Yogya­kar­ta sto­ries #3 : Embras­ser Boro­bu­dur du bout des lèvres

Yogya­kar­ta sto­ries #3 : Embras­ser Boro­bu­dur du bout des lèvres

Embras­ser Boro­bu­dur du bout des lèvres

Yogya­kar­ta sto­ries #3

28 février 2014 : Le mont Setumbu

Le réveil sonne à 3h00. Sur le coup, je me demande ce qui me prend d’a­voir mis le réveil si tôt, mais un soup­çon de luci­di­té pas­sa­gère me rap­pelle que ce jour n’est pas un jour comme les autres. Ce jour est impor­tant, peut-être le plus impor­tant, car c’est aujourd’­hui que je vais rendre visite au plus beau des temples de l’In­do­né­sie : Boro­bu­dur.

Avant de voir une mer­veille, rien de tel que de l’ob­ser­ver de loin ; c’est la rai­son pour laquelle un mini­bus s’ar­rête devant l’hô­tel, une anti­qui­té peinte en vert et qui crache une fumée noire évo­quant plus les éma­na­tions d’une mine de char­bon que l’é­chap­pe­ment d’un véhi­cule. J’ai comme l’im­pres­sion que les fumées se libèrent direc­te­ment dans l’ha­bi­tat, ne tar­dant à me cau­ser des nau­sées et je passe toute ma route le nez par la fenêtre ouverte.

Pour se rendre sur le mont Setum­bu, à quelques encâ­blures du temple de Boro­bu­dur, il faut près d’une heure et demie d’une route impos­sible à mémoriser.

Peut-être armé d’un GPS, pour­quoi pas, mais conduire ici relève plus du sport que du gen­til tou­risme. La route est très droite, mais chao­tique et mon cul et mon dos semblent s’en sou­viennent encore conjoin­te­ment lorsque j’évoque cette par­tie de cam­pagne. Mal­gré l’heure mati­nale, beau­coup de monde déjà debout, des mos­quées peintes en vert, cou­leur de l’Is­lam, éclai­rées par des néons criards et froids, trouvent déjà leur clien­tèle en cette pre­mière heure de prière de la jour­née ; nous sommes ven­dre­di, aurait-ce été pareil un autre jour ?

Les car­re­fours s’emplissent des mar­chés ambu­lants, de ces petites car­rioles der­rière les vitres des­quelles on trouve du pois­son séché ou des bou­lettes de pou­let qui auront tout loi­sir de tour­ner dès le pre­mier rayon de soleil. On tourne à gauche et après le por­tique sur lequel j’arrive vague­ment à dis­tin­guer le nom du temple vers lequel je roule, la route se rétré­cit et je finis par ne plus voir de mai­sons au bord de la route. Seule­ment des arbres et de la végé­ta­tion dense, ruis­se­lante d’humidité. Pour l’instant, on monte vers le mont Setum­bu (pro­non­cer Stoum­bou). La route devient fran­che­ment mer­dique, avec des nids de poule qui aggravent le cas de la sus­pen­sion. A ce rythme là, nous allons ren­trer à vélo, ou en becak

Le brouillard se lève, pour ne rien arran­ger et on n’y voit sou­vent pas à plus de dix mètres.

Nous nous arrê­tons, le chauf­feur nous explique qu’il faut mon­ter après avoir payé un droit d’entrée (il faut payer par­tout ici, c’est hal­lu­ci­nant) de 30 000 rps (15 000 rps pour les locaux).

Dix minutes de mon­tée facile à pied et on y arrive. Sur le som­met de la col­line, on a vue sur toute la val­lée encore enser­rée dans la brume mati­nale. Les plus hauts arbres, ain­si que le temple, plus hauts que la brume elle-même en dépassent et semblent flot­ter telles des îles de blancs d’œufs sur une mer de vapeur onc­tueuse. Les cou­leurs sont indes­crip­tibles, d’une beau­té telle que je n’en ai jamais vue, des cou­leurs incroyables, dont le spectre varie à chaque minute. Pen­dant près d’une heure, je reste là médu­sé, à regar­der ce pay­sage qui se trans­forme sans cesse, même si c’est imper­cep­ti­ble­ment, avec ce temple magni­fique à deux kilo­mètres de là, qui point ten­dre­ment comme le téton d’un sein dépas­sant de la sur­face de l’eau.

Je reste là un long moment avec les autres tou­ristes qui font par­tie de la fête. Cer­tains prennent des pho­tos à tout bout de champ, se font prendre en pho­to devant le temple embru­mé. D’autres, plus sages, se contentent de contem­pler la plaine bai­gnée de la lumière du soleil qui se lève. J’i­ma­gine ce que doît être le lever du soleil sur la plaine de Bagan et ses 2000 pagodes.

Un pur moment de contem­pla­tion, de plai­sir pour les yeux, un je-ne-sais-quoi d’un peu mys­tique qui laisse un sou­ve­nir impé­ris­sable, d’une par­faite félicité.

Moment recueilli le 28 février 2014. Écrit le 9 octobre 2021.
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Yogya­kar­ta sto­ries #2 : Pram­ba­nan, le temple vide

Yogya­kar­ta sto­ries #2 : Pram­ba­nan, le temple vide

Pram­ba­nan, le temple vide

Yogya­kar­ta sto­ries #2

27 février 2014 : A la décou­verte de Yogya­kar­ta et de ses environs

J’ai l’im­pres­sion d’a­voir dor­mi des jours et des nuits entières, me réveillant dans un grand lit au milieu d’une chambre peinte en vert éme­raude comme si je sor­tais d’un cau­che­mar pois­seux, enfer­mé sous les pales d’un ven­ti­la­teur bruis­sant dans une lumière jaune. Las et four­bu, je peine à me lever, l’es­to­mac criant famine. Je me rends compte que le déca­lage horaire n’est tou­jours pas assi­mi­lé et la cha­leur aidant, je suis plus qu’ex­té­nué. Les voyages ne sont pas faits pour se repo­ser, on doit s’y faire ; si je suis là, c’est pour contraindre mon corps à me frot­ter à la dure­té du monde.

Il fait une cha­leur moite sous un ciel cou­vert au tra­vers duquel le soleil a du mal à per­cer, et je pro­fite de l’ombre des arbres sous les­quels je prends mon petit déjeu­ner avant de par­tir en vadrouille. Venir à Yokya­kar­ta est un peu comme tom­ber sur un point de chute qui per­met de rejoindre quelques lieux notables. La ville elle-même ne manque pas de charme, même si l’im­pres­sion que j’en ai eu hier me laisse un arrière-goût âpre ; mais je suis ici au bout du monde. Vu de chez moi, je suis à plus de 12 000 km, niché au cœur d’une ville grande aus­si peu­plée que Tou­louse et dont je n’a­vais jamais enten­du par­ler avant d’en­vi­sa­ger de par­tir en Indo­né­sie, et l’en­droit où je vais me rendre aujourd’­hui n’est qu’un petit bourg de pro­vince où se trouve un des plus beaux temples shi­vaïtes au monde. L’In­do­né­sie est le pays le plus musul­man au monde en nombre d’ha­bi­tants, mais ses racines sont hin­douistes et c’est dans ce pays qu’on trouve deux des plus impo­sants temples du monde ; Pram­ba­nan et Boro­bu­dur. La porte d’en­trée de ce monde paral­lèle, c’est la ville de Yokyakarta…

Je demande à la récep­tion de l’hô­tel de m’ap­pe­ler un taxi pour Pram­ba­nan, qui ne se trouve qu’à une ving­taine de kilo­mètres mais qui néces­site trois quarts d’heure de route à cause du fléau des grandes villes… La cir­cu­la­tion. Le chauf­feur s’ap­pelle Sugiyo et ne parle pas un mot d’an­glais, c’est un jeune homme aux che­veux bou­clés qui conduit une Toyo­ta qui tient debout par l’in­ter­ces­sion d’une divi­ni­té incon­nue, sainte patronne de la car­ros­se­rie rouillée. Il m’in­dique le prix de la course sur un bout de papier, un prix qui peut paraître hal­lu­ci­nant, 250 000 rou­pies, mais ça ne fait que 13 euros. En même temps, je me dis que ça va lui faire sa jour­née. Pour 350 000, il me pro­pose “tung­gu”… Et là, j’a­voue que je ne com­prends pas. Il répète tung­gu, tung­gu. Je finis par m’ai­der d’un tra­duc­teur en ligne et je com­prends que tung­gu signi­fie attendre. Il m’at­ten­dra deux heures à l’ombre des grands arbres pen­dant que je visite le temple de Pram­ba­nan et le Can­di Sewu à une enca­blure de là.

A l’hô­tel, on m’a­vait dit qu’il était pos­sible que le Pram­ba­nan soit fer­mé à cause de l’é­rup­tion du Gunung Kelud, à deux cents kilo­mètres à l’est, qui remonte au 13 février der­nier, mais lorsque j’ar­rive sur place, je ne vois rien qui indique que le temple soit fer­mé, ni la moindre trace de cendre sur le site. Avant d’être à Java, on se trouve d’a­bord sur une des plus instables terres volcaniques.

Le temple est un vaste com­plexe sem­blant dévas­té ; la pre­mière impres­sion, c’est la sen­sa­tion de se trou­ver face à une immense construc­tion qui tient debout par on ne sait quelle magie et tout autour, non pas un champ de ruines, mais un gigan­tesque puzzle, des pierres jetées là comme sor­ties d’un gobe­let à dés. Même si ce fatras inex­tri­cable rend les choses dif­fi­ci­le­ment visibles, on arrive à per­ce­voir une cer­taine symé­trie dans le plan ; un car­ré ouvert sur les quatre points car­di­naux par des gopu­ra (porte d’ac­cès) avec au milieu une autre enceinte car­rée dans laquelle sont éri­gés six prang (archi­tec­ture khmère) ou shi­kha­ra (archi­tec­ture dra­vi­dienne), ces tours qui carac­té­risent les temples hin­douistes, en forme de pain de sucre. Ce sont dans ces tours qui sont expo­sées les sta­tues des divi­ni­tés. En l’oc­cur­rence, Shi­va occupe la place prin­ci­pale, entou­rée de Brah­ma et Vish­nu. La divi­ni­té à laquelle est dédiée ce temple, Dour­gâ Mahî­shâ­su­ra­mar­di­ni l’i­nac­ces­sible, occupe la place pri­vi­lé­giée à la droite de Shi­va, tan­dis que Ganesh n’est pas loin. Si les six prangs sont à peu près bien conser­vés, les 240 temples qui les entourent sont tous démem­brés. L’ac­ti­vi­té sis­mique a tout ébran­lé et il ne reste pas une seule de ces 240 construc­tions qui ne soient encore debout. Si l’im­pres­sion d’un chaos de pierre est don­née, on se rend compte que l’in­croyable symé­trie et de la répé­ti­tion qui ne sont que l’ex­pres­sion d’une pen­sée dans laquelle la futi­li­té et la fan­tai­sie ne sont pas de mise.

Le site est clas­sé au patri­moine mon­dial de l’U­nes­co, et pour­tant, je n’y ai croi­sé per­sonne, mais alors, per­sonne ! 240 temples, et moi tout seul au milieu d’un mika­do géant sous un soleil de plomb…

(Cli­quez sur la pho­to ci-des­sus pour voir la galerie)

A quelques dizaines de mètres de là, se trouve un autre temple, bien plus modeste, aux dimen­sions moindres (Pram­ba­nan est une enceinte de 110 mètres de côté repo­sant sur un socle de 390 mètres sur 222), le Can­di Sewu. A y bien regar­der, on trouve des temples d’im­por­tance incom­pa­rable un peu par­tout dans les envi­rons, comme si les reliques d’une reli­gion antique par­se­mait la cam­pagne de ses pierres ances­trales que per­sonne n’a­vait osé tou­cher, ce qui est suf­fi­sam­ment rare pour être relevé.

Le Can­di Sewu (les milles temples) est un temple boud­dhiste et l’ordre des choses aurait vou­lu qu’il soit plus récent que Pram­ba­nan, mais ce n’est pas le cas. Il aurait été construit une cen­taine d’an­nées aupa­ra­vant et son nom sans­krit est Man­jush­ri gri­ha, la mai­son de Man­jush­ri, un bod­dhi­sat­va. Construit par un sou­ve­rain du royaume de Mata­ram, on recon­naît son plan en forme de man­da­la, là aus­si stric­te­ment symé­trique. La proxi­mi­té avec Pram­ba­nan témoigne de la tolé­rance dont les deux cultes jouis­saient à cette époque, aux alen­tours du 8ème siècle de notre ère.

Mal­gré l’ac­ti­vi­té sis­mique qui l’a mis à terre en 2006, une mis­sion hol­lan­daise l’a res­tau­ré, ce qui lui donne une plus fière allure que son voi­sin. Là aus­si per­sonne dans les envi­rons, je me pro­mène seul sur l’en­ceinte de ce temple de pierres noires par­fois brin­gue­ba­lantes. Le temple est gar­dé par deux Dva­ra­pa­la armés de gour­dins. Ce sont ici 257 construc­tions qui se côtoient, dont 248 temples construits de manière concen­trique, ceux qui sont proches du temple prin­ci­pal étant plus grands que ceux qui sont en péri­phé­rie. Des boud­dhas sans tête côtoient de superbes sculp­tures murales encore très bien conservées.

Après avoir rejoint le taxi dont le chauf­feur semble endor­mi sous un bos­quet d’arbres, je rejoins le centre de la ville et le cœur de l’a­ni­ma­tion, Jalan Malio­bo­ro. A peine le pied posé le trot­toir, je me fais sur­prendre par une troupe d’é­tu­diants qui veulent être pris en pho­to en groupe avec moi. Je me prête au jeu avec enthou­siasme, et ils sou­haitent me faire visi­ter la ville, ce que je décline avec un peu de regrets en y son­geant. Je m’en­gouffre dans le mar­ché de Pasar Berin­ghar­jo, le plus grand mar­ché cou­vert de la ville et dont la renom­mée tra­verse les fron­tières du pays. Les mar­chés sont les vrais lieux de vie, là où l’on ne se rend que parce qu’on a besoin de quelque chose, on n’y flâne pas, on s’y rend par néces­si­té. Alors oui, c’est là qu’on peut voir les gens vivre leur vie de tous les jours et les côtoyer pen­dant qu’ils n’ont que leurs attentes en tête.

Tout le monde me regarde, comme si un tou­riste n’a­vait jamais mis les pieds dans ces cou­loirs exi­gus et sombres, on me sou­rie, on m’in­ter­pelle, cer­tains me touchent le bras ou les che­veux comme pour vali­der mon exis­tence mar­gi­nale. C’est offi­ciel, je suis une curio­si­té. Une grosse averse tombe sur le toit en tôle du mar­ché, dans une ton­nerre assour­dis­sant qui vrille les tym­pans. Ces moments pas­sés dans les mar­chés sont ceux que je pré­fère, car je n’y cherche rien d’autre que la com­pa­gnie des habi­tants et leurs petites manies.

La jour­née touche à sa fin, la cha­leur de cette jour­née m’a lit­té­ra­le­ment esso­ré. Je rentre à l’hô­tel en taxi et prend un thé et un bei­gnet à la banane et au fro­mage fon­du, vau­tré sur un cana­pé dans la cour de l’hô­tel. La lumière jaune de la fin de jour­née sous l’é­qua­teur accom­pagne les chants caco­pho­niques des muez­zins qui se battent à coup de prières lan­cées avec des voix par­fois toni­truantes. Je pro­fite des ins­tants de calme qui suivent pour pré­voir ma jour­née de demain. C’est un peu le grand jour car je vais à Boro­bu­dur. Il est pré­vu de se lever à 3h00 du matin pour aller voir le soleil se lever sur la plaine vol­ca­nique. Je sors quelques minutes pour aller à la supé­rette d’en face, ache­ter des sucre­ries, des bières et des kre­teks. Que des bonnes choses.

Je dîne au res­tau­rant de l’hô­tel, un des rares endroits où l’on sert de l’al­cool dans la ville. Je prends sans savoir ce que c’est un Gudeg Mang­gar, qui mal­gré un aspect pas très enga­geant est assez goû­teux. De la viande, des œufs et de la sauce avec des légumes, je ne cherche pas à en savoir plus. Le tout arro­sé d’un gin fizz, un cock­tail abso­lu­ment impro­bable au regard de la situation…

Beringharjo
Moment recueilli le 27 février 2014. Écrit le 10 avril 2021.
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Ubud sto­ries #11 : Gunung Kawi

Ubud sto­ries #11 : Gunung Kawi

Gunung Kawi

Ubud sto­ries #11

23 février 2014 : Gunung Kawi, un temple sacré au fond d’une vallée

J’ai pas­sé une bonne par­tie de ma jour­née à Tam­pak­si­ring, au Pura Tir­ta Empul, à pro­fi­ter de cette belle jour­née sans pluie, sous un soleil de plomb que les sources ont réus­si à rafraî­chir un peu. Je saute à nou­veau dans mon taxi pour rou­ler à peine plus de cinq minutes vers le temple de Gunung Kawi (le mont aux poètes). La voi­ture s’ar­rête dans la rue d’un petit vil­lage qui ne dit abso­lu­ment pas où pour­rait se trou­ver l’en­trée du temple. Le chauf­feur me fait signe de prendre la rue à gauche et l’en­trée se trouve au bout de la rue. Je me demande pour­quoi il ne sou­haite visi­ble­ment pas aller plus loin…

La jour­née est déjà bien avan­cée et le soleil com­mence à être bas dans le ciel. Quelques bou­tiques dans des cahutes bran­lantes ferment déjà leurs portes. Il ne reste que celle d’une vieille dame qui me fait signe qu’elle dis­pose de bois­sons fraîches au fri­go et de crèmes gla­cées dans un congé­la­teur hors d’âge qui doit avoir du mal à pro­duire du froid avec cette tem­pé­ra­ture. La cha­leur m’a esso­ré et je lui prends des sodas et des bou­teilles d’eau que je fourre dans mon sac à dos, ne sachant pas ce qui m’at­tend dans les environs.

Au bout de la rue se trouve un por­tail en pierre vol­ca­nique, comme un monu­ment cou­pé en deux, net, don­nant sur un monde incon­nu, un che­min qui s’en­fonce dans la végé­ta­tion en pente vers une val­lée cachée der­rière les rizières. Dès l’en­trée, on ne nous cache pas qu’il faut des­cendre plus de 200 marches pour arri­ver au temple, marches qu’il faut remon­ter une fois en bas… Alors je ne traine pas, je n’ai pas envie de me lais­ser sur­prendre par la nuit. Le spec­tacle qui s’offre à moi dès la des­cente est superbe… Des rizières en espa­liers s’é­tendent à perte de vue, déli­ca­te­ment cachées au pied des pal­miers. Des ouvrages d’art soi­gneu­se­ment entre­te­nus au beau milieu d’un écrin de verdure.

L’at­mo­sphère est lourde, humide, des insectes et sur­tout des libel­lules vire­voltent autour de moi et la des­cente m’oc­ca­sionne des suées dont je ne me sen­tais pas capable à cause de la rai­deur des marches. La fin du sen­tier donne sur un rocher fen­du en deux au tra­vers duquel on se fau­file en se deman­dant dans quel royaume magique on est en train de péné­trer. Une pan­carte nous indique que nous entrons dans un sanc­tuaire et que le sarong est de rigueur. Le che­min se ter­mine dans la val­lée d’une petite rivière, sur un site gran­diose où les parois rocheuses ont été sculp­tées de can­dis de chaque côté de la rivière, de manière symé­trique. Le sanc­tuaire bâti pour le roi Anak Wung­su date du XIè siècle ; d’un côté les can­dis sont dédiés à sa famille, notam­ment le roi Udaya­na, de l’autre à ses concu­bines. Au milieu, la rivière Pakri­san.

Le lieu est d’un calme presque lunaire et je me rends compte que je suis abso­lu­ment seul dans le temple, peut-être à cause de l’heure tar­dive, c’est du moins ce que je croyais, car lorsque je me suis appro­ché de la rivière, je suis tom­bé nez-à-nez, si je puis dire, avec un homme nu qui venait de se bai­gner dans la rivière. Pas gêné le moins du monde, il était en train de remettre son sarong d’un blanc imma­cu­lé sans se pré­oc­cu­per de moi.

Un souffle de vent léger a fait tres­sau­ter une sorte de petit mou­lin à vent agré­men­té d’un petit per­son­nage qui frappe sur des tubes de bambous.

Au pied d’une des falaises se trouve un monas­tère avec des cel­lules creu­sées à même la roche, un endroit char­gé de sens où l’on peut presque sen­tir la pré­sence des moines qui ont vécu ici. Il est utile de pré­ci­ser que le temple est hau­te­ment sym­bo­lique pour les boud­dhistes et les hin­douistes, car le roi Udaya­na, hin­douiste s’est marié à la prin­cesse de Java, alors boud­dhiste ; c’est ici le car­re­four où se rejoignent deux reli­gions qui ne s’en­tendent pas toujours.

Mal­heu­reu­se­ment, je n’ai que peu de temps avant que la fin du jour n’en­ve­loppe le pay­sage et m’empêche de remon­ter les 200 marches escar­pées, je dois quit­ter cet endroit magique et retrou­ver mon chauf­feur de taxi.

Dans la rue qui donne sur le temple, une épaisse fumée emplit l’air, une fumée âcre qui prend à la gorge et qui donne une cou­leur étrange aux rues du petit vil­lage. Le soleil qui ne va pas tar­der à dis­pa­raître darde ses rayons au tra­vers des feuilles de pal­mier et au tra­vers de la fumée des herbes sèches que les habi­tants font brû­ler sur le seuil de leur mai­son. Moment magique au détour du por­tail d’une mai­son ; une jeune fille fait ses gammes sur un métal­lo­phone assise à côté de son pro­fes­seur. L’air satu­ré d’o­deurs végé­tales, la lumière jaune d’une fin de jour­née magni­fique, le son d’un game­lan, le visage d’une jeune fille… Cette jour­née reste gra­vée dans ma mémoire comme une des plus belles que j’ai pas­sées en Indonésie.

Voir l’en­semble des pho­tos sur Fli­ckr.

Moment récol­té le 23 février 2014. Écrit le 11 juin 2020.
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Ubud sto­ries #10 : Pura Tir­ta Empul à Tampaksiring

Ubud sto­ries #10 : Pura Tir­ta Empul à Tampaksiring

Pura Tir­ta Empul

Ubud sto­ries #10

23 février 2014 : Pura Tir­ta Empul, un temple aux eaux sacrées

Il faut envi­ron une demi-heure pour relier Goa Gajah à la ville de Tam­pak­si­ring où se trouve le lieu le plus emblé­ma­tique et cer­tai­ne­ment le plus connu de Bali. Nous sommes ici dans le vil­lage de Manu­kaya où l’on trouve ce lieu étrange et envoû­tant que sont les sources sacrées du Pura Tir­ta Empul (lit­té­ra­le­ment, temple des eaux sacrées). Sa renom­mée inter­na­tio­nale vient sur­tout du fait que c’est un des lieux que l’on peut décou­vrir dans le film Eat, Pray, Love avec Julia Roberts, mais que l’on se ras­sure, il y a bien long­temps qu’elle ne s’y trouve plus. On peut donc visi­ter tran­quille­ment le temple qui, même s’il attire beau­coup de tou­ristes, reste un lieu de prière hau­te­ment sacré pour les Bali­nais et rela­ti­ve­ment calme.

Impos­sible d’en­trer ici sans sarong, sauf si l’on s’ap­pelle Barack ou Michelle Oba­ma et si tou­te­fois vous aviez l’ou­tre­cui­dance de ne pas en avoir, on vous en prête un dès l’en­trée du temple contre une petite dona­tion pour l’en­tre­tien du temple.

Sur les hau­teurs du com­plexe, on peut voir une des 6 rési­dences pré­si­den­tielles, Ista­na Tam­pak­si­ring, construite sur les ordres du pré­sident Soe­kar­no. Le temple lui-même prend son ori­gine au Xè siècle sous la dynas­tie War­ma­de­wa autour d’un bas­sin des­ti­né à conte­nir les eaux cris­tal­lines d’une source sou­ter­raine qui jaillit à petit bouillon du pied de la mon­tagne. C’est autour de ce bas­sin qu’ont été construit une série d’autres bas­sins en contre­bas où l’eau se déverse par pression. 

On entre dans le temple par la cour exté­rieure, le Jaba Pura, et le Can­di Ben­tar, le grand por­tail sculp­té pro­té­gé, comme tous les temples bali­nais, par les Dwa­ra­pa­la, ces figures mons­trueuses, gri­ma­çantes et armées qui ne sont là que pour empê­cher les mau­vais esprits d’en­trer dans le sanc­tuaire. Le bas­sin le plus impres­sion­nant de la cour inté­rieure est le Jaba Ten­gah, ce bas­sin dont l’eau jaillit au tra­vers de trente trompes ornées de svas­ti­ka où les Bali­nais viennent se puri­fier en se lais­sant cou­ler l’eau sur la tête selon le rituel du melu­kat, tout en don­nant en offrandes de la nour­ri­ture et des fleurs dans des petits paniers car­rés tres­sés en feuilles de lamier. Les croyants com­mencent à se puri­fier, tout habillés et de l’eau jus­qu’à la taille, sous le pre­mier jet situé à gauche et défilent sous les vingt-neuf autres trompes (sauf sous les deux qui sont réser­vés à la puri­fi­ca­tion des morts et donc, inter­dits aux vivants), ce qui peut prendre un cer­tain temps, mais le temps ici n’a pas la même valeur pour tous. Les Bali­nais qui viennent ici y passent géné­ra­le­ment la jour­née en famille. La der­nière du temple, le Jeroan, la plus sacrée, est un ensemble de petits temples abri­tés construits autour du bas­sin de la source, dans lequel il est inter­dit de pénétrer.

Un peu en retrait, dans le Jeroan, un homme jeune tout vêtu de blanc sous un petit temple en toit de bran­chages fait tin­ter une clo­chette dans une atti­tude médi­ta­tive qui force le res­pect et l’admiration. Der­rière lui, deux femmes se recueillent dans une pos­ture d’offrandes. Un moment à la fois trou­blant et plein d’une sagesse confon­dante, à mille lieues de l’agitation d’Ubud. On peut presque sen­tir le souffle de Vish­nu, maître de lieux.

Dans le bas­sin de la source sacrée, on peut voir l’eau d’une clar­té aveu­glante jaillir de terre, agi­tant les herbes et les algues qui poussent tout autour dans un silence assourdissant.

Ce temple est un endroit magique, qui per­met autant de goû­ter au calme de l’en­droit que de ren­con­trer les Bali­nais endi­man­chés, en famille, l’oc­ca­sion de voir des visages sereins, des femmes vêtues de leurs plus beaux atours, mais aus­si des enfants par dizaines, habillés comme un jour de fête, comme cette grand-mère avec ses petits-enfants, cette homme au visage concen­tré et cette petite fille qui pose près de la gueule d’un monstre, qui fait la fier­té de ses parents en ce jour particulier.

A l’ar­rière du temple haut, j’ob­serve depuis mon pro­mon­toire les sarongs sécher à l’ombre des grands arbres ; un mobile à eau fait réson­ner les bam­bous qui s’en­tre­choquent. Un moment de calme incroyable dans une rela­tive fraî­cheur, à l’a­bri du tumulte, un endroit qu’on n’a pas vrai­ment envie de quitter.

Voir l’en­semble des pho­tos sur Fli­ckr.

Moment récol­té le 23 février 2014. Écrit le 6 juin 2020.
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Ubud sto­ries #9 : Goa Gajah, la cave de l’éléphant

Ubud sto­ries #9 : Goa Gajah, la cave de l’éléphant

Goa Gajah
La cave de

l’é­lé­phant

Ubud sto­ries #9

23 février 2014 : Une caverne dans la gueule d’un monstre

Le som­meil, le manque cruel de som­meil avec la fatigue du voyage encore pré­sente. Voi­là com­ment com­mence cette nou­velle jour­née. J’ai les cuisses endo­lo­ries, le front rou­gi par le soleil et le nez rous­si. Mais cela n’entache pas ma bonne humeur, bien au contraire. Ces petites contra­rié­tés font elles aus­si par­tie du voyage, elles vous rap­pellent que vous avez un corps et que vous ne pou­vez faire autre­ment que de le traî­ner der­rière vous comme un sac à patates.

Je déjeune d’un café fort qui me fait pen­ser au café turc, le fond de la tasse bar­bouillé de marc, et d’un mie goreng, une des spé­cia­li­tés indo­né­siennes, un plat de pâtes frites aux légumes et à la viande. Comme sou­vent avec ce genre de plat, je manque de m’é­touf­fer en fai­sant le brave ; cro­quer à pleines dents dans un piment frais n’est jamais vrai­ment une bonne idée. Un papillon noir et blanc et une libel­lule viennent me tenir com­pa­gnie sous le kiosque. J’ob­serve les ficus repens et les lézards qui courent sur les murs. Un gars de l’hô­tel me dit que dans sa langue, on dit cicak (djid­jak), ce qui cor­res­pond cer­tai­ne­ment à l’i­mage de la bes­tiole qui court dans toutes les directions.

A la récep­tion de l’hô­tel, j’ar­rive à négo­cier un taxi à la jour­née pour 300 000 rou­pies, ce qui doit cor­res­pondre à une ving­taine d’eu­ros. En fait de taxi, c’est un gros van cli­ma­ti­sé ; ce qui ne sera pas un luxe vue la tem­pé­ra­ture qu’il fait. Ce n’est pas tant la mor­sure du soleil qui rend l’at­mo­sphère insup­por­table mais sur­tout l’hu­mi­di­té écra­sante. J’ai déjà ma petite idée des endroits où je veux me rendre et ma pre­mière des­ti­na­tion sera Goa Gajah, la cave de l’éléphant.

La cave de l’é­lé­phant est située à la sor­tie d’U­bud, à 5 kilo­mètres du centre, déjà dans la nature envi­ron­nant la petite ville de Bedu­luh. En à peine 10 minutes, je suis arri­vé, même pas le temps de se rafraî­chir dans le van. C’est un site sans pré­ten­tion, presque caché, fiché en sur­plomb d’une petite rivière.

La réa­li­té his­to­rique concer­nant l’é­di­fi­ca­tion de cet endroit n’a, comme sou­vent dans les mythes hin­dous, que peu d’im­por­tance. On raconte que c’é­tait peut-être l’er­mi­tage d’un moine boud­dhiste ou alors une grotte creu­sée par le géant Kebo Iwo à coups d’ongles.

Ce n’est pas vrai­ment un temple. Ici on trouve une grotte, des bains et une rivière jon­chée de pierres taillées en désordre. La grotte elle-même est taillée dans la roche et l’en­trée se fait par la bouche de Boma, gar­dien du lieu, per­son­nage ter­ri­fiant des­ti­né à repous­ser les esprits, car le lieu est sacré à plu­sieurs rai­sons. Ici se trouve la sta­tue de Ganesh (qui donne son à la cave) mais éga­le­ment les trois lin­gams (लिङ्गं) de Shi­va, des repré­sen­ta­tions phal­liques épaisses taillées dans une pierre noire que cer­tains ont cares­sé de leurs doigts enduits de cendres. Des offrandes ont été dépo­sées au pied des cailloux et des bâtons d’en­cens brûlent dans une semi-obs­cu­ri­té ren­dant l’at­mo­sphère chaude abso­lu­ment suf­fo­cante. Je ne peux res­ter que quelques ins­tants à l’in­té­rieur de peur de m’é­va­nouir, ne sachant si c’est à cause de la cha­leur ou d’un sen­ti­ment étrange empli de mystères.

Le bas­sin de Patir­taan que l’on trouve au pied de la cave est une construc­tion com­pre­nant un ensemble de sta­tues de femmes à la poi­trine opu­lente déver­sant de l’eau depuis des vases qu’elles portent sur le ventre, par lequel on accède en des­cen­dant une volée de marches glis­santes. On raconte que l’eau sacrée de ces bains ont la ver­tu de conser­ver la jeu­nesse. Je prends dans mes mains un peu de cette eau pour res­ter jeune ; je res­sens sur­tout son effet béné­fique sur la peau de mon visage recou­verte de sueur avec cette tem­pé­ra­ture écrasante.

En sui­vant un petit che­min, on rejoint une rivière à l’eau claire abri­tée du soleil par les fron­dai­sons de grands arbres aux racines puis­santes for­mant des ser­pen­tins de bois s’en­fon­çant dans une terre pous­sié­reuse ; ce sont les fameux banians, ces arbres sacrés repré­sen­tant la connais­sance suprême. Le lieu est incroya­ble­ment calme, per­sonne à l’ho­ri­zon, seule­ment le vent dans les hautes branches et le doux rou­cou­le­ment d’une tour­te­relle qui dévale le cours de la rivière ; je me laisse ber­cer quelques ins­tants par cette impres­sion de bien-être en me repo­sant au pied des arbres, écou­tant le ron­ron de l’eau, avant de reprendre la route.

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Moment récol­té le 23 février 2014. Écrit le 5 juin 2020.
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