèvent des collines portant des traces de tremblements de terre, et dépourvues de toute vie, ainsi que d’autres déserts tout aussi stériles. Au nord se dresse la cime enneigée du Bogdo-Ola (la « montagne de Dieu »), plus hautes que tous les sommets d’Europe, et qui forme l’éperon oriental du grand T’ien Shan. Le paysage grandiose et austère de cette région rappelait au voyageur britannique Sir Eric Teichman, qui traversa cette partie du Turkestan au cours de l’hiver 1935, le Grand Canyon du Colorado. Il faisait si froid que les membres de son groupe devaient chaque matin allumer des feux sous les moteurs pour les faire démarrer, « procédé très dangereux », souligna-t-il, mais considéré comme très courant dans cette partie du monde. Au contraire, en été, la chaleur était si intense que le mercure montait en flèche jusqu’à cinquante-cinq degrés, contraignant même les habitants de la région à se réfugier dans des caves spécialement creusées à cet effet. Cependant, quelques uns des villages-oasis les plus fertiles du Turkestan chinois y vivent, disséminés à travers ce paysage aride et desséché. Au moment de l’apogée de la Route de la Soie, les vins, les melons et les raisins frais de ces oasis approvisionnaient la cour impériale de C’hang-an. Le secret de cette étonnante luxuriance réside dans un ingénieux système d’irrigation originairement emprunté à la Perse, et qui, grâce à de profonds canaux souterrains, apporte l’eau des neiges, provenant des montagnes du Nord, à ces communautés, qui, sans cela, n’aurait pu survivre.
Les deux Allemands poursuivirent leur voyage vers Tourfan, située à deux cents soixante kilomètres à l’intérieur du Turkestan chinois, où ils firent très vite connaissance avec la vie répugnante des insectes. Outre les moustiques, les mouches, les simulies, les scorpions et les poux, il existait deux types d’araignées particulièrement déplaisantes. La première appartenait à une espèce capable de sauter ; son corps avait la taille d’un œuf de pigeon, ses mâchoires émettaient une sorte de crissement de dents, et elle avait la réputation d’être venimeuse. La seconde était plus petite, noire et poilue, et vivait dans les trous creusés dans le sol. Sa piqûre était particulièrement redoutée, car si elle n’était pas mortelle elle pouvait être très dangereuse. C’était cependant les cafards de Tourfan qui dégoûtaient le plus les Allemands. A. von Le Coq, écrivait « Un homme qui se réveillait le matin avec une telle créature assise sur son nez, ses grands yeux en train de le fixer et ses antennes qui tentaient d’attaquer les yeux de sa victime, tombait irrémédiablement malade. On avait l’habitude de saisir l’insecte, non sans éprouver un horrible dégoût, et de l’écraser ; il se dégageait alors une odeur extrêmement désagréable. »
Peter Hopkirk, Bouddhas et rôdeurs sur la route de la soie
Picquier poche
Paul Pelliot à Dunhuang (Touen Hang)
Carte disponible sur Gallica.
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Apr 3, 2015 | Livres et carnets |
Voici de quoi illustrer la désinvolture de ce drôle de bonhomme une peu dandy qu’était Maxime du Camp, parti sur les routes orientales pour flamber ses deniers entre Le Caire et Beyrouth. On disait l’homme fantasque, fortuné, un peu léger, et c’est avec lui que Gustave Flaubert est parti sur les routes. Censé en rapporter des photographies pour une mission confiée par le Ministère de l’Instruction Publique, voici ce que nous apprend Flaubert dans une lettre écrite à sa mère en octobre 1850 :
“Maxime a lâché la photographie à Beyrouth. Il l’a cédée à un amateur frénétique : en échange des appareils, nous avons acquis de quoi nous faire à chacun un divan comme les rois n’en ont pas : dix pieds de laine et soie brodée d’or. Je crois que ce sera chic !”
Flaubert et Du Camp en orient, c’est une conjonction à l’origine de la production de trois grandes œuvres. Tout d’abord le Voyage en Orient de Flaubert lui-même, le rassemblement de plusieurs textes qui ne sont que ses correspondances et ses carnets lors de ce long voyage et qu’on trouve aujourd’hui sous ce titre aux éditions Folio Gallimard. En fait de voyage en orient, c’est une excursion avec plus de 600 kg de matériel en Égypte, au Liban et en Palestine, en Turquie et en Grèce.
Du côté de Maxime Du Camp, on trouve plusieurs choses comme par exemple ses Mémoires d’un suicidé dans lequel il raconte son expérience éprouvante du voyage en Égypte, mais également Le Nil : Égypte et Nubie, son journal de voyage, à partir duquel on peut croiser les informations délivrées par Flaubert dans ses correspondances. Et enfin, on en arrive à l’œuvre magistrale : 2 albums et 168 photographies du voyage en Égypte, en Nubie et en Syrie, l’ouvrage qui recense la plupart des photographies prises par Du Camp lors de cette expédition.
On pourra également lire ce très bel article sur Flaubert et les arts visuels, ainsi que le livre dont on sait qu’il inspira Flaubert pour ce voyage : Nouveau manuel complet d’archéologie, ou Traité sur les antiquités grecques, étrusques, romaines, égyptiennes, indiennes, etc. par Karl Otfried Müller.
Maxime Du Camp — Statue colossale de Ramses à Abu Simbel
Maxime Du Camp — Sphinx de Gizeh
Maxime du Camp — Haute Egypte, Sortie de la Premiere Cataracte, 1850
Maxime Du Camp — Le Caire — Tombe du sultan el-Ghoury
Maxime du Camp — village et temple de l’île de Biggeh, Karnak, Egypte, 11 avril 1850
Maxime du Camp — Syrie, Baalbek Colonnade du Temple du Soleil, 1850
Maxime Du Camp — Palestine. Jérusalem. Mosquée d’Omar
Maxime du Camp — Hypèthre, Dendereh, Egypt, 28 mai 1850
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Oct 14, 2014 | Arts, Livres et carnets |
Je tiens Aurel Stein en très haute estime dans le panthéon de mes idoles. Découvreur des Manuscrits de Dunhuang dans la grotte de Mogao, des momies de Loulan et de sanctuaires oubliés dans le désert de Lop Nor et du Taklamakan, il a ressuscité l’image du passé des anciens royaumes d’Asie Centrale et de Chine. Auteur de plusieurs livres, dont aucun n’est traduit en français, c’est un des explorateurs les plus sympathiques qu’il m’ait été donné de croiser au fil de mes lectures. C’est principalement grâce à Colin Thubron et son livre L’ombre de la route de la soie, que j’ai pu faire connaissance avec ce monsieur né en Hongrie et mort en Afghanistan en 1943. Au cœur de son ouvrage, il nous raconte comment Aurel Stein a fait une découverte archéologique majeure, la découverte des premiers écrits sur papier :
Momie, Loulan, Sir Marc Aurel Stein, 1914. Photo © The British Library Board
Ce n’est qu’en 751 après Jésus-Christ, quand les Arabes écrasèrent les Chinois à la bataille de Talas, que l’art — jalousement gardé — de la fabrication du papier partit pour Samarcande, à l’ouest, en même temps que des artisans chinois capturés. Il ne devait pas atteindre l’Europe avant trois autres siècles. Dans le musée feutré, cette page, la première de toutes, semble trop grossière pour porter des inscriptions. Cependant, des lettres écrites sur de l’écorce de mûrier voyageaient déjà sur la route de la Soie, cent ans après Jésus-Christ. L’archéologue Aurel Stein, qui travaillait sur une tour de guet dans le désert du Lop, tomba sur une cache de courrier non distribué, qui renfermait des messages en sogdien datant de 313 après Jésus-Christ. Ce sont les premiers écrits sur papier que l’on connaisse. Les mots sont tracés au noir de fumée. L’un des messages livre l’éclat de colère d’une épouse négligée: « Je préférerais être mariée à un chien ou à un porc, qu’à toi ! ». Un autre évoque la défaillance de l’Etat chinois — sac des villes, fuite de l’empereur — et ses conséquences sur le commerce. Quant au reste, les écrits qui couvrent les fragments ont la netteté d’un bilan de société : « A Gunzand, il y a 2500 mesures de poivre à envoyer… Kharstang vous devait 20 statères d’argent… Il m’a donné l’argent, je l’ai pesé et n’ai trouvé que 4,4 statères en tout. J’ai demandé… »
Dunhuang — Grottes de Mogao — Photo © Aurel Stein — 1921
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