Indo­né­sie sonore #3 Bruits de la nuit et de la route

Indo­né­sie sonore #3 Bruits de la nuit et de la route

De mes esca­pades noc­turnes sur l’île de Bali, j’ai rame­né l’âme de la nuit et de la nature. Si les cam­pagnes sous nos lati­tudes sont loin d’être silen­cieuses, les nuits bali­naises sont de véri­tables concerts para­di­siaques et inquié­tants, où la voix des insectes se mélangent à celle des cra­pauds en plein ébats amou­reux, où l’eau est omni­pré­sente, ruis­se­lante, suin­tante, dégou­li­nante, rem­plis­sant des vasques servent à ali­men­ter des rizières sur­char­gées. Il suf­fit de croi­ser au détour d’un che­min le masque gri­ma­çant d’un dieu sau­vage à tête de singe ou de dra­gon, ou une fon­taine repré­sen­tant Gane­sha, le Sei­gneur des Caté­go­ries, au mieux de sa forme, puis­sant et débon­naire, assis sur une fleur de lotus ruis­se­lante, pour savoir qu’i­ci la nuit a des ver­tus hal­lu­ci­no­gènes. Un léger coup de fatigue vous tour­men­te­ra bien plus que la plus puis­sante des drogues et vous vous retrou­vez bien vite plon­gé dans le mys­ti­cisme de l’hin­douisme, en pleine forêt tropicale.

Appre­nons à écou­ter la pluie qui tombe drue, les cra­pauds qui s’a­dressent des com­pli­ments d’une rizière à l’autre, des coléo­ptères impos­sibles à iden­ti­fier stri­du­lant au point par­fois d’in­com­mo­der le pro­me­neur noc­turne tel­le­ment le son est puis­sant. Écou­tons aus­si, le temps d’une jour­née grise et chaude, les conver­sa­tions des deux chauf­feurs de taxi qui ne connaissent leur île qu’ap­proxi­ma­ti­ve­ment et qui, j’en suis per­sua­dé, se paient votre tête alors que vous vous deman­dez dans quelle embus­cade vous allez encore tom­ber, lorsque tout à coup, on fait un demi-tour spor­tif en plein milieu d’une route étroite entou­rée de ravines pleines d’eau. On s’en­tend dire dans un anglais approxi­ma­tif qu’il y a un bar­rage poli­cier sur la route et qu’on fait un long détour pour vous pro­té­ger de la police cor­rom­pue, alors qu’en réa­li­té c’est sur­tout leur peau tan­née qu’il essaie de sau­ver (pro­blème de licence ?).

Il faut savoir qu’U­bud est un vil­lage, très éten­du, que les dis­tances, si sur la carte ne paraissent pas si éloi­gnées, sont en fait très grandes. Mais pour évi­ter les routes — per­sonne ne songe vrai­ment ici à aller d’un point à un autre autre­ment que moto­ri­sé — il existe des petits che­mins qui tra­versent par­fois les jar­dins des hôtels, longent les rizières dans une nuit noire, par­fois s’ar­rêtent puis reprennent. C’est dans ces moments noc­turnes (on se couche tôt à Bali, le soleil aus­si) que je me suis per­du dans la nuit pour cap­tu­rer tous ces petits sons qui sont autant de sou­ve­nirs bien plus vivants par­fois que de simples photos.

Ganesh

Singe dans la forêt des singes

Petit singe

Palais d'Ubud

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Indo­né­sie sonore #2 Des monstres avec une fleur à l’oreille

Indo­né­sie sonore #2 Des monstres avec une fleur à l’oreille

L’Île des Dieux. C’est ain­si que Bali se défi­nit. La reli­gion y est par­tout pré­sente et nulle part ailleurs au monde on ne res­sent si fort la pré­sence des forces divines au tra­vers de la nature. Bénie entre toute, la petite île à la végé­ta­tion luxu­riante béné­fi­cie d’un cli­mat tro­pi­cal et océa­nique pro­pice à la pro­li­fé­ra­tion de mul­tiples espèces, d’arbres gigan­tesques, de mousses qui n’hé­sitent pas à colo­ni­ser le moindre petit espace pour­vu qu’il y ait du soleil, de la cha­leur et de l’hu­mi­di­té, pro­fi­tant des construc­tions en pierre vol­ca­nique pour s’ac­cro­cher et colo­ni­ser encore et encore. Un para­dis pour le règne végé­tal, dont les Dieux se sont empa­rés pour s’y ins­tal­ler. Pas éton­nant que dans cette enclave hin­douiste dans un cha­pe­let de plus de 17 000 îles où l’is­lam règne en maître sur 90% de la popu­la­tion, se soit vue attri­buer cette appel­la­tion qui n’a pas besoin d’ex­pli­ca­tion pour comprendre.

Monstre grimaçant à Ubud

Voi­ci un nou­veau par­cours sonore datant de février 2014, exclu­si­ve­ment réa­li­sé à Bali, regrou­pant les ambiances sonores de la petite ville d’U­bud où j’é­tais ins­tal­lé, et les deux étapes sacrées aux yeux des Bali­nais : la sainte source du Pura Tri­ta Empul de Tam­pak Siring et le temple de Gunung Kawi.

01 — Pre­mier jour à Ubud (1′20″)

Arri­vée à l’hô­tel, au bout d’un che­min qu’on ne peut emprun­ter qu’à pied, au bout d’une rizière. Un bon­heur indes­crip­tible dans cette grande chambre toute simple où dès le pre­mier soir, il pleut des trombes dans la touf­feur d’une jour­née intense. Pluie, oiseaux, insectes, vent, la nuit indo­né­sienne ne semble pas per­tur­bée par les élé­ments, tout y chante dans un concert désor­don­né et majestueux.

[audio:indo/01_UBUD.mp3]

02 — Les insectes et les oiseaux (1′00″)

Un concert impro­bable qu’on ne croi­rait pos­sible qu’au cœur de la jungle. Mais non, nous sommes ici en pleine ville. Les chiens y aboient de temps en temps, his­toire de don­ner le change et de ne pas trop dépay­ser. Par­fois une moto, une voi­ture, le vent dans les larges feuilles des pal­miers, et tou­jours cet arrière fond sonore, omniprésent.

[audio:indo/02_UBUD.mp3]

03 — Bruits de la rue à Ubud (1′00″)

Il s’y passe à la fois tout et rien. On parle ici la langue uni­fiée Baha­sa Indo­ne­sia. Dans la rue, lorsque vous avez l’au­dace de pro­non­cer deux ou trois mots d’in­do­né­sien, il n’est pas rare qu’on vous demande en retour “do you speak baha­sa ?”. Des bribes de conver­sa­tions aux­quelles on ne fait même plus atten­tion et qu’il faut savoir cap­ter comme de petites pépites ; voi­ci l’âme d’Ubud.

[audio:indo/03_UBUD.mp3]

04 — Des oiseaux et du vent dans les mobiles (0′42″)

On trouve par­tout ces petits mobiles en cannes de bam­bous qui se font cha­hu­ter par le vent et qui donnent à l’air une constante sono­ri­té renou­ve­lée. Les sons ne se res­semblent jamais. Cha­cun forme un ensemble qui se joue comme un sym­pho­nie à la fois com­plexe et d’une sim­pli­ci­té mystique.

[audio:indo/04_UBUD.mp3]

05 — Des oiseaux par­tout (0′46″)

Si on ferme les yeux et qu’on ne sait pas qu’on est à Bali, on pour­rait presque croire qu’on se trouve dans la cam­pagne fran­çaise avec ses tour­te­relles et ses petits bruits ano­dins. On est ici bien loin de Bali, peut-être à Chau­mont-sur-Tha­ronne, en Sologne ou dans le Perche…

[audio:indo/05_UBUD.mp3]

06 — Entrée dans la phar­ma­cie (0′10″)

Inévi­tables coups de soleil sous un ciel d’une traî­trise incroyable. Le pas­sage par la phar­ma­cie pour cal­mer la mor­sure est obli­gé. Pas de Bia­fine ici, pas de crème apai­sante, on traite ici la cui­sante attaque par des baumes à l’A­loé Vera d’une redou­table efficacité.

[audio:indo/06_UBUD.mp3]

07 — Grosse averse du matin (1′00″)

Le matin, par­fois, le ciel déverse des tonnes d’eau sur la pla­nète. Ce qui est vrai­ment sans consé­quence tant que la tem­pé­ra­ture ne change pas et que le soleil revient dans la minute qui suit… Juste his­toire de dou­cher la végétation…

[audio:indo/07_UBUD.mp3]

08 — Clo­chette votive au Pura Tir­ta Empul, à Tam­pak Siring (1′20″)

Chan­ge­ment de décor. Nous sommes ici à Tam­pak Siring, un haut-lieu de la spi­ri­tua­li­té bali­naise. Pura Tir­ta Empul est un ensemble de temples et de fon­taines sacrées construite autour d’un lieu par­fai­te­ment sin­gu­lier. Autour d’une source bouillon­nante sor­tant de terre au beau milieu d’un enclos, d’autres bas­sins déversent l’eau de la source sacrée dans une ambiance à la fois solen­nelle et joyeuse. Un peu en retrait, un homme jeune tout vêtu de blanc sous un petit temple en toit de bran­chages fait tin­ter une clo­chette dans une atti­tude médi­ta­tive qui force le res­pect et l’ad­mi­ra­tion. Der­rière lui, deux femmes se recueillent dans une pos­ture d’of­frandes. Un moment à la fois trou­blant et plein d’une sagesse confon­dante, à mille lieues de l’a­gi­ta­tion d’U­bud. On peut presque sen­tir le souffle de Vish­nu, maître de lieux.

[audio:indo/08_TAMPAKSIRING.mp3]
Clochette votive à Tampak Siring

Clo­chette votive à Tam­pak Siring

Pura Tirta Empul

Pura Tir­ta Empul

09 — Mobiles d’eau au Pura Tir­ta Empul à Tam­pak Siring (1′50″)

A l’a­bri de la foule, tou­jours au Pura Tir­ta Empul, dans un jar­din d’eau exploi­té par des pay­sans qui ont cer­tai­ne­ment en charge l’en­tre­tien du temple, à l’é­cart et loin des regards, on trouve une mare dans laquelle coule l’eau de la sainte source. Quelques mobiles en bam­bou se rem­plissent d’eau, se déversent à un autre étage et le mobile en remon­tant, fait un tac creux enchan­teur et qui semble ne jamais s’ar­rê­ter. Encore une manière de faire confiance à la nature.

[audio:indo/09_TAMPAKSIRING.mp3]

10 — Fon­taine à Gunung Kawi (0′56″)

Gunung Kawi

Gunung Kawi

On change encore de décor. A quelques kilo­mètres du Pura Tir­ta Empul se trouve le mys­té­rieux temple de Gunung Kawi, per­du au fond d’une val­lée, au beau milieu des rizières. Huit énormes stu­pas creu­sés dans la falaise de chaque côté de la rivière se font face, dans une atmo­sphère hau­te­ment sereine, déser­tée des tou­ristes, à tel point qu’un homme avait délié son sarong pour se bai­gner nu dans la rivière en contrebas.

[audio:indo/10_GUNUNGKAWI.mp3]

11 — La rivière et le chant du coq à Gunung Kawi (0′47″)

Au pied de la rivière qui coule, on entend un coq chan­ter alors que le soir approche…

[audio:indo/11_GUNUNGKAWI.mp3]

12 — La rivière et le mobile à vent (0′47″)

Le vent se lève et un mobile s’a­gite avec le bruit de la rivière à l’ar­rière. Fré­né­tique, exta­tique, un petit per­son­nage joue de la hache et le méca­nisme de bam­bous s’agite…

[audio:indo/12_GUNUNGKAWI.mp3]

13 — Jeune fille appre­nant la musique à Gunung Kawi (0′23″)

Rue enfumée de Gunung Kawi

En remon­tant jus­qu’à la voi­ture, j’en­tends une musique légère tan­dis que dans la rue, une fumée épaisse se répand et pique le nez. On brûle les feuilles mortes et ses ordures de la jour­née juste sur le pas de sa mai­son.  Le soleil pas­sant au tra­vers des fron­dai­sons des arbres et de la fumée teinte la fin de jour­née d’une lumière irréelle. Je savoure ce doux ins­tant en écou­tant la petite jeune fille qui apprend à jouer sur un gam­bang sous l’œil inqui­si­teur de son maître… Magie d’un ins­tant inoubliable.

[audio:indo/13_GUNUNGKAWI.mp3]

14 — Jeune fille appre­nant la musique à Gunung Kawi, un chien et une moto (1′14″)

Rue enfumée de Gunung Kawi (moto)

Le para­dis n’est pas imma­cu­lé. S’il n’y avait pas ces petits sons à côté, ces motos qui tra­versent le pay­sage, toutes ces choses qui sont autant de petites pol­lu­tions, le para­dis serait un enfer de perfection…

[audio:indo/14_GUNUNGKAWI.mp3] Read more
Indo­né­sie sonore #1 CDG ✈ DPS

Indo­né­sie sonore #1 CDG ✈ DPS

Prendre l’a­vion est tou­jours pour moi une angoisse pas pos­sible. Les longs voyages m’é­puisent, même si je suis bien évi­dem­ment tou­jours heu­reux de me dire qu’au bout je me réveille­rai dans un autre pays, peut-être à l’autre bout du monde. Mais voi­là, je déteste être coin­cé 7 heures ou plus dans une car­lingue volante, d’au­tant que je ne sais pas dor­mir assis et que le moindre bruit me réveille. En géné­ral, j’at­tends mon pla­teau repas que j’en­glou­tis avant de fer­mer l’œil. Pour la pre­mière fois, je suis par­ti en empor­tant mon enre­gis­treur, à l’af­fût de la moindre cocas­se­rie — autant dire qu’elle n’ar­rive pas sou­vent, ou alors bien avant qu’on ait eu le temps de sor­tir l’instrument.
J’ai tenu à enre­gis­trer une par­tie de mon voyage jus­qu’en Indo­né­sie, pour me replon­ger dans cette ambiance si par­ti­cu­lière propre aux aéro­ports, aux salles d’at­tente ou aux abords des files où passent les taxis qui vous inter­pellent à grands coups de klaxons et c’est tou­jours avec plai­sir que je ferme les yeux en écou­tant l’a­vion décol­ler ou l’am­biance dans l’aéroport.

Détails du vol Paris-Dubaï-Jakarta-Denpasar :

  • 21h15 CDG ✈ DXB 6h45
  • 10h45 DXB ✈ CGK 21h55
  • 5h40 CGK ✈ DPS 8h45

Voi­ci mes notes prises en vol, ou dans l’at­tente, faute de faire autre chose. Je sais tou­jours très bien m’occuper.

Mau­vais moment dans l’a­vion, impos­sible de dor­mir à cause d’une migraine tenace. J’ai tour à tour eu chaud, envie de vomir, d’al­ler au toi­lettes et une soif atroce. En gros, je me suis endor­mi quand l’a­vion a tour­né au-des­sus de Dubaï, comme d’habitude.

L’aé­ro­port de Dubaï n’est qu’une immense vitrine, un centre com­mer­cial géant d’où acces­soi­re­ment décollent quelques avions, où tra­vaillent des Chi­nois et des Pakis­ta­nais sous-payés. Le Hei­ne­ken Lounge cible une cer­taine popu­la­tion qui s’y recon­naît bien. Le duty free est fon­ciè­re­ment cher et un café et un jus d’o­range me reviennent à 8 euros ; on me rend la mon­naie en dirham des Émi­rats Arabes (AED) dont je ne sais que faire.

L’at­ter­ris­sage a été com­pli­qué, et sur une grosse bête comme l’A380, ça fait du bruit.

En atten­dant l’a­vion, j’ose à peine m’en­dor­mir, de peur de ne pas me réveiller. Je com­mence à flan­cher. J’ai fini par dor­mir une demi-heure à deux pas de la porte d’embarquement. Pour la pre­mière fois, je vois des Indo­né­siens, des visages dif­fé­rents, des gens au visage brun, por­tant le calot natio­nal, le songkok.

L’a­vion a du retard aus­si au départ. A chaque fois à Dubaï, quelque chose ne tourne pas rond, à part les avions qui attendent d’at­ter­rir. Leur aéro­port est énorme, n’ac­cueille que des vols inter­na­tio­naux sur Emi­rates et QA, d’im­menses salles d’at­tente sont com­plè­te­ment vides, mais ça bou­chonne tou­jours sur le tarmac.

L’an­nonce au micro dans l’a­vion est faite en baha­sa, et pour la pre­mière fois depuis que je vole sur cette com­pa­gnie, je vole dans un avion vide. Busi­ness class fer­mée, éco rem­plie au deux tiers. Cer­tains s’offrent quatre places pour dor­mir. Je ne sau­rais dire com­bien de temps j’ai dor­mi dans ce Boeing 777 mais ça reste stric­te­ment anecdotique.

Fina­le­ment, j’ai quand-même réus­si à me repo­ser un peu et j’ai pris le par­ti de ne me fier ni à l’heure ni au jour, mais à la fatigue. Pour l’ins­tant, tout va bien, je ne me sens pas épui­sé. L’i­dée d’ar­ri­ver en Indo­né­sie me fait bizarre, tout y sera nou­veau pour moi, à décou­vrir, peut-être un peu pit­to­resque. Il paraît que l’aé­ro­port de Jakar­ta est un peu… rus­tique. Je vais y pas­ser la nuit, je ver­rai bien.

Pen­dant une bonne par­tie du voyage, l’ap­pa­reil est bal­lo­té dans tous les sens. On tra­verse un sacré orage, même les hôtesses n’en mènent pas large.

Des gens habillés dans un beau blanc, des femmes voi­lées, des song­kok, des barbes. Des visages agréables. Je me suis fait un pote d’un type qui venait d’A­ra­bie Saou­dite et qui ne savait pas rem­plir son for­mu­laire d’im­mi­gra­tion, il m’ex­plique dans un anglais approxi­ma­tif qu’il ne connait que l’al­pha­bet arabe. Du coup, c’est moi qui lui rem­plit sa carte. C’est quand-même un peu drôle comme situa­tion. Il me demande si je suis Amé­ri­cain ou Cana­dien, un peu sur la défen­sive, mais quand je lui dit que je viens de France, il a comme l’air sou­la­gé. Il s’ap­pelle Nader et me remer­cie cha­leu­reu­se­ment de l’a­voir aidé et me serre la main. Il finit par me dire “good french…”

Arri­vée à l’aé­ro­port. Il fait lourd, la cli­ma­ti­sa­tion n’est pas à fond, loin de là. Tra­cas­se­rie du visa à payer en dol­lars, puis attente pour les papiers à la douane. Les types ont vrai­ment des sales gueules, me demandent d’où je viens. France.

Je suis en tran­sit dans l’aé­ro­port, mais en dehors de l’aé­ro­port, sous les néons jaunes du hall. Je suis har­ce­lé par les taxis et les por­teurs mais main­te­nant j’ai la tech­nique. Ils sont gen­tils et pré­ve­nants, même s’ils essaient de m’emmener dans un hôtel pas cher. Je m’é­tais dit que la pre­mière chose que je ferai en arri­vant, ce serait fumer un ciga­rillo. Un taxi s’as­soit à côté de moi, il essaie de m’embarquer dans son manège, mais je lui pro­pose un ciga­rillo qui lui cloue le bec, il a l’air heu­reux, un peu sur­pris tout de même. Il a vrai­ment l’air sym­pa, et n’in­siste pas. Mon pre­mier contact avec cet Indo­né­sien me fait oublier un peu les Thaïs.

Diner dans un boui­boui cher où je mange un Ipoh lun mee, je ne sais pas ce que c’est, c’est impos­sible à décrire, c’est gras et ça res­semble à des ramens.

Soe­kar­no ne res­semble à rien de ce que je connais. Samui qui est plus petit est aus­si plus moderne. On est loin de Suvar­nabhu­mi qui est à la pointe de la moder­ni­té. Ici, c’est un vaste hall en lon­gueur dont le toit imite l’ar­chi­tec­ture bali­naise en bois, mais le tout est hété­ro­clite et un peu sale. Je ne pense pas pou­voir entrer dans la zone d’embarquement avant 3h00. Dehors, la patrouille aéro­por­tuaire passe dans une espèce de taxi 4x4 qui pousse d’é­tranges glous­se­ments que des types assis par terre imitent en se marrant.

Une petite salle fait office de mos­quée. J’au­rais dû me conver­tir à l’is­lam pour aller dor­mir sur les cous­sins moi aussi

L’o­deur humide, les insectes, les éclairs dans le ciel ora­geux, les hauts-par­leurs qui crient leurs annonces, les sirènes des voi­tures de police, les chats qui se battent.

Arrive 3h10 après un somme sur un banc en pierre, le seul que j’ai trou­vé est dans la zone fumeurs. Je me suis fina­le­ment replié dans une salle cli­ma­ti­sée, avec des familles indo­né­siennes qui l’air de rien me regardent avec cir­cons­pec­tion, tout en sou­riant ; je m’ins­talle à côté d’eux et tente de fer­mer l’œil, la tête posée sur la bouche de la clim, un coup à attra­per la mort. Un type ronfle à en faire trem­bler les vitres.

Enre­gis­tre­ment au comp­toir de Garu­da Air­lines. Tous les comp­toirs ont une orchi­dée blanche, les employées sont toutes voi­lées, vêtues de turquoise.

Le type du contrôle me parle en baha­sa, mais j’ai beau faire des efforts, je ne com­prends pas. Il chante tout seul entre deux passagers.

Je mange un Roti’O (“savour hard to des­cribe”, on dirait quelque chose comme notre tour­teau au fro­mage, sauf que c’est aro­ma­ti­sé au café), l’aé­ro­port se rem­plit, il a plus de gueule dans la zone d’embarquement que dans la zone d’at­tente. J’ar­rive dans une salle car­rée magni­fique, les employées ne sont plus voi­lées pas­sés les contrôles. Les éclairs illu­minent le ciel où le soleil pointe le bout de son nez. Il a plu fort sans que je m’en rende compte.

La suite, c’est à Bali.

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L’é­po­pée de Rama contre le démon Rha­wa­na : kecak à Ubud, Bali

L’é­po­pée de Rama contre le démon Rha­wa­na : kecak à Ubud, Bali

Ubud… (suite)
Au cœur du Pura Dalem Taman Kaja. On y joue ce soir un spec­tacle où sont regrou­pés une cen­taine d’hommes et de femmes de la com­mu­nau­té Taman Kaja. La cour du temple est déga­gée et c’est devant le petit por­tail sculp­té que va se jouer la céré­mo­nie, autour d’une immense can­dé­labre sur lequel sont dis­po­sées des lampes à huile. Une à une, un homme en sarong les allume, puis les chan­teurs entrent, le regard bais­sé, comme s’ils étaient concen­trés, et cha­cun prend sa place, de manière concen­trique autour du pylône lumi­neux. Cha­cun sait ce qu’il a à faire, aucun n’hé­site, ils se jugent à la bonne dis­tance ; c’est millimétré.

Mon cœur bat fort, je ne sais pas pour­quoi. Peut-être le fait d’a­voir mar­ché vite pour ne pas rien rater, peut-être un peu d’é­mo­tion, comme si je savais que ce que j’al­lais voir avait le par­fum de l’ex­pé­rience unique. Comme sou­vent, je me laisse por­ter par mes envies en terre étran­gère, sans rien pré­voir, sans rien ima­gi­ner. Les idées pré­con­çues font tous les ans des mil­liers de vic­times qu’on retrouve incons­cientes dans le monde entier.

Un homme en blanc jette de l’eau sur les hommes, tou­jours tête bais­sée à l’aide d’un petit gou­pillon végé­tal et d’un bol en lai­ton. J’ai l’im­pres­sion d’a­voir vu cette scène des cen­taines de fois, ailleurs, je ne sais pas.

Les hommes com­mencent à chan­ter après qu’un des chan­teurs que je n’ar­rive pas à iden­ti­fier tout de suite ait don­né le départ. Tout de suite, on entend l’un d’eux scan­der une syl­labe rapi­de­ment, tou­jours sur le même rythme ; il faut s’ha­bi­tuer, on va l’en­tendre qua­si­ment tout du long. Assis autour du feu les hommes posent leurs mains sur leurs cuisses, un coup d’un côté, un coup de l’autre et leur tête fait une sac­cade de l’autre côté ; le rythme est don­né. Les tcha­kat­cha­kak arrivent, tout parait désor­don­né, mais j’ar­rive à per­ce­voir quelques sons qui donnent l’in­to­na­tion et leur per­mettent de chan­ger de rythme. Sous mes yeux se déroule un spec­tacle très ancien qui n’a pas chan­gé d’un pouce et que la tra­di­tion pousse à main­te­nir vivant. Cette his­toire est un épi­sode du Râmâya­na (रामायण), la célèbre épo­pée hin­douiste com­po­sée à par­tir du IIIème siècle AEC.

L’é­pi­sode pré­cis que raconte le kecak est celui où le prince Râma, alors héri­tier du trône du royaume d’Ayo­dya, ain­si que son épouse Sītā sont ban­nis par le roi Dasa­ra­ta après que la belle-mère de Râma ait com­plo­té pour qu’il n’hé­rite pas du pou­voir. L’his­toire com­mence tan­dis que les amants accom­pa­gnés de Laks­ma­na, le frère de Râma, entrent dans la forêt de Dan­da­ka.

Le roi d’Aleng­ka, le démon Rah­wa­na, a repé­ré le trio, mais sur­tout la belle Sītā qu’il convoite pour sa beau­té. Il envoie son ministre Mari­ca iso­ler la belle pour pou­voir la kid­nap­per, et pour cela, Mari­ca uti­lise ses pou­voirs pour se trans­for­mer en cerf cou­leur d’or. La jeune fille, cap­ti­vée par cet ani­mal, demande à Râma de le cap­tu­rer pour elle. Il part à la chasse et demande à son frère de gar­der une œil sur elle. Sītā entend un cri, pense que c’est son amant qui a besoin d’aide, envoie son pro­tec­teur l’ai­der. Celui-ci part après avoir des­si­né un cercle magique sur le sol et donne l’ins­truc­tion à Sītā de ne pas en sortir.

Rah­wa­na, alors dégui­sé en vieux prêtre affa­mé, lui demande l’au­mône, et c’est sans mal qu’elle sort du cercle magique pour aider le vieil homme. Il l’en­lève jus­qu’à son palais où il tente de la séduire. Pen­dant ce temps, Hanu­man, le singe blanc ami de Râma cherche Sītā. Celle-ci se lie d’a­mi­tié avec la nièce de Rah­wa­na, Tri­ja­ta, lors­qu’­Ha­nu­man appa­raît en lui mon­trant la bague de Râma. Celle-ci lui donne une épingle à che­veux pour pas­ser le mes­sage qu’elle est tou­jours en vie et pour deman­der à Râma de venir l’aider.

Pen­dant ce temps, Râma et son frère tombent sur Mega­na­da, le fils du démon, qui les entraînent dans un com­bat féroce. Celui-ci tire une flèche qui se trans­forme en dra­gon qui les ligote avec des cordes. L’oiseau Garu­da, roi de tous les oiseaux, ami de Dasa­ra­ta, voit depuis le ciel dans quelle situa­tion se trouve Râma et vient libé­rer les hommes. Râma et son frère sont aidés par Sugri­wa, roi des singes et son armées de singes.

Ce tableau se ter­mine avec la défaite de Mega­na­da par Sugri­wa et son armée.

Le der­nier tableau est la danse du feu (San­ghyang Dja­ran). Les dan­seurs et les chan­teurs sortent du car­ré du temple. Un homme vient dépo­ser des coques de noix de coco sèches au centre, à la place du can­dé­labre, et y met le feu. Une ran­gée de chan­teurs entonne un chant dif­fé­rent de ce qui a été chan­té jus­qu’à pré­sent ; ils dressent devant eux des paillasses comme pour se pro­té­ger de quelque chose. Un dan­seur, un grand cos­taud por­tant à l’é­paule une manière de che­val danse en sillon­nant la place d’un pas lour­daud ; il entre dans le feu et balaie de ses pieds le bra­sier puis marche dans les braises. Plu­sieurs fois un homme ras­semble les braises avec un balai et la scène se repro­duit plu­sieurs fois.

La fonc­tion de cette danse est d’ap­por­ter la pro­tec­tion sur les familles, pour leur évi­ter l’in­fluence des forces du mal et les pré­ve­nir des épi­dé­mies. Le che­val à bas­cule, à Bali comme à Java, est asso­cié à la transe. Le che­va­lier qui marche dans le feu entre en transe au son des maigres ins­tru­ments et des chants qui portent le nom de game­lan sua­ra.

Je res­sens un étrange bien-être de me trou­ver ici dans la cour de ce temple, comme légè­re­ment ivre, empor­té par ces chants de transe d’un autre âge. Je rentre me cou­cher le cœur léger, heu­reux d’a­voir vécu cette expé­rience dont je ne soup­çon­nais pas la por­tée. Les cha­mans existent encore, je viens de les ren­con­trer… une nou­velle fois.

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Kecak à Ubud, chœurs, danse du feu et transe (car­net de voyage sonore)

Kecak à Ubud, chœurs, danse du feu et transe (car­net de voyage sonore)

Ubud…
Je me fait abor­der par un type à la peau noire buri­née, por­tant sarong rouge et blanc et che­mise à manche courte, tan­dis que je sors du Pura Taman Kemu­da Saras­wa­ti, un peu per­du dans cette ville dans laquelle je n’ar­rive pas à me repé­rer. Il me dit que ce soir il y a un spec­tacle de kecak, « fire dance ». Tou­jours un peu sur la défen­sive, je regarde sa bro­chure et lui demande un peu en quoi ça consiste, mais il ne me dit que « fire dance ». J’ai lu avant de par­tir qu’il ne fal­lait pas venir à Ubud sans voir au moins un de ces fabu­leux spec­tacle de danse ou de chant bali­nais. Évi­dem­ment, ce sont les tou­ristes qui pro­fitent essen­tiel­le­ment de ces exhi­bi­tions, mais en y regar­dant de plus près, on voit à quel point les Bali­nais sont fiers de per­pé­tuer une tra­di­tion ancienne et pour ceux qui font par­tie des troupes de dan­seurs et de chan­teurs, c’est une véri­table pas­sion qu’ils par­tagent géné­ra­le­ment avec un autre emploi la jour­née. J’ai pris un taxi le len­de­main du spec­tacle et le chauf­feur, lors­qu’il m’a deman­dé ce que j’a­vais fait la veille, m’a dit qu’il fai­sait par­tie de la troupe dont j’a­vais assis­té à la repré­sen­ta­tion. J’en ai pro­fi­té pour lui deman­der pour­quoi il fai­sait par­tie de cette troupe et il s’est mon­tré inta­ris­sable sur le sujet.
Le coquin réus­sit à me vendre un ticket pour m’y rendre. Il m’ex­plique vague­ment com­ment trou­ver le temple. Le soir venu, je m’y rends en pen­sant être large sur l’ho­raire, mais c’é­tait sans comp­ter que les esti­ma­tions de dis­tance qu’il m’a­vait four­ni s’a­vé­raient un peu opti­miste. Je finis par cava­ler un peu pour ne pas rater le début. Je finis par deman­der mon che­min, pas très cer­tain de l’en­droit où je me trouve. Tout le monde ici connaît le kecak qu’on ne joue qu’au Pura Dalem Taman Kaja.

Voir un spec­tacle de Kecak est une expé­rience hors du com­mun. S’ins­pi­rant des textes du Ramaya­na, ces ensembles ne sont com­po­sés que de chan­teurs, une cen­taine envi­ron, scan­dant des chants enivrants où le thème prin­ci­pal est chan­té au rythme des “tcha­kat­cha­kat­cha­kak” qui ont don­né le nom au genre. Il y est ques­tion de singes enga­gés dans une lutte contre un démon, tout cela autour d’une colonne où sont allu­més des feux. Comme dans toutes les céré­mo­nies, un prêtre vient bénir les chan­teurs avant de com­men­cer. Tan­dis qu’ils chantent, les hommes exé­cutent des mou­ve­ments sac­ca­dés, tan­tôt assis, tan­tôt allon­gés. Dans un pro­chain billet accom­pa­gné de vidéos, je par­le­rai plus pré­ci­sé­ment du dérou­lé du spectacle.

C’est le seul type de repré­sen­ta­tion dans lequel il n’y a aucun ins­tru­ment, et éton­nam­ment, je me suis ren­du compte que cer­tains spec­ta­teurs sont sor­tis avant la fin. Au début, je me suis dit que cela ne devait pas être à leur goût, mais je me suis ren­du compte que les ritour­nelles agissent for­te­ment sur l’é­tat de conscience et que cer­tains des chan­teurs étaient en transe. La ryth­mique répé­ti­tive est un des élé­ments qui per­met de modi­fier l’é­tat de conscience dans les rituels cha­ma­niques et j’i­ma­gine par­fai­te­ment que cer­taines per­sonnes puissent être irri­tées par les chants, comme on peut l’être par­fois au son répé­ti­tif d’une percussion.

Voi­ci ici qua­si­ment l’in­té­gra­li­té du spec­tacle à l’é­coute pour s’im­pré­gner de cette ambiance si par­ti­cu­lière à la lumière de quelques torches, par une belle soi­rée nuit balinaise.

Pura Taman Kemuda Saraswati - Kecak

Béné­dic­tion des chan­teurs par le prêtre

Pura Taman Kemuda Saraswati - Kecak - Danseuses

Dan­seuses

Pura Taman Kemuda Saraswati - Kecak - Maître de cérémonie

Danse du démon. Le maître de céré­mo­nie est juste à gauche de la colonne de feu

Pura Taman Kemuda Saraswati - Kecak - Chanteurs

Lorsque le démon passe, les hommes s’al­longent, sym­bo­li­sant la mort des singes

Pura dalem taman kaja (localisation)

Loca­li­sa­tion du Pura Dalem Taman Kaja sur Google Maps

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