Stav­kirke, l’é­glise en bois debout (zone norvégienne)

Stav­kirke, l’é­glise en bois debout (zone norvégienne)

Stav­kirke, l’é­glise en bois debout

Zone nor­vé­gienne

Quel nom étrange… Église en bois debout… En bois debout… Le nom de ces églises qu’on ne trouve plus guère qu’en Nor­vège vient de la manière dont le bois est tra­vaillé. En réa­li­té, l’ex­pres­sion est “bois de bout”, par oppo­si­tion à “bois de fil”. Le bois de bout est tout sim­ple­ment le bois tra­vaillé dans le sens ver­ti­cal, dans le sens de la fibre, ce qui en fait un maté­riau très résis­tant à la com­pres­sion. Éri­gées à par­tir de pieux fichés dans le sol, la struc­ture toute entière est sup­por­tée par ces blocs de bois qui sont par­fois tout sim­ple­ment des troncs entiers, qu’on appelle stav en nor­vé­gien et qui en anglais, stave, signi­fie “por­tée”. Ce sont ces poteaux d’angle qui donnent leur nom à ces églises ; stav­kirke, ou stav­kyrkje. Entiè­re­ment en bois, ce sont des chefs‑d’œuvre d’in­gé­nie­rie médié­vale. Si on estime que l’Eu­rope du Nord pou­vait comp­ter envi­ron 1300 églises, peut-être plus, il n’en reste aujourd’­hui que 28, toutes en Norvège.

Pho­tos © Håkon Li

Gefðu Að Móðurmá­lið Mitt

by Ragn­heiður Grön­dal | Þjóðlög

Lais­sons-nous empor­ter dans les cam­pagnes du sud de la Nor­vège, en dehors des grandes villes, avec la voix cris­tal­line de la chan­teuse islan­daise Ragn­heiður Grön­dal et ce mer­veilleux titre par­fai­te­ment impro­non­çable, Gefðu Að Móðurmá­lið Mitt.

Je le disais plus haut, il ne reste que 28 églises conser­vées de ce type alors que les églises en bois debout étaient légion en Europe du Nord. La plu­part ont fini brû­lées, aban­don­nées ou tout sim­ple­ment désos­sées pour finir en bois de chauffage.

L’é­di­fi­ca­tion de ces petites églises cor­res­pond à la période de chris­tia­ni­sa­tion des terres nor­vé­giennes entre 1150 et 1350, tan­dis que la reli­gion natu­relle pré-chré­tienne finit d’être chas­sée par le chris­tia­nisme ; le qua­drillage des terres habi­tées est un for­mi­dable outil de pro­pa­gande qui fait son œuvre. Aux alen­tours de 1700, ces églises répu­tées rurales sont aban­don­nées au pro­fit d’é­glises en pierre construites en cœur de ville.

Le défi tech­nique de ce type de construc­tion est de pou­voir résis­ter aux vents forts, dans une région qui ne dis­posent que de feuillus peu hauts ; la tech­nique du bois debout avec ses semelles d’angles per­met de sim­ple­ment poser la struc­ture sur une semelle de pierre, ce qui réduit les risques d’en­li­se­ment et de pour­ris­se­ment des piliers dans le sol. Ain­si, il existe deux sortes de stav­kirke qui cor­res­pondent à leur point d’é­vo­lu­tion. Les pre­mières sont petites, car­rées et peu éle­vées, comme celles de Halt­da­len ou d’Uvdal. Les secondes sont plus élan­cées, ce sont les plus connues, car elles sortent de la terre nor­vé­gienne avec fier­té, par­fois bis­cor­nues et un peu tor­dues, on les croi­rait prêtes à s’é­crou­ler parce qu’elles prennent de la hau­teur et le tran­sept est éle­vé (comme l’at­teste la pho­to (© Micha L. Rie­ser) du pla­fond de celle de Hop­pers­tad ci-des­sous) ; elles sont la quin­tes­sence de l’art scan­di­nave, ornées de volutes et de têtes sculptées.

Que ce soit les por­tails, les cha­pi­teaux, les pein­tures, tout ce qui de loin peut paraître tris­te­ment sobre est en réa­li­té incroya­ble­ment pro­lixe d’originalité.

Si la plus connue est celle de Bor­gund, nichée dans un écrin de ver­dure, la plus ancienne est celle d’Urnes, plan­tée au bord d’un petit fjord. La plus grande est celle de Hed­dal, avec ses bois dorés qui flam­boient dans le soleil et son orne­men­ta­tion exté­rieure qui lui donne des airs de ruche… Celle de Gol est construite en bois sombre, celle de Rin­ge­bu porte fiè­re­ment une flèche peinte en rouge et celle de Øye semble per­due au-des­sus des eaux sombres d’un fjord, celle de Fan­toft est la plus intri­guante, sombre et fan­tô­ma­tique, la nou­velle car l’an­cienne a été détruite par un sombre cré­tin incen­diaire en 1992…

Il existe une carte inter­ac­tive des églises en bois debout de Nor­vège sur le site VisitNorway.com, qui peut don­ner des idées de voyage…

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Boreaa­li­nen vyö­hyke (zone boréale)

Boreaa­li­nen vyö­hyke (zone boréale)

Boreaa­li­nen vyöhyke

Zone boréale

Le boréal est entré dans ma vie par plu­sieurs angles dif­fé­rents. Le pre­mier aura été la décou­verte de l’au­teur danois Jørn Riel, aujourd’­hui âgé de 88 ans et qui a écrit la série des racon­tars arc­tiques qui ont émaillé mes nuits d’é­tu­diants de beaux sou­ve­nirs et d’his­toires humaines fas­ci­nantes, que je n’ai tou­jours pas fini de lire, me les réser­vant comme de pré­cieux tré­sors, des cadeaux qu’on ne déballe pas tous à la fois. L’homme vit aujourd’­hui en Malai­sie, pour décon­ge­ler, dit-il. Et puis par cette porte ouverte sont entrés les très beaux textes de Jean Malau­rie (97 ans), Ulti­ma Thu­lé, Les der­niers rois de Thu­lé, des oeuvres magis­trales qui m’ont aus­si ouvert les portes de ceux de Paul-Émile Vic­tor, puis bien d’autres encore après. Le der­nier en date est un polar, écrit par Son­ja Del­zongle, un thril­ler très dur, qui m’a don­né des cau­che­mars et qui porte le simple nom de Boréal, et que j’ai ache­té à cause de la belle cou­ver­ture aux teintes vert pas­tel et de la pho­to d’un ours sur la ban­quise. Petite parenthèse.

Pho­to d’en-tête Wim Pau­wels on Uns­plash

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le boréal va mal. Il est loin de nous, loin des yeux, loin du cœur, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne dit rien de notre monde qui va mal.

Un des symp­tômes de ce mal, c’est le Zacha­riæ Iss­trøm. C’est un immense gla­cier groën­lan­dais de 91 780 km2, dont la vitesse d’é­cou­le­ment a plus que dou­blé ces cinq der­nières années. Sa fonte, ain­si que celle d’un autre gla­cier, le Nio­ghalvf­jerd­sf­jor­den, qui se trouve sur le même sous-conti­nent gla­cé, n’au­rait qu’une inci­dence mineure sur l’a­ve­nir de l’hu­ma­ni­té : l’é­lé­va­tion du niveau de la mer de plus d’un mètre… Une paille, avec les consé­quences qu’on ima­gine. Lire l’ar­ticle sur Le monde.

Pho­to by Eric Welch on Uns­plash

Dans le livre de Son­ja Del­zongle, sans vou­loir dévoi­ler l’in­trigue, il est ques­tion d’une gigan­tesque faille qui se creuse dans l’in­land­sis du Groën­land. La réa­li­té dépasse alors la fic­tion puis­qu’on vient de décou­vrir (avant l’é­cri­ture du bou­quin) le canyon ter­restre le plus pro­fond du monde, non pas au Groën­land mais sous la glace de l’An­tar­tique, très exac­te­ment sous le gla­cier Den­man. Avec une pro­fon­deur de 3500 mètres sous le niveau de la mer, il dépasse la pro­fon­deur du canyon de Col­ca au Pérou.

Ce même relief abri­te­rait éga­le­ment celui du point le plus bas de la sur­face ter­restre non recou­vert d’eau (bien qu’il soit recou­vert par de la glace) — Géo.

En Islande, pays des glaces, pays des gla­ciers, on vient de rendre hom­mage au pre­mier gla­cier dis­pa­ru du pays. Une plaque com­mé­mo­ra­tive posée en août 2019 fait état de la dis­pa­ri­tion du gla­cier, en forme de lettre au futur (Bréf til framtíða­rin­nar), pré­ve­nant que d’i­ci 200 ans, tous les gla­ciers du pays auront dis­pa­ru. L’Okjö­kull n’est plus désor­mais qu’une petite calotte recou­vrant le vol­can Ok et décla­ré mort par le gla­cio­logue Oddur Sigurðs­son. Les pho­tos satel­lites qu’on peut trou­ver sur le web sont édi­fiantes ; entre 1986 et 2019, le gla­cier a tout sim­ple­ment disparu…

Cer­tains ont cru que le Groen­land était leur ter­rain de jeu per­son­nel et qu’ils pou­vaient s’y ins­tal­ler en fai­sant fi de tout. Ain­si les États-Unis ont colo­ni­sé le nord-ouest de cette terre gla­cée pour construire la plus grande base mili­taire entiè­re­ment creu­sée dans la glace, Camp Cen­tu­ry. Ins­tal­lée entre 1959 et 1967, le but de cette ville sou­ter­raine était de pou­voir sto­cker près de 600 ogives nucléaires au plus près des côtes de l’URSS. Si l’exis­tence de la base ain­si que du pro­jet n’ont été révé­lés qu’en 1997, on sait à pré­sent que l’ins­tal­la­tion est vic­time du réchauf­fe­ment des zones gla­ciaires et qu’elle risque d’être mise à nu si la glace conti­nue de fondre. Ce ne serait pas si grave si n’y étaient pas sto­ckés 200 000 litres de fuel et plus encore d’eaux usées et c’est sans comp­ter les fuites liées à l’a­ban­don du réac­teur nucléaire qui appro­vi­sion­nait la base en élec­tri­ci­té. La ville sou­ter­raine étant enfouie sous plus de trente mètres de glaces, on ima­gine par­fai­te­ment le risque de pol­lu­tion qu’en­trai­ne­rait la dis­per­sion de liquides hau­te­ment toxiques dans le sous-sol… Mais qu’on se ras­sure, les Amé­ri­cains ne se sentent abso­lu­ment pas concer­nés par les erreurs de leurs ainés et ne comptent pas inves­tir le moindre dol­lar dans la dépol­lu­tion du site.

Pour en savoir plus, voir cette vidéo sur Camp Cen­tu­ry sur Dai­ly­mo­tion.

Pour se ras­su­rer sur les inten­tions des êtres humains au regard des terres gla­cées, lais­sez-moi vous faire décou­vrir ces cairns que construisent les peuples inuit et yupik le long de la cein­ture allant de l’A­las­ka au Groen­land. Le mot inuk­shuk (au plu­riel inuk­suit) défi­nit une forme qui aurait la capa­ci­té d’a­gir comme un être humain. La construc­tion de pierre qui porte aujourd’­hui ce nom est plu­tôt consi­dé­rée par les Inuits comme inunn­guaq (plu­riel : inunn­guait) ; ce qui res­semble à un être humain, et le terme Inuk­su­ga­lait désigne le lieu « où il y a beau­coup d’i­nuk­suit ». Mais que sont ces empilements ?

Leur forme clai­re­ment anthro­po­morphe a réso­lu­ment une fonc­tion liée à la chasse. Si on peut faci­le­ment ima­gi­ner que c’est une sorte de totem, il n’en est rien. L’i­nuk­shut sert en réa­li­té d’é­pou­van­tail à l’at­ten­tion des cari­bous pour les atti­rer dans des culs de sac ; les chas­seurs sont géné­ra­le­ment cachés der­rière les hommes de pierre et attendent les ani­maux qui se font pié­ger. Les inuk­suit pou­vait éga­le­ment ser­vir de cache à nour­ri­ture, de borne de ter­ri­toire ou de pan­neau direc­tion­nel, le bras le plus long indi­quant la direc­tion du vil­lage le plus proche.

Aujourd’­hui, l’i­nuk­shuk fait office de sym­bole pour une nation qui cherche ses repères, autant que son auto­no­mie, puisque c’est la forme sty­li­sée qu’on trouve sur le dra­peau du ter­ri­toire fédé­ral cana­dien du Nuna­vut, mais aus­si du Nunat­sia­vut, l’as­so­cia­tion des Inuits du Labra­dor.

Voi­ci la légende de la créa­tion du pre­mier inukshuk :

Il y a très long­temps, un petit gar­çon aimé de ses parents, choyé, pro­té­gé, par son père qui était un grand chas­seur, et sa mère si douce… Il se retrou­va pour­tant très aigri à la nais­sance de sa petite sœur, car elle devînt l’ob­jet de toute l’at­ten­tion de ses parents, et le petit gar­çon, triste, éner­vé et plein de ran­cœur, déci­da de par­tir, seul.

Sur le che­min, il ren­con­tra un cha­man. Mais ce der­nier n’é­tait pas un “anga­kok” (cha­man en langue inuit) bon pour les humains. Il ensei­gna donc au gar­çon per­du, l’art du cha­ma­nisme pour se ven­ger des Hommes. Les années pas­sèrent et le petit gar­çon gran­dit, et avec lui la haine qu’il por­tait désor­mais aux Hommes. Il apprit à maî­tri­ser la magie du grand cha­man, et réveilla le grand vent du Nord, qui souf­fla en tem­pête et sou­le­va un ter­rible bliz­zard… Il vou­lait ain­si faire dis­pa­raître toutes les habi­ta­tions et les vil­lages des Hommes. Mais face à cet oura­gan blanc qui mor­dait sa famille, qui l’a­vait tant aimé, il fût pris de remords.

Mon­té au som­met de la plus haute col­line, il ouvrit grand les bras pour lut­ter contre vent gla­cial du Nord. Le com­bat dura toute la nuit. Et au petit matin, la tem­pête avait ces­sée… mais le jeune gar­çon lui, avait été chan­gé en pierre. C’est ain­si qu’ap­pa­rût le tout pre­mier Inukshuk.

Il est temps de refer­mer la page boréale de ce blog, dans un hiver qui res­semble à un prin­temps et qui n’an­nonce rien de bon pour les mois pro­chains, pour la terre, pour le jar­din. Je nour­ris un rêve secret, celui de rejoindre un jour les terres gla­cées des régions arc­tiques, bien au-delà du cercle polaire et au-des­sus encore des gla­ciers de l’Is­lande. Il y a trois lieux qui m’en­chantent et qui sont pour moi comme des nir­va­nas où j’ai­me­rais un jour poser le pied.

Les îles Lofo­ten, un archi­pel au nord de la Nor­vège et au large de Bodø, où les falaises tombent à pic dans une mer noire, où sub­sistent encore quelques vil­lages de pêcheurs et où les noms des îles se finissent tous en -øya (Austvågøya, Gim­søya, etc.).

J’ai­me­rais aus­si vivre quelques semaines à Trom­sø, encore plus au nord de la Nor­vège, la ville de plus de cin­quante mille habi­tants la plus sep­ten­trio­nale du monde. Plus de 6000 étu­diants y étu­dient la gla­cio­lo­gie et la cli­ma­to­lo­gie arc­tique, et selon les périodes de l’an­née, dans l’obs­cu­ri­té de la nuit polaire… Enchâs­sée dans un dédale de fjords aux eaux pro­fondes et de mon­tagnes ennei­gées, la ville est un refuge, loin des côtes de la haute mer et des vents impétueux.

J’ai­me­rais connaître le pays sâme fin­lan­dais (Sáp­mi), plus connu sous le nom de Lapo­nie, plus à l’est que Trom­sø, pour y admi­rer les aurores boréales et y voir, dit-on, le blanc le plus blanc du monde. Il n’y a rien qui me ferait plus plai­sir au monde que faire la connais­sance de ce peuple encore un peu pré­ser­vé, dont on dit que les jeunes filles ont les yeux clairs et les che­veux de la cou­leur de la neige.

Pho­to ci-des­sous © Eri­ka Larsen

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Prendre le temps et gar­der la lumière

Prendre le temps et gar­der la lumière

Prendre le temps

Et gar­der la lumière

Une étude très sérieuse des minutes qui passent

Au coeur d’un hiver qui res­semble à un automne, la nuit la plus longue est déjà pas­sée par là, un peu ven­teuse, un peu plu­vieuse par inter­mit­tence ; rien de très sérieux. La lumière du soleil illu­mi­nait hier matin le pignon de la mai­son de la voi­sine en cares­sant le cré­pi. Ce matin, il n’est plus ques­tion de ça, la nature semble avoir envie de faire grise mine. Mais il n’empêche que le temps s’est arrê­té, tout est silen­cieux, non pas triste, mais au contraire lumi­neux et por­teur de joie.

Quand j’é­tais gamin, les hivers étaient sou­vent froids, la neige fai­sait son appa­ri­tion même si on ne l’at­ten­dait pas ; je me sou­viens que mon grand-père m’a­vait emme­né chez le coif­feur (je por­tais à l’é­poque une coupe indé­fi­nis­sable à laquelle je ne com­pre­nais rien et qu’il fal­lait entre­te­nir) et qu’à notre retour, il était tom­bé trente cen­ti­mètres de neige dans ces rues qui n’a­vaient pas l’ha­bi­tude d’en voir. Alors nous avons fait un bon­homme de neige énorme, les mains recou­vertes de moufles qui ne sor­taient jamais du pla­card, ce qui n’empêchait nul­le­ment les doigts de geler, rouges et humides, engour­dis sous le tis­su qui ne ser­vait qu’à pro­té­ger de la mor­sure du froid, mais pas de l’hu­mi­di­té. Les pieds en pre­naient pour leur grade, ils finis­saient géné­ra­le­ment dans une bas­sine d’eau chaude à attendre que la vie coule à nou­veau dans les veines.

C’est un temps qui est loin­tain désor­mais et qui s’é­loigne de plus en plus. Pas de tris­tesse, pas de nos­tal­gie, une nos­tal­gie qui ne ser­vi­rait qu’à dif­fu­ser l’ai­greur d’une vie qui a dis­pa­ru. Les moments de la vie changent, on perd sou­vent beau­coup mais on gagne sou­vent autant, les époques se suc­cèdent et celles qui ont dis­pa­ru sont le ter­reau des pro­chaines ; il faut alors se lais­ser por­ter, se lais­ser gui­der sans barguigner.

La lumière est là pour tra­hir l’obs­cu­ri­té de jours qui ne durent pas assez longtemps.

Le vent finit par chas­ser les nuages, lais­sant place à une coton­nade tein­tée de bleu, fra­gile et mou­vante. Un autre jour passe, une per­cée lumi­neuse dans un ciel de plomb ; les feuilles d’eu­ca­lyp­tus dégou­linent d’eau froide et se teintent d’o­range. Il est temps de prendre le temps.

Fai­sons comme si rien n’é­tait, détour­nons le regard. Voi­ci venu le temps où la cana­pé est mon meilleur ami, mon refuge. Un plaid en polaire, les jambes recro­que­villées, blot­ti sous des épais­seurs moel­leuses, sur des cous­sins empi­lés, je me laisse aller à rêver, sans même prendre le temps de lire.

Dans ce billet, il y en a pour plus de 36 heures de vidéos.

Pho­to d’en-tête © Domi­nik Dom­brows­ki sur Uns­plash.

Télé­scar­got

J’ai décou­vert il y a quelques temps une occu­pa­tion qui va par­ti­cu­liè­re­ment bien à l’hi­ver, sans pré­ten­tion et par­ti­cu­liè­re­ment en vogue en Nor­vège : la slow TV (en fran­çais, télé­scar­got). La chaîne nor­vé­gienne NRK (Norsk riks­kring­kas­ting) s’en est fait la spé­cia­liste. En 2009, elle dif­fuse le tra­jet une vidéo cap­tée à l’a­vant d’un train par­cou­rant 500 kilo­mètres en 7 heures entre Oslo et Ber­gen ; un suc­cès ter­rible puisque 1 Nor­vé­gien sur 4 a regar­dé l’é­mis­sion. Depuis, on a vu fleu­rir ce type d’ex­pé­rience un peu par­tout : un feu de che­mi­née pen­dant toute une nuit (avec rajout d’une bûche), un concours natio­nal de tri­cot pen­dant lequel on peut voir la tonte et le filage de la laine, ou encore, issu du web de la fin des années 90, les web­cam islan­daises (live from Ice­land) qui scrutent la vie tré­pi­dante d’une dou­zaine de lieux tou­ris­tiques comme aux abords du vol­can Öræ­fa­jö­kull. Pas­cal Leclerc, lui, par­court le monde à moto et capte à la sau­vette des dizaines d’heures de la vie simple qui s’é­coule, un concept qui me parle tout par­ti­cu­liè­re­ment et que j’ai déjà expé­ri­men­té notam­ment en Tur­quie et en Thaï­lande sans savoir que cela por­tait déjà un nom.

Tokyo à l’envers

La palme revient à deux jeunes Fran­çais (Simon Bouis­son et Ludo­vic Zui­li). Pen­dant neuf heures, on voit Ludo­vic mar­cher d’une étrange manière dans les rues de Tokyo, tan­dis que toutes les per­sonnes qu’il croise marchent à l’en­vers. En réa­li­té, c’est lui qui marche à l’en­vers et les cap­ta­tions sont inver­sées. Une exé­prience esthé­tique qu’il faut prendre le temps de regar­der (j’a­voue, je ne suis pas allé au bout…), à l’heure où tout va trop vite, où tout est trop expli­cite ; une manière de retrou­ver des sen­sa­tions perdues.

Pro­jet phare : Amiina

Dans cette quête du temps long, j’ai décou­vert une pure mer­veille. Amii­na est un groupe islan­dais com­po­sé de Edda Rún Ólaf­sdót­tir, Hil­dur Ársælsdót­tir, María Huld Mar­kan Sig­fus­dot­tir, et Sólrún Sumar­liðadót­tir. Oui, car en Islande, les femmes ont pour nom de famille le pré­nom de leur père et par­fois de leur mère. Ain­si, Sólrún est la fille de Sumar­liða. Il n’y a pas de lignée fami­liale en Islande, et c’est très bien comme ça…

Amii­na est un groupe de cordes, dans lequel on trouve régu­liè­re­ment le thé­ré­mine, cet ins­tru­ment très étrange, un des pre­miers ins­tru­ments de musique élec­tro­nique inven­té dans les années 20 par Lev Ser­gueïe­vitch Ter­men. Le son est pro­duit à par­tir d’un signal élec­trique engen­dré par un oscil­la­teur hété­ro­dyne à tubes élec­tro­niques, et cet ins­tru­ment a la par­ti­cu­la­ri­té de ne pas être tou­ché par celui qui en joue ; seule la posi­tion des mains fait varier la fré­quence des notes, créant des sons très souples, tout en rondeur.

Amii­na a joué ses propres com­po­si­tions écrites pour être jouées dans des phares ou des lieux exi­gus ; c’est ain­si que l’al­bum The ligh­thouse pro­ject a vu le jour entre 2009 et 2013. Un album de toute beau­té, aux sono­ri­tés simples et cha­leu­reuses. L’in­té­gra­li­té de l’al­bum est dis­po­nible sur You­tube, cha­pi­trée. Seule­ment vingt-deux minutes de bon­heur cris­tal­lin. Mon titre pré­fé­ré ; Bíólagið…

Regar­der pas­ser les rennes

La NRK ose tout et c’est même à ça qu’on la recon­naît. Pen­dant plus de huit heures, on peut suivre la trans­hu­mance des rennes avec le peuple Sami. Fascinant.

Pen­dant plus de 11 heures, on peut éga­le­ment regar­der la croi­sière d’un bateau à vapeur sur le canal du Télé­mark.

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Joik, le chant de la terre des Saami

Joik, le chant de la terre des Saami

Joik

Le chant de la terre du peuple Saami

Un chant venu du fond des âges

Par­mi les peuples dont l’exis­tence finit par res­sem­bler à une légende, le peuple Saa­mi fait par­tie de ceux dont on connait suf­fi­sam­ment peu de choses pour les ima­gi­ner peut-être aujourd’­hui dis­pa­rus. Connus sous le terme de Lapons, ils n’ap­pré­cient pas d’être appe­lés de cette manière, car le terme venant du sué­dois signi­fie qu’ils portent des haillons.

Confi­né dans un recoin de l’Eu­rope, entre la Nor­vège, la Suède, la Fin­lande et cette petite excrois­sance russe qu’on appelle la pénin­sule de Kola, ce peuple conti­nue aujourd’­hui de vivre sur un ter­ri­toire grand comme la France, même s’il ne reste plus qu’en­vi­ron 100 000 repré­sen­tants. Vic­time d’ac­cul­tu­ra­tion par l’é­van­gé­li­sa­tion chré­tienne et une poli­tique de nor­vé­gia­ni­sa­tion agres­sive, il reste aujourd’­hui un peuple à la culture forte et mil­lé­naire, et même si une majo­ri­té d’entre eux sont désor­mais mélan­gés aux peuples urba­ni­sés, cer­tains d’entre eux conti­nuent de vivre leur vie de nomades éle­veurs de rennes.

Voi­ci un article très détaillé sur le joik (en).

Pho­to d’en-tête Eri­ka Larsen

Le Joik des éle­veurs de rennes

Peuple de tra­di­tion orale, les Saa­mi ont reçu en héri­tage le joik de la part des elfes et des fées qui leur ont confié ce chant qui est cer­tai­ne­ment aujourd’­hui la plus ancienne forme de tra­di­tion orale en Europe. Ce chant qui, contrai­re­ment au kul­ning, n’est pas un chant pour héler les trou­peaux, est l’u­nique forme forme d’ex­pres­sion des Saa­mi et regroupe en réa­li­té plu­sieurs formes de chants qui sont des évo­ca­tions per­son­nelles adres­sées soit à une per­sonne en par­ti­cu­lier, soit à un ani­mal, soit à un paysage.

La reli­gion ori­gi­nelle des Saa­mi étant proche des formes de cha­ma­nisme que l’on retrouve sous ces lati­tudes, il est nor­mal qu’on puisse retrou­ver le joik inté­gré aux rituels cha­ma­niques, eux-mêmes en lien fort avec la nature environnante.

Voi­ci deux vidéos qui illus­trent cette tra­di­tion. La pre­mière montre Sofia Jan­nok, chan­teuse tra­di­tion­nelle. La seconde est un concours de joik enre­gis­tré en 2012.

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Kul­ning, le chant des éle­veurs au cœur de l’hiver

Kul­ning, le chant des éle­veurs au cœur de l’hiver

Kul­ning

Le chant des éle­veurs au coeur de l’hiver

Un chant de gar­deurs de troupeaux

Tan­dis que cer­tains éle­veurs se contentent de gar­der leur trou­peau en leur par­lant, d’autres leur adressent des chants comme des incan­ta­tions à tra­vers la nature. C’est ain­si qu’en Suède (kul­ning) et dans cer­taines par­ties de la Nor­vège (kauk­ning), les éle­veurs lancent leurs cris à tra­vers les mon­tagnes et les plaines dans le but que la voix porte au plus loin afin de ras­sem­bler leurs bêtes. On oublie par­fois que le yodel a d’a­bord eu cette voca­tion avant de deve­nir une part du folk­lore chan­té de la Suisse.

La blo­gueuse et pho­to­graphe sué­doise Jon­na Jin­ton s’est faite la porte-parole de ce savoir ances­tral en se met­tant en scène dans la nature pour expri­mer ce chant à la fois mélan­co­lique et tonique, fait de demi-tons et de quarts de tons, impli­quant une voix haut-per­chée, sur­aigüe et puissante.

La chan­teuse et com­po­si­trice Maria Mis­geld nous livre éga­le­ment un très beau chant. A écou­ter les jours sombres où l’on a besoin de lumière et de chaleur.

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