Eilean Leòd­hais agus Na Hearadh

Zone Hébri­dienne

Ce sont des îles, au nord-ouest de l’Écosse, les contre­forts de l’At­lan­tique, légè­re­ment décol­lées de la grande île, et elles portent des noms gaé­liques écos­sais ou anglais ; Ben­be­cu­la, Ber­ne­ray, South Uist, Bar­ra, Saint-Kil­da. La plus grande île est com­po­sée de deux topo­nymes : Lewis (Eilean Leòd­hais) et Har­ris (Na Hea­radh). Ce sont en fait deux îles col­lées, donc une seule île. La pre­mière est répu­tée pour ses figu­rines, la seconde pour la fabri­ca­tion du meilleur tweed du monde, un tis­su de laine croi­sée en che­vrons, qui fera les beaux jours de la culture anglo-saxonne.

Nous sommes ici dans un des finis­tères du monde, sous des lati­tudes et un cli­mat qui n’au­gurent qu’un ciel gris et un vent à décor­ner les bœufs. L’é­té, il fait rare­ment plus de 16°C et l’hi­ver, il y gèle rare­ment, comme si l’ar­chi­pel tout entier était des­ti­né à subir un hiver humide toute l’an­née, fouet­té par les embruns char­gés d’iode. Une cor­ne­muse entonne Ama­zing grace, l’hymne écos­sais qui résonne sur la lande ; nous y sommes, le décor est plan­té, avec tous ses clichés.

Pho­to d’en-tête Max Her­mans­son on Uns­plash, sui­vante par Pao­lo Chia­bran­do on Uns­plash.

Je sors à peine de la lec­ture d’un livre de Peter May, l’au­teur écos­sais de la suite chi­noise, un maître de la lit­té­ra­ture poli­cière. L’île des chas­seurs d’oi­seaux (The Black­house) est une œuvre magis­trale dont l’ac­tion se situe aux confins de l’île de Lewis, à Stor­no­way. Sur fond de drame per­son­nel, l’ins­pec­teur Fionn­lagh Macleoid va revivre un drame qu’il avait occul­té au plus pro­fond de sa mémoire. Mais ce n’est pas tant le sujet de l’his­toire qui m’a cap­ti­vé que cette his­toire de chas­seurs d’oiseaux.

L’île de Lewis est répu­tée pour sa chasse aux oiseaux, aux gugas. Le guga est le petit du fou de Bas­san, qu’on trouve sur une petite île située à 64 kilo­mètres au nord du point le plus sep­ten­trio­nal de l’île de Lewis, sur le pro­mon­toire rocheux de Sula Sgeir, un îlot d’à peine un sixième de kilo­mètre car­ré. Tous les ans, une poi­gnée d’hommes se rend sur l’île pour y chas­ser de quoi ali­men­ter la demande d’a­ma­teurs de pous­sins de l’île de Lewis. Si cette chasse ances­trale peut paraître bar­bare au pre­mier abord, c’est qu’elle l’est, et la conser­va­tion des cou­tumes n’est, à mon sens, pas une rai­son pour conti­nuer de per­pé­tuer des tra­di­tions imbéciles.

On trou­ve­ra sur Dai­ly­mo­tion un docu­men­taire un peu daté sur la chasse au guga et sur Atlas Obs­cu­ra quelques pistes sur les rai­sons culi­naires qui poussent ces hommes à se livrer à cette chasse qui consiste à déci­mer des popu­la­tions entières de pous­sins de fous de bas­sans sur une île sanc­tuaire, même si celle-ci est désor­mais est enca­drée par des quotas.

Pour le coup, s’il y a une chose qu’il faut rete­nir de l’île de Lewis (pour l’île de Har­ris, on retien­dra le tweed et ses fabriques de tis­sus pro­té­gées par une appel­la­tion contrô­lée depuis 1993), ce sont les très célèbres figu­rines de Lewis, connues éga­le­ment sous le nom de figu­rines de Uig, ou Fir-Tài­lisg en gaé­lique écos­sais (les pièces d’é­checs de Lewis). Ces pièces dont la plu­part ont été sculp­tées dans des dents de morses, mais aus­si dans des dents de baleine consti­tuent un ensemble de 93 pièces dont 78 sont des pièces de jeu d’é­checs. Datant du XIIè siècle, elles ont été trou­vées en 1831 aux alen­tours de la baie de Uig à envi­ron vingt cen­ti­mètres de la sur­face du sol, dans une mai­son en pierre sèche. Fabri­quées à Trond­heim en Nor­vège, dont Lewis était une colo­nie, ces pièces sont une des icônes liées à l’île de Lewis.

Ces pièces mas­sives, avec leurs grands yeux ronds comme des billes, ont la par­ti­cu­la­ri­tés d’être très grandes pour des pièces d’é­chec (envi­ron 8cm de haut pour le roi), et très sim­pli­fiées en ce qui concerne les pions (de simples pierres tom­bales sty­li­sées) ; elles pro­viennent de plu­sieurs jeux incom­plets, prin­ci­pa­le­ment consti­tués de pièces majeures. Elles sont par­ti­cu­liè­re­ment expres­sives ; les rois ont leur épée posée sur les genoux, les reines ont la main posée sur le visage dans une atti­tude médi­ta­tive. Les pièces d’angles, celles qu’on pren­drait pour des tours aujourd’­hui, sont repré­sen­tées par des guer­riers vêtus de peau de bête ; ce sont les « ber­ser­kr », les guer­riers-fauves, ren­dus fous par les pri­va­tions, véri­tables machines de guerre condi­tion­nées pour tuer…

Pour en reve­nir aux reines, elles ont toutes cette atti­tude son­geuse et d’une moro­si­té abys­sale. Si dans les jeux antiques, la reine ne pou­vait se dépla­cer qu’en dia­go­nale, elle fini­ra par deve­nir la pièce la plus puis­sante de l’é­chi­quier et ce n’est que grâce à elle que le roi est pro­té­gé ; c’est dire à quelle point la reine, dans la sym­bo­lique euro­péenne, prend une dimen­sion puis­sante sur le jeu politique.

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