Café du matin #12

Café du matin #12

Café du matin

#12

Le café a un goût amer. Je n’ai jamais vrai­ment aimé les pre­miers jours de l’an­née, et encore moins les pre­miers jours de reprise du tra­vail, et cer­tai­ne­ment encore moins le jour de la ren­trée, une fois que les fêtes sont pas­sées, que la lumière s’est éteinte et qu’on retrouve les éclai­rages crus et imper­son­nels des chambres d’hô­pi­tal que sont nos bureaux, quand on n’en prend pas réel­le­ment soin.

Le goût du café est amer. Il a le goût de la soli­tude des pre­miers jours de jan­vier, le goût déjà per­du des jours pas­sés au chaud, dans la ten­dresse et la cha­leur des jours d’un inté­rieur cha­leu­reux, il sent le vent trop fort, la pluie qui tombe par sacs entiers et le ciel plom­bé de masses vapo­reuses qui ne laissent pas un seul ins­tant pré­su­mer de ce qui peut se pas­ser derrière.

Il a un goût amer ce matin, sans que je sache vrai­ment trop pour­quoi, mais je n’aime ni ce café, ni ce matin, ni cette jour­née, ni rien de ce qui se passe jus­qu’au cou­cher du soleil. C’est un jour sombre et mau­dit, un jour que la nuit n’ar­ri­ve­ra peut-être pas à effa­cer. Un jour à effa­cer de ma mémoire qui déjà est beau­coup trop sélective.

Une pre­mière jour­née à vous dégoû­ter du café. Ce matin, le soleil a poin­té le bout de son nez, mais il laisse mon cœur froid.

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Café stam­bou­liote #11

Café stam­bou­liote #11

Café du matin

#11

Café stam­bou­liote

Istan­bul est une ville qui confine à la mélan­co­lie, le fameux hüzün dont parle Orhan Pamuk.

Dans la mys­tique sou­fie, le hüzün trouve son ori­gine dans un sen­ti­ment de manque dû à notre trop grand éloi­gne­ment de Dieu. On retrouve quelque chose de proche du hüzün dans la culture japo­naise, asso­cié à la noblesse de l’échec. Mon­taigne fait état d’une expé­rience simi­laire, avec ce sen­ti­ment de mélan­co­lie face aux ruines antiques. L’architecture d’Istanbul, ses palais en ruine, son atmo­sphère en noir et blanc, tout cela contri­bue au hüzün que l’on res­sent inévi­ta­ble­ment lorsqu’on y habite ou sim­ple­ment lorsqu’on s’y promène.

Cette mélan­co­lie, on ne la res­sent pas for­cé­ment tout de suite, il faut attendre un peu. Par­fois même, elle sur­vient lors­qu’on quitte la ville, ou alors lors­qu’on y revient et qu’on se dit que tel­le­ment de choses ont chan­gé et que le fait de ne pas retrou­ver les mêmes choses au même endroit est le triste constat de l’im­per­ma­nence du temps. Si je retourne à Istan­bul dans dix ans, je ferai cer­tai­ne­ment le constat que lors de mon der­nier séjour ; il me reste à espé­rer que je n’at­ten­drai pas aus­si long­temps pour revoir le Désir du Monde.

Istan­bul est triste comme une femme qui se réveille et qui dit qu’elle n’est pas belle, avec ses che­veux en bataille, ses yeux encore fer­més et le teint un peu terne, dépa­naillée dans son pyja­ma frois­sé, mais ce n’est qu’un ques­tion de point de vue. Tout est dans le regard de celui qui l’aime.

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Der­nier café avant le pro­chain #10

Der­nier café avant le pro­chain #10

Café du matin

#10

Der­nier café avant le prochain

C’est mar­rant, les absents, ceux qui par lâche­té ne viennent pas. J’es­saie d’en ana­ly­ser la rai­son. A part la lâche­té, je ne vois pas. La peur de ne pas assu­mer, peut-être ? Oui eh bien on en revient au même, c’est de la lâcheté.

Et puis il y a ceux qui font sem­blant, des lâches aus­si, un sou­rire ému au coin des lèvres, mais qui ne trompe per­sonne et qui te disent bon ben bonne route, bon cou­rage, plein de bonnes choses pour la suite, hein, avec un air empreint de malaise qui tra­duit plus que le malaise, peut-être un petit sen­ti­ment de vic­toire, un truc pas abou­ti dont ils ne savent pas eux-mêmes à quoi ça cor­res­pond, ça fait tout bizarre, ben ouais, c’est ça. Prends moi pour un couillon.

Et puis il y a ceux qui te demandent, qui te sup­plient presque, de pas­ser les revoir des temps en temps, d’al­ler boire un coup ensemble, alors qu’ils savent que ça n’ar­ri­ve­ra pas.

Et puis il y a encore ceux qui sont réel­le­ment affec­tés mais ne le montrent pas, qui t’ai­maient bien, parce que toi, le couillon, t’é­tais un mec gen­til, tou­jours de bonne humeur, tou­jours prêt à rendre ser­vice du moment que ça ne te fai­sait pas perdre trop de temps, qui n’hé­si­taient pas à faire des heures supp’ même pas payées, parce que tu ne deman­dais rien, parce que tu es juste un mec gen­til qui ne demande rien à per­sonne, qui fait juste son bou­lot du mieux qu’il peut, qui essaie d’être un peu créa­tif sans trop déran­ger l’ordre éta­bli, parce que ça, quand ça bous­cule trop, on te le fait remarquer.

Bref.

C’est fini, tu as ras­sem­blé toutes tes affaires dans deux ou trois sacs, tes sty­los, tes vieux cahiers de notes, deux ou trois bibe­lots qui te suivent sur tous les bureaux que tu as occu­pé, tu as plié les gaules, ton petit ordi­na­teur avec le char­geur posé sur le bureau à côté du télé­phone por­table que tu n’as jamais uti­li­sé, tu as déjà ren­du les clefs, il ne te reste plus qu’à par­tir. Tu as atten­du que tout le monde parte ce ven­dre­di soir, veille de week-end. Il n’y a plus per­sonne, sauf une per­sonne, celle que tu n’as pas envie de voir et qui te bre­douille des adieux par­fai­te­ment hypocrites.

Et puis c’est plus fort que toi, les larmes montent, et tu te dis, non pas main­te­nant, ça ne sert à rien et tu as beau te dire ça, ça monte dans la gorge, ça arrive aux yeux qui se brouillent et il n’y a rien à faire, ça sort tout seul, et toi tu restes assis là sur ton fau­teuil à regar­der le cou­loir vide, lumière éteinte, et il ne se passe rien, il ne se pas­se­ra plus rien, c’est fini. On aban­donne. Schlussk­lappe. On remballe.

Mais bon. Une nou­velle his­toire s’ouvre et celle-ci se ferme. Il ne peut y avoir deux his­toires enche­vê­trées, deux réa­li­tés pré­sentes ne peuvent se pro­duire en même temps. Ce sont des choses qui n’ar­rivent pas.

Der­nière cap­sule de café, je lave­rai ma tasse à la mai­son. Il n’y a plus rien sur mon bureau blanc. A part l’his­toire que j’ai bien vou­lu y écrire et qui res­te­ra peut-être quelques temps gra­vée à sa surface.

Der­nier café. Avant le prochain.

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Café thaï #9

Café thaï #9

Café du matin

#9

Café thaï

De là où je suis, j’en­tends l’an­gé­lus élec­trique entre mes oreilles.

La cha­leur de cette douce soi­rée au bord de la Chao Phraya me donne des fris­sons de fièvre. Un Mai Tai à la main, une ciga­rette coin­cée entre les doigts, j’é­coute les vedettes rapides décou­per l’onde tour­men­tée du fleuve magis­tral, empor­tant avec eux les jacinthes d’eau qui en recouvrent la sur­face. La mous­son et la cha­leur de l’eau les font croître à une vitesse tota­le­ment absurde. J’ai déjà bu trois verre depuis que j’ai fini de dîner sur cette ter­rasse, gam­bas flam­bées au cognac, poulpe mari­né, cur­ry de cre­vettes, tom gha kai…

Il flotte dans l’air des effluves de bois détrem­pé par les pluies tro­pi­cales, le par­quet de Jim Thomp­son, la mousse qui s’in­cruste dans les replis des sta­tues de lave…

Je ne te connais pas encore, j’en ai l’im­pres­sion. Tu n’é­tais encore qu’un rêve que je n’o­sais même pas rêver. Chat­win se posait la ques­tion : qu’est-ce que je fais là ?

Je n’ai tou­jours pas la réponse.

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Café bleu et blanc #8

Café bleu et blanc #8

Café du matin

#8

Café bleu et blanc

Ambiance élec­trique, fié­vreuse, sous un ciel char­gé d’hu­mi­di­té froide qui n’ar­rête pas de se déver­ser en fines couches, les yeux grands ouverts, l’o­deur gla­cée de la pluie sur le bitume d’une ville frai­che­ment sor­tie de terre, là où avant ne se trou­vaient que des entre­pôts d’u­sines mortes depuis une bonne décennie.

Il pleut, il fait froid, le Nebras­ka ne te lais­se­ra jamais ren­trer chez toi. J’ai la tête en feu, le cœur au chaud.

Grillades de pois­sons médi­ter­ra­néens, rou­gets, sar­dines, poulpe, espa­don, le liban qui me rap­pelle la Tur­quie, شُرْبَة et tagine, le tout enve­lop­pé par le chant d’un joueur de oud qui frappe dans ses mains. Lumières bleu­tées, pein­ture blanche aveu­glante, comme un air d’île per­due dans la mer.

Je t’ai pro­mis une chambre d’hô­tel avec vue sur la mer à Sidi Bou Saïd…

Le soleil est cou­ché depuis quelques heures, j’ai man­gé quelques dattes four­rées au beurre, sau­pou­drées d’a­mandes et de pis­taches. Le rire, les sou­rires, les pho­tos pour immor­ta­li­ser ce moment… je suis là avec toi et je suis déjà par­ti dans cette vie étrange qui est la mienne, qui ne sait pas où elle va, faite de miau­le­ments de chats et de livres qui s’en­tassent à côté de mon lit, qui oscille, qui tangue à chaque minute. Il ne tient qu’à moi de la faire bas­cu­ler du bon côté…

Tes longs doigts, une main douce, glisse sous la table et me caresse la cuisse, loin d’être innocente.

Pro­mis, je ne dirai rien à personne…

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