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Expo­si­tion au Louvre: Chypre, entre Byzance et l’Occident

Saint Mammès chevauchant le lion. Icône, Paphos, Musée byzantin © Paphos, Musée byzantin Une autre expo­si­tion pour laquelle il ne reste plus beau­coup de temps et qui exhibe quelques objets signi­fi­ca­tifs d’une longue période allant du IVème au XVIème siècle, d’une his­toire reli­gieuse de l’île qui a long­temps vécu sous influence, notam­ment sous le règne des Lusignan.
Construite chro­no­lo­gi­que­ment à par­tir des pre­miers temps de la chré­tien­té, lorsque l’Em­pire Romain d’O­rient est encore aux rênes de ce qu’on appelle l’Em­pire Byzan­tin jus­qu’à la conquête de l’île par la marine otto­mane, on per­çoit au tra­vers de cette expo­si­tion les dif­fé­rents mou­ve­ments d’une his­toire poli­tique tour­men­tée, suc­ces­si­ve­ment colo­ni­sée par toutes les puis­sances en pré­sence sur le pour­tour médi­ter­ra­néen (Arabes, Croi­sés, Véni­tiens, Turcs…), mais sur­tout que Chypre a été le foyer, et cela aus­si en rai­son de son sta­tut insu­laire, d’une grande spi­ri­tua­li­té, tiraillée entre ses ori­gines ortho­doxes et catho­liques tout au long des trois siècles pen­dant les­quels les Lusi­gnan feront de Chypre leur jar­din pri­vé. Cette spi­ri­tua­li­té s’ac­com­pagne d’une longue tra­di­tion archi­tec­tu­rale et de créa­tion artis­tique influen­cée par les habi­tants suc­ces­sifs de l’île.
De très belles icônes res­ca­pées de l’é­poque ico­no­claste conservent encore des cou­leurs d’une puis­sance sans égale. On pour­ra ain­si s’ex­ta­sier devant une icône haute de plus d’un mètre rela­tant les épi­sodes de la vie de Saint-Nico­las (pro­ve­nant de Saint-Nico­las-du-Toit, expo­sée d’or­di­naire au musée byzan­tin de Nicosie)

 

Ce sera éga­le­ment l’oc­ca­sion de voir un très beau livre qui ne sort que rare­ment de la BNF, le Thea­trum orbis ter­ra­rum d’Abra­ham Orte­lius, ain­si que le très énig­ma­tique Codex Magius. (more…)

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Arvo Pärt : Fes­ti­na lente (1988)

Voi­ci une com­po­si­tion musi­cale pour orchestre à cordes et harpe de la part d’un com­po­si­teur esto­nien que j’aime beau­coup : Arvo Pärt. Pärt est un mon­sieur dont j’a­vais déjà par­lé en 2010 et pour lequel je res­sens une grande affec­tion de par son his­toire, de par sa sen­si­bi­li­té musi­cale et peut-être un peu aus­si parce qu’il fait par­tie de ces gens qui ont le goût du sacré si che­villé au corps qu’ils savent en tirer les œuvres les plus pures, les plus dés­in­té­res­sées, les plus sen­sibles qui soient. Comme je le disais dans l’autre billet, Pärt est ins­pi­ré par la musique mini­ma­liste et arrive à trou­ver un com­pro­mis avec la reli­gion dans une forme de mys­ti­cisme dépouillé.
Fes­ti­na lente est une œuvre datant de 1988, durant 5 minutes et 45 secondes, uti­li­sant des tech­niques musi­cales issues du Moyen-âge, com­po­sée avec très peu de notes, créant ain­si un ensemble expri­mant tout une palette d’é­mo­tions dra­ma­tiques (pas­sion, amour, désir, etc.). A écou­ter avec ce beau jour lumi­neux qui arrive ce matin.

[audio:festinalente.xol] Read more

Lava­bo inter inno­centes manus meas

Abbaye du Thoronet

Pho­to © Guillaume Colin et Pau­line Penot

Je lave­rai mes mains par­mi les innocents…

L’hy­giène a eu des heures labo­rieuses. Pour­tant, la règle que pro­non­ça Robert de Molesme sous le nom de règle de cis­ter­cienne (de l’abbaye de Cîteaux) impo­sa aux moines de se laver les mains avant tous les actes qui ryth­maient la vie reli­gieuse ; offices, prières, tra­vaux, repas. A cet effet, entre les par­ties com­munes et le réfec­toire se trou­vait géné­ra­le­ment le cloître qui était équi­pé d’une ins­tal­la­tion assi­mi­lable à une fon­taine, laquelle per­met­tait de se laver les mains avant les repas. Cette ins­tal­la­tion por­tait le nom de lava­bo, forme future du verbe lavare à la pre­mière per­sonne (je lave­rai) et a connu dans le monde moderne une expan­sion hygié­niste cer­taine, car en réa­li­té, et sans le savoir, ce que venait de prô­ner la règle reli­gieuse allait sau­ver une nombre impor­tant de vies humaines aux pires heures de notre his­toire, par le simple fait de se laver les mains avant de manger…

Lava­bo du monas­tère de Batha­la (Por­tu­gal)
Pho­to © Aky­nou

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Trop­po natu­rale, bom­bar­da­to, dis­trut­to… L’Ins­pi­ra­tion de Saint-Mat­thieu, le tableau mau­dit de Miche­lan­ge­lo Merisi

J’a­vais déjà par­lé d’un tableau de Miche­lan­ge­lo Meri­si (Cara­vage), la Voca­tion de Saint-Mat­thieu, fai­sant par­tie d’un trip­tyque rela­tant trois moments impor­tants de la vie de Mat­thieu avec Saint-Mat­thieu et l’ange et le Mar­tyre de Saint-Mat­thieu, des­ti­né à déco­rer l’au­tel de la cha­pelle Conta­rel­li de l’église Saint-Louis-des-Fran­çais de Rome. Avant que ne vienne au jour la ver­sion que l’on peut admi­rer actuel­le­ment de l’ins­pi­ra­tion de Saint-Mat­thieu, Cara­vage avait pro­duit une toile de grande taille (232 x 183cm) repré­sen­tant l’ange gui­dant la main de Saint-Matthieu.
Bien.
Seule­ment, les choses ne sont pas aus­si simples. Il ne suf­fit pas d’a­voir le vent en poupe, d’être un peintre avec pignon sur rue et de peindre ce qui nous semble bon pour évo­quer la com­mande et res­pec­ter le cahier des charges, d’a­voir un talent incroyable et une audace de génie pour s’en sor­tir. Alors pour ten­ter de com­prendre ce qui cloche, appre­nons à regar­der ce que nous avons sous les yeux pour voir ce que nous ne voyons pas.

Nous voyons deux per­son­nages. La pre­mier, le plus impor­tant est Saint-Mat­thieu, le second est l’ange qui ins­pire l’a­pôtre pour lui dic­ter ce qui sera l’E­van­gile — par­don­nez-moi l’ex­pres­sion, mais c’est quand-même un gros mor­ceau. Étu­dions ce que nous voyons pour éven­tuel­le­ment en ana­ly­ser les pos­tures. L’homme est assis sur un curule, por­tant gau­che­ment (1) le livre sur lequel il écrit, genoux croi­sés (2), le pied ten­du vers le spec­ta­teur (3), les jambes cou­vertes de pous­sière (4), la main mal assu­rée et épaisse (5) gui­dée par celle de l’ange (6), l’air un peu — par­don­nez-moi — ahu­ri, pataud (7), genoux et coudes nus (8). Disons-le net­te­ment, nous avons ici 8 argu­ments suf­fi­sants pour réprou­ver cette œuvre d’art et l’empêcher d’être éle­vée au rang de pein­ture d’au­tel (du point de vue de l’Église, naturellement).

(1) Le fait que Mat­thieu porte le livre gau­che­ment le rend mal­adroit et indique clai­re­ment que c’est le genre d’ob­jet qu’il n’est pas habi­tué à manipuler.
(2) Les genoux croi­sés révèle une cer­taine désin­vol­ture, une « épais­seur » qui ne sied pas à un évangéliste.
(3) Ce pied ten­du peint avec un rac­cour­ci fait clai­re­ment appa­raître un débor­de­ment de la toile et pro­jette le pied en direc­tion du spec­ta­teur dans une trop grande proximité.
(4) Mat­thieu a les jambes cou­vertes de pous­sière (même si on le voit peu sur cette repro­duc­tion), comme un vul­gaire homme du peuple.
(5) Tout indique que Mat­thieu, s’il sait comp­ter au vu de son métier, a l’air d’a­voir un peu de mal à écrire…
(6) Impres­sion ren­for­cée par le fait que l’ange guide sa main au point qu’on se demande si ce n’est pas lui qui écrit avec la main de Matthieu.
(7) L’air naïf qui lui est impri­mé n’est pas à son avan­tage. C’est un peu comme s’il s’é­mer­veillait de cette écri­ture qui nait sous la plume que sa main tient, gui­dée par celle de l’ange.
(8) Genoux et coudes sont nus, ce qui n’est guère conve­nable, quand bien même Mat­thieu serait un homme simple et humble…

L’im­pres­sion don­née par la toile fait de Mat­thieu un per­son­nage beau­coup trop natu­rel, trop proche du qui­dam pour figu­rer dans une église de la sorte. Le tableau est reje­té par ses com­man­di­taires, jugé ton peu bien­séant, trop­po natu­rale… Meri­si sera obli­gé d’en conduire une autre ver­sion, beau­coup moins atta­chante, et sur­tout beau­coup plus conventionnelle.

La pre­mière ver­sion, dont il n’existe aucune repro­duc­tion en cou­leur a été por­tée dis­pa­rue, consi­dé­rée comme détruite, suite aux bom­bar­de­ments mas­sifs dont a été vic­time Ber­lin en 1945, notam­ment sur le Kai­ser Frie­drich Museum, aujourd’­hui Bode-Museum.

S’il n’a­vait pas été refu­sé, il serait aujourd’­hui en bonne place dans une église de Rome…

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Le livre contre le musée, du tre­mem­dum au canapé…

Lorsque j’é­tais à l’in­té­rieur du bap­tis­tère San Gio­van­ni de Flo­rence avec ses mosaïques de style byzan­tin repré­sen­tant le Christ du Juge­ment der­nier entou­ré des neuf repré­sen­tants de la hié­rar­chie céleste(1), je me suis posé une ques­tion. Mais d’a­bord, je me suis lais­sé enva­hir par la beau­té du lieu. Je pense que ce bap­tis­tère est un des lieux les plus magiques de l’his­toire de la chré­tien­té, et mal­gré ses dimen­sions beau­coup plus modestes que le Duo­mo(2) voi­sin, il n’en reste pas moins un lieu magni­fique. Ses mosaïques dorées sont bai­gnées d’une lumière irréelle et donnent au visi­teur une sen­sa­tion de majes­té écra­sante, ce qui est le lieu com­mun des œuvres sacrées. On doit s’y sen­tir petit, un tre­men­dum(3) tout puis­sant vous étrillant les entrailles… Ensuite je me suis posé une ques­tion. Je me suis dit que si je vou­lais prendre le temps de com­prendre cette his­toire, de la déchif­frer, d’en décou­vrir les sub­ti­li­tés et les sym­boles, il serait peut-être pré­fé­rable que je regarde les repro­duc­tions d’un livre, parce que ce sont deux temps dif­fé­rents chez moi. Je ne viens pas sur place pour com­prendre les mys­tères d’une fresque ou d’un tableau. Je suis là pour en res­sen­tir l’im­mé­diate pré­sence, pour me sen­tir hap­pé par l’œuvre telle que l’a conçu son auteur, l’acte intel­lec­tuel est pour plus tard, dans le second acte. Ce second acte est un acte de décom­po­si­tion de l’ins­tinct, un acte éla­bo­ré dans lequel on se ques­tionne et on ques­tionne l’œuvre dans sa rela­tion de dépen­dance à notre perception.


Flo­rence — Bap­tis­te­ry San Gio­van­ni (inter­ior) in Flo­rence

Donc, pour moi, le livre est un sup­port qui vient aider la com­pré­hen­sion. Et puis soyons hon­nête, il y a tou­jours quelque chose qui nous per­turbe quand on est sur place. Trop de monde, trop de bruit, et puis la plu­part du temps on doit cir­cu­ler, ne pas res­ter là sur place, sur­tout pas, il faut qu’il y en ait pour tout le monde. La barbe.
Cha­cune des deux actions est donc décor­ré­lée et se suf­fit à elle-même. Et jus­qu’à il y a peu, je pen­sais qu’on pou­vait faci­le­ment se pas­ser de l’un ou de l’autre. Jus­qu’à ce que j’aille voir les deux expo­si­tions Cana­let­to(4). En réa­li­té, je m’en suis sur­tout ren­du compte lorsque j’ai ouvert les deux cata­logues que j’ai ache­tés (oui, je sais, c’est cher les livres) et que je me suis aper­çu que les repro­duc­tions, mal­gré leur indé­niable qua­li­té et défi­ni­tion, n’é­taient que les reflets assez pâles de ce que je venais de voir. Et là, rien ne pou­vait venir contre­dire cela. Sur les tableaux de Cana­let­to, on peut voir les petites gouttes de pein­ture qui font les visages, les volutes flo­rales des décors des immeubles enrou­lées avec grâce, les caches que le peintre a uti­li­sé pour déli­mi­ter les à‑plats de cou­leurs, bref, tout ce qu’on ne voit pas sur la repro­duc­tion du livre.
Après, il y avait tel­le­ment de monde, notam­ment à Jac­que­mart-André, que j’ai cru que j’al­lais cra­quer et finir par écra­ser quelques pieds. Impos­sible de se plan­ter devant un tableau et d’at­tendre qu’il se révèle. Car c’est comme ça que ça fonc­tionne. Dif­fi­cile sur un livre de se lais­ser édi­fier par une œuvre monu­men­tale ou sim­ple­ment un por­trait gran­deur nature. De temps en temps, l’o­pé­ra­tion intel­lec­tuelle se fait sur place et prend l’al­lure d’une épi­pha­nie, d’une qua­si révé­la­tion. C’est ce qui m’est arri­vé devant L’es­ca­lier des Géants du Palaz­zo Ducale, un pur moment de grâce. A un moment don­né, le tableau s’est éri­gé devant moi comme s’il sor­tait de terre. Étran­ge­ment, même les plus grands tableaux de Cana­let­to peuvent être regar­dés de près, c’est ce qui fait la puis­sance de ces vedute.

L’es­ca­lier des Géants du Palaz­zo Ducale
(La Sca­la dei Gigan­ti in Palaz­zo Ducale)
1755–1756 — 174 x 136 cm

Alors je me suis deman­dé si quelque chose pou­vait rem­pla­cer l’ex­po­si­tion, l’ex­hi­bi­tion de ces œuvres réunies en un seul endroit pour extraire l’es­sence d’un style, d’un peintre, d’une époque. Je serais ten­té de dire que ça dépend. Ima­gi­nez vous face au fron­ton de l’ab­ba­tiale de Conques (déjà, il faut y aller en Avey­ron…) et pour un œil non exer­cé, ten­ter d’en décou­vrir tous les sym­boles cachés peut mettre du temps, alors que si vous êtes dans votre salon armé d’une belle repro­duc­tion, les choses peuvent vous appa­raître plus sim­ple­ment. Évi­dem­ment, se dire aus­si qu’on ne ver­ra pas tous les jours tel ou tel tableau est un encou­ra­ge­ment pour se dépla­cer aux expo­si­tions. Untel vient du musée de l’Er­mi­tage, untel des col­lec­tions pri­vées du Duc de Nor­thum­ber­land, untel des col­lec­tions du Prince de Liech­ten­stein, un car­net de note du peintre qui ne sort que pour la deuxième fois dans une expo­si­tion publique… Rien que ça invite à faire le déplacement.

Alors j’en prends mon par­ti à pré­sent. Si le temps me le per­met et si les condi­tions in situ ne sont pas trop désa­gréables, je me laisse sai­sir par l’œuvre. Sinon, je repère ce que je sou­haite appro­fon­dir et je me dis que je m’en sor­ti­rai avec la repro­duc­tion, quitte à trans­for­mer mes appar­te­ments pri­vés en biblio­thèque d’art…

Notes :
(1) Séra­phins, Ché­ru­bins, Trônes, Domi­na­tions, Auto­ri­tés, Puis­sances, Prin­ci­pau­tés, Archanges et Anges, selon la Hié­rar­chie Céleste du Pseu­do-Denys l’A­réo­pa­gite (490)
(2) San­ta Marie del Fiore (Sainte-Marie de la fleur)
(3) Sen­sa­tion du redou­table intro­duite dans la reli­gion par le pro­tes­tan­tisme, numi­neux de la psy­cha­na­lyse, notion déve­lop­pée chez Mir­céa Eliade, Le sacré et le pro­fane, Paris, Gal­li­mard, 1957.
(4) Cana­let­to à Venise, Musée Maillol, 59, rue de Gre­nelle (VIIe). Jus­qu’au 10 février 2013. 
Cana­let­to-Guar­di, Musée Jac­que­mart-André 158, bou­le­vard Hauss­mann (VIIIe). Jus­qu’au 14 jan­vier 2013.

Note de bas de page : ceci est mon 500ème billet sur ce blog

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