Dans la fougue d’un autre monde

Je caresse la mappemonde
Jus­qu’à ce que sous mes longs doigts
Naissent des mon­tagnes, des bois
Et je me mouille en l’eau profonde
Des fleuves, et je fonce avec eux
Vers l’o­céan vertigineux
Débor­dant de par­tout mes yeux
Dans la fougue d’un autre monde

Jules Super­vielle

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La tolé­rance de Constantin

En ces temps trou­blés, il est bon de retour­ner aux fon­da­men­taux, comme cet édit qui amor­ça la nais­sance de l’Em­pire Romain d’O­rient. Un texte clair, simple, un édit de tolérance.

A par­tir de ce jour, que celui qui veut suivre la foi chré­tienne la suive libre­ment et sin­cè­re­ment, sans être inquié­té ou moles­té d’au­cune manière. Nous avons tenu à faire connaître cela à Ton Excel­lence [le pré­fet de Nico­mé­die] pour que tu n’i­gnores point que nous avons accor­dé aux chré­tiens la liber­té la plus com­plète, la plus abso­lue de pra­ti­quer leur culte. Et puisque nous l’a­vons accor­dée aux chré­tiens, il doit être clair à Ton Excel­lence qu’en même temps est accor­dée aus­si aux adeptes des autres reli­gions le droit plein et entier de suivre leur cou­tume et leur foi et d’u­ser de leur liber­té de véné­rer les dieux de leur choix, cela pour la paix et tran­quilli­té de notre temps.

Édit de Milan signé par Constan­tin Ier et Licinius,
empe­reurs romains en 313,
cité dans LAC­TANCE, De mor­ti­bus per­se­cu­to­rum, 48, 4–8.

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La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istan­bul 3 : le bas Sul­ta­nah­met et Küçük Aya­so­fya Camii (église des saints Serge et Bac­chus, ou petite Sainte-Sophie)

La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istan­bul 3 : le bas Sul­ta­nah­met et Küçük Aya­so­fya Camii (église des saints Serge et Bac­chus, ou petite Sainte-Sophie)

La rose et la tulipe

Car­net de voyage à Istan­bul 3 : le bas Sul­ta­nah­met et Küçük Aya­so­fya Camii

(église des saints Serge et Bac­chus, ou petite Sainte-Sophie)

Tant qu’on n’en a pas fait l’ex­pé­rience, on ne sait pas. C’est un peu ce qui guide mes pas quand je suis dans un endroit que je ne connais pas et ça me pose d’au­tant plus ques­tion lorsque cer­tains lieux ne sont pas men­tion­nés sur les cartes, alors que géo­gra­phi­que­ment, on pour­rait pen­ser qu’il doit for­cé­ment y avoir quelque chose à y voir.

Pour reve­nir dans l’histoire, on pour­ra tou­jours retrou­ver trace de l’hippodrome, comme une évo­ca­tion, dans un qua­drige de che­vaux en bronze qui ornait autre­fois le Car­ceres, dans un lieu devant lequel on passe en se deman­dant ce qu’ils font là. Effec­ti­ve­ment, si vous êtes allés à Venise, vous les avez peut-être remar­qués au-des­sus de la porte prin­ci­pale de la Basi­lique Saint-Marc. Ce sont des copies, car la pol­lu­tion les aurait dété­rio­rées, les ori­gi­naux se trou­vant au musée de Saint-Marc. Si vous vous deman­dez pour­quoi ils sont là, c’est sim­ple­ment que les Croi­sés (menés par le Doge Enri­co Dan­do­lo qui est enter­ré quelque part dans Sainte-Sophie) les ont volés en 1204. Si vous vous deman­dez ce que font des che­vaux sur le fron­ton d’une basi­lique, je n’ai pas la réponse.

Le quar­tier que j’ai visi­té se trouve au sud de la Mos­quée Bleue, der­rière le Sphen­do­nè dont je par­lais pré­cé­dem­ment. Évi­dem­ment, il faut à un moment don­né se don­ner les moyens de sor­tir des che­mins tra­cés par les guides tou­ris­tiques. C’est ce que j’ai fait une fois que je suis sor­ti de la Mos­quée Bleue, du côté du grand por­tail à l’opposé de la grande place : on se retrouve pro­je­té dans un autre monde, le bazar Aras­ta. Ce bazar est en réa­li­té une rue bor­dée de com­mer­çants luxueux orga­ni­sés en guildes ven­dant à peu près les mêmes pro­duits qu’au grand bazar, mais avec l’œil atten­tion­né du pigeon­nier. Les prix (non affi­chés) y sont deux à trois fois supé­rieurs et si l’on en croit la répu­ta­tion faite sur les forums, mieux vaut ne pas y ache­ter de tapis. Dif­fi­cile de s’y pro­me­ner en pleine jour­née sans se faire tirer par la manche pour entrer dans les échoppes pro­prettes, où l’arnaque se fait sen­tir à des kilo­mètres sous cou­vert d’un sou­rire bien­veillant. Autant être hon­nête, on s’y sent quand même bien et le lieu ne manque pas de charme. Il faut savoir tout de même que lorsque vous vous pro­me­nez dans ce quar­tier, vous êtes exac­te­ment à l’endroit où se trou­vait le Grand Palais des Empe­reurs de Constan­ti­nople et que vous fou­lez, à quelques mètres au-des­sus, les lieux que tra­ver­saient Constan­tin, Théo­dose ou Justinien…

Der makam‑i Husey­ni Sema’i

by Hes­pe­rion XXI et Jor­di Savall | Can­te­mir Dimi­trie (1673–1723)

En des­cen­dant les petites rues qui se trouvent der­rière, on s’en­fonce dans un autre uni­vers, un dédale de mai­sons sombres et bran­lantes ; on y arrive en pas­sant sous la voie de che­min de fer et en conti­nuant en s’i­ma­gi­nant qu’on fini­ra par tom­ber sur le front de mer, mais on peut mar­cher long­temps sans la voir, si ce n’est au détour d’une façade, entre deux plaques de tôle. Une petite mos­quée (Akbıyık Cami) est enchâs­sée au milieu de ces rues étroites, où les gamins jouent au bal­lon au mépris des voi­tures qui rasent les murs. Un vieux mon­sieur sur le bord du trot­toir nous regarde pas­ser, l’air impas­sible. On joue au tav­la (back­gam­mon) au pied des fon­taines qui depuis long­temps ne donnent plus d’eau et on fume, assis sur de petits tabou­rets en osier tres­sé. La brou­ha­ha de la ville n’ar­rive pas jus­qu’i­ci et si l’on sent que les mai­sons sont plus modestes que près du centre tou­ris­tique, on y palpe un cer­tain art de vivre, une dou­ceur dans laquelle les Stam­bou­liotes semblent se com­plaire. On le com­prend, ce quar­tier a un charme fou, lié à la pré­sence de ces très belles mai­sons en bois de style pure­ment otto­man. Deux ou trois étages dont les supé­rieurs sont géné­ra­le­ment plus éten­dus grâce aux encor­bel­le­ments. Poutres ornées, peintes, fine­ment décou­pées ; on ima­gine à quel point les Turcs aiment que leurs petites mai­sons ait un aspect coquet. Jus­qu’au bout d’Oyun­cu Sokak, au moment où il faut retra­ver­ser le ligne de che­min de fer pour retour­ner dans la cir­cu­la­tion, les mai­sons sont en retrait et au vu des tra­vaux qui fleu­rissent un peu par­tout, on a vrai­ment l’im­pres­sion que la ten­dance est à l’embellissement. Je croise un homme aux che­veux blancs qui dis­tri­bue de la viande aux chats qui s’ag­glu­tinent autour de ses jambes, sans se sou­cier de ce qui se passe autour, puis je le croise à nou­veau dans l’autre sens, une fois arri­vé au bout de l’im­passe. Il parle aux chats, dans une langue que je connais bien : il est Fran­çais.
Le quar­tier est infes­té de chats, mais c’est plu­tôt bon signe. J’ai vu des rats tra­ver­ser les rues, furi­bards, cer­tai­ne­ment délo­gés de leur cache par des chats sur­ex­ci­tés. L’un deux, accu­lé contre une clô­ture sem­blait deman­der par­don à son bour­reau ; l’his­toire ne dit pas com­ment tout ça s’est terminé.

Dans une socié­té otto­mane qui a créé les « bains turcs », on ne s’é­ton­ne­ra pas de trou­ver des fon­taines par­tout. J’au­rais l’oc­ca­sion d’y reve­nir, mais vous ne ferez pas un pas dans une rue sans tom­ber sur un fon­taine, que ce soit un sabil, un şar­di­van ou une fon­taine de rue, l’eau est par­tout pré­sente ici et joue un véri­table rôle social ; il n’est pas rare de voir des femmes dis­cu­ter au pied de ces fon­taines. Beau­coup sont en marbre et cer­taines sont mani­fes­te­ment fabri­quées en rem­ploi d’autres maté­riaux. Je tombe en arrêt devant l’une d’elle qui m’intrigue ; les pan­neaux laté­raux pré­sentent des coupes de fruits pen­chées à 90°, du coup je me demande d’où peuvent pro­ve­nir ces plaques, de quel bâti­ment, de quel monu­ment. Il ne faut pas oublier non plus qu’Is­tan­bul est sur­nom­mée la ville des citernes. Dès sa fon­da­tion, pré­oc­cu­pée par le pro­blème de l’ab­duc­tion d’eau potable, Byzance se dote­ra d’un sys­tème com­plexe de citernes ali­men­tées par un aque­duc d’une ving­taine de kilo­mètres, pre­nant source dans la forêt de Bel­grad. Lorsque les Otto­mans prirent le contrôle de la ville, ils ne savaient pas que le sous-sol était lar­dé de ces cuves immenses et réin­ven­tèrent un sys­tème d’ab­duc­tion d’eau cou­rante d’é­tat, tou­jours en vigueur.

Tan­dis que je me rends compte que la mos­quée que je voyais depuis le bout de l’A­ras­ta Bazar était bien la petite Saint-Sophie, je com­prends que j’ai fait un immense détour. Tant pis, j’ai vu d’autres uni­vers, d’autres lieux, rafrai­chis par l’air de Mar­ma­ra. La petite Sainte-Sophie se trouve aujourd’­hui entou­rée d’un ilot de ver­dure, à quelques enca­blures de la mer alors qu’au­tre­fois elle se trou­vait qua­si­ment les pieds dans l’eau. Les rem­blais ont per­mis notam­ment de construire la voix de che­min de fer et l’a­ve­nue Ken­ne­dy qui enceint tout le sud de la pénin­sule et remonte jus­qu’à la gare de Sir­ke­ci. On peut aujourd’­hui voir (et sur­tout entendre) le train fri­ser les murs de l’an­tique église.

Cette curieuse petite église a por­té des noms dif­fé­rents. Ori­gi­nel­le­ment construite par Jus­ti­nien à la suite d’un rêve où lui appa­rurent les saints Serge et Bac­chus, elle est tout à fait contem­po­raine de Sainte-Sophie (527). Elle por­ta donc ori­gi­nel­le­ment le noms de deux saints, puis le sur­nom de petite Sainte-Sophie, en rai­son de sa forte res­sem­blance archi­tec­tu­rale, notam­ment à cause de ce très joli dôme sur pen­den­tifs sup­por­té par huit por­tions. Suite à la conquête otto­mane, elle a pris les atours d’une mos­quée et fut rebap­ti­sée en turc Küçuk Aya­so­fya Camıı, soit mos­quée petite Sainte-Sophie. A l’in­té­rieur, tout est beau­té et sim­pli­ci­té musul­mane ; les cha­pi­teaux des colonnes colo­rées ont été conser­vés, ain­si que toutes les gra­vures des lin­teaux, pré­sen­tant un texte en grec. La den­telle que repré­sente la pierre conserve encore des traces de poly­chro­mie. Sous le badi­geon blanc et propre recou­vrant le lieu, on essaie­ra d’i­ma­gi­ner un décor de mosaïques dorées repo­sant pai­si­ble­ment dans l’at­tente qu’on vienne le délivrer.

Le lieu est un véri­table havre de paix, encer­clé par les bâti­ments bas de la madra­sa au milieu duquel trône un şar­di­van. On y entend les oiseaux chan­ter et on peut s’as­seoir sur les marches de l’en­trée le temps de se lais­ser entê­ter par l’o­deur du tabac à Nar­gile pro­ve­nant de sous les arcades.

Album Pho­to

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 165 - Küçük Ayasofya Caddesi

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 173 - Quartier sud de Sultanahmet

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 178 - Quartier sud de Sultanahmet

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 179 - Quartier sud de Sultanahmet

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 179 - Quartier sud de Sultanahmet - Oyuncu Sokak

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 182 - Quartier sud de Sultanahmet - Oyuncu Sokak

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 183 - Quartier sud de Sultanahmet - Oyuncu Sokak

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 184 - Quartier sud de Sultanahmet - Oyuncu Sokak

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 186 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 188 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 189 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 190 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 192 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 194 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 196 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 198 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 200 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 202 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

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Empe­reurs infor­tu­nés de Byzance (1) : La cou­ronne mau­dite du Khazar

Mon­naie byzan­tine repré­sen­tant l’Em­pe­reur Léon IV le Khazar
et son père Constan­tin V Copronyme

Par­mi les per­son­nages hau­te­ment sym­pa­thiques qui régnèrent sur Constan­ti­nople, on en trouve quelques uns d’une même lignée qui furent direc­te­ment impli­qués dans la que­relle ico­no­claste. Petit fils de Léon III l’I­sau­rien, fils de Constan­tin V Copro­nyme, Léon IV le Kha­zar fut inves­ti co-empe­reur par son père à l’âge de 1 an, et gou­ver­na réel­le­ment en 775 à la mort de son père alors qu’il venait d’at­teindre l’âge de 25 ans. Cor­rom­pu, sans réel cha­risme, Léon IV a une telle bonne image et une telle pré­sence qu’on le sur­nomme le Kha­zar en rai­son des ori­gines… de sa mère. Per­son­nage sans grand inté­rêt, il ten­ta de conti­nuer mol­le­ment la poli­tique de per­sé­cu­tion des ado­ra­teurs de saintes images qu’a­vait ini­tié son grand-père, sans grande convic­tion. En revanche, il appa­raît comme par­ti­cu­liè­re­ment ama­teur de richesse et de gran­deur, au point d’en deve­nir com­plè­te­ment malade. Il meurt à l’âge de 30 ans d’a­voir trop aimé l’or. En témoigne cet extrait de L’iconoclaste d’A­lain Nadaud : (more…)

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La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istan­bul 2 : l’Hip­po­drome (At Meydanı)

La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istan­bul 2 : l’Hip­po­drome (At Meydanı)

La rose et la tulipe

Car­net de voyage à Istan­bul 2 : l’Hip­po­drome (At Meydanı)

Les guides tou­ris­tiques sont très forts en géné­ral. Ils tendent à jouer sur l’his­toire pour vous faire pas­ser un lieu cen­sé être incon­tour­nable pour le cœur de la ville, le centre de tout. En l’oc­cur­rence, j’ai vu noté par­tout que l’Hip­po­drome était un lieu fabu­leux, depuis lequel on pou­vait sen­tir le poids de l’his­toire byzan­tine peser sur nos maigres épaules. Ce que peu vous disent, c’est que d’hip­po­drome, il n’y a guère. On a beau cher­cher, rien ne rap­pelle la pré­sence d’un éven­tuel hip­po­drome sur cette place gigan­tesque, pas même la trace d’un sabot de che­val dans la pierre. Ce n’est qu’une place immense, joli­ment pavée, propre, ornée de dra­peaux turcs. Mais pas un gra­din, pas une colonne ren­ver­sée, pas la moindre pierre usée. La seule chose qui peut rap­pe­ler la pré­sence ici d’un hip­po­drome et la forme qu’il pre­nait autre­fois est une ligne jaune tra­cée tout du long et for­mant un U dont le virage se situe au niveau du Rec­to­rat de l’Université de Mar­ma­ra (Mar­ma­ra Üni­ver­si­te­si Rektörlüğü).

Carte pos­tale colo­ri­sée de l’hip­po­drome datant des années 50

Construit en une cin­quan­taine d’an­nées, l’hip­po­drome était le monu­ment popu­laire byzan­tin. D’un bout à l’autre, ce qui s’ap­pelle aujourd’­hui en turc At Mey­danı, c’est-à-dire la place aux che­vaux, mesu­rait près de cinq cents mètres de long (et pré­ci­sé­ment 117,50 m de large) sur le plan du cir­cus maxi­mus romain : Car­ceres au nord-est (écu­ries et stalles), Sphen­do­nè au sud-ouest (courbe semi-cir­cu­laire) et Spi­na déli­mi­tant les deux allées. On estime que ce lieu de diver­tis­se­ment pou­vait conte­nir entre 30 000 et 50 000 per­sonnes (assises)1. En plus d’être un lieu où avaient lieu les courses de char, on y per­sé­cu­tait allè­gre­ment, selon la tra­di­tion romaine, tout oppo­sant aux idées ou régimes en place. Les Romains avaient pour habi­tudes de se débar­ras­ser des Chré­tiens en les envoyant aux lions, tan­dis que les Byzan­tins durant la période ico­no­claste pré­fé­raient s’at­tar­der sur les moines et les nonnes qui véné­raient les images avec des méthodes bar­bares que je pré­fère ne pas évoquer.

Concrè­te­ment, ce qu’il reste de l’hip­po­drome aujourd’­hui, ce sont quelques élé­ments de la Spi­na, cette bande cen­trale sur laquelle on expo­sait les tro­phées et les vic­toires de l’Em­pire ou les cadeaux don­nés à l’Em­pe­reur. Ain­si on pour­ra voir l’o­bé­lisque de Théo­dose (Diki­li­taş) qui est en réa­li­té un des obé­lisques de Thout­mô­sis III pro­ve­nant du temple de Kar­nak, posé sur un socle repré­sen­tant l’Em­pe­reur Théo­dose Ier et sa cour. Il mesure un peu plus de 18 mètres contre une tren­taine à l’origine.

On trou­ve­ra éga­le­ment un autre obé­lisque, dit obé­lisque muré (Örme Diki­li­taş). Consti­tué de pierres taillées, il était autre­fois recou­vert de plaques de bronze qui devaient res­plen­dir à la lumière du soleil. Les plaques ont été fon­dues pour en faire des pièces de mon­naie et les Janis­saires (Yeni­çe­ri) le dégra­dèrent for­te­ment car pour mon­trer leur bra­voure, ils devaient la gra­vir à mains nues, des­cel­lant ain­si bon nombre de pierres. Entre les deux se trouve la Colonne Ser­pen­tine (Yılanlı Sütun ou Bur­malı Sütun). Voi­ci un monu­ment fas­ci­nant puis­qu’il vient de la ville de Delphes et qu’il sup­por­tait comme tré­pied une vasque en or de trois mètres de dia­mètre, fon­due elle aus­si. Autre­fois sur­mon­tée de trois têtes de ser­pent dont une se trouve au musée de Top­ka­pi, elle fut sou­vent van­da­li­sée puis répa­rée ; on dit même que sous l’Em­pe­reur Théo­phile, le patriarche de Constan­ti­nople lui-même, lors de la période trouble de la que­relle des images, vint en pleine nuit détruire à coup de masse deux des trois têtes de ser­pent, sym­boles païens et démoniaques…

Minia­ture Otto­mane du Surname‑i Veh­bi, Top­kapı Sarayı Müze­si, Istan­bul (Hazine 1344, folios 290a)

Ces ves­tiges d’un pas­sé antique sont les témoins du drame de l’his­toire de cet hip­po­drome. On peut voir au pied de ces monu­ments que le niveau du sol à l’é­poque devait être de quatre bons mètres infé­rieur à ce qu’il est aujourd’­hui. En effet, les débris du bâti­ment se sont empi­lés et c’est sur cette épais­seur que la place a été apla­nie. Aban­don­né par les habi­tants, dévas­té lors des Croi­sades, puis par les Turcs qui l’ex­ploi­tèrent comme une vul­gaire car­rière, il n’en reste aujourd’­hui plus rien. Sauf… sauf un bon morceau…

Le pre­mier soir à Istan­bul, après avoir dépo­sé les bagages à l’hô­tel sous une pluie d’o­rage bat­tante, nous sommes sor­tis pour trou­ver un endroit où dîner. La pluie tom­bait avec une force propre aux villes de bord de mer et dès que s’ou­vraient les pre­mières rues en pente der­rière Kadır­ga Mey­danı, je pou­vais voir l’eau cou­ler en tor­rent, char­riant ordures et terre jus­qu’au beau milieu de la rue. N’ayant pré­vu qu’un blou­son léger, je me suis vite retrou­vé trem­pé. Mon fils sous sa capuche ne sem­blait pas vrai­ment se pré­oc­cu­per de ce qui lui tom­bait des­sus. J’a­vi­sai une petite épi­ce­rie où je deman­dai le prix du para­pluie qui se trou­vait en devan­ture : 10TL. 5 euros. Une arnaque, mais bon, je n’a­vais pas le cœur à négo­cier. Je payai rubis l’ongle et vit le jeune homme se frot­ter les mains de m’a­voir aus­si gros­siè­re­ment pigeon­né. J’a­vais mon para­pluie, dont je ne me suis ser­vi que pen­dant la demi-heure sui­vante puis­qu’il n’a pas plu à nou­veau de tout le séjour, mais j’a­vais un para­pluie stam­bou­liote. Autant dire qu’il est reve­nu avec moi dans la valise.

Pas de plan donc, aucune idée de l’en­droit où j’al­lais, je finis par me retrou­ver au détour d’une rue qui n’ar­rê­tait de pas de mon­ter dans Divan Yolu Cad­de­si, l’a­ve­nue qui des­cend jus­qu’à l’hip­po­drome et j’ar­rive sur la place de Meh­met Akif Ersoy Parkı, aux abords de la petite mos­quée Firuz Ağa Camii. Deux heures plus tard, après avoir man­gé sur le pouce un kebap, je me suis ren­du sur la place pour avoir une pre­mière impres­sion, his­toire de savoir si je devais reve­nir, ou pas. Tout était déjà sec comme si l’o­rage n’a­vait jamais eu lieu. Tout était silen­cieux, il n’y avait que le vent dans les dra­peaux ten­dus tout autour de la place qui cla­quaient légè­re­ment. Aucune voi­ture ne passe ici, au mieux quelques taxis, par­fois un bus et au loin le tram­way qui des­cend Divan Yolu. C’est calme et c’est ain­si que je découvre pour la pre­mière fois la ville-phare. Je traine du côté des grilles fer­mées de la Mos­quée Bleue (Sul­ta­nah­met Camii) et regarde avi­de­ment les détails de ce monu­ment qui est un peu le sym­bole du Proche-Orient à mes yeux, ses lourdes grilles en fonte, l’en­trée de la cour fer­mée par une immense porte de bronze, fine­ment ouvra­gée, sur­mon­tée d’un texte en arabe et d’un magni­fique muqar­na. Je m’ap­proche des trois anciens ves­tiges de la Spi­na, que je contourne, tombe sous le charme des monu­ments de la place, le Rec­to­rat et son por­tail typi­que­ment otto­man, la façade du Musée des Arts turcs et isla­miques avec son bal­con fas­ci­nant, ne vois pas la fon­taine de Guillaume II qui pour­tant trône en bonne place et que je ne décou­vri­rai que le len­de­main, à la lumière du jour, et devant laquelle je m’ar­rê­te­rai avec cir­cons­pec­tion tel­le­ment le style me parait moderne ; pour cause, elle fut offerte par l’Em­pe­reur Guillaume II d’Al­le­magne en 1895 au Sul­tan. Elle est pour­tant belle et s’in­tègre par­fai­te­ment au reste de la place. Les mosaïques dorées qui ornent l’in­té­rieur du dôme sont de toute beauté.

De l’autre côté de la place se tient l’autre bijou d’Is­tan­bul, celui qui occu­pe­ra le viseur de mon appa­reil pho­to à tout bout de champ ; Aya­so­fya (Sainte-Sophie). Illu­mi­née, ten­due vers le ciel, majes­tueuse plus que belle, impo­sante plus qu’é­lan­cée, elle laisse sup­po­ser par l’ex­té­rieur ce qu’elle est à l’intérieur.

Je disais plus haut qu’il ne reste rien de l’hip­po­drome, sauf une chose : la Sphen­do­nè. Évi­dem­ment, ça ne fait pas par­tie des jolies choses à voir, vu son état de déla­bre­ment, mais je suis allé par der­rière pour voir ce qu’il en res­tait, je suis allé tou­cher la pierre, sen­tir le bruit des sabots des che­vaux vibrer sous ma main… La tota­li­té des colonnes qui ornaient sa façade ont été rem­ployées pour la construc­tion de la mos­quée de Soli­man (Süley­ma­niye Camii), mais on ima­gine encore assez bien la taille que pou­vait avoir ce monu­ment. Sur cette carte datant de 1572 (Braun and Hogen­berg, Civi­tates Orbis Ter­ra­rum, map I‑51), on voit bien ce qu’il reste de l’hip­po­drome et ce qu’on peut en voir aujourd’­hui, ain­si que les ves­tiges de la Spi­na.

Au pro­chain épi­sode, je vous emmène dans les bas-fonds d’Is­tan­bul, dans le vieux quar­tier front de mer de Sul­ta­nah­met, là où les mai­sons s’é­croulent et que les rats tra­versent la rue, par­fois cour­sés par un chat affamé.

Album Pho­to

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 040 - Mehmet Akif Ersoy Parkı

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 041 - Sultanahmet Camii

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 042 - Hippodrome

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 043 - Sultanahmet Camii

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 044 - Obélisque de Théodose

Istanbul - avril 2012 - jour 1 - 045 - Sultanahmet Camii

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 211 - Sainte-Sophie

Istanbul - avril 2012 - jour 8 - 003 - Ayasofia et la fontaine de Guillaume II

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 139 - Sultan Ahmet Parkı - Fontaine de Guillaume II

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 039 - Tapu ve Kadastro Bolge Mudurlugu

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 037 - Tapu ve Kadastro Bolge Mudurlugu

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 036 - Atmeydanı Caddesi - Colonne serpentine et obélisque de Théodose

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 035 - Atmeydanı Caddesi - socle de la colonne murée

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 034 - Marmara Üniversitesi Rektörlüğü

Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 033 - Marmara Üniversitesi Rektörlüğü

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