Indo­né­sie sonore #3 Bruits de la nuit et de la route

Indo­né­sie sonore #3 Bruits de la nuit et de la route

De mes esca­pades noc­turnes sur l’île de Bali, j’ai rame­né l’âme de la nuit et de la nature. Si les cam­pagnes sous nos lati­tudes sont loin d’être silen­cieuses, les nuits bali­naises sont de véri­tables concerts para­di­siaques et inquié­tants, où la voix des insectes se mélangent à celle des cra­pauds en plein ébats amou­reux, où l’eau est omni­pré­sente, ruis­se­lante, suin­tante, dégou­li­nante, rem­plis­sant des vasques servent à ali­men­ter des rizières sur­char­gées. Il suf­fit de croi­ser au détour d’un che­min le masque gri­ma­çant d’un dieu sau­vage à tête de singe ou de dra­gon, ou une fon­taine repré­sen­tant Gane­sha, le Sei­gneur des Caté­go­ries, au mieux de sa forme, puis­sant et débon­naire, assis sur une fleur de lotus ruis­se­lante, pour savoir qu’i­ci la nuit a des ver­tus hal­lu­ci­no­gènes. Un léger coup de fatigue vous tour­men­te­ra bien plus que la plus puis­sante des drogues et vous vous retrou­vez bien vite plon­gé dans le mys­ti­cisme de l’hin­douisme, en pleine forêt tropicale.

Appre­nons à écou­ter la pluie qui tombe drue, les cra­pauds qui s’a­dressent des com­pli­ments d’une rizière à l’autre, des coléo­ptères impos­sibles à iden­ti­fier stri­du­lant au point par­fois d’in­com­mo­der le pro­me­neur noc­turne tel­le­ment le son est puis­sant. Écou­tons aus­si, le temps d’une jour­née grise et chaude, les conver­sa­tions des deux chauf­feurs de taxi qui ne connaissent leur île qu’ap­proxi­ma­ti­ve­ment et qui, j’en suis per­sua­dé, se paient votre tête alors que vous vous deman­dez dans quelle embus­cade vous allez encore tom­ber, lorsque tout à coup, on fait un demi-tour spor­tif en plein milieu d’une route étroite entou­rée de ravines pleines d’eau. On s’en­tend dire dans un anglais approxi­ma­tif qu’il y a un bar­rage poli­cier sur la route et qu’on fait un long détour pour vous pro­té­ger de la police cor­rom­pue, alors qu’en réa­li­té c’est sur­tout leur peau tan­née qu’il essaie de sau­ver (pro­blème de licence ?).

Il faut savoir qu’U­bud est un vil­lage, très éten­du, que les dis­tances, si sur la carte ne paraissent pas si éloi­gnées, sont en fait très grandes. Mais pour évi­ter les routes — per­sonne ne songe vrai­ment ici à aller d’un point à un autre autre­ment que moto­ri­sé — il existe des petits che­mins qui tra­versent par­fois les jar­dins des hôtels, longent les rizières dans une nuit noire, par­fois s’ar­rêtent puis reprennent. C’est dans ces moments noc­turnes (on se couche tôt à Bali, le soleil aus­si) que je me suis per­du dans la nuit pour cap­tu­rer tous ces petits sons qui sont autant de sou­ve­nirs bien plus vivants par­fois que de simples photos.

Ganesh

Singe dans la forêt des singes

Petit singe

Palais d'Ubud

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Fune­ral sen­tences for death of Queen Mary II Z.860 — March — Hen­ry Purcell

Fune­ral sen­tences for death of Queen Mary II Z.860 — March — Hen­ry Purcell

C’est un mor­ceau d’une com­po­si­tion assez simple, avec un nombre limi­té d’ins­tru­ments et d’une cer­taine len­teur indi­quant bien la fonc­tion qu’il occupe. Hen­ry Pur­cell com­po­sa ce mor­ceau en hom­mage à la reine Mary II d’An­gle­terre qui fit un bref pas­sage dans le pay­sage de la royau­té anglaise puis­qu’elle ne régna que de 1689 à 1694. La grande reine, par la taille, puis­qu’elle mesu­rait 1,80m, suc­com­ba à 32 ans à une épi­dé­mie de variole à la fin du mois de décembre 1694, lors d’un hiver rigou­reux où la Tamise fut prise dans les glaces. Mariée à Guillaume III d’O­range-Nas­sau, celui-ci conti­nua de régner jus­qu’en 1702.

Mar­quée par une sombre puis­sance liée à l’u­ti­li­sa­tion de caisses pro­fondes de deux tona­li­tés dif­fé­rentes et de cuivres (en réa­li­té des flatt trum­pet, ancêtres baroques du trom­bone) jouant une simple et triste mélo­pée, j’ai per­son­nel­le­ment décou­vert ce mor­ceau dans mes années d’en­fance lorsque je me pas­sais en boucle le 33 tours de la bande ori­gi­nale du film A clo­ck­work orange (Orange Méca­nique) de Stan­ley Kubrick. Ambiance recueille­ment et solen­ni­té pour ce qu’on ima­gine par­fai­te­ment être joué en église, avec toute la pompe néces­saire pour ces événements.

Triste his­toire que celle de ce mor­ceau qui fut non seule­ment joué aux funé­railles de la Reine Mary, mais éga­le­ment aux propres funé­railles de Pur­cell qui s’é­tei­gnit à son tour en 1695, un peu moins d’un an après la reine.

[audio:queenmary.xol]

Fune­ral sen­tences for death of Queen Mary II — March
Music for Queen Mary, Sir John Eliot Gar­di­ner, Equale Brass Ensemble, Mon­te­ver­di Choir and Orches­tra (2004)

[audio:queenmary2.xol]

Fune­ral sen­tences for death of Queen Mary II — The man is born
Music for Queen Mary, Sir John Eliot Gar­di­ner, Equale Brass Ensemble, Mon­te­ver­di Choir and Orches­tra (2004)

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Doğu din­leme n°3 : Mor Karbasi

Doğu din­leme n°3 : Mor Karbasi

Troi­sième album de cette jolie fille venue de Jéru­sa­lem, à la croi­sée des cultures médi­ter­ra­néennes. Ascen­dances perses, maro­caines, juives, elle mêle sa voix cris­tal­line et légè­re­ment trem­blante à une langue que vous aurez peut-être du mal à recon­naître, même si on y res­sent clai­re­ment des accents espa­gnols. En effet, cette langue est le ladi­no, la langue uti­li­sée par les Juifs espa­gnols dans leur longue errance, jus­qu’au bas des murailles de Constantinople.

Mor Karbasi

Mor Kar­ba­si chante l’op­pres­sion des séfa­rades sur des airs qui frisent le fla­men­co ou le fado, passe par l’é­mo­tion sur des musiques aux accents égyp­tiens ou maro­cains, avec une grâce superbe qui ne peut lais­ser de marbre et qui fait d’elle la cour­roie de trans­mis­sion de cette langue qui tend à disparaître.

  • 2008 : The Beau­ty and the Sea
  • 2011 : Daugh­ter of the Spring
  • 2013 : La Tsa­di­ka

Site offi­ciel : morkarbasi.com/

ℑ — Doğu din­leme n°2 : Mer­can Dede

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Doğu din­leme n°2 : Mer­can Dede

Doğu din­leme n°2 : Mer­can Dede

Voi­ci un artiste révo­lu­tion­naire des plus influents sur la scène sou­fie des deux côtés du Bos­phore. Mer­can Dede, de son vrai nom Arkın Ilı­calı, est un musi­cien turc qui n’hé­site pas à mélan­ger les genres. Maî­tri­sant le souffle du ney, cette flûte en roseau fai­sant par­tie des ins­tru­ments tra­di­tion­nels de la musique sou­fie qui se joue en souf­flant en biseau sur un cône, il s’est exi­lé quelques temps au Cana­da pour étu­dier la musique tech­no et c’est tout natu­rel­le­ment qu’il a réus­si à faire le pont entre les deux styles de musique en pas­sant par ce qui les réunis­sait ; la transe.
Ce qui en res­sort, c’est une musique tonique fina­le­ment très proche de la tra­di­tion otto­mane, empor­tant avec elle la ryth­mi­ci­té lan­ci­nante des céré­mo­nies sou­fies et créant une ambiance relaxante et douce.
Une petite dizaine d’al­bum émaillent son par­cours, dont les deux que je pré­sente ici au tra­vers de ces extraits.

Mercan Dede

[audio:MoyaAlitu.xol]

Moya Ali­tu, sur l’al­bum Nefes (Dou­ble­moon 2007)

[audio:YolGecenHani.xol]

Yol Gecen Hani, sur l’al­bum 800 (Dou­ble­moon 2007)

ℑ — Doğu din­leme n°1 : Le ney magique de Kud­si Ergüner
ℑ — Doğu din­leme n°3 : Mor Kar­ba­si

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L’al­lé­geance au territoire

L’al­lé­geance au territoire

« Il fau­dra reve­nir ! » Je ne sais pas com­bien de fois j’ai enten­du cette phrase dans ma vie, com­bien de fois m’a-t-on  dit de reve­nir par là, de repas­ser par ici, de reve­nir voir telle per­sonne et dans l’at­tente, on ne sait pas ce qui se passe. Par­fois, je retourne voir des gens qui m’ont fait faire cette pro­messe, une pro­messe de poi­vrot qu’on a déjà oublié le len­de­main, parce que la seule chose qui nous a fait nous sen­tir bien à ce moment-là, c’é­tait la légère ivresse due à quelques verres en trop ; le sou­ve­nir s’est estom­pé avec les vapeurs de l’al­cool. Le len­de­main est consa­cré à effa­cer les traces de cette gueule de bois. C’est alors la sur­prise la plus totale et sur le visage de l’autre on voit à quelle point la sur­prise de res­pec­ter cette parole en l’air est inat­ten­due ; par­fois, on en arri­ve­rait presque à pro­vo­quer du plai­sir. Il se passe quelque chose dans cet inter­stice, une brèche à peine visible à l’œil nu.

Entre Nevşehir et Tatlarin

Entre Nevşe­hir et Tat­la­rin — Cap­pa­doce — Tur­quie — août 2012

Et puis par­fois, ce n’est pas tout à fait ça ; on visite les gens en sou­ve­nir, des sou­ve­nirs per­sis­tants qui prennent la forme de rêves, ou de songes pro­fonds, lors­qu’on se trouve à la limite de l’en­dor­mis­se­ment et que pour chas­ser la trop grande pré­gnance de la réa­li­té, l’es­prit vaga­bonde et choi­sit dans une grand biblio­thèque un livre qu’on a déjà lu et qui nous a fait fré­mir, dans l’es­poir à peine voi­lé de res­sen­tir à nou­veau ce qu’il s’est pas­sé ce jour-là. C’est rare­ment aus­si bien, notez, mais c’est pré­ci­sé­ment cette expé­rience qui nous donne la pos­si­bi­li­té de vou­loir la revi­si­ter dans le but de la repro­duire ; les redites ont par­fois un goût amer et la seconde chance devient suf­fi­sam­ment embar­ras­sante pour effa­cer com­plè­te­ment la bonne pre­mière impres­sion. L’er­reur est fatale. Tout retombe doucement.
Il fau­dra alors recom­men­cer.

Sou­viens-toi, l’ami Loti, de ces phrases que tu n’as pas encore écrites, […] des phrases de vieillard au soir de sa vie, incré­dule comme un enfant déçu, qui avait crû aux pro­messes des bro­chures, et rêvait de toutes les mers et de tous les océans : « Alors, vrai­ment, ce n’était que ça, le monde ? Ce n’était que ça, la vie ? »

Patrick Deville, Kam­pu­chea
Seuil, 2011

Et voi­ci le moment de la digres­sion : dans un moment de soli­tude, j’é­coute l’é­mis­sion Cou­leurs du monde sur France Musique et je me perds aisé­ment dans les maqâm de l’Or­chestre Ara­bo-anda­lou de Fès, avec les chants séfa­rades de Fran­çoise Atlan. Il y a quelque chose de magique dans cette musique qui des­sine des cercles dans l’es­pace, avec ses accé­lé­ra­tions, ses arrêts, ses sac­cades, ses envo­lées lyriques et ses mots qui s’é­lèvent jus­qu’à ce que dans une der­nière res­pi­ra­tion, la musique dise quelque chose qui n’est plus terrestre…

[audio:Cantiga de Amor.xol]

Fran­coise Atlan & L’En­semble Constan­ti­nople — Can­ti­ga de Amor
Album : Des Moments Pre­cieux des Suds (2012)

Le pre­mier ins­tru­ment pour voya­ger n’est pas le récit de voyage ; c’est la musique. Avec elle on pour­ra tou­jours trou­ver de bonnes excuses pour res­ter au fond de son cana­pé en bonne com­pa­gnie, échap­per quelques ins­tants à la vitesse du monde en lui impo­sant le rythme, quel qu’il soit.

Alors peu importe ce qui se passe, s’en­dor­mir avec cette musique qui nous écarte du monde fait l’ef­fet d’une petite dose d’un de ces drogues qui rendent l’âme opaque et brumeuse.
Avant de repar­tir, il fau­dra écou­ter cette musique…

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