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Café du matin

#13

Saint-Denis Basi­lique

Saint-Denis. Un air de revenez‑y. Je n’ai pas mis les pieds ici depuis une éter­ni­té, cer­tai­ne­ment depuis que je fai­sais mes études à l’u­ni­ver­si­té. J’a­vais oublié à quel point la sta­tion de métro Basi­lique était étri­quée et le quai peu large. L’embouteillage pour sor­tir, tout le monde se diri­geant vers l’es­ca­la­tor qui a du mal à absor­ber le flux. Un avant-goût de ce joyeux bor­del qui m’at­tend dehors. A peine sor­ti de la sta­tion du métro, je suis assailli par une dizaine de ven­deurs de ciga­rettes de contre­fa­çon qui tentent d’é­clu­ser leur car­gai­son en toute impunité…

Le bâti­ment où je dois me rendre se trouve juste en face, je n’ai même pas besoin de cher­cher trop long­temps. Je viens ici pour qu’on me sauve la vie. J’ai besoin que quelqu’un me gifle le visage, me tire du marasme dans lequel je suis et qui va finir par me faire cre­ver si je ne fais rien.

Lorsque je sonne et que je m’annonce, une voix que j’estime être assez jeune me dit “Oui Mon­sieur, mon­tez, je vous attends !!”. En sor­tant de l’ascenseur, j’arrive dans une longue cour­sive éclai­rée par la lumière froide des néons et je ne sais même pas où je vais. Une porte s’ouvre, un homme en sort et je suis comme hap­pé à l’intérieur de l’appartement, une main attrape la mienne et je la serre sans même prendre le temps de regar­der le visage de la per­sonne qu’il y a au bout de cette main.

Un chien dort dans un panier der­rière la femme, il ronfle. Moi aus­si je veux être un chien qui dort dans un panier der­rière une femme qui écoute les gens par­ler der­rière son bureau, et moi aus­si je veux ron­fler sans que per­sonne ne s’adresse à moi. En fait, je ne veux plus qu’on m’emmerde, je veux être tran­quille, qu’on ne m’adresse plus la parole, et ron­fler dans un panier. A la rigueur que de temps en temps on me grat­touille der­rière l’oreille, mais pas plus que ça.

Je suis venu ici pour qu’on me sauve la vie, qu’on me dise quoi faire. Alors je raconte mon his­toire mais la femme n’écoute pas tout, elle me ramène sans arrêt à la réa­li­té alors que moi je suis en train de me perdre dans des cir­con­vo­lu­tions absurdes, qui ne font pas sens pour elle. Elle a rai­son, je ne dois pas m’encombrer de pen­ser aux détails, au res­sen­ti, à une opi­nion qui ne peut être que biai­sée par l’état de san­té men­tale dans lequel je me trouve.

J’ai peut-être failli mou­rir il y a quelques semaines, j’ai été au plus mal, au fond du trou. A pré­sent, il faut que je remonte. Lorsqu’on est au fond du trou, on ne peut sor­tir que par le haut. Ou res­ter au fond. Je joue ma vie sur ce rendez-vous.

Je ne reste pas plus de quinze minutes dans le bureau, j’ai l’impression que ça n’a duré que le temps d’un éclair, mais tout était sous mes yeux, et je n’ai même pas payé quoi que ce soit. Il ne fal­lait qu’une seule chose, c’est qu’on m’ouvre les yeux, qu’on me dise quoi faire, parce que seul, j’en étais tout sim­ple­ment incapable.

Lorsque je sors du bâti­ment, je me dirige presque méca­ni­que­ment vers la librai­rie qui se trouve en face. Je la connais cette librai­rie, j’y suis déjà allé il y a quelques années. Avec Manu. Sur un des pré­sen­toirs, je tombe sur une édi­tion récente des Mytho­lo­gies de Barthes. Il était là, sous mes yeux, alors que je ne retrou­vais plus mon exem­plaire depuis des années. Et il est là, juste là. La fin d’une parabole.

Je finis par retrou­ver le che­min de la mai­son en m’étant per­du volon­tai­re­ment dans la ville, sous un ciel char­gé de gri­saille, par­mi une foule dense, avec quelques euros en poche, les seuls qui me res­tent pour finir le mois. Juste de quoi prendre un ticket pour prendre le train. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais ce qui est cer­tain, c’est qu’il y a des choses qui vont changer.

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