Valé­rien, l’empereur qui fai­sait office de marche-pied

Valé­rien, l’empereur qui fai­sait office de marche-pied

L’empereur romain Valé­rien, dont le nom-même lais­sait à croire que sa vie de valait pas grand-chose (et puis il faut dire que c’est plus facile à rete­nir que Publius Lici­nius Vale­ria­nus), puisque que même son fils ne prit même pas la peine de lui sau­ver la vie lorsque son père fut cap­tu­ré par les troupes de Sha­pur Ier, roi de l’empire sas­sa­nide, connût une fin tra­gique, pour ne pas dire funeste. Pas la peine de s’a­pi­toyer sur l’homme qui fut un véri­table bour­reau puis­qu’il est le signa­taire de plu­sieurs édits de per­sé­cu­tion contre les Chré­tiens, même s’il se cal­ma un peu avant cette banale escar­mouche qui fit de lui un objet à la conve­nance de Sha­pur. Ecou­tons un peu ce que nous en dit Peter Fran­ko­pan dans Les routes de la soie.

Tout au contraire des pro­vinces euro­péennes de l’empire, c’est l’A­sie qui subit les cam­pagnes régu­lières des empe­reurs, pas tou­jours réus­sies. En 260, par exemple, l’empereur Valé­rien fut humi­lié une fois cap­tu­ré, puis main­te­nu « dans une forme abjecte d’es­cla­vage » : uti­li­sé comme tabou­ret humain par le diri­geant perse — « il pré­sen­tait son dos au roi quand il mon­tait à che­val » — il fut fina­le­ment écor­ché vif, « puis sa peau, évis­cé­rée, fut teinte de ver­millon et pla­cée devant le temple du dieu des bar­bares, afin que se per­pé­tue le sou­ve­nir d’une vic­toire aus­si signa­lée et que le spec­tacle en fût tou­jours pré­sen­té à nos ambas­sa­deurs » (Lac­tance, de mor­ti­bus per­se­cu­to­rum). On l’empailla afin que tous pussent voir la déme­sure et la honte de Rome.

Voi­là qui lui valut bien à sa mort le titre de Impe­ra­tor Cae­sar Publius Lici­nius Vale­ria­nus Pius Felix Invic­tus Augus­tus Ger­ma­ni­cus Maxi­mus, Pon­ti­fex Maxi­mus, Tri­bu­ni­ciae Potes­ta­tis VII, Impe­ra­tor I, Consul IV, Pater Patriae. Il ne fal­lait pas se don­ner cette peine pour si peu.

Humi­lia­tion de Valé­rien par l’empereur Sha­pur sur le sanc­tuaire de Naqsh‑e Rostam

Les Perses, fiers de leur his­toire, repro­dui­sirent la scène sur les falaises sculp­tées du sanc­tuaire de Naqsh‑e Ros­tam, non sans une cer­taine sobriété.

Humi­lia­tion de Valé­rien par Sha­pur, par Hans Hol­bein le jeune

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Car­net de voyage en Tur­quie : les tristes ves­tiges et la fin du voyage

Car­net de voyage en Tur­quie : les tristes ves­tiges et la fin du voyage

Épi­sode pré­cé­dent : Car­net de voyage en Tur­quie : Balades poé­tiques et visages stambouliotes

Bul­le­tin météo de la jour­née (dimanche 29 août 2012) :
10h00 : 26.1°C / humi­di­té : 43% / vent 7 km/h
14h00 : 26.5°C / humi­di­té : 35% / vent 17 km/h
22h00 : 23°C / humi­di­té : 48% / vent 17 km/h

Voi­là. C’est mon der­nier jour. Comme par un heu­reux hasard, c’est aujourd’­hui la fête de la rup­ture, que les Arabes appellent Aïd el-Fitr et que les Turcs appellent Rama­zan Bay­ramı. Dans la cour de l’hô­tel où l’on prend le petit déjeu­ner sur les cana­pés otto­mans. Je répète, avec l’im­pres­sion que les mots vont res­ter en moi, les vocables qui dési­gnent le lait chaud (sıcak süt), le café (kahve), les crois­sants (kru­va­san).

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 01 - Sultanahmet

Mes mains sont sèches et je n’aime pas ce que je vois dans le miroir en pas­sant dans la salle à man­ger. J’ai un beau teint hâlé qui témoigne que j’ai pas­sé un mois sous le soleil brû­lant de la Tur­quie, mais j’ai les yeux tristes et fati­gués, je me sens aus­si vide qu’une outre d’eau dans le désert. Comme un signe disant qu’il était temps de par­tir, le ciel s’est cou­vert d’un voile gris comme au len­de­main d’un orage et quelques gouttes tombent du ciel tan­dis que je me rem­plis de café et de pâte de sésame en mau­gréant en ima­gi­nant que la tem­pé­ra­ture du ciel est qua­si­ment tom­bée de quinze degrés. Je ne sais pas exac­te­ment ce que je res­sens, par­ta­gé entre un bon­heur incom­men­su­rable d’a­voir pu faire un voyage comme celui-ci, la joie de m’être lais­sé entraî­ner dans des ornières que je ne m’i­ma­gi­nais pou­voir suivre un jour, et la tris­tesse infi­nie qui me serre l’es­to­mac à l’i­dée de devoir par­tir ce soir. Sous mon crâne, les démons qui m’ont tou­jours ani­més com­mencent à se réveiller et à me tirer avec eux dans des limbes de déso­la­tion dont je ne veux pas connaître la pro­fon­deur. Je com­mence à me sen­tir désar­mé dans cette ville dans laquelle je ne sais plus vrai­ment quoi faire, plus vrai­ment où aller. En ce jour de fin de Rama­dan, il n’y a pas grand-chose d’ou­vert. Les gens dans la rue arborent leurs plus beaux vête­ments, tout en cou­leurs pas­tels, en brillants et en tis­sus épais et chers, en couvre-chefs de prix, en voiles riche­ment parés. Je tombe même sur un couple d’In­do­né­siens, presque aus­si incon­grus ici que je peux l’être moi-même, à la dif­fé­rence près que eux, sont musul­mans… Der­rière la Mos­quée Bleue, les ven­deurs du bazar d’A­ras­ta ne sont plus vrai­ment inté­res­sés par les pas­sants, comme s’ils avaient fait leur beurre et que se décar­cas­ser pour aller arna­quer le tou­riste n’é­tait plus vrai­ment à l’ordre du jour, ni même une néces­si­té impé­rieuse. Je me dis que pour cette der­nière jour­née, je pour­rais aller voir cet étrange musée pas­sant com­plè­te­ment inaper­çu dans la rue du bazar, le musée des mosaïques, mais mal­heu­reu­se­ment, une pan­carte indique à l’en­trée du musée qui com­mence là où les marches s’en­foncent dans le sol, qu’en rai­son de la fin du rama­dan, le musée est fer­mé pour la mati­née. Le vieil homme à l’en­trée me dit de reve­nir dans une heure et que ce sera cer­tai­ne­ment ouvert. Pen­dant ce temps, j’erre un peu au pied de la Mos­quée du Sul­tan Ahmet Ier, regarde les pas­sants apprê­tés dans leurs habits de céré­mo­nie, me demande encore com­bien de temps je vais pou­voir tenir dans cette ville si je ne rentre pas sur le champ à Paris. C’est une sen­sa­tion étrange, inex­pli­cable, qui me pousse à vou­loir par­tir immé­dia­te­ment. Je ne reste fina­le­ment pas très loin du musée. Le musée ouvre ses portes. Je des­cends sous terre sans ima­gi­ner ce que je vais trou­ver là.

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 17 - Musée des mosaïques du Grand Palais de Constantin - Büyük Saray Mozaikleri Müzesi

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 18 - Musée des mosaïques du Grand Palais de Constantin - Büyük Saray Mozaikleri Müzesi

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 19 - Musée des mosaïques du Grand Palais de Constantin - Büyük Saray Mozaikleri Müzesi

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 38 - Musée des mosaïques du Grand Palais de Constantin - Büyük Saray Mozaikleri Müzesi

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 41 - Musée des mosaïques du Grand Palais de Constantin - Büyük Saray Mozaikleri Müzesi

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 58 - Musée des mosaïques du Grand Palais de Constantin - Büyük Saray Mozaikleri Müzesi

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 57 - Musée des mosaïques du Grand Palais de Constantin - Büyük Saray Mozaikleri Müzesi

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 67 - Musée des mosaïques du Grand Palais de Constantin - Büyük Saray Mozaikleri Müzesi

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 39 - Musée des mosaïques du Grand Palais de Constantin - Büyük Saray Mozaikleri Müzesi

Le musée des Mosaïques est en réa­li­té un ancien péri­style mis au jour dans les fouilles qui ont été menées ici jus­qu’en 1954 et qui ont mis au jour les der­niers ves­tiges de ce qui était le Grand Palais com­men­cé par Constan­tin. La salle dans laquelle on se trouve mesure 66 x 55 m, ce qui laisse ima­gi­ner l’im­por­tance du bâti­ment d’o­ri­gine. On pense, cer­tai­ne­ment à rai­son, que le Grand Palais était une accu­mu­la­tion de salles de styles hété­ro­clites, construites à des époques dif­fé­rentes. On peut avoir une idée de ce à quoi res­sem­blait le Palais sur le site de Byzan­tium 1200. Fran­che­ment, on aurait presque pré­fé­ré ne jamais voir ça, car le peu qu’il reste du Palais est d’une incroyable tris­tesse. L’é­tat d’a­ban­don dans lequel il a dû se trou­ver témoigne à quel point les Hommes sont de bien piètres conser­va­teurs. Et moi, je n’au­rais pas dû ter­mi­ner mon voyage par ces tristes ves­tiges, me lais­sant un goût amer dans la bouche. Étran­ge­ment, je me sens mal à l’aise face à ces mosaïques qui, sous leur air buco­lique et cham­pêtre, sont en réa­li­té de réelles scènes d’hor­reur. La qua­li­té est incroyable et d’une grande fraî­cheur pour des mosaïques datant de plus de 1500 ans et les cou­leurs res­plen­dis­santes. On peut voir des élé­ments archi­tec­tu­raux et ce qui peut res­sem­bler à des scènes de chasse ou de vie cham­pêtre, une vie éloi­gnée de cette ville dans ce qu’elle a plus de plus loin­tain ; au delà du Palais, il n’y a que la mer.

Je pen­sais m’être trom­pé sur le compte de ces mosaïques, mais trois ans plus tard, tan­dis que je lisais le sublime livre de William Dal­rymple, L’ombre de Byzance, je retrou­vais mes sen­ti­ments tra­duits de la même manière par le grand écri­vain britannique.

J’ai pas­sé le plus clair de l’a­près-midi au musée des Mosaïques, à admi­rer les quelques motifs res­ca­pés. Ils datent tous de la fin du VIe siècle — juste après Jus­ti­nien — et pro­viennent du Grand Palais, qui se dres­sait jadis à flanc de col­line, der­rière la Mos­quée Bleue. Ce sont donc ces mosaïques que dut fou­ler l’empereur Héra­clius lors­qu’il apprit la chute de Jéru­sa­lem aux mains des Perses ou la red­di­tion d’Alexandrie.
Au pre­mier abord, on s’é­tonne d’y trou­ver encore une influence hel­lé­nis­tique. Le style de ces mosaïques est le plus sou­vent buco­lique et empreint d’un natu­ra­lisme cha­leu­reux qui, à pre­mière vue, s’ap­pa­rente davan­tage aux déli­cates fresques de Pom­péi qu’aux figures raides et hié­ra­tiques des icônes byzan­tines plus tar­dives ou aus­tères Pan­to­cra­tor qui dominent sou­vent la cou­pole des églises médié­vales. Mais au bout d’un moment, quand on exa­mine de plus près ces idylles pas­to­rales, on finit par s’in­quié­ter pour la san­té men­tale de leurs auteurs, voire de leurs commanditaires.
Tou­jours à pre­mière vue, on croit voir par exemple un che­val allai­ter un lion ; il s’a­git bien sûr d’un sym­bole de la paix, de la même manière qu’on trouve dans la Bible un loup dor­mant à côté d’un agneau. Sauf que si l’on y regarde vrai­ment de très près, on s’a­per­çoit que le lion est en train d’é­ven­trer le che­val tout en refer­mant ses mâchoires sur ses tes­ti­cules. Ailleurs, un autre lion se dresse sur ses pattes de der­rière pour atta­quer un élé­phant mais rate son coup et s’empale sur une défense. Ici c’est un loup qui déchire la gorge d’une biche, là, deux gla­dia­teurs en hau­bert et culottes de cuir que charge un tigre rose gra­ve­ment bles­sé au cou et sai­gnant de la gueule, et, ailleurs encore, un grif­fon ailé qui fond sur une anti­lope et lui arrache la peau du dos tan­dis qu’un autre gobe un lézard.
On se perd en conjec­tures sur ce qui a conduit le maître mosaïste à impré­gner ses œuvres d’une vio­lence aus­si psy­cho­pa­tho­lo­gique : les assas­si­nats et autres révo­lu­tions de palais étaient fré­quents, à l’é­poque ; on ne voit pas quel apai­se­ment ces scènes san­gui­no­lentes pou­vaient pro­cu­rer à l’empereur qui les fou­laient quo­ti­dien­ne­ment. D’un autre côté, elles four­nissent un anti­dote salu­taire à la lit­té­ra­ture byzan­tine, dont le cor­pus est uni­for­mé­ment pétri de pes­si­misme pieux et essen­tiel­le­ment com­po­sé d’in­ter­mi­nables hagio­gra­phies dont les ascètes héroïques résistent aux silen­cieuses invites de séduc­trices démo­niaques. Peut-être l’empereur éprou­vait-il quelque sou­la­ge­ment à retrou­ver ces scènes de car­nage quand il avait sup­por­té deux heures durant les ser­mons sur la chas­te­té débi­tés par le patriarche.

William Dal­rymple, L’ombre de Byzance
Sur les traces des Chré­tiens d’Orient
1997, Libretto

Büyük Saray Mozaikleri Müzesi

Ici s’ar­rête un peu bru­ta­le­ment mon récit de voyage, au terme de vingt-quatre jours pas­sés en Tur­quie. Ici s’ar­rête mon récit de voyage, car, trois ans après être reve­nu de Tur­quie, qua­si­ment jour pour jour, je ne me sou­viens plus de ce qu’il s’est pas­sé après avoir visi­té le Grand Palais. J’i­ma­gine que j’a­vais lais­sé ma valise à l’hô­tel après avoir quit­té la chambre et avoir pris mon petit déjeu­ner et j’ai dû dire au récep­tion­niste que je la lais­se­rai là jus­qu’à ce que mon taxi vienne me cher­cher pour l’aé­ro­port. Non seule­ment je ne m’en sou­viens plus, mais c’est ici que s’ar­rêtent mes notes de voyages, que, scru­pu­leu­se­ment, je prends presque en temps réel. Je ne sais plus. J’ai dû tout lais­ser tom­ber, je devais être épui­sé de corps et d’es­prit et j’ai cer­tai­ne­ment à un moment don­né déci­dé de me recro­que­viller sur moi-même, inca­pable d’en absor­ber plus, inca­pable de rete­nir plus que tout ce qui m’a­vait été don­né jusque là. Ce qui est cer­tain, c’est que j’ai bien pris l’a­vion, et que je suis pas­sé au-des­sus des Alpes (la preuve en pho­to), mais je ne me rap­pelle vrai­ment, sin­cè­re­ment, plus de rien…

Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 74 - Retour à Paris

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Turquie - jour 24 - Derniers instants à Istanbul - 77 - Retour à Paris

La seule chose dont je me sou­viens, c’est que le len­de­main, j’é­tais déjà repar­ti au tra­vail, ne m’é­tant lais­sé abso­lu­ment aucune marge pour décom­pres­ser. Au contraire de nombre de per­sonnes, je ne vois pas l’in­té­rêt de ne pas pro­fi­ter jusqu’au bout. Je me fous de ren­trer plus tôt, “pour faire la les­sive”, “pour ran­ger la valise”, “pour faire un peu de ménage avant de retour­ner au tra­vail”. Non, je ne suis pas dans cette optique et je m’en fous lit­té­ra­le­ment. De la même manière, je ne conçois pas les vacances comme étant du repos. Le voyage n’est pas fait pour ça, bien au contraire. Je me repose le week-end, le soir quand je reviens du tra­vail, mais certes pas en voyage. Je suis là pour m’é­rein­ter, pour me faire détruire, pour qu’on attente à mon inté­gri­té phy­sique et men­tale, dans une pos­ture atten­tiste et presque auto-destructrice…

J’ai mis trois ans à rédi­ger ce car­net de voyage, ce sont cer­tai­ne­ment plus de 60 000 mots écrits pour en rap­por­ter la saveur et l’es­sence. Ce fut pour moi un tra­vail énorme, de retouche de pho­tos (des pous­sières se sont insé­rées dans mon appa­reil, sur le cap­teur, j’ai rame­né près de 2000 pho­tos dont pas une seule n’a­vait de tâche), de tri, de choix, de rédac­tion, de cor­rec­tion, d’in­ter­ro­ga­tions, de mises en forme… Ce furent trois ans qui m’ont per­mis de conti­nuer à vivre ce voyage en me le remé­mo­rant, minutes après minutes d’a­près mes notes scru­pu­leuses, et tout ce que j’ai écrit me per­met­tra de le faire vivre encore tant que moi, je serai en vie.

Par­tir en Tur­quie pen­dant quatre semaines m’au­ra appris énor­mé­ment, mais je serais ten­té de dire qu’une des prin­ci­pales choses que j’en ai com­prises, c’est qu’en voyage, comme au final dans la vie de tous les jours, il faut prendre les gens pour ce qu’ils sont, non pour ce qu’ils repré­sentent, ni pour ce qu’on a envie qu’ils soient. Je sais que beau­coup de gens en France ont une très mau­vaises opi­nions, pour ne pas dire un a prio­ri raciste, concer­nant les Turcs. J’ai enten­du dire que les Turcs étaient de mau­vaises per­sonnes car ils ont par­ti­ci­pé à la guerre du mau­vais côté de la bar­rière, au côté des Alle­mands. Oui, c’est vrai. Et alors ? Est-ce que nous ne par­lons pas aux Alle­mands ? Est-ce que nous avons le même a prio­ri envers les Alle­mands ? Je ne com­prends ces faux débats. De la même manière, je me suis ren­du compte que les Turcs n’aiment pas beau­coup les Arabes, et que les Stam­bou­liotes n’aiment pas les Ana­to­liens, etc. Ça n’en finit pas. En fait, per­sonne n’aime per­sonne. Parce que ceux-là ont ce défaut, parce que ceux-ci puent… C’est infer­nal et com­plè­te­ment con. Lorsque je voyage, je pars avec des a prio­ri pour pou­voir les cas­ser un à un, je le fais exprès, pour me dis­ci­pli­ner et en reve­nir meilleur, plus tolé­rant, plus intel­li­gent j’es­père dans mes rap­ports avec l’Autre.

Je sais par­fai­te­ment à quel point Istan­bul n’est plus que l’ombre d’elle-même, à quel point la Tur­quie a souf­fert de des­truc­tions et on a tou­jours la ten­ta­tion de se dire qu’on aurait aimé connaître com­ment c’é­tait exac­te­ment avant. A l’heure où j’é­cris, des abru­tis se sont mis en tête de détruire Pal­myre à la dyna­mite, de raser une civi­li­sa­tion pour que d’i­ci quelques années, dans leurs machia­vé­liques plans, les popu­la­tions oublient leurs racines. Mais ça n’ar­ri­ve­ra pas. La mémoire humaine est d’une nature exten­sible et elle a éga­le­ment cette capa­ci­té de rési­lience qui per­met de pas­ser de la dou­leur à la recons­truc­tion de soi. Ils ont détruit Pal­myre ? Tant pis, mais ce n’est rien par rap­port à ce qu’ils font subir aux êtres humains. Et puis Pal­myre, on l’a pho­to­gra­phié, on l’a étu­dié, on sait à quoi ça res­sem­blait. Les êtres humains ne sont pas faits de cette matière-là. Mais ce n’est pas ici le bon endroit pour une tri­bune, car on parle ici de voyage. Et si demain un trem­ble­ment de terre efface Istan­bul, la perte patri­mo­niale sera immense, mais son­geons d’a­bord à ceux qui y vivent…

C’est donc ici que ça se ter­mine, mais c’est éga­le­ment ici que les choses naissent, dans les recoins d’une vie pas­sée, car c’est lors­qu’il y a un grand silence que se pré­parent tou­jours les révo­lu­tions. Pour moi, la Tur­quie en ce mois d’août 2012, en plein rama­dan, ce fut plus qu’un voyage, ce fut bien mon être dis­per­sé, déver­sé sur les mon­tagnes de Cap­pa­doce ou dans les rues d’Is­tan­bul, sur les hau­teurs de Pamuk­kale, au pied de la tombe de l’a­pôtre Phi­lippe ou dans les ruines englou­ties de Keko­va, réduit en poudre et dépo­sé sur la terre, comme on répand les cendres encore chaudes d’un défunt…

Voir les 75 pho­tos de cette der­nière jour­née sur Fli­ckr.

Bend your knees

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Du por­phyre des mon­tagnes de fumée, de Saint Poly­eucte et de l’his­toire secrète de Pro­cope de Césarée

Du por­phyre des mon­tagnes de fumée, de Saint Poly­eucte et de l’his­toire secrète de Pro­cope de Césarée

A peine refer­mé le livre de Ste­phen Green­blatt, Quat­tro­cen­to, j’ai déjà le nez dans autre chose. Fas­ci­né par l’his­toire de Pog­gio Brac­cio­li­ni qui a redé­cou­vert le manus­crit de Lucrèce, ce n’est pas pour autant que l’en­vie se fait res­sen­tir de lire le long poème épi­cu­rien du poète romain. Bien au contraire. Il faut se contraindre à ne pas se lais­ser dor­lo­ter par la faci­li­té du quo­ti­dien et ne pas arrê­ter le mou­ve­ment tant qu’il est encore pos­sible. S’ar­rê­ter c’est mou­rir. La nécrose de l’es­prit, et tout ce qui en découle ; l’ombre, les ténèbres, la mort de soi et des autres par voie de conséquences.

Sur mes éta­gères traî­nait un livre que j’a­vais ache­té uni­que­ment à cause de son titre : Dans l’ombre de Byzance. L’au­teur, un cer­tain William Dal­rymple, est un spé­cia­liste de l’Inde et du Pakis­tan, de l’his­toire colo­niale bri­tan­nique et fin connais­seur de l’his­toire des Chré­tiens d’O­rient. Évi­dem­ment, il n’en fal­lait pas plus pour je me plonge dans cette lec­ture, mais comme tout bon livre, il faut par­fois le lais­ser matu­rer sur son éta­gère, pour qu’il se boni­fie, qu’il prenne la pous­sière et un peu d’âge, et en même temps un peu d’âme. Inévi­ta­ble­ment, je fais des allers et retours entre les pages du livre, mon grand car­net rouge (Leucht­turm 1917 avec pages numé­ro­tées et index) et ma tablette, et je me laisse empor­ter dans une lecture/apprentissage qui peut durer des heures. Réveillé bien avant que mon réveil-matin ne m’ex­tirpe du som­meil, je suis déjà en boule sur mon cana­pé, lové entre les cous­sins et les plaids, assis en tailleur et le nez entre les pages et l’é­cran. Inter­net est peut-être un ins­tru­ment de mal­heur pour cer­tains et un immense fourre-tout nau­séa­bond en règle géné­rale, mais pour moi, depuis que j’y ai fait mes pre­miers pas en 1996, je n’ai ces­sé d’y trou­ver une source d’ins­pi­ra­tion et de connais­sances dans laquelle il faut savoir navi­guer pour ne pas se perdre et sur­tout, un puits sans fond dans l’i­ma­gi­naire de l’his­toire mondiale.
Le soleil s’est levé à l’ins­tant même où je me suis mis debout et que j’ai éti­ré mon corps un feu four­bu. Je suis res­té quelques ins­tants là à admi­rer l’astre bien­veillant sor­tir de son trou et me rem­plir de bon­heur… Pen­dant quelques minutes, je suis res­té ébloui par cette lumière aveu­glante, inca­pable de me diri­ger dans la mai­son, mais tel­le­ment heu­reux. Ça ne tient fina­le­ment pas à grand-chose.

Giovanni Battista Piranesi - Les antiquités romaines - Tome 3 planche XIX - Grande urne de porphyre avec son couvercle touvé dans le mausolée de Sainte Hélène et actuellement dans le cloître de Saint Jean de Latran

Gio­van­ni Bat­tis­ta Pira­ne­si — Les anti­qui­tés romaines — Tome 3 planche XIX — Grande urne de por­phyre avec son cou­vercle trou­vé dans le mau­so­lée de Sainte Hélène et autre­fois conser­vé dans le cloître de Saint Jean de Latran à Rome, ayant vrai­sem­bla­ble­ment conte­nu les restes de l’im­pé­ra­trice Constance

Et je trouve encore le moyen de décou­vrir de nou­velles choses sur Istan­bul, la ville-monde. Côté sombre et côté lumière. Cer­taines des pierres de Sainte-Sophie (Ἁγία Σοφία) pro­vien­draient des côtes atlan­tiques fran­çaises, d’autres du Mont Por­phyre (pas celui du Cana­da). J’ai un peu de mal à en retrou­ver trace dans les sillons du net, mais il sem­ble­rait qu’il soit là ques­tion du Gebel Dokhan ( جبل الدخان, mon­tagnes de fumée), un lieu iso­lé, unique au monde, dans lequel on trouve cette pierre rouge inimi­table et d’une qua­li­té exem­plaire telle qu’on l’ap­pelle Por­phyre Impé­rial. Le Gebel Dokhan est situé à quelques 140 kilo­mètres du Nil, en plein cœur du désert de l’Égypte orien­tale, à 1600 mètres au-des­sus du niveau de la mer. J’ap­prends éga­le­ment qu’en 2003, une expo­si­tion tem­po­raire dans les salles de Louvre met­tait le por­phyre à l’hon­neur. Le por­phyre est une pierre si noble qu’elle mérite qu’on s’y arrête quelques ins­tants et qu’on en lise l’en­trée dans le livre de Charles-Joseph Pan­ckoucke ; Ency­clo­pé­die métho­dique : Anti­qui­tés, Mytho­lo­gie, Diplo­ma­tique des Chartres et Chro­no­lo­gie. Et il ne faut pas oublier que le mot lui-même est issu du grec πορφύρα qui désigne la cou­leur pourpre, par essence cou­leur impériale.

Saint Polyeucte rescussité

Saint Poly­eucte ressuscité

On dit aus­si que Jus­ti­nien fit construire Sainte Sophie pour concur­ren­cer une des plus belles églises de Constan­ti­nople : Saint Poly­eucte (Poly­euk­tos). Il ne reste aujourd’­hui rien d’autre de cette église que des cha­pi­teaux épar­pillés dans un jar­din public et quelques arches dépas­sant du sol ser­vant de latrines publiques. On parle d’un bâti­ment car­ré de près de cin­quante mètres de côté et cer­tai­ne­ment d’un toit char­pen­té plu­tôt que d’une cou­pole et de cinq nefs en tout. Les fon­da­tions de cette splen­deur pas­sée ont été redé­cou­vert en 1964 au gré de fouilles archéo­lo­giques hasar­deuses (pho­tos de l’ex­ca­va­tion, article en turc) et on sait de sources sur­es que cer­tains de ses pilastres ont été rem­ployés dans la façade du por­tail sud de Saint-Marc de Venise. Ils sont connus sous le nom de Pilas­tri Acri­ta­ni (Pilastres d’Acre) qui viennent en réa­li­té de Constan­ti­nople, suite au sac de la ville par les Croi­sés en 1204. Aujourd’­hui, les quelques restes sont en train de retour­ner dou­ce­ment à la terre dans l’in­dif­fé­rence géné­rale qui tra­duit bien l’es­prit dans lequel le gou­ver­ne­ment actuel se trouve en matière d’ac­tion culturelle.

Basilique Saint Marc de Venise - Pilastri Acritani

D’autres infor­ma­tions sur Les églises et monas­tères de Constan­ti­nople byzan­tine sur la revue Per­sée, dans la revue des études byzan­tines (1951).

Mosaïque de San Vitale de Ravenne - Portrait de l'impératrice Théodora

Mosaïque de San Vitale de Ravenne — Por­trait de l’im­pé­ra­trice Théodora

 

Et puis j’ai trou­vé quelques petites choses crous­tillantes, concer­nant notam­ment un cer­tain Pro­cope de Césa­rée (Προκόπιος ό Καισαρεύς) qui pas­sa sa vie à décrire le règne de Jus­ti­nien avec force détails et dans un style tenant plus de la pro­pa­gande que du compte-ren­du objec­tif tout au long de huit épais volumes (Les guerres de Jus­ti­nien, les Édi­fices), et qui sur la fin de sa vie se com­pro­mit com­plè­te­ment dans un ouvrage qui ne fut publié pour la pre­mière fois qu’en 1623 à Lyon et qui fut exhu­mé aupa­ra­vant, allez savoir pour­quoi, des éta­gères pous­sié­reuses de la Biblio­thèque Vati­cane. On sup­pose que l’His­toire secrète devait cir­cu­ler sous le man­teau à l’é­poque de Pro­cope, qui, après avoir pas­sé son temps à ser­vir une soupe tiède pour la pos­té­ri­té, semble se lâcher com­plè­te­ment, dans un gigan­tesque cra­quage fri­sant la por­no­gra­phie d’État, où il dénonce sans états d’âme les tra­vers plus que licen­cieux de l’im­pé­ra­trice d’a­lors, l’in­tri­gante Théo­do­ra.

Voi­ci un extrait per­met­tant de don­ner un peu le ton du reste du texte :

Nulle ne fut jamais plus avide qu’elle de toute espèce de jouis­sances. Sou­vent, en effet, elle assis­tait à ces ban­quets où cha­cun paye sa part, avec dix jeunes gens et plus, vigou­reux et habi­tués à la débauche; après qu’elle avait cou­ché la nuit entière avec tous, et qu’ils s’é­taient reti­rés satis­faits, elle allait trou­ver leurs domes­tiques, au nombre de trente ou envi­ron, et se livrait à cha­cun d’eux, sans éprou­ver aucun dégoût d’une telle pros­ti­tu­tion. Il lui arri­va d’être appe­lée dans la mai­son de quel­qu’un des grands. Après boire, les convives l’exa­mi­naient à l’en­vi; elle mon­ta, dit-on, sur le bord du lit, et; sans aucun scru­pule, elle ne rou­git pas de leur mon­trer toute sa lubri­ci­té. Après avoir tra­vaillé des trois ouver­tures créées par la Nature, elle lui repro­cha de n’en avoir pas pla­cé une autre au sein, afin qu’on pût y trou­ver une nou­velle source de plaisir.

Elle devint fré­quem­ment enceinte, mais aus­si­tôt elle employait presque tous les pro­cé­dés, et par­ve­nait aus­si­tôt à se déli­vrer. Sou­vent en plein théâtre, quand tout un peuple était pré­sent, elle se dépouillait de ses vête­ments et s’a­van­çait nue au milieu de la scène, n’ayant qu’une cein­ture autour de ses reins, non qu’elle rou­gît de mon­trer le reste au public, mais parce que les règle­ments ne per­met­taient pas d’al­ler au delà. Quand elle était dans cette atti­tude, elle se cou­chait sur le sol et se ren­ver­sait en arrière; des gar­çons de théâtre, aux­quels la com­mis­sion en était don­née, jetaient des grains d’orge par-des­sus sa cein­ture; et des oies, dres­sées à ce sujet, venaient les prendre un à un dans cet endroit pour les mettre dans leur bec; celle-ci ne se rele­vait pas, en rou­gis­sant de sa posi­tion; elle s’y com­plai­sait au contraire, et sem­blait s’en applau­dir comme d’un amu­se­ment ordinaire.
Non seule­ment, en effet, elle était sans pudeur, mais elle vou­lait la faire dis­pa­raître chez les autres. Sou­vent elle se met­tait nue au milieu des mimes, se pen­chait en avant, et reje­tant en arrière les hanches, elle pré­ten­dait ensei­gner à ceux qui la connais­saient inti­me­ment, comme à ceux qui n’a­vaient pas encore eu ses faveurs, le jeu de la palestre qui lui était familier.

Elle abu­sa de son corps d’une manière si déré­glée, que les traces de ses excès se mon­trèrent d’une manière inusi­tée chez les femmes, et qu’elle en por­ta la marque même sur sa figure.

A pro­pos d’his­toire, je me replonge dans cette ambiance que j’aime tant lorsque je songe secrè­te­ment à Istan­bul, une ville qui trans­pire une his­toire longue et com­plexe mais dont on ne peut sous­traire toutes les his­toires qui la com­posent. Le monde est ain­si fait que rien ne peut res­ter figé ; l’his­toire est un dérou­le­ment si l’on en croit Hegel, une cycli­ci­té si l’on en croit les reli­gions asia­tiques, mais peu importe, ce que cela dit c’est que la per­ma­nence est une illu­sion de l’es­prit. Le des­tin des Hommes est de tout perdre. L’His­toire est émaillée de ren­ver­se­ments, d’hu­mi­lia­tions, de sacri­lèges, de des­ti­tu­tions, de bou­le­ver­se­ments dou­lou­reux et ce que l’on croit sta­bi­li­sé, apai­sé, n’est en fait que le signe des révo­lu­tions à venir. Il faut s’en convaincre sous peine de tom­ber de haut… Le pré­sent n’est en réa­li­té ni plus ni moins que l’en­tre­lacs de plu­sieurs his­toires pas­sées ou pré­sentes, mais n’a rien d’une imma­nence par­fai­te­ment cir­cons­crite. Pre­nons par exemple l’his­toire de la Tur­quie et plus par­ti­cu­liè­re­ment de la ville d’Is­tan­bul. Elles se com­pose de quatre élé­ments qui font son présent :

  1. Elle est for­te­ment empreinte de son his­toire ancienne qui court sur plu­sieurs siècles. Ses ori­gines grecques, puis chré­tiennes et enfin otto­manes sont autant de jalons qui ont été des chan­ge­ments brusques, donc néces­sai­re­ment impac­tants. Si l’on regarde la manière dont le sul­tan en 1453 lors de la prise de la ville prit soin de conser­ver les struc­tures reli­gieuses exis­tantes et d’ac­cor­der aux popu­la­tions non musul­manes une place res­pec­table dans la nou­velle socié­té, on s’in­ter­roge néces­sai­re­ment sur la poli­tique d’Er­doğan aujourd’hui.
  2. L’his­toire récente est éga­le­ment un fac­teur impor­tant pour com­prendre une ville comme celle-ci. Après l’empreinte lais­sée par Atatürk sur le pays qui, inexo­ra­ble­ment s’est tour­né brus­que­ment vers l’Oc­ci­dent alors que ses racines se trou­vaient en Asie cen­trale, on a l’im­pres­sion que le pays est scin­dé en deux entre les kéma­listes pur jus et une popu­la­tion rurale qui pro­gresse depuis l’A­na­to­lie jusque sur les rives occi­den­tales du Bos­phore et qui fait dire au pho­to­graphe Ara Güler qu’Is­tan­bul, aujourd’­hui, « c’est de la merde ».
  3. L’his­toire poli­tique traine ses cas­se­roles. Le kéma­lisme et les dépla­ce­ments de popu­la­tions turques depuis la Grèce et de Grecs hors de la Tur­quie ont géné­ré un ter­rible sen­ti­ment d’hu­mi­lia­tion et une frac­ture impos­sible à soi­gner entre des popu­la­tions qui avaient l’ha­bi­tude de vivre ensemble. L’is­la­mi­sa­tion radi­cale de la socié­té, l’aug­men­ta­tion des popu­la­tions ana­to­liennes au détri­ment des popu­la­tions tur­co-mon­goles, les coups d’é­tat et la dis­so­lu­tion en 1983 du Refah, un par­ti isla­miste et pro­fon­dé­ment into­lé­rant, et qui a don­né nais­sance à l’AKP d’au­jourd’­hui dont Erdoğan est le plus féroce défen­seur… tout ceci est le ter­reau d’une « archéo­lo­gie du res­sen­ti­ment » qui en train de miner tout dou­ce­ment le pays. Je ne suis guère opti­miste quant à l’a­ve­nir de la Turquie.
  4. Et puis la qua­trième com­po­sante du pré­sent, c’est la « quo­ti­dien­ne­té hos­pi­ta­lière incon­di­tion­née », ce qui motive les gens à se mon­trer hos­pi­ta­lier avec les étran­gers, avec ceux qui ne sont pas d’i­ci et envers qui on se doit d’être bien­veillant. Aujourd’­hui encore, mais peut-être plus pour long­temps, Istan­bul est une ville hos­pi­ta­lière, car c’est une ville de pas­sage, une ville neutre et car­re­four, une ville dont les habi­tants sont fiers et qu’ils repré­sentent encore fiè­re­ment comme étant un phare pour les peuples. C’est mal­heu­reu­se­ment ce qui fera la fin de son histoire.
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De l’in­con­vé­nient de ne pas lire les notes en fin d’ouvrage…

De l’in­con­vé­nient de ne pas lire les notes en fin d’ouvrage…

C’est un autre uni­vers, en marge de l’é­cri­ture de l’au­teur, une case à part, une malle un peu fourre-tout par­fois déce­vante lorsque l’on y trouve que des réfé­rences tech­niques qui ne font que nous bar­ber ou nous endor­mir au mieux, qui ne sont bonnes que pour celui qui, plus avant, sou­haite faire des recherches appro­fon­dies et qui sont autant d’obs­tacles à la lec­ture « plai­sir ». Pour­tant, par­fois, je me lance dans la lec­ture des notes avant de com­men­cer le livre et je dois avouer que c’est un monde d’une richesse incroyable. Rien n’y est ordon­né et on navigue sou­vent entre des notions qu’on ne maî­trise abso­lu­ment pas tant qu’on n’a pas lu le texte à pro­pre­ment par­ler. Ce que j’aime sur­tout dans ces notes, c’est l’ab­sence totale de for­ma­lisme, la pos­si­bi­li­té que se laisse l’au­teur de ne plus rien construire et de livrer un texte brut, rem­pli d’abréviations et de sigles. En revanche, force est de consta­ter que si les notes consti­tuent un uni­vers conden­sé, le texte, lui, est sou­vent beau­coup plus délayé.
Edgar Allan Poe écri­vait dans les marges de ses livres, recueillant ain­si la sub­stance de ses lec­tures ; ces Mar­gi­na­lia ont été publiées il y a quelques années aux édi­tions Allia. Des frag­ments qui sont comme la pen­sée brute de l’au­teur, sa face cachée et plus sombre encore. Enrique Vila-Matas quant à lui, a écrit un livre il y a quelques années, Bart­le­by & cie, un livre uni­que­ment com­po­sé de notes de bas de pages, une ency­clo­pé­die dont il ne res­te­rait que la moelle, dépouillée de son texte, de l’i­nu­tile et de l’in­cer­tain, pari pas­ca­lien et lit­té­raire. Livre des agra­phiques et des écri­vains du non, cette petite pépite fait office d’ob­jet lit­té­raire non identifié.
Quant à moi, je conti­nue à lire cer­tains livres par la fin, en éplu­chant les notes avant de lire le texte, et je m’en satis­fais très bien.

Dans ce livre que je viens de com­men­cer, Quat­tro­cen­to de Ste­phen Green­blatt, dans lequel il est ques­tion d’un cer­tain Pog­gio Brac­cio­li­ni, un huma­niste flo­ren­tin dont le nom fran­ci­sé est Le Pogge sur­tout connu pour avoir déter­ré des éta­gères pous­sié­reuses d’un monas­tère per­du un des plus beaux textes de l’An­ti­qui­té romaine : De rerum natu­ra, le très beau poème de Lucrèce. Voi­ci ce qu’on trouve dès la qua­trième note du pre­mier chapitre :

De la nature, V, v. 737–740, op. cit., p. 355. Le « mes­sa­ger ailé » de Vénus est Cupi­don, que Bot­ti­cel­li repré­sente les yeux ban­dés, et poin­tant sa flèche ailée ; Flore, la déesse romaine des fleurs, sème des pétales ras­sem­blés dans les plis de sa robe exquise ; et Zéphyr, le dieu du vent d’ouest fer­tile, étreint la nymphe Chlo­ris. Concer­nant l’in­fluence de Lucrèce sur Bot­ti­cel­li, par l’in­ter­mé­diaire de l’hu­ma­niste Poli­zia­no, voir Charles Demp­sey… etc.

Alors on peut tou­jours faire l’é­co­no­mie des notes de bas de page ou des notes de fin d’ou­vrage ; le texte n’en demeure pas moins com­pré­hen­sible. Sim­ple­ment, on évite le détail, la spé­ci­fi­ca­tion. Pire, on pour­rait pas­ser à côté d’une infor­ma­tion importante.
Je me dis qu’en lisant ces notes j’ai appris qu’un homme du XVè siècle, secré­taire d’un anti­pape, un réprou­vé à qui les Médi­cis ont fait l’hon­neur de com­man­der un superbe mau­so­lée qu’on peut voir aujourd’­hui dans le bap­tis­tère Saint-Jean de Flo­rence, l’an­ti­pape Jean XXIII (je ne savais même pas ce qu’é­tait un anti­pape…), j’ai appris donc que cet homme bat­tait la cam­pagne, bra­vant le mau­vais temps et les détrous­seurs de grands che­min pour retrou­ver les objets de l’An­ti­qui­té qui pour­ris­saient sur les éta­gères des monas­tères les plus recu­lés et que sans la décou­verte du poème de Lucrèce, Bot­ti­cel­li n’au­rait peut-être jamais peint Le prin­temps, un des plus beaux tableaux et des plus connus de la Renaissance.
Fina­le­ment, la curio­si­té ne tient pas à grand-chose…

Le printemps - Sandro Botticelli

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Splen­deurs des Han, essor de l’empire céleste, au Musée Guimet

Splen­deurs des Han, essor de l’empire céleste, au Musée Guimet

Vingt siècles nous séparent de la dynas­tie de Han, dont l’empereur Qin Shi Huang (秦始皇) reste le per­son­nage le plus emblé­ma­tique de cette période par son esprit vision­naire et son esprit uni­fi­ca­teur. Cette expo­si­tion qui se ter­mine le 1er mars 2015 au Musée Gui­met montre une grande varié­té d’ob­jets rituels funé­raires d’une grande finesse. La pièce maî­tresse de l’ex­po­si­tion reste ce superbe lin­ceul de jade de la tombe du roi de Chu dont j’a­vais déjà par­lé ici et qui est venu jus­qu’à Paris. Sta­tuettes de terre ou de bronze, brûle par­fum Boshan­lu, vases Hu, sta­tuettes gra­cieuses de dan­seuses… tout un monde hié­ra­tique et mys­té­rieux qui dit com­bien la socié­té tra­di­tion­nelle des Han était éla­bo­rée au tra­vers de ses tra­di­tions funéraires.
Se lais­ser sim­ple­ment ber­cer par des images comme si elles venaient d’un autre monde et le voyage com­mence déjà.

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