Cou­leurs de l’au­tomne inté­rieur. Un automne avec James Lee Burke (et avec les autres)

Cou­leurs de l’au­tomne inté­rieur. Un automne avec James Lee Burke (et avec les autres)

Cou­leurs de l’au­tomne intérieur

Un automne avec James Lee Burke

L’a­près-11 novembre

11 novembre, on com­mence à entrer dans le dur. L’au­tomne ne se cache plus, la lumière rasante du soleil dis­pa­raît à 14h30 der­rière le toit de la mai­son des voi­sins, lais­sant ain­si le jar­din dans une semi-ombre ter­ri­fiante, qui dit aus­si que les beaux jours sont der­rière nous. J’ai pro­fi­té de mon same­di pour ramas­ser les pre­mières feuilles d’é­rable, net­toyer les mas­sifs et ren­trer les toiles des hamacs. Les alo­ca­sias ont trou­vé refuge à la place qu’ils avaient cédé près des fenêtres, afin de pas­ser un hiver serein.

On dit que l’au­tomne indien dure long­temps sous les lati­tudes cana­diennes. Si j’en crois la carte des cou­leurs autom­nales au Qué­bec, la sai­son est déjà ter­mi­née. Eton­nam­ment, ici, l’au­tomne se pro­longe, les feuilles ne sont pas encore toutes tom­bées. Le mar­ron­nier de la rési­dence d’en-face a ter­mi­né de cata­pul­ter ses fruits sur les voi­tures garées en-des­sous et ses feuilles pal­mées ont depuis bien long­temps com­men­cé à griller, vic­times de la séche­resse ; elles n’ont pas eu le temps de prendre leurs belles teintes. Mon érable est encore bien vert, tirant vers un jaune doré léger, tan­dis que mon sumac flam­boie de vives teintes rouges. Dans la rési­dence, de beaux grands arbres tirent sur le jaune d’or, et pen­dant ce temps-là, sur les feuilles per­sis­tantes des méta­kés (pseu­do­sa­sa japo­ni­ca) et du magno­lia gran­di­flo­ra, ruis­sèlent les gouttes d’eau que la pluie fine vient dépo­ser sur une nature dégoulinante.

On entre bien dans le dur. Il n’y a plus beau­coup de place pour le doute, ni pour la lumière. C’est à se deman­der si les arbres ne perdent pas leurs feuilles pour lais­ser place à la lumière. Il n’en demeure pas moins que l’au­tomne est une sai­son superbe, qui pré­pare à la rigueur de l’hiver.

Claire-Fon­taine, New-Bruns­wick. Pho­to © Shawn Har­quail

Une sai­son intérieure

Je pro­fite de mon inté­rieur douillet, des petites lumières que j’al­lume en pleine jour­née pour appor­ter un peu de gai­té tan­dis que dehors il pleut depuis que je me suis levé ; il sem­ble­rait que ça ne veuille pas s’ar­rê­ter de tom­ber, mais peu importe, je n’a­vais pas déci­dé de sortir.

Je suis en train de relire Le bra­sier de l’ange (Bur­ning angel) de James Lee Burke. Res­té trop long­temps sur ma table de nuit sans avoir été ouvert, il a pris le moi­si, je ne me rap­pe­lais plus le début ; en le reli­sant, des tour­nures de phrases entières me reviennent en mémoire, des noms de per­son­nages, des situa­tions que je pen­sais venir de ses ouvrages pré­cé­dents. James Lee Burke, c’est un écri­vain de polars d’une grande jus­tesse, dont la manière de racon­ter a la flui­di­té d’un grand écri­vain amé­ri­cain, le tout ser­vi par une tra­duc­tion digne et fidèle. L’é­cri­ture est tou­jours en ten­sion, comme écar­te­lée au-des­sus du vide, et donne envie à chaque page de conti­nuer l’a­ven­ture, dans une Loui­siane élec­trique et rava­gée par un mal fiévreux.

Puis se pro­duit quelque chose qui vous rap­pelle que nous avons tous dégrin­go­lé du même arbre.
Ima­gi­nez un homme enfer­mé dans un coffre de voi­ture, les poi­gnets atta­chés dans le dos, il a le nez qui coule à cause de la pous­sière et des épais relents d’huile de la roue de secours. Les feux stop de la voi­ture s’al­lument, illu­mi­nant briè­ve­ment l’in­té­rieur du coffre, puis la voi­ture s’en­gage sur une route de cam­pagne et les gra­villons claquent comme des coups de cara­bine sous les ailes. Mais un chan­ge­ment se pro­duit, un coup de chance auquel l’homme n’ar­rive pas à croire : la voi­ture ren­contre une ornière, le loquet du coffre se libère mais reste accro­ché de façon à ce que la porte ne se redresse pas bru­ta­le­ment dans le rétro­vi­seur du conduc­teur.
L’air qui s’en­gouffre par l’ou­ver­ture sent la pluie, les arbres et les fleurs mouillés ; l’homme entend des cen­taines de gre­nouilles qui coassent à l’u­nis­son. Il se pré­pare, appuie la semelle de ses ten­nis contre le loquet, le libère, puis il roule par-des­sus le rebord du coffre, dégrin­gole en se cognant au pare-choc et rebon­dit comme un pneu en caou­tchouc au milieu de la route. Sa poi­trine se vide de son souffle et un long sif­fle­ment, comme l’on venait de la faire tom­ber d’une grande hau­teur ; les pierres arrachent des mor­ceaux de chair à son visage, lui entaillent les coudes comme à la meule, y lais­sant des ronds rouges de la taille de dol­lars d’argent.
Trente mètres plus loin, la voi­ture s’est immo­bi­li­sée après un déra­page, la porte du coffre bat­tant l’air. L’homme ligo­té patauge au tra­vers des typhas jus­qu’au creux d’un mari­got en bor­dure de la route, les jambes entra­vées par les fila­ments de jacinthes mortes sous la sur­face, la vase se referme autour de ses che­villes comme du ciment mou.
Devant lui, il voit les bou­quets inon­dés de cyprès et de saules, la couche d’algues vertes sur l’eau morte, les ombres qui l’en­ve­loppent et le pro­tègent comme une grande cape. Les fila­ments de jacinthes lui font l’ef­fet de fils de fer autour de ses jambes ; il tré­buche, tombe sur un genou. Un nuage mar­ron de cham­pi­gnons de vase l’en­toure. Il avance, péni­ble­ment, tré­buche encore, tirant sur la corde à linge qui lui noue les poi­gnets, le cœur en train d’ex­plo­ser dans sa poi­trine.
Ses pour­sui­vants sont sur ses talons main­te­nant ; son dos le tire et tres­saute comme si on en avait arra­ché la peau à la pince. Puis il se demande si le hur­le­ment qu’il entend sort de sa propre gorge ou de celle d’un ragon­din tout là-bas sur le lac.
Ils ne tirent qu’une seule balle. Elle le tra­verse comme un pieu de glace, juste au-des­sus du rein. Lors­qu’il ouvre les yeux, il est sur un banc de sable, allon­gé sur un tapis de branches de saules écra­sées, les jambes dans l’eau. Le bruit de la déto­na­tion du pis­to­let résonne encore à ses oreilles. L’homme qui patauge en avan­çant vers lui n’est qu’une sil­houette, la ciga­rette aux lèvres.

La lumière revient un peu sur les coups de midi, la pluie s’est arrê­tée et la course des nuages chasse les plus épais, les plus char­gés. Il est temps pour moi de reprendre ma lec­ture… J’ai retrou­vé toute la série des livres de Dave Robi­cheaux, j’ai réins­tal­lé sur mon PC de bureau un vieux jeu auquel je jouais à la fin des années 90 grâce à un ému­la­teur et une machine vir­tuelle, j’ai comme l’im­pres­sion de bidouiller avec mon PC comme je le fai­sais il y a vingt ans, j’é­coute ma play­list islan­daise en buvant du thé dans lequel je trempe des bis­cuits à la can­nelle pen­dant que d’autres se caillent les meules sous la pluie, raides comme des piquets… Je pense aux morts de ma famille, que, contrai­re­ment à beau­coup d’autres, je connais parce que j’ai pris le temps d’in­ter­ro­ger mes grands-parents, depuis mon inté­rieur douillet. Je connais cha­cun de mes arrières-grands-parents et leurs faits d’armes en 14–18, parce que j’ai la mémoire vive. En fait, je vis ma nos­tal­gie en recréant des ambiances, avant d’ou­blier com­ment c’é­tait d’être nostalgique…

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Citi­zen­four. Quelques jours avec Edward Snowden

Citi­zen­four. Quelques jours avec Edward Snowden

Citi­zen­four

Quelques jours avec Edward Snowden

La sur­veillance de masse

C’est un matin comme les autres, enso­leillé et froid, en plein cœur de l’au­tomne. Il fait 6°C dehors et les jours pro­chains pro­mettent d’être plus froids encore et plu­vieux ; ceci me crie à la figure la pro­messe de moments pas­sés dans la cha­leur de mon inté­rieur. J’é­cluse mes livres. La pile de livres à lire s’é­tire en hau­teur comme les gale­ries tou­jours plus hautes d’une ter­mi­tière, construc­tion fac­tice dont je finis par deman­der si tout cela va s’ar­rê­ter un jour. Une de mes der­nières acqui­si­tions ; Mémoires vives, par un cer­tain Edward Snow­den. Rien que le fait d’é­crire ces mots sur une page web, mal­gré sa faible dif­fu­sion, signi­fie d’en­trée de jeu que je suis impli­qué dans un sys­tème de sur­veillance dont je n’ai même pas idée. Snow­den, je ne m’y étais jamais vrai­ment inté­res­sé, je savais à peine qui c’é­tait, un Amé­ri­cain pas tout à fait tran­quille, bla­fard, un infor­ma­ti­cien à lunettes qui, parce qu’il avait une cou­ver­ture média­tique hal­lu­ci­nante, devait for­cé­ment avoir fait quelque chose de mal… Quelques lignes, la repro­duc­tion de quelques phrases tirées du jour­nal intime de Lind­say Mil­ls, sa com­pagne, éta­lées dans les pages du maga­zine Socie­ty, m’ont don­né envie de lire ce livre sur un sujet pour lequel je n’a­vais a prio­ri aucun espèce d’at­ti­rance, et sur­tout, qui n’a jamais véri­ta­ble­ment titillé ma méfiance.

Quelques jours m’ont suf­fi à lire ce livre d’une grande pure­té. Les mots de Snow­den résonnent encore alors que je viens de poser le livre, dont j’ai englou­ti le conte­nu comme un enfant bou­li­mique. Je regarde dehors, le soleil qui glisse sur les feuilles dorées de l’eu­ca­lyp­tus, et je me demande ce qui a bien pu se pas­ser pour qu’on en arrive là et pour, au final, qu’on se soit lais­sé faire. Il n’est pas ques­tion d’être para­noïaque, mais sim­ple­ment conscient que notre vie élec­tro­nique ne nous appar­tient pas. Elle ne nous a en fait jamais appartenu.

Snow­den qui a vécu les pré­mices d’In­ter­net se pose la ques­tion de savoir ce qui a fait que cet outil libre qu’é­tait le réseau mon­dial a pu tom­ber entre les mains de la NSA et des autres organes éta­tiques de sur­veillance dans le monde. Toutes les traces que nous y avons lais­sées existent pour tou­jours, impos­sibles à récu­pé­rer, impos­sibles à effa­cer. Les trois ins­truc­tions lire, écrire, exé­cu­ter, excluent de fac­to une qua­trième qu’on pense exis­ter éga­le­ment : effa­cer. En infor­ma­tique, rien n’est jamais effa­cé, et même si votre ordi­na­teur tente de vous en convaincre en vous deman­dant de confir­mer plu­sieurs fois que vous êtes en train de tirer un trait sur ce que vous venez de créer, il n’en est rien. Effa­cer ses traces est pra­ti­que­ment impos­sible, cela signi­fie peut-être que l’on est en train de dis­pa­raître soi-même.

Mais ça n’au­rait fait que rendre encore plus des­truc­teurs cer­tains pré­ceptes qui gou­vernent la vie sur Inter­net, à savoir que per­sonne n’a le droit de com­mettre une erreur et que si jamais cela arrive, il en sera tenu res­pon­sable jus­qu’à la fin de ses jours. Or, je n’a­vais pas envie de vivre dans un monde où tous devraient faire sem­blant d’être par­fait, car ce serait un endroit où ni mes amis ni moi n’au­rions notre place. Effa­cer ces com­men­taires reve­nait à effa­cer ce que j’é­tais, d’où je venais, et jus­qu’où j’é­tais allé. Renier ce que j’a­vais été autre­fois m’au­rait conduit à ôter toute valeur à ce que j’é­tais devenu.

Tokyo. Pho­to © B. Luca­va

Tokyo et les métadonnées

Snow­den est tour à tour un bon petit sol­dat, sous-trai­tant, membre externe d’un organe d’é­tat, employé d’une boîte d’in­for­ma­tique ayant pignon sur rue et dont vous pos­sé­dez peut-être un exem­plaire (Dell), com­mer­cial, admi­nis­tra­teur réseau. En réa­li­té, il est membre du contre-espion­nage, à la solde de l’État amé­ri­cain et vic­time à son insu d’une gigan­tesque machi­na­tion dont il est lui-même l’ar­chi­tecte. Il passe par toutes les strates qui lui per­mettent de com­prendre que la mis­sion qu’on lui a confiée n’est ni plus ni moins que par­ti­ci­per à la fabri­ca­tion d’un gigan­tesque sys­tème de sur­veillance glo­bale qui col­lecte toutes les traces élec­tro­niques à tra­vers Inter­net et dont n’im­porte qui pour­rait se ser­vir pour rendre n’im­porte qui d’autre cou­pable de n’im­porte quoi. Mais on n’est plus en train de par­ler du sys­tème ECHE­LON, on est bien au-delà. Pour bien com­prendre de ce dont il est ques­tion, il faut com­prendre que ce n’est pas tant le conte­nu des don­nées élec­tro­niques qui inté­ressent ceux qui ont déci­dé de mettre en place cette sur­veillance, mais les don­nées qui en per­mettent le trans­port ; les méta­don­nées… Snow­den se trouve alors à Tokyo et nous explique avec une clar­té biblique à quel point nous sommes vulnérables.

Je veux par­ler des infor­ma­tions qui ne sont pas dites ni écrites mais qui per­mettent néan­moins de révé­ler un contexte plus large et des modèles de com­por­te­ments. […] Ima­gi­nons que vous télé­pho­niez à quel­qu’un depuis votre por­table. Les méta­don­nées peuvent alors inclure la date et l’heure de votre conver­sa­tion, la durée de l’ap­pel, le numé­ro de l’é­met­teur, celui du récep­teur, et l’en­droit où l’un et l’autre se trouvent. Les méta­don­nées d’un e‑mail peuvent indi­quer le genre d’or­di­na­teur uti­li­sé, le nom de son pro­prié­taire, le lieu depuis lequel il a été envoyé, qui l’a reçu, quand il a été expé­dié et quand il a été reçu, qui l’a éven­tuel­le­ment lu en dehors de son auteur et de son des­ti­na­taire, etc. Les méta­don­nées peuvent per­mettre à celui qui vous sur­veille de connaître l’en­droit où vous avez pas­sé la nuit et à quelle heure vous vous êtes réveillé ce matin-là. Elles per­mettent de retra­cer ce que fut votre par­cours dans la jour­née, com­bien de temps vous avez pas­sé dans chaque endroit visi­té et avec qui vous avez été en contact. […] Vous ne contrô­lez pas, ou à peine, les méta­don­nées que vous géné­rez auto­ma­ti­que­ment. C’est une machine qui les fabrique sans vous deman­der votre par­ti­ci­pa­tion ni votre auto­ri­sa­tion, et c’est aus­si une machine qui les recueille, les archive et les ana­lyse. A la dif­fé­rence des êtres humains avec qui vous com­mu­ni­quez de votre plein gré, vos appa­reils ne cherchent pas à dis­si­mu­ler les infor­ma­tions pri­vées et n’u­ti­lisent pas de mots de passe par mesure de dis­cré­tion. Ils se contentent d’en­voyer un ping à l’an­tenne-relais la plus proche à l’aide de signaux qui ne mentent jamais.

TITAN­POINTE, le bun­ker de la NSA en plein cœur de New-York. Lire l’ar­ticle sur The Inter­cept

La TUR­BU­LENCE

Quelque chose me rend un peu ner­veux à la lec­ture de ces mots. Je n’ai pas à pro­pre­ment par­ler la sen­sa­tion d’être épié. Je ne suis pas plus inquiet que ça à l’i­dée que la web­cam de mon PC por­table puisse être contrô­lée à dis­tance par quel­qu’un qui vou­drait voir ce que je fais en écri­vant ces mots et en buvant mon café, parce qu’en réa­li­té, je ne pense pas être l’ob­jet des atten­tions par­ti­cu­lières des ser­vices de contre-espion­nage… Tou­te­fois, je me rends compte que ma vie est consi­gnée sur des ser­veurs à qui je n’ai pas don­né l’au­to­ri­sa­tion de sto­cker ces infor­ma­tions. En regar­dant “mes tra­jets” sur Google maps, je sais que tous mes tra­jets sont consi­gnés. Le GPS, même si je n’u­ti­lise pas d’i­ti­né­raire par­ti­cu­lier, est en capa­ci­té de me dire si je suis ren­tré chez moi par la rue Gabriel Péri ou la rue Pas­teur, à quelle heure je suis arri­vé sur les hau­teurs de Magnan­ville ce jour où il pleu­vait des cordes et si la pho­to de ce cham­pi­gnon dont je ne connais même pas le nom a bien été prise près de l’é­tang Godard dans la forêt de Mont­mo­ren­cy. Des don­nées ano­dines, mais qui sont archi­vées. Depuis long­temps. Tout un pan de ma vie sto­cké sur des ordi­na­teurs dont je ne connais pas l’emplacement. Tout ceci com­mence à me faire peur. Pour­tant, je n’ai pas la sen­sa­tion d’être un cri­mi­nel mais savoir que je suis sur­veillé à mon insu me laisse pen­ser que je pour­rais poten­tiel­le­ment l’être alors que je n’en ai pas spé­cia­le­ment envie…

Pour bien com­prendre les risques encou­rus, per­sonne mieux que Snow­den peut nous expli­quer ce qui se passe exac­te­ment et pour cela, il nous explique com­ment fonc­tionne TUR­BU­LENCE, une arme de confis­ca­tion massive.

Ima­gi­nez-vous assis devant un ordi­na­teur, alors que vous êtes en train de vous rendre sur un site web. Vous ouvrez votre navi­ga­teur, tapez un URL, et appuyez sur la touche “entrée”. L’URL est une requête, et cette requête est envoyée vers son ser­veur de des­ti­na­tion. Mais quelque part, au cours de son voyage, avant que la requête ne par­vienne à son ser­veur, elle devra pas­ser à tra­vers TUR­BU­LENCE, l’une des armes la plus puis­santes de la NSA.

Plus spé­ci­fi­que­ment, votre requête pas­se­ra par plu­sieurs ser­veurs noirs empi­lés les uns sur les autres, d’à peu près la taille d’une biblio­thèque à quatre rayon­nages. Ces ser­veurs sont ins­tal­lés dans des salles spé­ciales au sein de bâti­ments appar­te­nant aux plus grands opé­ra­teurs télé­coms pri­vés dans des pays alliés, ain­si que dans des ambas­sades  et des bases mili­taires américaines. […]

Si TUR­MOIL décide que votre navi­ga­tion est sus­pecte, il trans­met l’in­fo à TUR­BINE, qui redi­rige votre requête vers les ser­veurs de la NSA ; là-bas des algo­rithmes décident quel pro­gramme — quel logi­ciel mal­veillant, ou mal­ware — de l’a­gence va être uti­li­sé contre vous. […] Les pro­grammes choi­sis sont ren­voyés à TUR­BINE qui les injecte dans le tra­fic et vous les refile en même temps que le site web que vous cher­chiez à visi­ter. Et voi­là le résul­tat : vous avez eu le conte­nu que vous vou­liez, avec la sur­veillance dont vous ne vou­liez pas, le tout en moins de 686 mil­li­se­condes. Et com­plè­te­ment à votre insu.

Une fois que les pro­grammes sont sur votre ordi­na­teur, la NSA n’a plus seule­ment accès à vos méta­don­nées mais éga­le­ment à toutes vos don­nées. Désor­mais votre vie numé­rique lui appar­tient entièrement.

Bon. Pas vrai­ment ras­su­rant tout ça. Cela me pose la ques­tion de savoir si je n’ai pas, tout au long de ma vie numé­rique, quelque peu décon­né, à cher­cher des infor­ma­tions sur tel homme poli­tique, tel dis­si­dent chi­nois, tel pré­sident de la répu­blique amé­ri­caine à la che­ve­lure orange… Et du coup, existe-t-il dans mon ordi­na­teur un logi­ciel qui pirate toutes mes méta­don­nées pour en orga­ni­ser la col­lecte dans un data­cen­ter d’A­ma­zon et per­mettre ain­si à un agent trai­tant de la NSA de savoir tout ce qui se passe dans ma mai­son… ? Je vais me refaire un café.

Dis­clo­sure

Snow­den n’est pas qu’un geek aso­cial qui aurait fait fui­ter des infor­ma­tions pour se tailler tran­quille­ment une car­rière de sta­ture inter­na­tio­nale mise en lumière par quelques jour­na­listes un peu aven­tu­reux… On ne le sait peut-être pas, mais les révé­la­tions dont il est l’au­teur ont eu pour effet de faire condam­ner la NSA qui a outre­pas­sé ses droits et d’en­ca­drer les pro­cé­dures de sur­veillance. Aujourd’­hui, Edward Snow­den vit en exil à Mos­cou, après avoir vécu quelques temps à Hong-Kong d’où il a pu faire ses révé­la­tions dans une chambre d’hô­tel aveugle, le teint bla­fard et les vête­ments frois­sés, entou­ré de quelques repor­ters qui ont déci­dé de por­ter sa parole au grand public. Il paie chè­re­ment ses révé­la­tions, les auto­ri­tés amé­ri­caines au cul et la peur au ventre. La France vient de refu­ser de lui don­ner asile, cer­tai­ne­ment par peur de frois­ser un pré­sident amé­ri­cain qui le consi­dère tou­jours comme un cri­mi­nel. Si on peut consta­ter aujourd’­hui que les lan­ceurs d’a­lerte ne béné­fi­cient d’au­cune pro­tec­tion et que leur vie dépend d’é­tats qui sou­haitent plus ou moins offrir l’a­sile, Snow­den donne l’exemple, car il n’a pas hési­té à oser sacri­fier sa vie, celle de ses parents et de sa com­pagne, pour une cause qu’il jugeait juste et dont la révé­la­tion a eu des effets. Il n’en reste pas moins que cela pointe autre chose… dont il faut tou­jours être conscient.

Si, à un moment ou à un autre au cours de votre lec­ture de ce livre, vous vous êtes arrê­té un ins­tant sur un terme en dési­rant le cla­ri­fier ou l’ap­pro­fon­dir, et vous l’a­vez tapé dans votre moteur de recherche — et si ce terme est d’une manière ou d’une autre sus­pect, comme XKEYS­CORE, par exemple — alors féli­ci­ta­tions : vous êtes dans le sys­tème, vic­time de votre propre curio­si­té.
Même si vous n’a­vez fait aucune recherche sur Inter­net, tout gou­ver­ne­ment un peu curieux pour­rait aisé­ment décou­vrir que vous avez lu ce livre. Ou du moins que vous le pos­sé­dez, que vous l’ayez télé­char­gé illé­ga­le­ment ou que vous ayez ache­té un exem­plaire papier en ligne, ou encore que vous en ayez fait l’ac­qui­si­tion dans une librai­rie en dur, en payant par carte.

Autant dire qu’en écri­vant ce billet, avec toutes les requêtes que j’ai lan­cées dans mon navi­ga­teur — même si j’ai uti­li­sé le navi­ga­teur TOR et le moteur de recherche Duck­Duck­Go — pour me ren­sei­gner sur les opé­ra­tions secrètes ren­sei­gnées dans ce livre, les sigles, les noms des per­sonnes impli­quées, jour­na­listes, avo­cats, les lieux où se trouvent les bases de la NSA et les articles de presse consa­crés à l’af­faire, je suis déjà qua­si­ment cer­tain d’être au cœur d’un cer­tain type de sur­veillance. Ain­si que vous, qui êtes en train de blê­mir en lisant ce billet… Il est déjà trop tard.

A l’ins­tant même où j’é­cris ces mots, je reçois un mail de Google qui m’in­forme que, parce que j’ai deman­dé à ce que ce soit confi­gu­ré de telle sorte, je reçois ma time­line d’oc­tobre, c’est-à-dire le rap­port cir­cons­tan­cié de mes dépla­ce­ment le mois der­nier. Ain­si j’ai fait 746 kilo­mètres en trans­ports (beau­coup plus je pense en réa­li­té), je me suis ren­du à Vin­cennes (au zoo, avec mon fils) et à Chen­ne­vières-sur-Marne. J’ai enre­gis­tré 49 lieux dans 23 villes, etc. Le mail vient de Mou­tain View, Cali­for­nie. A moi de déci­der de quelle sur­veillance j’ai envie…

Le livre d’Ed­ward Snow­den, Mémoires vives, vient de paraître au Seuil (sep­tembre 2019), tra­duit de l’an­glais par Etienne Ménan­teau et Auré­lien Blanchard.

Le film de Lau­ra Poi­tras, Citi­zen­four, troi­sième volet de sa fresque post-11 sep­tembre (avec My coun­try, my coun­try et The oath), tour­né en 2014, est dis­po­nible dans son inté­gra­li­té sur Archive.org, en ver­sion ori­gi­nale non sous-titrée.

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Requiem pour Katri­na : lorsque la digue se rompt

Requiem pour Katri­na : lorsque la digue se rompt

Requiem pour Katrina

Lorsque la digue se rompt

Un conte de la volon­té de Dieu

C’est un mot qui n’a pas besoin d’être tra­duit pour être com­pris… Levee… En anglais, c’est une digue, même si dans les tra­duc­tions en fran­çais de la série des Dave Robi­cheaux écrits par James Lee Burke, le mot levee est tra­duit par levée… Ce qui convient assez bien. En tout cas, moi, j’adhère…

Tout com­mence par un échange, je te donne une chan­son d’Ar­no qui parle d’Oos­tende, et tu me donnes un titre de Terence Blan­chard, Wading through… ça tombe appa­rem­ment sous le sens, mais rien n’est autant for­tuit que cette ren­contre. Je n’é­coute pas le titre tout de suite, je me le garde sous le coude comme pour le lais­ser matu­rer un peu. L’al­bum s’é­coute tout seul, même si quelques sono­ri­tés sont par­fois un peu rudes, un peu ardues. L’al­bum A tale of God’s will, est sor­ti chez Blue Note et dès la pre­mière écoute, je me rends compte que je suis face à quelque chose d’ex­cep­tion­nel, une album d’une superbe qua­li­té, bien équi­li­bré et recher­ché. On me confie que c’est la bande ori­gi­nale d’un docu­men­taire de Spike Lee datant de 2006, sur les ravages de l’oura­gan Katri­na, When the Levees Broke: A Requiem in Four Acts. Là aus­si, je n’ai jamais enten­du par­lé de ce docu­men­taire. A ce jour, je n’ai pas encore réus­si à le vision­ner dans une ver­sion de bonne qua­li­té, pré­fé­rant m’abs­te­nir que de me col­ti­ner une vieille copie à la défi­ni­tion plus qu’ap­proxi­ma­tive. When the levees broke…

Il suf­fit d’é­cou­ter quelques minutes, ou même les 8 minutes de ce superbe mor­ceau pour ima­gi­ner ce à quoi on peut s’at­tendre. L’am­biance de l’al­bum décrit tout à la fois quelques fon­da­men­taux de la Nou­velle-Orléans mais éga­le­ment quelque chose de tra­gique inhé­rent aux événements.

Lorsque la digue se rompt

On connaît plus ou moins bien l’his­toire de cette tra­gé­die qui a dévas­té La Nou­velle-Orléans et ses envi­rons en 2005 après la rup­ture des digues et du 17th Street Canal, et ce qu’en a fait Spike Lee a fait écho en moi avec un mor­ceau de musique que je n’a­vais pas écou­té depuis des lustres, When the levee breaks, sur le qua­trième album de Led Zep­pe­lin (IV). En me ren­sei­gnant un peu, je m’a­per­çois que la chan­son de Led Zep­pe­lin est en réa­li­té une reprise très lar­ge­ment rema­niée d’une chan­son écrite 1929 par deux stars du Del­ta Blues, Kan­sas Joe McCoy et Mem­phis Min­nie, qui écri­virent cette chan­son, comme beau­coup d’autres à l’é­poque pour racon­ter la grande crue du Mis­sis­sip­pi de 1927. His­toire de se faire plai­sir, on peut écou­ter ici la ver­sion ori­gi­nale… Mais aus­si une reprise du titre de Led Zep­pe­lin par Zep­pa­rel­la… sur­pre­nant, parce que vrai­ment fidèle.

If it keeps on rai­nin’, levee’s goin’ to break
If it keeps on rai­nin’, levee’s goin’ to break
When the levee breaks I’ll have no place to stay
Mean old levee taught me to weep and moan
Lord mean old levee taught me to weep and moan
It’s got what it takes to make a moun­tain man leave his home
Oh well, oh well, oh well
Don’t it make you feel bad
When you’re tryin’ to find your way home
You don’t know which way to go?
If you’re goin’ down South
They got no work to do
If you don’t know about Chicago
Cryin’ won’t help you prayin’ won’t do you no good
Now cryin’ won’t help you prayin’ won’t do you no good
When the levee breaks mama you got to move
All last night sat on the levee and moa­ned
All last

Lake Pont­char­train. Pho­to © Chris­tian Banck
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Ros­coe Che­nier, le cou­sin bluesman

Ros­coe Che­nier, le cou­sin bluesman

Pre­mier volet du Car­net Cajun : Cou­sin éloi­gné de Clif­ton Che­nier, Ros­coe Che­nier est un blues­man à la voix grave et puis­sante, un homme dis­cret qui à la fin de sa vie por­tait d’amples cos­tumes extra­va­gants, brillants comme ses che­mises. Tou­jours élé­gam­ment vêtu de pan­ta­lons de cos­tumes, che­mi­settes blanches et cra­vates noires, il a une répu­ta­tion de ne pas être une per­sonne très expan­sive, comme si sa musique lui avait per­mis d’ex­pri­mer tout ce qu’il avait à l’in­té­rieur. Né en 1941 à Ope­lou­sas, Loui­siane, il est décé­dé en 2013 et n’a eu une car­rière de blues­man que dans le péri­mètre des États-Unis, rai­son pour laquelle on le connait peu ici. Il est sur­tout connu pour un titre remar­quable datant de 2006, Bad Luck, repris comme un clas­sique du genre. Carac­té­ris­tique du swamp blues (blues du maré­cage), ce sont des sono­ri­tés lourdes jouées sur les graves de la gui­tare, sur un rythme lent et pesant. Plus qu’un son loui­sia­nais, le titre fait pen­ser à une lita­nie indienne, aidée par les per­cus­sions, lentes elles aussi…

[audio:badluck.xol]

Waiting for tomorrow- Roscoe Chenier

 

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Les z’ha­ri­cots sont pas salés

Les z’ha­ri­cots sont pas salés

L’é­té se prête à toutes les fan­tai­sies. Ayant pris sous le bras quelques livres de James Lee Burke, dont le héros Dave Robi­cheaux habite La Nou­velle Ibé­rie (New Ibe­ria), en plein cœur de la Loui­siane, je m’a­muse à écou­ter pour accom­pa­gner mes lec­tures de ces musiques qui sont comme des com­plaintes, tan­tôt gaies, tan­tôt tristes, un peu rustres la plu­part du temps, mais qui ont toutes pour carac­té­ris­tique de par­ler de cette Loui­siane si haute en  cou­leurs. Cette par­tie du monde est char­gée d’his­toire pour plu­sieurs raisons.

D’a­bord, elle fut le récep­tacle d’un immense exode qui vit se dépla­cer des familles entières venues d’A­ca­die, pro­vince cana­dienne alors peu­plée des pre­miers colons fran­çais arri­vés sur le conti­nent, lors du Grand Déran­ge­ment au milieu du XVIIIème siècle. Les Aca­diens, fran­co­phones, s’ins­tallent alors dans la der­nière terre où le fran­çais est par­lé sur le conti­nent, mais à cette époque deve­nue pos­ses­sion espa­gnole ; la Loui­siane, qui, ne l’ou­blions pas, porte le nom du roi Fran­çais Louis XIV. Ces Aca­diens, avec le temps, pren­dront un nom bien par­ti­cu­lier qui les dis­tin­gue­ra par la suite de leurs ancêtres. La pro­non­cia­tion aca­dienne du mot aca­dien donne par angli­cisme acad­jonne. Par aphé­rèse et adou­cis­se­ment, le mot Aca­dien s’est trans­for­mé en Cadien, puis Cajun. Le terme existe tou­jours aujourd’­hui et désigne une large com­mu­nau­té fran­co­phone dis­sé­mi­née sur le ter­ri­toire amé­ri­cain et répar­tis entre la Loui­siane, le Texas et le reste des États-Unis. On estime aujourd’­hui à presque 600 000 indi­vi­dus la popu­la­tion d’o­ri­gine cadienne. S’il peut paraître étrange d’en­tendre par­ler un fran­çais un peu rustre en plein cœur du pays sudiste, il faut bien avoir à l’es­prit que cette culture très par­ti­cu­lière est en train de s’é­teindre. Au début du XXème siècle, le Fran­çais cadien était encore une langue net­te­ment par­lée et trans­mise, et la plu­part des locu­teurs étaient des locu­teurs uniques, ne par­lant que fran­çais. Aujourd’­hui, les Cajuns sont bien évi­dem­ment bilingues, et beau­coup d’entre eux délaissent le fran­çais au pro­fit de l’anglais.

Le second évé­ne­ment qui marque l’his­toire du pays cajun, c’est la guerre de Séces­sion, qui vit empor­ter dans la tour­mente les plan­teurs cadiens qui, on s’en doute, ne se trou­vaient pas du bon côté de la bar­rière et finirent pour la plu­part exé­cu­tés. Met­tant le pays à feu et à sang et rui­nant les exploi­ta­tions agri­coles de la région, la guerre civile amé­ri­caine ne doit pas faire oublier que la Loui­siane est en plein cœur du sud sudiste, en plein pays confé­dé­ré qui n’hé­site que rare­ment à arbo­rer le dra­peau rouge à croix bleue, sym­bole ségré­ga­tion­niste tou­jours pas abdi­qué et qui lie dans un joyeux désordre escla­va­gisme, racisme, ségré­ga­tion, supré­ma­tie blanche et Ku Klux Klan…

En der­nier res­sort, l’ou­ra­gan Katri­na en 2005 en a ter­mi­né de rui­ner la Nou­velle-Orléans et la région. 1500 morts, 150 000 sinis­trés. La Nou­velle-Orléans a per­du aujourd’­hui près de 30% de sa popu­la­tion, chas­sée par le déses­poir et l’in­cu­rie de l’État dans la ges­tion de la crise sani­taire et humaine. Autre fait étrange, la popu­la­tion de la Nou­velle-Orléans, pou­mon du pays cajun, dimi­nue qua­si­ment de moi­tié entre 1960 et aujourd’­hui. C’est éga­le­ment une des villes les plus peu­plées par des Afro-Amé­ri­cains, avec, au der­nier recen­se­ment en 2000, 67% de la popu­la­tion d’o­ri­gine afro-américaine.

RUN

Pho­to © Billy Met­calf

La Nou­velle-Orléans, capi­tale de la région, haut-lieu de l’i­den­ti­té fran­çaise d’A­mé­rique, mais pas tout à fait pays cajun. Ici on ne parle pas de com­tés mais de paroisse (parish), mais le pays cajun, c’est le bayou et sur­tout la mèche, la côte du Golfe du Mexique, l’an­cien ter­ri­toire indien des Hou­mas. Le pays cajun, c’est aujourd’­hui un ter­ri­toire qui s’é­tend du lac Sabine à l’ouest à la Pearl River à l’est et à la ville de Bâton Rouge au nord, qui com­prend les villes (aux ter­ribles accents fran­çais ou indiens) de Lafayette, Lake Charles, Saint Mar­tin­ville, Hou­ma, Ope­lou­sas, Thi­bo­daux ou Abbe­ville, et tout autour du Lac Pontchartrain.

Le mot cajun est un terme péjo­ra­tif, dont les Cajuns eux-mêmes se sont empa­rés comme marque de fabrique. De la même manière, les nor­distes appe­laient affec­tueu­se­ment les Cadiens les coonass, c’est-à-dire lit­té­ra­le­ment les “culs de ratons laveurs”, terme qui, on s’en doute, n’a rien de flat­teur. En réac­tion, les coonasses ont créé un auto­col­lant RCA (regis­te­red coon-ass), cer­ti­fiant leur ori­gine et la fier­té d’être, en quelque sorte, des culs ter­reux (je me per­mets cette petite incar­tade lin­guis­tique, car étant moi-même pour moi­tié d’o­ri­gine bre­tonne, je sais ce que c’est que de se faire trai­ter de péque­not, ou, dans une autre ver­sion propre à la situa­tion, de plouc). Il est inté­res­sant de voir à quel point le mot coonass est proche du fran­çais connasse… car en réa­li­té, si l’a­na­lo­gie avec le racoon (raton) s’est faite natu­rel­le­ment, l’o­ri­gine du mot est bien celle-ci. Les Cajuns sont donc bien des connasses… et fiers de l’être.

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Pho­to © Phil­lip Hendon

Aujourd’­hui, cette culture un peu par­ti­cu­lière est par­fai­te­ment mécon­nue et trop sou­vent enta­chée de cli­chés. C’est la rai­son pour laquelle j’ai déci­dé d’ou­vrir une nou­velle par­tie de mon blog, dédiée à la culture cajun et à d’autres aspects de la Loui­siane, aux Créoles de Loui­siane, en com­men­çant par la musique. Cette nou­velle sec­tion s’ap­pelle tout sim­ple­ment Car­net Cajun.

Si on connait le blues, sait-on réel­le­ment que le blues qu’on joue à Chi­ca­go n’a rien à voir avec celui de la Nou­velle-Orléans, qu’on appelle Loui­siane Blues, ou même Swamp Blues (blues du maré­cage) ? Et quid du Zyde­co ? Voi­ci la vraie musique loui­sia­naise et cajun. Zyde­co (pro­non­cer Zaï-dico) vient direc­te­ment du fran­çais et n’est que la ver­sion défor­mée, liée au plu­riel et angli­ci­sée du mot hari­cot. Clif­ton Che­nier, un des plus grands repré­sen­tants de la musique zyde­co (ou zari­co) chan­ta cette chan­son qui don­na son nom au style ; les hari­cots sont pas salés. Chan­son, qui laisse sup­po­ser que celui qui l’a écrit n’a­vait pas suf­fi­sam­ment d’argent pour mettre de la couenne dans ses hari­cots pour les saler. Style un peu rus­tique, musique jouée de pré­fé­rence avec des ins­tru­ments aux accents bien connus par cheu nous (vio­lon, accor­déon), l’ins­tru­ment réel­le­ment carac­té­ris­tique en est le frot­toir (plaque en métal autre­fois uti­li­sées pour laver les vête­ments au lavoir — mon arrière-grand-mère en avait un en bois — qu’on fait réson­ner avec des dés à coudre).

Si tout au long de cette aven­ture que je vous pro­pose aujourd’­hui vous avez comme la sen­sa­tion d’en­tendre quelque chose qui res­semble à ce qu’on appelle la coun­try music (et qui per­son­nel­le­ment me sort par les yeux), dites-vous bien qu’il y a en une qui est à l’o­ri­gine de l’autre. En effet, la culture cajun s’est déve­lop­pée jus­qu’au Texas, rai­son pour laquelle la coun­try est for­te­ment ins­pi­rée de cette musique tra­di­tion­nelle un peu gauche qu’est le zyde­co.

Thibodeaux's Louisiana Cajun Foods

Par­tons donc au pays des zari­cos, du bayou et de la mèche, des cyprès et de la barbe espa­gnole, des sand­wiches tor­pilles aux cre­vettes et aux huîtres, pour en apprendre un peu plus sur nos cou­sins Cadiens, Cajuns, Coon-asses, Cad­jines ou Cayens, sur cette culture qui décline et qui mérite qu’on la connaisse un peu mieux. On en pro­fi­te­ra pour faire des détours par cette langue qui par bien des aspects mérite qu’on l’apprécie.

Je vous laisse appré­cier les paroles et la musique du titre Les hari­cots sont pas salés :

Eh, maman,
Eh, maman,
Les hari­cots sont pas salés,
Les hari­cots sont pas salés.

T’au volé mon traîneau,
T’au volé mon traîneau,
Garde hip et taïaut,
Les hari­cots sont pas salés.

T’as volé mon gilet,
T’as volé mon chapeau,
Garde hip et taïaut,
Les hari­cots sont pas salés.

 

Pho­to d’en-tête © Billy Met­calf

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