Prendre le temps

Et gar­der la lumière

Une étude très sérieuse des minutes qui passent

Au coeur d’un hiver qui res­semble à un automne, la nuit la plus longue est déjà pas­sée par là, un peu ven­teuse, un peu plu­vieuse par inter­mit­tence ; rien de très sérieux. La lumière du soleil illu­mi­nait hier matin le pignon de la mai­son de la voi­sine en cares­sant le cré­pi. Ce matin, il n’est plus ques­tion de ça, la nature semble avoir envie de faire grise mine. Mais il n’empêche que le temps s’est arrê­té, tout est silen­cieux, non pas triste, mais au contraire lumi­neux et por­teur de joie.

Quand j’é­tais gamin, les hivers étaient sou­vent froids, la neige fai­sait son appa­ri­tion même si on ne l’at­ten­dait pas ; je me sou­viens que mon grand-père m’a­vait emme­né chez le coif­feur (je por­tais à l’é­poque une coupe indé­fi­nis­sable à laquelle je ne com­pre­nais rien et qu’il fal­lait entre­te­nir) et qu’à notre retour, il était tom­bé trente cen­ti­mètres de neige dans ces rues qui n’a­vaient pas l’ha­bi­tude d’en voir. Alors nous avons fait un bon­homme de neige énorme, les mains recou­vertes de moufles qui ne sor­taient jamais du pla­card, ce qui n’empêchait nul­le­ment les doigts de geler, rouges et humides, engour­dis sous le tis­su qui ne ser­vait qu’à pro­té­ger de la mor­sure du froid, mais pas de l’hu­mi­di­té. Les pieds en pre­naient pour leur grade, ils finis­saient géné­ra­le­ment dans une bas­sine d’eau chaude à attendre que la vie coule à nou­veau dans les veines.

C’est un temps qui est loin­tain désor­mais et qui s’é­loigne de plus en plus. Pas de tris­tesse, pas de nos­tal­gie, une nos­tal­gie qui ne ser­vi­rait qu’à dif­fu­ser l’ai­greur d’une vie qui a dis­pa­ru. Les moments de la vie changent, on perd sou­vent beau­coup mais on gagne sou­vent autant, les époques se suc­cèdent et celles qui ont dis­pa­ru sont le ter­reau des pro­chaines ; il faut alors se lais­ser por­ter, se lais­ser gui­der sans barguigner.

La lumière est là pour tra­hir l’obs­cu­ri­té de jours qui ne durent pas assez longtemps.

Le vent finit par chas­ser les nuages, lais­sant place à une coton­nade tein­tée de bleu, fra­gile et mou­vante. Un autre jour passe, une per­cée lumi­neuse dans un ciel de plomb ; les feuilles d’eu­ca­lyp­tus dégou­linent d’eau froide et se teintent d’o­range. Il est temps de prendre le temps.

Fai­sons comme si rien n’é­tait, détour­nons le regard. Voi­ci venu le temps où la cana­pé est mon meilleur ami, mon refuge. Un plaid en polaire, les jambes recro­que­villées, blot­ti sous des épais­seurs moel­leuses, sur des cous­sins empi­lés, je me laisse aller à rêver, sans même prendre le temps de lire.

Dans ce billet, il y en a pour plus de 36 heures de vidéos.

Pho­to d’en-tête © Domi­nik Dom­brows­ki sur Uns­plash.

Télé­scar­got

J’ai décou­vert il y a quelques temps une occu­pa­tion qui va par­ti­cu­liè­re­ment bien à l’hi­ver, sans pré­ten­tion et par­ti­cu­liè­re­ment en vogue en Nor­vège : la slow TV (en fran­çais, télé­scar­got). La chaîne nor­vé­gienne NRK (Norsk riks­kring­kas­ting) s’en est fait la spé­cia­liste. En 2009, elle dif­fuse le tra­jet une vidéo cap­tée à l’a­vant d’un train par­cou­rant 500 kilo­mètres en 7 heures entre Oslo et Ber­gen ; un suc­cès ter­rible puisque 1 Nor­vé­gien sur 4 a regar­dé l’é­mis­sion. Depuis, on a vu fleu­rir ce type d’ex­pé­rience un peu par­tout : un feu de che­mi­née pen­dant toute une nuit (avec rajout d’une bûche), un concours natio­nal de tri­cot pen­dant lequel on peut voir la tonte et le filage de la laine, ou encore, issu du web de la fin des années 90, les web­cam islan­daises (live from Ice­land) qui scrutent la vie tré­pi­dante d’une dou­zaine de lieux tou­ris­tiques comme aux abords du vol­can Öræ­fa­jö­kull. Pas­cal Leclerc, lui, par­court le monde à moto et capte à la sau­vette des dizaines d’heures de la vie simple qui s’é­coule, un concept qui me parle tout par­ti­cu­liè­re­ment et que j’ai déjà expé­ri­men­té notam­ment en Tur­quie et en Thaï­lande sans savoir que cela por­tait déjà un nom.

Tokyo à l’envers

La palme revient à deux jeunes Fran­çais (Simon Bouis­son et Ludo­vic Zui­li). Pen­dant neuf heures, on voit Ludo­vic mar­cher d’une étrange manière dans les rues de Tokyo, tan­dis que toutes les per­sonnes qu’il croise marchent à l’en­vers. En réa­li­té, c’est lui qui marche à l’en­vers et les cap­ta­tions sont inver­sées. Une exé­prience esthé­tique qu’il faut prendre le temps de regar­der (j’a­voue, je ne suis pas allé au bout…), à l’heure où tout va trop vite, où tout est trop expli­cite ; une manière de retrou­ver des sen­sa­tions perdues.

Pro­jet phare : Amiina

Dans cette quête du temps long, j’ai décou­vert une pure mer­veille. Amii­na est un groupe islan­dais com­po­sé de Edda Rún Ólaf­sdót­tir, Hil­dur Ársælsdót­tir, María Huld Mar­kan Sig­fus­dot­tir, et Sólrún Sumar­liðadót­tir. Oui, car en Islande, les femmes ont pour nom de famille le pré­nom de leur père et par­fois de leur mère. Ain­si, Sólrún est la fille de Sumar­liða. Il n’y a pas de lignée fami­liale en Islande, et c’est très bien comme ça…

Amii­na est un groupe de cordes, dans lequel on trouve régu­liè­re­ment le thé­ré­mine, cet ins­tru­ment très étrange, un des pre­miers ins­tru­ments de musique élec­tro­nique inven­té dans les années 20 par Lev Ser­gueïe­vitch Ter­men. Le son est pro­duit à par­tir d’un signal élec­trique engen­dré par un oscil­la­teur hété­ro­dyne à tubes élec­tro­niques, et cet ins­tru­ment a la par­ti­cu­la­ri­té de ne pas être tou­ché par celui qui en joue ; seule la posi­tion des mains fait varier la fré­quence des notes, créant des sons très souples, tout en rondeur.

Amii­na a joué ses propres com­po­si­tions écrites pour être jouées dans des phares ou des lieux exi­gus ; c’est ain­si que l’al­bum The ligh­thouse pro­ject a vu le jour entre 2009 et 2013. Un album de toute beau­té, aux sono­ri­tés simples et cha­leu­reuses. L’in­té­gra­li­té de l’al­bum est dis­po­nible sur You­tube, cha­pi­trée. Seule­ment vingt-deux minutes de bon­heur cris­tal­lin. Mon titre pré­fé­ré ; Bíólagið…

Regar­der pas­ser les rennes

La NRK ose tout et c’est même à ça qu’on la recon­naît. Pen­dant plus de huit heures, on peut suivre la trans­hu­mance des rennes avec le peuple Sami. Fascinant.

Pen­dant plus de 11 heures, on peut éga­le­ment regar­der la croi­sière d’un bateau à vapeur sur le canal du Télé­mark.

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