La rose et la tulipe
Carnet de voyage à Istanbul 4 : Kadırga Meydanı et Emir Sinan Mahallesi
Nous sommes entrés dans Istanbul sous une pluie battante, et la première image qui nous est apparue au travers des vitres sales et embuées du taxi orange dont les essuie-glaces semblent ne fonctionner que sur le mode intermittent, c’est la longue avenue qui borde la mer de Marmara, avec ses restaurants de poisson, les marchés aux étalages généreux où reposent, la gueule ouverte, des bêtes impressionnantes ; raies, turbots, flétans. Nous traversons la muraille de Théodose, puis la gare maritime de Yenikapı dont les vedettes rapides filent vers l’Asie, Bursa ou les îles des Princes, et toujours en continuant Kennedy Caddesi vers le cœur de la ville, le chauffeur qui semble bloqué du cou essaie par des mouvements brusques de se décoincer, mais sans succès. C’est un homme d’une trentaine d’années, engoncé dans un pardessus en laine trop petit pour lui, mal rasé et dont le regard par dessous en raison de son cou bloqué peut sembler menaçant. Il ne décroche pas un mot de tout le voyage, me laissant une impression un peu froide pour un premier contact. Nous nous enfonçons dans la vieille ville en passant sous la voie de chemin de fer : c’est un autre univers ici, petites rues pavées dégoulinantes de pluie et de boue, maisons de bois s’avançant sur la rue, des quidams traversent dans tous les sens devant le taxi qui ne s’embarrasse pas de la présence des autres. Le taxi s’arrête pour demander son chemin à un jeune homme portant chemise blanche et gilet blasonné ; je le retrouverai plus loin puisque c’est lui qui portera les valises jusque dans la chambre. Juste avant d’arriver là, nous arrivons sur une grande place verdoyante, aux massifs plantés de tulipes qui ont souffert de la pluie et du vent. Je me dis que c’est le quartier que je vais avoir pour hôte pendant quelques jours, tout va graviter autour ce petit quartier populaire animé, ce café des sports où les hommes sont entre eux à boire du thé ou à regarder les matches de foot endiablés la nuit tombée, ces petites rues qui ne paient pas de mine partant en étoile depuis la place et où pourtant siège la vraie vie stambouliote, loin du tumulte du centre de la ville.
Kadırga Meydanı
Le soir venu, le quartier se vide, on n’entend plus de voitures et les âmes se retranchent derrière les vitres de leurs maisons que parfois on pourrait croire inhabitées tellement elles tombent en ruine, mais même dégradées, elles conservent leur charme serein. Plusieurs fois, je m’extasie devant un rez-de-chaussée où un vieux bonhomme mange seul à sa table sous la lumière crue d’un néon, habillé d’une robe de bure épaisse et d’un calot en feutre qui lui tombe mollement sur les yeux. Sa bouche édentée s’affaire à mâcher sa mixture dans le silence de son intérieur spartiate. Aucun meuble, juste une paire de rideau, une table et une chaise. Le strict nécessaire. Non loin de là, un soir où nous rentrons tard, un type à l’air endormi sort d’un réduit pour nous proposer de venir manger un kebap dans ce qui semble être un restaurant ; il doit être plus de minuit. Encore à côté, un couple de vieux regarde la télévision, lumières éteintes dans l’épicerie dont la porte est encore ouverte. On travaille à n’importe quelle heure, quand on le souhaite, si on veux, ou pas.
Le dimanche est chômé, tout ferme et lorsque nous montons vers le Grand Bazar, fermé lui aussi le dimanche, je découvre un quartier très commerçant qui me fait penser au Sentier, des échoppes partout, des grossistes, des vendeurs de semelles, de clés pas encore formées, de boulons, de présentoirs à bijoux, des magasins vides avec un ordinateur en plein milieu et des inscriptions en russe sur la vitrine laissant supposer qu’ici on fait de l’import-export avec la Mer Noire. Non loin du Grand Bazar, toute une communauté grecque est installée, travaillait dans l’argent et les bijoux. En montant les rues escarpées, je constate presque avec étonnement que d’ici on peut voir la Mer de Marmara à l’horizon. Tout ce quartier de Kadırga Meydanı a quelque chose de simple, de valeureux qu’on ne trouve nulle part ailleurs, qui fait un peu penser au Portugal ou au sud de la France, peut-être aux rues escarpées de Valparaíso, et qui fondamentalement m’aura fait aimé Istanbul par sa simplicité et son authenticité.
Album Photo
La seconde photo est parfaite.
Je ne veux pas trop me lancer des fleurs, mais je crois que tu es dans le vrai 🙂
le taxi, il aurait trouvé plus classe (pour lui) que tu descendes au Hilton 😉
Je suis pas certain que ça lui aurait remis le cou droit !