Yogyakarta stories #3 : Embrasser Borobudur du bout des lèvres
Embrasser Borobudur du bout des lèvres
Yogyakarta stories #3
28 février 2014 : Le mont Setumbu
Le réveil sonne à 3h00. Sur le coup, je me demande ce qui me prend d’avoir mis le réveil si tôt, mais un soupçon de lucidité passagère me rappelle que ce jour n’est pas un jour comme les autres. Ce jour est important, peut-être le plus important, car c’est aujourd’hui que je vais rendre visite au plus beau des temples de l’Indonésie : Borobudur.
Avant de voir une merveille, rien de tel que de l’observer de loin ; c’est la raison pour laquelle un minibus s’arrête devant l’hôtel, une antiquité peinte en vert et qui crache une fumée noire évoquant plus les émanations d’une mine de charbon que l’échappement d’un véhicule. J’ai comme l’impression que les fumées se libèrent directement dans l’habitat, ne tardant à me causer des nausées et je passe toute ma route le nez par la fenêtre ouverte.
Pour se rendre sur le mont Setumbu, à quelques encâblures du temple de Borobudur, il faut près d’une heure et demie d’une route impossible à mémoriser.
Peut-être armé d’un GPS, pourquoi pas, mais conduire ici relève plus du sport que du gentil tourisme. La route est très droite, mais chaotique et mon cul et mon dos semblent s’en souviennent encore conjointement lorsque j’évoque cette partie de campagne. Malgré l’heure matinale, beaucoup de monde déjà debout, des mosquées peintes en vert, couleur de l’Islam, éclairées par des néons criards et froids, trouvent déjà leur clientèle en cette première heure de prière de la journée ; nous sommes vendredi, aurait-ce été pareil un autre jour ?
Les carrefours s’emplissent des marchés ambulants, de ces petites carrioles derrière les vitres desquelles on trouve du poisson séché ou des boulettes de poulet qui auront tout loisir de tourner dès le premier rayon de soleil. On tourne à gauche et après le portique sur lequel j’arrive vaguement à distinguer le nom du temple vers lequel je roule, la route se rétrécit et je finis par ne plus voir de maisons au bord de la route. Seulement des arbres et de la végétation dense, ruisselante d’humidité. Pour l’instant, on monte vers le mont Setumbu (prononcer Stoumbou). La route devient franchement merdique, avec des nids de poule qui aggravent le cas de la suspension. A ce rythme là, nous allons rentrer à vélo, ou en becak…
Le brouillard se lève, pour ne rien arranger et on n’y voit souvent pas à plus de dix mètres.
Nous nous arrêtons, le chauffeur nous explique qu’il faut monter après avoir payé un droit d’entrée (il faut payer partout ici, c’est hallucinant) de 30 000 rps (15 000 rps pour les locaux).
Dix minutes de montée facile à pied et on y arrive. Sur le sommet de la colline, on a vue sur toute la vallée encore enserrée dans la brume matinale. Les plus hauts arbres, ainsi que le temple, plus hauts que la brume elle-même en dépassent et semblent flotter telles des îles de blancs d’œufs sur une mer de vapeur onctueuse. Les couleurs sont indescriptibles, d’une beauté telle que je n’en ai jamais vue, des couleurs incroyables, dont le spectre varie à chaque minute. Pendant près d’une heure, je reste là médusé, à regarder ce paysage qui se transforme sans cesse, même si c’est imperceptiblement, avec ce temple magnifique à deux kilomètres de là, qui point tendrement comme le téton d’un sein dépassant de la surface de l’eau.
Je reste là un long moment avec les autres touristes qui font partie de la fête. Certains prennent des photos à tout bout de champ, se font prendre en photo devant le temple embrumé. D’autres, plus sages, se contentent de contempler la plaine baignée de la lumière du soleil qui se lève. J’imagine ce que doît être le lever du soleil sur la plaine de Bagan et ses 2000 pagodes.
Un pur moment de contemplation, de plaisir pour les yeux, un je-ne-sais-quoi d’un peu mystique qui laisse un souvenir impérissable, d’une parfaite félicité.