L’été se prête à toutes les fantaisies. Ayant pris sous le bras quelques livres de James Lee Burke, dont le héros Dave Robicheaux habite La Nouvelle Ibérie (New Iberia), en plein cœur de la Louisiane, je m’amuse à écouter pour accompagner mes lectures de ces musiques qui sont comme des complaintes, tantôt gaies, tantôt tristes, un peu rustres la plupart du temps, mais qui ont toutes pour caractéristique de parler de cette Louisiane si haute en couleurs. Cette partie du monde est chargée d’histoire pour plusieurs raisons.
D’abord, elle fut le réceptacle d’un immense exode qui vit se déplacer des familles entières venues d’Acadie, province canadienne alors peuplée des premiers colons français arrivés sur le continent, lors du Grand Dérangement au milieu du XVIIIème siècle. Les Acadiens, francophones, s’installent alors dans la dernière terre où le français est parlé sur le continent, mais à cette époque devenue possession espagnole ; la Louisiane, qui, ne l’oublions pas, porte le nom du roi Français Louis XIV. Ces Acadiens, avec le temps, prendront un nom bien particulier qui les distinguera par la suite de leurs ancêtres. La prononciation acadienne du mot acadien donne par anglicisme acadjonne. Par aphérèse et adoucissement, le mot Acadien s’est transformé en Cadien, puis Cajun. Le terme existe toujours aujourd’hui et désigne une large communauté francophone disséminée sur le territoire américain et répartis entre la Louisiane, le Texas et le reste des États-Unis. On estime aujourd’hui à presque 600 000 individus la population d’origine cadienne. S’il peut paraître étrange d’entendre parler un français un peu rustre en plein cœur du pays sudiste, il faut bien avoir à l’esprit que cette culture très particulière est en train de s’éteindre. Au début du XXème siècle, le Français cadien était encore une langue nettement parlée et transmise, et la plupart des locuteurs étaient des locuteurs uniques, ne parlant que français. Aujourd’hui, les Cajuns sont bien évidemment bilingues, et beaucoup d’entre eux délaissent le français au profit de l’anglais.
Le second événement qui marque l’histoire du pays cajun, c’est la guerre de Sécession, qui vit emporter dans la tourmente les planteurs cadiens qui, on s’en doute, ne se trouvaient pas du bon côté de la barrière et finirent pour la plupart exécutés. Mettant le pays à feu et à sang et ruinant les exploitations agricoles de la région, la guerre civile américaine ne doit pas faire oublier que la Louisiane est en plein cœur du sud sudiste, en plein pays confédéré qui n’hésite que rarement à arborer le drapeau rouge à croix bleue, symbole ségrégationniste toujours pas abdiqué et qui lie dans un joyeux désordre esclavagisme, racisme, ségrégation, suprématie blanche et Ku Klux Klan…
En dernier ressort, l’ouragan Katrina en 2005 en a terminé de ruiner la Nouvelle-Orléans et la région. 1500 morts, 150 000 sinistrés. La Nouvelle-Orléans a perdu aujourd’hui près de 30% de sa population, chassée par le désespoir et l’incurie de l’État dans la gestion de la crise sanitaire et humaine. Autre fait étrange, la population de la Nouvelle-Orléans, poumon du pays cajun, diminue quasiment de moitié entre 1960 et aujourd’hui. C’est également une des villes les plus peuplées par des Afro-Américains, avec, au dernier recensement en 2000, 67% de la population d’origine afro-américaine.
La Nouvelle-Orléans, capitale de la région, haut-lieu de l’identité française d’Amérique, mais pas tout à fait pays cajun. Ici on ne parle pas de comtés mais de paroisse (parish), mais le pays cajun, c’est le bayou et surtout la mèche, la côte du Golfe du Mexique, l’ancien territoire indien des Houmas. Le pays cajun, c’est aujourd’hui un territoire qui s’étend du lac Sabine à l’ouest à la Pearl River à l’est et à la ville de Bâton Rouge au nord, qui comprend les villes (aux terribles accents français ou indiens) de Lafayette, Lake Charles, Saint Martinville, Houma, Opelousas, Thibodaux ou Abbeville, et tout autour du Lac Pontchartrain.
Le mot cajun est un terme péjoratif, dont les Cajuns eux-mêmes se sont emparés comme marque de fabrique. De la même manière, les nordistes appelaient affectueusement les Cadiens les coonass, c’est-à-dire littéralement les “culs de ratons laveurs”, terme qui, on s’en doute, n’a rien de flatteur. En réaction, les coonasses ont créé un autocollant RCA (registered coon-ass), certifiant leur origine et la fierté d’être, en quelque sorte, des culs terreux (je me permets cette petite incartade linguistique, car étant moi-même pour moitié d’origine bretonne, je sais ce que c’est que de se faire traiter de péquenot, ou, dans une autre version propre à la situation, de plouc). Il est intéressant de voir à quel point le mot coonass est proche du français connasse… car en réalité, si l’analogie avec le racoon (raton) s’est faite naturellement, l’origine du mot est bien celle-ci. Les Cajuns sont donc bien des connasses… et fiers de l’être.
Aujourd’hui, cette culture un peu particulière est parfaitement méconnue et trop souvent entachée de clichés. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’ouvrir une nouvelle partie de mon blog, dédiée à la culture cajun et à d’autres aspects de la Louisiane, aux Créoles de Louisiane, en commençant par la musique. Cette nouvelle section s’appelle tout simplement Carnet Cajun.
Si on connait le blues, sait-on réellement que le blues qu’on joue à Chicago n’a rien à voir avec celui de la Nouvelle-Orléans, qu’on appelle Louisiane Blues, ou même Swamp Blues (blues du marécage) ? Et quid du Zydeco ? Voici la vraie musique louisianaise et cajun. Zydeco (prononcer Zaï-dico) vient directement du français et n’est que la version déformée, liée au pluriel et anglicisée du mot haricot. Clifton Chenier, un des plus grands représentants de la musique zydeco (ou zarico) chanta cette chanson qui donna son nom au style ; les haricots sont pas salés. Chanson, qui laisse supposer que celui qui l’a écrit n’avait pas suffisamment d’argent pour mettre de la couenne dans ses haricots pour les saler. Style un peu rustique, musique jouée de préférence avec des instruments aux accents bien connus par cheu nous (violon, accordéon), l’instrument réellement caractéristique en est le frottoir (plaque en métal autrefois utilisées pour laver les vêtements au lavoir — mon arrière-grand-mère en avait un en bois — qu’on fait résonner avec des dés à coudre).
Si tout au long de cette aventure que je vous propose aujourd’hui vous avez comme la sensation d’entendre quelque chose qui ressemble à ce qu’on appelle la country music (et qui personnellement me sort par les yeux), dites-vous bien qu’il y a en une qui est à l’origine de l’autre. En effet, la culture cajun s’est développée jusqu’au Texas, raison pour laquelle la country est fortement inspirée de cette musique traditionnelle un peu gauche qu’est le zydeco.
Partons donc au pays des zaricos, du bayou et de la mèche, des cyprès et de la barbe espagnole, des sandwiches torpilles aux crevettes et aux huîtres, pour en apprendre un peu plus sur nos cousins Cadiens, Cajuns, Coon-asses, Cadjines ou Cayens, sur cette culture qui décline et qui mérite qu’on la connaisse un peu mieux. On en profitera pour faire des détours par cette langue qui par bien des aspects mérite qu’on l’apprécie.
Je vous laisse apprécier les paroles et la musique du titre Les haricots sont pas salés :
Eh, maman,
Eh, maman,
Les haricots sont pas salés,
Les haricots sont pas salés.T’au volé mon traîneau,
T’au volé mon traîneau,
Garde hip et taïaut,
Les haricots sont pas salés.T’as volé mon gilet,
T’as volé mon chapeau,
Garde hip et taïaut,
Les haricots sont pas salés.
Photo d’en-tête © Billy Metcalf
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