Avant-dernier volet avant de conclure avec le sujet ; voici un retour en arrière avec le père du précédent. Second siège de Constantinople, 717–718. Les Sarrazins du calife omeyyade tentent de prendre d’assaut la ville, protégée par la muraille de Théodose sur la terre et par la chaîne de Galata interdisant l’entrée dans la Corne d’Or. L’hiver 717 est considéré comme un des pires dans l’histoire des sièges pour les assaillants. Pataugeant dans la boue froide et la neige, les Sarrazins affamés furent obligés de dévorer leurs chevaux pour survivre, jusqu’au déroulement des combats.
La bataille fait rage et sous les coups de boutoir de l’armée des Sarrazins, les Chrétiens sortent les grands moyens : une icône… Selon la légende, c’est en partie le point de départ de la guerre déclarée aux images dans l’empire byzantin…
A chaque instant il fallait s’attendre à une ruée générale sur les premiers murs de défense que, plusieurs fois submergés sous le nombre, nous finîmes par leur abandonner. Il fallait dès lors veiller à tenir leurs béliers loin des portes et surtout empêcher leurs machines de siège d’être hissées sur le glacis. En l’un des points de la muraille, insuffisamment fortifiée et sur lequel les Arabes semblaient vouloir concentrer leurs coups, la population du quartier voisin vint en procession faire don d’un portrait du Christ trônant. Les fidèles étaient persuadés que cela seul suffirait à déjouer les entreprises des Sarrazins et rendrait la porte invulnérable. Et chacun de citer des cas où les assaillants avaient été repoussés ou jetés au sol comme sous l’effet d’une puissance invincible. A peine eut-on le temps de disposer l’icône, bien en évidence à l’emplacement convenu, qu’une pluie de traits s’abattit sur le rempart. Cela n’avait fait au contraire qu’exciter la fureur des Musulmans ; et des quartiers de roche, propulsés par la détente brève et sèche des catapultes, vinrent mordre la surface lisse de la pierre qui grinçait affreusement sous le choc, se fendait en deux au point d’impact, étoilant sa surface en une multitude d’éclats tranchants. Aucun n’atteignait son but. Mais les secousses brutales, imprimées toujours au même endroit de la muraille, et qui la faisait vaciller, eurent pour résultat que l’icône se décrocha et, à la stupeur générale, tomba au pied du mur d’enceinte. De plus la maçonnerie ayant été ébréchée, la terre et les pierres qui y avaient été bourrées à la hâte se répandirent au-dehors, comme d’une outre crevée. Cette accumulation de débris formait pour l’assaillant une rampe d’accès par où il lui devenait plus facile de s’élancer. Et au lieu de réparer au plus vite, d’évacuer cette terre et de remettre le contrefort d’aplomb, la garnison n’eut plus qu’une idée : entrouvrir un instant la porte pour sortir récupérer à tout prix l’icône qui gisait en contrebas, parmi les pierres et les gravats. […] L’icône fut perdue dans la bataille, brûla peut-être quand s’effondra la tour, ne put jamais être récupérée. Voilà en tout cas à quels périls la fureur idolâtrique de certains avaient exposé la ville et jusqu’à l’existence même de l’empereur. Léon III retint la leçon et sans doute ce jour-là se jura-t-il d’y porter remède à la première occasion.
Extrait de la « Vie de Léon III », rédigée par Hilarion, historiographe à la cour, pour servir à l’édification de l’empereur Léon V l’Arménien.
Quelques temps après, la flotte pourtant robuste du calife fut littéralement broyée par l’utilisation d’une technique absolument nouvelle et parfaitement maîtrisée: le feu grégeois. La substance projetée contre les navires prenait feu instantanément et continuait de brûler sur l’eau, interdisant tout espoir de survie pour ceux qui se jetaient à l’eau pour tenter d’échapper au feu qui dévorait leur embarcation. De l’événement apparemment sans conséquence de l’icône perdue découla une averse de haine sur un Empire qui commençait déjà à se déliter.
Texte extrait de l’Iconoclaste, d’Alain Nadaud
Editions Quai Voltaire, 1989