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Un monde flot­tant : l’ab­baye de Beau­port (Aba­ti Boporzh)

Un monde flot­tant : l’ab­baye de Beau­port (Aba­ti Boporzh)

Beau­port est comme un conte, un beau poème roman­tique de fin d’au­tomne, lorsque le vent souffle sa der­nière can­tate, assis au fond de l’é­glise. L’ab­baye est une fronde à la vie aus­tère, avec ses aga­panthes qui lancent leurs pom­pons bleu-vio­let dans les airs, ses camé­lias aux tons rouge sang et ses mas­sifs de buis indomptés.

On peut voir l’ab­baye depuis la route qui longe la côte entre Paim­pol et le bourg incon­nu de Ploué­zec, au lieu-dit Kéri­ty. De là où l’on est, on ne voit qu’une ancienne église de style gothique, au toit effon­dré, aux ouver­tures sans vie, sans vitraux, son âme ouverte aux quatre vents, celui de la terre, mais sur­tout celui de la mer et des maré­cages… De loin, l’é­di­fice fait pen­ser à l’ab­baye Saint-Mathieu, sise à la pointe du même nom, tout au bout de la terre. Ici, c’est un autre finis ter­rae qui nous attend, le point extrême entre le monde des vivants et le monde incon­nu qui fit tant de veuves dans la région, veuves dont on peut presque voir le rocher depuis les jar­dins de l’ab­baye, le monde de la mer.

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 03

Il ne reste ici qua­si­ment aucun toit, à part quelques uns, cer­tai­ne­ment refaits depuis le temps, mais les bâti­ments des moines sont presque tous à nu. On entre ici dans une grande salle qui devait être le réfec­toire, par une petite porte sous une arche en plein cintre. De l’herbe sur le sol et par les grandes fenêtres sous d’autres arcs plein cintre recou­verts de lichens et de mousses, on voit le jar­din for­mé de quatre grands car­rés. Un grand por­tail aujourd’­hui ouvert donne accès à ce jar­din qui devait autre­fois sub­ve­nir aux besoins des gens d’i­ci. Flan­qués de volutes, c’est une belle clô­ture entre le monde de l’es­prit et le monde de la terre. Tout au bout du jar­din, un autre por­tail, fer­mé celui-ci, donne sur le che­min de terre qui longe la côte et vient lécher les pieds des maré­cages et des prés salés le long du rivage. On n’est déjà plus sur terre, on est à mi-che­min entre la terre et la mer.

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 14

La salle capi­tu­laire est ouverte au vent, indé­cise entre le fait d’être au-dedans ou au-dehors. Ici et là on trouve des arcs en anses de panier, ce qui n’est pas si com­mun dans les envi­rons. Il ne reste plus par­fois que les mon­tants des fenêtres, taillés dans un beau gra­nit qui résiste au temps, et sur­tout au cli­mat qui a cet incroyable pou­voir d’en décou­ra­ger plus d’un. La pierre et l’eau ren­drait malade le plus aguer­ri des Bre­tons. Ajou­tez à cela la soli­tude des lieux et le froid qui règne dans ces pièces ven­teuses et votre séjour sur terre devient le plus ter­rible des châ­ti­ments. Les esprits les plus cyniques diraient qu’en rajou­tant une bonne couche de prières et de lita­nies, vous voi­là prêts à embar­quer pour les limbes plus vite que par la Natio­nale 12…

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 39

On a beau se pro­me­ner sous les arcs-bou­tants aux par­terres fleu­ris qui retiennent l’é­glise de tom­ber, même si elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, on y trouve peu de motifs de réjouis­se­ments. Le jar­din car­ré qui devait ser­vir de cloître, là où l’on trouve aus­si les lava­bos, est entou­ré d’ombres et la végé­ta­tion se greffe dans le moindre petit espace vide, accroche ses cram­pons à la pierre déjà atta­quée par les lichens, s’offre le luxe de s’ins­tal­ler où bon lui semble. On regret­te­rait presque le fait que l’é­glise n’ait pas été res­tau­rée avec l’a­jout d’un belle toi­ture en bois mas­sif et en ardoises lui­santes sous la pluie du large, mais l’en­droit est suf­fi­sam­ment sombre et beau comme cela pour ne pas en rajou­ter. Et puis ce n’est pas si cou­rant que de trou­ver de l’herbe grasse sur le sol d’une église.

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 47

On se perd dans le dédale des arcs ram­pants et dans la salle aux belles ogives larges où l’on trouve une grande che­mi­née qui devait à peine trom­per son monde en don­nant l’illu­sion qu’on pou­vait chauf­fer cette immense espace incon­trô­lable. J’en fris­sonne sous ma robe de bure rien que d’y son­ger. Les murs sont atta­qués par les lichens noirs et les cham­pi­gnons, signe que rien n’y fait… Dédale de pierre aux fenêtres ouvertes sur la mer, colonnes dont le pied est man­gé par les cro­cos­mias et les pivoines, les murs sont alors envi­sa­gés par les bignones (camp­sis radi­cans) qui n’ont pas encore le loi­sir de fleu­rir en ce mois d’a­vril. Les colonnes de l’é­glise, elles, sont entre­prises par les tapis de per­venches aux fleurs déli­cates et d’un bleu pro­fond. Sous les lierres grim­pants et dans les feuillages des hor­ten­sias, on ima­gine entendre le plain chant des moines, pauvres hères condam­nés à la vie régu­lière sous la sta­tue hau­taine de Saint Benoît, les tan­çant de son regard absent et grave avant même qu’ils n’aient com­mis le moindre pêché connu… Déjà ils sont pêcheurs, avant même d’a­voir mis le nez dehors, déjà ils doivent confes­ser leur exis­tence, quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense. Les anciens ban­dits des grands che­mins et autres truands à la petite semaine auront plus de bou­lot que les autres, mais il faut bien de nou­velles âmes à sauver.

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 52

Mélange curieux de roman tar­dif, de gothique flam­boyant hési­tant et pas trop mar­qué (on est chez les frères, tout de même…), de Renais­sance bre­tonne (vrai­ment par­ti­cu­lier ici) qu’on appelle du bout des lèvres « style Beau­ma­noir », les den­telles de pierre des­si­nant les empla­ce­ments des vitraux font presque figures de fan­tai­sie déplacée.

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 65

On peut faire le tour de l’ab­baye dans la fraî­cheur des débuts de soi­rée au prin­temps, en pas­sant par les jar­dins, en lon­geant les hauts murs qui plongent leurs pieds dans la fange des maré­cages. Ici un arbre pousse dans l’eau sau­mâtre, pré­fi­gu­ra­tion du bayou. Là on ima­gine par­fai­te­ment les nids de mous­tiques, nappes peu pro­fondes regor­geant de larves prêtes à bon­dir hors de leur trou.

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 69

Beau­port s’é­teint sur la grève, Beau­port nous trans­porte dans un autre temps, figé, somp­tueux, aus­tère. Beau­port, qu’on appelle Boporzh en bre­ton, est le lieu qui rat­tache les vivants à leurs morts. Char­gé d’his­toire, le lieu se prête aux his­toires qu’on ima­gine soi-même pour s’ex­pli­quer ration­nel­le­ment ce qui ne l’est pas. Abbaye les pieds dans l’eau, fan­to­ma­tique, reli­gieuse jus­qu’au bout des ongles, elle sent la den­telle noire ami­don­née et les pho­tos jau­nies des ancêtres entrés dans les ordres, la relique sous verre, un peu moi­sie comme un sou­ve­nir de Lourdes rame­né par un grand-mère très pieuse.

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 74

Entrez à Beau­port, sor­tez-en aus­si, lais­sez-vous rete­nir par ses griffes acé­rées, son calme impé­né­trable, loin des atours de la ville et sur la route de Com­pos­telle, lais­sez-vous la pos­si­bi­li­té d’en réchap­per, il y fait trop humide pour vos vieilles arti­cu­la­tions. Les rhu­ma­tismes claquent, les dents aus­si. Beau­port vous charme déjà, elle vous a envoutée…

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 83

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 88

Abbaye de Beauport (Abati Boporzh - Kerity, Paimpol) 81

Voir les 88 pho­tos de Beau­port sur Fli­ckr.

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Un moine, une fleur de lotus à la main

L’an­née se ter­mine, s’es­souffle dans un râle caver­neux, comme si elle avait fumé beau­coup trop long­temps tout au long de sa vie. Les matins sont dou­lou­reux et se suivent sans vrai­ment se res­sem­bler, deviennent des petits sup­plices raf­fi­nés à chaque fois que le réveil sonne. Dehors, un soleil de gui­mauve teinte le ciel de cou­leurs extra­va­gantes, comme un étal de mar­ché à l’ou­ver­ture, un ciel qui se renou­velle sans cesse.
Il me revient en mémoire des odeurs sur­tout, plus que des images, et pas for­cé­ment de bonnes odeurs, mais des odeurs du réel, du quo­ti­dien de l’autre bout du monde. L’o­deur des petites rues où per­sonne ne passe, l’o­deur des routes pas­santes, bat­tues par la pluie qui tombe comme des coups de fouet sur l’as­phalte brû­lant, l’o­deur des eaux stag­nantes au beau milieu de la ville, d’un khlong bou­ché par une écluse jamais ouverte, où pour­rissent en plein air des mon­ceaux de végé­taux impos­sibles à iden­ti­fier, l’o­deur des mar­chés aux plantes près d’un quai de la Chao Phraya et des mil­liers de pois­sons qui crou­pissent en plein soleil dans des bacs à peine rem­plis d’eau, l’o­deur exha­lant de la rivière où se battent des pois­sons-chats gros comme des silures, dans un fatras de queues et de têtes impos­sible à ima­gi­ner tant qu’on ne l’a pas vu, moment de folie ani­male où les pois­sons se montent les uns sur les autres ; spec­tacle irréel. C’est étrange com­ment les hommes créent eux-mêmes des odeurs qui n’existent pas for­cé­ment dans la nature.
Au milieu de tout ça reste l’o­deur inéga­lable du linge qui sèche der­rière un mur en pisé, les fleurs de fran­gi­pa­nier, grandes ouvertes comme des gueules d’a­ni­maux assoif­fés, dont les pétales blancs se parent d’une jaune qui fait pen­ser à des taches de beurre, la terre ruis­se­lante d’eau au pied des man­guiers, l’o­deur du petit matin qui se révèle ten­dre­ment après une nuit écrasante.
Il reste en moi plus d’o­deurs que d’i­mages, et chaque odeur sus­cite en moi une sen­sa­tion, un goût en par­ti­cu­lier dans la bouche, les sou­ve­nirs se trans­forment en quelque chose de presque pal­pable. Comme si j’é­tais assis par terre, le regard vers la terre, tenant entre mes mains une fleur déli­cate de lotus.

Moine en prière à la pagode bouddhique de Hong Phuc (dite de Hòa giải) 19 rue Hang Than (rue du Charbon) Hanoi, 1936. Photo Ecole française d’Extrême-Orient. Photographe inconnu.

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Le Coran bleu de Kairouan

Le Coran bleu de Kairouan

On a beau­coup par­lé du Musée du Bar­do ces der­niers temps pour l’his­toire tra­gique qui s’y est dérou­lée. Ce musée regrou­pant cer­taines des plus belles mer­veilles du monde médi­ter­ra­néen à tra­vers les âges, ren­ferme en son cœur quelques pages d’une des plus belles copies du Coran qui existe au monde, une pièce maî­tresse de l’art isla­mique. Une autre par­tie se trouve non loin de Kai­rouan, dans le très beau Musée natio­nal d’art isla­mique de Raq­qa­da et quelques feuillets sont déte­nus dans des col­lec­tions pri­vées qui les rendent par­fai­te­ment inaccessibles.

Le Coran bleu de Kai­rouan est un livre de toute beau­té datant des envi­rons du Xè siècle (IVè siècle de l’Hé­gire). Son for­mat rela­ti­ve­ment petit (41 x 31cm) en fait un objet qui ne vaut par sa taille mais par l’ex­cep­tion­nelle cou­leur bleue qui orne le fond des pages. De qua­li­tés inégales et d’une teinte qui varie d’un feuillet à l’autre, ce bleu est cer­tai­ne­ment rela­tif à la cou­leur céleste, cou­leur sacrée. L’é­cri­ture est faire d’encre d’or rap­pe­lant que la parole divine est ce qu’il y a de plus pré­cieux, appli­quée sur des feuilles de vélin épaisses (de la véri­table peau de veau) d’a­bord teintes à l’in­di­go puis séchées avant d’être recou­vertes d’é­cri­ture cou­fique à hampes courtes et corps éti­ré. Il sem­ble­rait que cette tech­nique extrê­me­ment coû­teuse soit ins­pi­rée des tech­niques de chry­so­gra­phie des codex impé­riaux byzan­tins, géné­ra­le­ment teints en pourpre.

Un car­tel est dis­po­nible sur le site de Qan­ta­ra.

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Trèves (Trier) sur la Moselle, la plus ancienne ville d’Allemagne

Trèves (Trier) sur la Moselle, la plus ancienne ville d’Allemagne

En sor­tant de Vian­den, je vou­lais reve­nir en Alle­magne, pro­fi­ter d’être dans les parages pour nager sur cette fron­tière incer­taine que je n’ai pas arrê­té de tra­ver­ser toute la jour­née. C’est sur la fron­tière et non pas de chaque côté qu’il se passe réel­le­ment quelque chose, que les iden­ti­tés se brouillent et se dépar­tagent pour refon­der quelque chose de nou­veau, que les cer­ti­tudes que l’on a d’être soi se dépar­tissent de leur ori­peaux. Je vou­lais res­sen­tir cette sen­sa­tion étrange encore une fois, alors j’ai pris les che­mins de tra­verse, les petites routes pas­sant dans des vil­lages insi­gni­fiants pour celui qui est en mal de sen­sa­tions mais où l’âme est cer­tai­ne­ment la plus pure de tout pré­ju­gé. J’ai l’ha­bi­tude de dire que c’est lors­qu’il ne se passe rien que les révo­lu­tions sont en marche. C’est la même chose pour les lieux ; c’est là où il ne se passe rien que j’aime musar­der, parce que je suis cer­tain d’y trou­ver quelque chose.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 001 - Route de Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 028 - Porta Nigra

En arri­vant aux portes de Trèves, je des­cends une grand côte qui me donne une vue spec­ta­cu­laire sur ce qu’est la ville ; quelques flèches annoncent de grandes églises au clo­cher poin­tu, noyées dans un urba­nisme dense et com­plexe. Je ne sais pas ce que je vais décou­vrir là, mais je fais plu­sieurs fois le tour du centre sans arri­ver à m’en rap­pro­cher. Des rues pié­tonnes en entravent l’ac­cès, appa­rem­ment dans une volon­té d’en vider la cir­cu­la­tion. Quelques places modernes où trônent un ciné­ma, un centre com­mer­cial, rien de très typique, rien de très exci­tant, à part peut-être une jeu­nesse désin­volte qui arpente les petites rues et pro­fite de la tem­pé­ra­ture encore clé­mente. Je finis par trou­ver de quoi me garer sur une grand artère où l’on trouve quelques hôtels un peu cos­sus, Chris­tophs­traße. Inévi­ta­ble­ment, je tombe sur ce superbe monu­ment qui devait autre­fois fer­mer la ville et qui remonte à l’é­poque romaine tar­dive ; la Por­ta Nigra. Son nom fait réfé­rence à la cou­leur de sa pierre, qui sans être véri­ta­ble­ment noire est recou­verte d’une patine fon­cée pré­sente depuis quelques cen­taines d’an­nées. Il paraît que le moine Siméon (un ermite ayant trou­vé refuge à Beth­léem et sur le Mont Sinaï) s’y fit enfer­mer jus­qu’à sa mort en 1035. Drôle d’i­dée que de quit­ter les cha­leurs de la Judée pour venir se faire enfer­mer dans un monu­ment romain, en pleine val­lée mosel­lane où la neige doit tom­ber drue l’hi­ver. Une église fut construite pour célé­brer le saint, puis détruite par Napo­léon pour lui rendre son aspect romain. Ce qui attire mon atten­tion immé­dia­te­ment, c’est la taille gigan­tesque des pierres qui com­posent l’é­di­fice ; on n’est pas face à de la bri­quette, ni même à de la belle pierre de taille, mais face à des blocs énormes taillés de manière grossière.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 007 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 011 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 014 - Hauptmarkt

La nuit a fini par tom­ber et c’est dans un semi-soir rosé que je des­cends l’ar­tère de Simeons­traße, une longue rue com­mer­çante des­cen­dant jus­qu’à la place du mar­ché, la Haupt­markt qui paraît être le vrai centre névral­gique de la ville. Avec ses belles mai­sons hautes à fron­ton baroque, res­sem­blant fort aux aus­tères mai­sons fla­mandes, c’est une place magni­fique que la lumière rend irréelle. Ici un carillon sonne l’heure, accro­ché à la façade d’un café, ici une église se cache dans un recoin, sous un por­tique où vous atten­dant trois las­cars titu­bant, prêts à vous deman­der l’au­mône, gen­til chré­tien. Une magni­fique fon­taine trône sur le côté de la place, sur­mon­tée d’un saint que je ne prends pas la peine de détailler, peut-être Saint Siméon, peut-être pas. Les saints me sortent par les yeux et ne sont que les signes d’un temps révo­lu dont je veux m’ex­traire. Je ne regarde plus que les cou­leurs de pein­tures, les dorures, les courbes des mai­sons hautes et ce pavé gros­sier qui ondule sous les pas. Je détourne le regard de ces vitrines flam­boyantes où les marques s’af­fichent comme dans tous les centres-villes désor­mais. La fla­gor­ne­rie du monde moderne.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 018 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 020 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 022 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 024 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 025 - Dom Trier

En contour­nant la place, mon regard est atti­ré par une flèche qui dépasse du pay­sage. Une petite rue part sur ma gauche et rejoint une autre place, de belles dimen­sions. Je trouve ici deux églises col­lées l’une à l’autre, deux grosses églises, impo­santes, de dimen­sions telles qu’on pour­rait les croire cathé­drales… La plus grande, avec sa façade aus­tère, son évident style roman, ses deux beaux gros clo­chers et ses étranges tou­relles d’angles est assu­ré­ment un monu­ment puis­sant et ancien. Une chose m’é­tonne tout de suite. On est mani­fes­te­ment du côté de l’en­trée de l’é­glise, du côté ouest, mais un ren­fle­ment dans la struc­ture indique qu’il y a comme un chœur de ce côté-ci, ce qui est vrai­ment inha­bi­tuel. Les arcades en façade et les arcs en pierre de dif­fé­rentes cou­leurs donnent l’im­pres­sion d’être face à un monu­ment roman du sud de la France. La com­pa­rai­son me vient immé­dia­te­ment avec l’é­glise de Saint-Nec­taire. Je n’y m’y suis pas trom­pé, c’est bien une cathé­drale, la cathé­drale Saint-Pierre de Trèves. Le nom de son patron indique une auto­ri­té supé­rieure, mais son petit nom, celui qu’on lui donne ici est tout sim­ple­ment Dom Trier. Je m’ex­ta­sie éga­le­ment sur le por­tail his­to­rié de sa voi­sine, l’église Notre-Dame-de-Trèves, qu’on appelle plu­tôt Lieb­frauen­kirche. Plus élan­cée, moins large, moins mas­sive, tout indique qu’elle est tout de même ancienne. C’est une illu­sion, elles ont été construite à la même période, à la moi­tié du XIIIè siècle. L’ef­fet est sai­sis­sant car ces deux églises dont la date de début des tra­vaux est 1235 sont en réa­li­té dans deux styles dif­fé­rents ; la pre­mière en style roman, la seconde dans un gothique pri­mi­tif. Ma frus­tra­tion est énorme car il est tard et les deux églises sont fer­mées depuis plus d’une demi-heure ; je rêve d’un monde où les églises seraient ouvertes la nuit, comme au Moyen-âge où l’on pou­vait y entrer à n’im­porte quelle heure, ouvertes aux quatre vents et dénuées de ces hor­ribles bancs en bois qui brisent la pers­pec­tive et en feraient oublier cer­tains pavages par­fois plus inté­res­sants que les pla­fonds. A part reve­nir demain, je ne vois pas com­ment faire. Reve­nir dans une autre vie ? Ce serait trop idiot. On en sait jamais si on revien­dra dans ses pas, à moins de le dési­rer très fort.

Je retourne vers la Por­ta Nigra car mon esto­mac me fait vio­lence et je me mets en quête d’un res­tau­rant. Une gar­gote un tan­ti­net bour­geoise me fait de l’œil, mais les prix pra­ti­qués me cou­pe­raient presque l’ap­pé­tit. J’ai fina­le­ment trou­vé, dans un endroit tota­le­ment impro­bable, une bras­se­rie moderne, à deux pas de la Por­ta Nigra, mais com­plè­te­ment cachée, cette enseigne qu’on peut trou­ver en entrant dans la cour du cloître qui porte le nom de Simeons­tift­platz. La bras­se­rie Brun­nen­hof pro­pose des plats copieux et fins pour une dizaine d’eu­ros, à l’a­bri du vent mau­vais qui souffle le soir, dans un lieu cap­ti­vant, un ancien cloître illu­mi­né et d’un calme ines­pé­ré au beau milieu de la ville. J’y ai man­gé une fine tranche de sau­mon cuite en papillote, avec des zestes de citron et une poê­lée de légumes, accom­pa­gnée d’une pinte de la bière locale, la Bit­bur­ger (Bitte ein bit ! dit le slo­gan). Je ne cache pas que mes trois mots d’al­le­mand ne m’ont pas beau­coup ser­vi pour tra­duire le menu et pas­ser la com­mande auprès du gar­çon. On m’a­vait pour­tant juré qu’a­vec la proxi­mi­té de la fron­tière fran­çaise et luxem­bour­geoise, les gens par­laient for­cé­ment quelques mots de fran­çais. Tu parles… Une bonne dose de bonne volon­té de sa part et une ten­ta­tive de la mienne à par­ler anglais sont venus à bout de la com­mande. Pas­sée l’é­mo­tion, je me suis vau­tré dans mon fau­teuil pour pro­fi­ter de l’air frais de cette belle soi­rée d’oc­tobre, en siro­tant ma bière gla­cée sous l’ombre impo­sante de la Por­ta Nigra, légè­re­ment ivre de fatigue, ivre de vivre cet ins­tant déli­cat et somptueux.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 034 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 035 - Dom Trier

Je ne pou­vais tout sim­ple­ment pas en res­ter là. Après être ren­tré tard sur une route que j’ai eu du mal à appri­voi­ser, je me suis levé avec une seule idée en tête… déjeu­ner au beau milieu de ces visages sans âme de l’hô­tel Double Tree, ces couples muets et bla­fards, ces retrai­tés gouailleurs, pour repar­tir vite fait vers Trier. Sous un ciel bileux qui s’est décou­vert au fur et à mesure, j’ai décou­vert l’autre ver­sant du Dom Trier ; son che­vet baroque, tout en ron­deur et que j’al­lais décou­vrir de l’in­té­rieur, le tré­sor qui s’y cache, et son impo­sante sta­ture, avec ses angles nets, et deux autres clo­chers mas­sifs et carrés.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 039 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 042 - Dom Trier

J’ai décou­vert à l’in­té­rieur un autre monde, la rudesse et la fan­tai­sie alle­mande, le contre-poids entre la Réforme et la Contre-Réforme, la séche­resse et la gau­driole. Dans ce qui me parais­sait être une chœur à l’en­trée en est peut-être un, je n’en sais rien, mais son pla­fond en demi-cou­pole est ornée d’une superbe déco­ra­tion de plâtres fine­ment exé­cu­tés, sur un fond bleu roi, don­nant au tout une étrange impres­sion de camée, appor­tant une lumière écla­tante de crème Chan­tilly tout juste battue.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 037 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 047 - Dom Trier

Au beau milieu de la nef trône dans les airs les plus belles des orgues, sus­pen­dues en l’air ; on appelle ça des orgues en nid d’hi­ron­delle. Celles-ci ont la par­ti­cu­la­ri­té d’en avoir éga­le­ment la cou­leur. D’une beau­té épous­tou­flante, d’une har­mo­nie gra­cieuse et presque hau­taine, c’est de loin le plus beau buf­fet d’orgues que j’ai jamais vu.

La crypte, comme sou­vent les cryptes, n’a pas grand inté­rêt, si ce n’est que j’y découvre des cuves en étain conte­nant cer­tai­ne­ment de l’eau bénite et dont je n’ar­rive presque pas à lire les éti­quettes. C’est trop peu évident pour moi et je ne cherche pas à com­prendre ce que cela peut vou­loir dire. Je m’en éton­ne­rai plus tard.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 057 - Dom Trier

La véri­table sur­prise de cette jour­née, c’est l’ab­side, celle que j’ai vue de l’ex­té­rieur, car elle contient quelque chose d’u­nique. On y trouve, enfer­mée, enchâs­sée dans une gangue de verre, hors de por­tée de mains, et de fidèles, la très sainte et très véri­table tunique du Christ. Enfin une des véri­tables. Car il en existe plu­sieurs. Les mau­vaises langues diront que le fait qu’il en existent plu­sieurs est le déter­mi­nant même du fait qu’elles sont toutes fausses, c’est ce qu’on appelle la délé­gi­ti­ma­tion mutuelle. Mais c’est sans comp­ter que le Christ avait peut-être un dres­sing avec plu­sieurs tuniques, qu’on a toutes retrou­vées. Plus sérieu­se­ment, les deux tuniques “sérieuses” sont ici, et à… Argen­teuil, à deux pas de mon lieu de tra­vail, dans la Basi­lique. J’y suis allé un midi, mais je ne l’ai jamais trouvée…

A la découverte de Trier (Allemagne) - 062 - Cloître du Dom Trier

A l’ex­té­rieur, un cloître magni­fique entoure un jar­di­net dans lequel sont enter­rés des pré­lats qu’on ima­gine impor­tants et d’où l’on peut voir l’im­po­sante église sous un autre angle. Dans une des ailes, une plaque en cuivre ajou­rée annonce qu’i­ci se trouve un ossuaire… De quoi faire trot­ter l’imagination.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 069 - Liebfrauenkirche

A la découverte de Trier (Allemagne) - 071 - Liebfrauenkirche

On entre ensuite dans la Lieb­frauen­kirche, étrange église construite sur un plan de croix grecque, ce qui est pas­sa­ble­ment éton­nant pour une église gothique, alors que les églises romanes étaient déjà construite sur un plan de croix latine. Ses vitraux lumi­neux et son pla­fond fleu­ri sont du plus bel effet et son plan ramas­sé lui donne une impres­sion de légè­re­té et d’é­troi­tesse que sa hau­teur élève vers… le Très-Haut ?… Je n’ai rien trou­vé d’autre à dire. Sans me sen­tir écra­sé par la puis­sance mys­tique des deux églises, je sens quand-même que le lieu dégage une cer­taine aura, peut-être un peu accen­tuée par la pré­sence de nom­breuses per­sonnes venues visi­ter ces deux églises, en pleine période automnale…

A la découverte de Trier (Allemagne) - 075 - Konstantin Basilika

A la découverte de Trier (Allemagne) - 078 - Konstantin Basilika

A la découverte de Trier (Allemagne) - 081 - Konstantin Basilika

Dans les rues, de grandes mai­sons ornées de por­tails impo­sants, sur­mon­tés d’é­cus­sons tenus par des lions debout donnent une impres­sion de richesse à la ville. Je marche jus­qu’à un autre monu­ment que je ne pour­rais mal­heu­reu­se­ment pas visi­ter, car fer­mé pour tra­vaux. C’est la Kons­tan­tin­ba­si­li­ka, une ancienne aula romaine ayant de ser­vi de salle du trône à Constan­tin, recon­ver­tie en église pro­tes­tante et dont la forme est stric­te­ment byzan­tine. On se croi­rait dans un fau­bourg d’Is­tan­bul. D’une rigueur extrême, impo­sant avec ses 67 mètres de long, ce bâti­ment nous vient tout droit de l’An­ti­qui­té et demeure le plus grand monu­ment encore intact qui nous soit par­ve­nu de cette époque. Son aspect dépouillé paraît conve­nir par­fai­te­ment à ses nou­velles fonc­tions de temple pro­tes­tant, mais la proxi­mi­té d’un palais baroque rose bon­bon col­lé sur son flanc, construit par Lothaire de Met­ter­nich au XVIè siècle, gâche un peu l’en­semble. Aus­si bien les Alle­mands sont capables du meilleur goût que par­fois leurs choix esthé­tiques sont hasar­deux. En l’oc­cur­rence, com­ment s’en sen­tir res­pon­sable lorsque ledit bâti­ment a 400 ans ?

A la découverte de Trier (Allemagne) - 088 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 091 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 093 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 094 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 095 - Hauptmarkt

Je n’ai plus beau­coup de temps à pas­ser ici. Je dois ren­trer ce soir, pas trop tard de pré­fé­rence, et pour l’heure, je dois aller dépla­cer la voi­ture si je ne veux pas me prendre une amende. Sur le che­min, j’ef­fleure à nou­veau les murs du Dom, je repasse par la Haupt­markt enva­hie de monde, fié­vreuse, entre dans Fleischs­traße (rue de la viande) et m’a­ven­ture jus­qu’à une bou­lan­ge­rie où j’a­chète bret­zels encore tout chauds, mar­zi­pans­tol­len et apfel­stru­del à empor­ter, mais je mets tel­le­ment de temps à choi­sir que j’ai l’im­pres­sion que son flegme alle­mand com­mence à bouillir sous son tablier bava­rois de pacotille.

Il fait encore beau pour un mois d’oc­tobre, le temps est même excep­tion­nel­le­ment doux pour la sai­son. Dans quelques semaines à peine, la région sera recou­verte par la neige et res­sem­ble­ra peut-être un peu à l’i­mage tra­di­tion­nelle qu’on se fait de l’Al­le­magne. Je n’ai pas vrai­ment pris le temps de par­ler avec les gens mais je res­sens plus la bar­rière de la langue qu’à Istan­bul, étran­ge­ment. Ce n’est cer­tai­ne­ment qu’une impres­sion, parce que les heures sont comp­tées, parce que le temps file à une vitesse incroyable. Il est temps pour moi de repar­tir. Je quitte la Haupt­markt et m’en­gouffre dans la der­nière rue dont je retiens le nom ; Wind­straße, la rue du vent qui longe le Dom, comme si on m’in­di­quait la sor­tie, ou peut-être ce qui me pousse à ne jamais res­ter en place, comme une méta­phore du pas­sage incer­tain dans les lieux qui m’ha­bitent et dans les­quels je n’ar­rive jamais à res­ter autant que je le souhaiterais…

A la découverte de Trier (Allemagne) - 098 - Windstraße

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Danses prin­cières : Legong au Palais d’Ubud

Danses prin­cières : Legong au Palais d’Ubud

Je crois que je suis arri­vé à Ubud un peu par hasard. Pour­quoi cette ville en par­ti­cu­lier et pas les plages pleines de sur­feurs, bat­tus par les vents et les vagues ? Parce que la mer n’est pas si clé­mente que ça dans cette par­tie du monde et j’ai pré­fé­ré être au cœur de l’île et pou­voir y trou­ver là une base arrière un peu au centre de tout. Quant aux spec­tacles des céré­mo­nies musi­cales, on ne peut vrai­ment arri­ver ici et ne pas se lais­ser hap­per par le charme étrange que dégagent ces orchestres musi­caux jouant du métal­lo­phone dans un rythme endia­blé, avec une rigueur incroyable et pen­dant de longues heures. Pro­me­nez-vous à Ubud le soir et vous ne man­que­rez pas d’en­tendre les orchestres jouer dans la fièvre et le moi­teur des ténèbres.

Le Palais d’U­bud est réel­le­ment cen­tral dans la ville, au car­re­four où l’on trouve le mar­ché, l’an­cien office du tou­risme qui est en train de tom­ber en ruine, et le musée d’art moderne. On hési­te­rait presque à y entrer, car on voit bien que l’en­ceinte com­prend des bâti­ments où doivent vivre des notables. J’ai cher­ché des infor­ma­tions sur cette enceinte, mais je n’ai rien trou­vé de per­ti­nent. Il me sem­blait pour­tant avoir lu quelque part qu’un sul­tan vivait là, même si son pou­voir était par­fai­te­ment réduit et dilué dans une démo­cra­tie nais­sante éten­due entre dix-sept mille îles sur plus de 6 000 kilomètres.

On s’é­ton­ne­ra de la taille rela­ti­ve­ment réduite de ce bâti­ment qu’on appelle palais, car rien ne le dis­tingue réel­le­ment des autres mai­sons du centre, si ce n’est qu’on trouve à son entrée deux gardes de pierre, deux monstres vêtus de sarong et d’un mor­ceau de tis­su noué autour de la tête. Les étoffes changent a prio­ri tous les jours. Par­tout sur les murs, ce ne sont que têtes de monstres gri­ma­çants, singes riant, corps de femmes sur­mon­tés d’un visage hor­rible, tirant une langue déme­su­rée retom­bant sur une poi­trine opu­lente, dra­gons aux doigts ouverts en éven­tail, bêtes étranges des­cen­dant des murs la tête en bas. Tout un monde oni­rique et terrifiant.

Le soir venu, c’est dans ce décor prin­cier que prennent vie des ombres assises sur le sol der­rière leurs impo­sants ins­tru­ments. Com­po­sés de lames de métal épais, des hommes en uni­formes clin­quants, sarongs et tis­su noué sur la tête, com­mencent à cares­ser bru­ta­le­ment les touches avec mailloches et autres tiges de bois dans une symé­trie abso­lu­ment par­faite. Rien ne dépasse jamais.

Les femmes, sublimes dan­seuses vêtues d’or et de fleurs tres­sées, avancent dans une cho­ré­gra­phie raf­fi­née, mou­vant leurs doigts dans des convul­sions exta­tiques et fai­sant prendre à leur visage les plus étranges expres­sions, pas­sant dans la seconde de la crainte la plus sombre à la joie extrême. Le rire et les larmes passent sur leur visage magni­fique, car ces femmes ont la par­ti­cu­la­ri­té, en dehors du fait qu’elles soient maquillées et apprê­tées pour l’oc­ca­sion, d’être vrai­ment très belles. Leur visage est d’une beau­té stu­pé­fiante et leur grâce fait d’elles de réelles déesses empreintes d’un savoir qui ne se per­pé­tue qu’i­ci, sur l’île des Dieux.

Voi­ci à nou­veau un car­net sonore datant de février 2014, accom­pa­gné de pho­tos plus belles que je n’au­rais pu les prendre et d’une vidéo mon­trant réel­le­ment en quoi consiste le Legong bali­nais, une vidéo bien mieux mon­tée que je n’en suis capable… En route pour le Legong.

Legong - 1934 - Anna Northcote (Severskaya), Private Collection

Dan­seuses de Legong — 1934 — Anna Nor­th­cote (Severs­kaya), Pri­vate Col­lec­tion — Sur le site de Michelle Pot­ter

Danseuse de Legong au Palais d'Ubud

Dan­seuse de Legong au Palais d’U­bud — Pho­to © Jorge Dal­mau

Danseur de Legong à Ubud - Photo © Matt Palsh

Dan­seur de Legong à Ubud — Pho­to © Matt Palsh

Danseuse de Legong - Photo © Alberto

Dan­seuse de Legong — Pho­to © Alber­to

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