May 14, 2010 | Livres et carnets |
Comme son nom l’indique, In situ est une revue consacrée aux patrimoines et à leur conservation. Mise en ligne sur le site du Ministère de la Culture, sa rédaction est assurée par un comité scientifique déplorant quelque peu le manque de moyens des projets précédents et semblant à nouveau s’épanouir dans cette publication semestrielle.
La mise en page en est sommaire, misant surtout sur l’aspect scientifique des sujets traités. Derrière l’aridité de la présentation se cache des articles foisonnants (12 numéros à l’heure actuelle) et à la précision chirurgicale, abondamment illustrés, inépuisablement documentés.
On y trouvera des articles pointus, comme par exemple l’éclairage des salles d’opération aux XIXe et XXe siècles : l’apparition du scialytique ou L’étude des charpentes comme élément de datation du patrimoine rural : l’exemple genevois. Tout un programme…
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May 11, 2010 | Arts, Sur les portulans |
Elles étaient sept, comme les mercenaires et les samouraïs ou encore les péchés capitaux, c’est à dire moins que les salopards ou les travaux d’Hercule, et beaucoup moins que les jours de Sodome et toutes ne sont pas parvenues jusqu’à nous. La particularité de la plupart de ces merveilles est d’être visibles depuis la mer, aussi, il est fort probable que cette liste provienne de récits de voyageurs particulièrement impressionnés par ces monuments géants.
Si on sait que la pyramide de Kheops est encore quasiment intacte, qu’en est-il des autres, où se trouvaient-elles, ont-elles toutes réellement existé ? Et surtout, que leur est-il arrivé ? Notre grand reporter est parti sur le terrain pour répondre à ces grandes questions.
La pyramide de Kheops, construite aux alentours de ‑2650 est de loin la plus ancienne de toutes. Elle est encore debout, se visite toujours et seul son parement de calcaire blanc a disparu, même si quelques blocs ont été démontés par les fellahs pour servir de constructions.
Les jardins suspendus de Babylone, ou de Sémiramis, construits au VIè siècle av. J.-C., dont l’existence a longtemps été remise en cause n’ont peut-être effectivement jamais existé. Ils auraient été bâtis sous le règne de Nabuchodonosor II, roi du royaume assyrien de Babylone mais aucun document de l’époque n’en fait mention. Il est question d’une construction soutenue par des piliers, plantée en terrasse d’arbres gigantesques et irriguée par un système de vis d’Archimède. Il est très probable que les anciens ait confondu Babylone et Ninive (plus au nord) où l’on pratiquait l’irrigation des terres de cette manière. Voici la localisation présumée des jardins suspendus.
La statue chryséléphantine de Zeus olympien, sculptée par Phidias en 437 av. J.-C. Haute de 12 mètres, elle représente Zeus assis, coiffé d’un rameau d’olivier et portant un sceptre. Le terme “chryséléphantine” vient des deux matériaux utilisés pour son parement, l’or (χρυσός / khrusós) et l’ivoire (ελεφάντος / elephántos) qui recouvrent la structure de bois. D’abord conservée à Olympie, elle fut transportée à Constantinople où elle disparut dans les flammes d’un incendie en 461. Localisation de l’emplacement initial de la statue à Olympie.
Le Mausolée d’Halicarnasse, construit en 355 av. J.-C. à… Halicarnasse car le mausolée n’est pas la tombe d’un monsieur qui aurait porté un tel nom, mais le lieu où il se trouve, en Carie et le monsieur qui y est enterré se nommait… Mausole. Oui, c’est un peu compliqué, mais on y arrive. S’il resta debout jusqu’au XII siècle, il finit par s’écrouler à cause des guerres d’invasion et des intempéries (peut-être également d’un séisme). Les Hospitaliers (décidément des gens sympathiques) se servirent de ses ruines pour construire le Château Saint-Pierre de Bodrum.
Localisation de l’emplacement du Mausolée.
Le temple d’Artémis ou Artemísion, construit à Éphèse en 340 av. J.-C. Long de plus de 137 mètres, c’est un des bâtiments les plus imposants de l’Antiquité, mais aussi le plus richement décoré. Il est détruit 16 ans après sa construction par un mariole du nom d’Erostrate qui voulait par ce geste uniquement se rendre célèbre. Gagné. Rebati, il est pillé par les Ostrogoths en 263 et détruit par les flammes par les sympathiques chrétiens en 401. Justinien achèvera la besogne en prélevant ses pierres pour ses affaires personnelles à Constantinople. Les plus belles sculptures sont conservées au British Museum.
Localisation du site.
Le Colosse de Rhodes représente le dieu Hélios, dieu Soleil. Construit en 303 av. J.-C. à l’entrée du port de Rhodes, il fut détruit en 226 av. J.-C. par un tremblement de terre. Son armature de bois et sa surface recouverte de bronze pesait un poids tel que la secousse l’a brisé au niveau des genoux. Toutefois, le matériau de construction est sujet à caution ; certains disent qu’il était en pierre. En revanche, contrairement à l’iconographie traditionnelle, il n’aurait pas eu un pied posé de chaque côté de l’entrée en raison d’un écartement nécessaire trop important, mais il aurait été construit sur un seul et même socle. Une fois effondré, il est resté sur place (l’oracle de Delphes aurait interdit d’y toucher) jusqu’en 654, date à laquelle une expédition arabe récupéra le matériau pour le vendre.
Localisation du Colosse.
Le Phare d’Alexandrie (le premier qui chante du Claude François, c’est un coup de fouet), construit en 290 av. J.-C. sur la pointe de l’île de Pharos. Secoué à plusieurs reprises par des tremblements de terre, il finira dans le port en 1303. En 1349, le voyageur Ibn Battûta rapporte qu’il n’est plus possible d’y entrer. Les pierres serviront au mamelouk Qaitbay pour construire le fort portant son nom, à l’ancien emplacement du phare.
Localisation du phare.
Il est bon de se rappeler ces choses qu’on oublie. Très bientôt, je vous propose une grammaire des civilisations disparues.
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May 10, 2010 | Arts, Sur les portulans |
Au hasard des saisons, je prends avec moi le temps de répondre aux questions qu’il me pose du haut de ses sept ans. La faim nous mène dans le quartier Saint-Séverin qui, décidément, ne livre guère le meilleur en matière de gastronomie. Il fut un temps où je sortais souvent le soir dans ce coin, un quartier qui ne sentait pas encore la mauvaise graisse et dans lequel on pouvait se promener sans se faire rabattre comme si on était un touriste américain. Le quartier pue la sale affaire et l’attrape-nigaud…
Il reste encore quelques anciennes maisons qu’on reconnaît à leurs murs penchés, aux toits à présent recouverts de zinc et à leurs hautes cheminées massives. L’âme du vieux Paris médiéval se trouve dans les hauteurs de ces immeubles sans âge.
Au 17 rue de la Harpe, au carrefour de la rue Saint-Séverin, se trouve un endroit qu’il faudrait s’interdire de fréquenter, mais les couleurs et les odeurs qui se dégagent de cette petite échoppe sont comme un piège qui se referme sur le passant. Finalement, le loukoum au citron aura raison de ma bonne volonté.
Autrefois, au pied des futs des colonnes de la Conciergerie, on voyait des pigeons chier sur la pierre. Aujourd’hui ce sont les caméras de vidéo surveillance qui rongent le calcaire. Au fond, la Tour de l’Horloge, délabrée à un point inimaginable. Elle fut la première horloge publique du Royaume de France, installée en 1371.
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Apr 30, 2010 | Arts, Histoires de gens, Sur les portulans |
Une belle après-midi printanière, une bouteille d’eau coincée dans le sac-à-dos entre les objectifs et l’appareil, deux carnets dans la poche et c’est parti sur les routes du Val-d’Oise, à une trentaine de kilomètres de Paris à vol d’oiseau, exactement à la limite qui sépare l’Île de France et la Picardie, derrière les champs de colza, les étangs de pêche et un paysage d’une platitude monotone. Partir de l’autre côté, sur la route à contrepoint. Arrivée à Asnières-sur-Oise, au hameau de Baillon.
Royaumont est une abbaye fondée par Louis IX entre 1228 et 1235. Celui qui sera canonisé pour ses actes de piété contrite et sa croisade partiellement échouée n’avait rien d’un joyeux luron (celui-là même qui mourut de dysenterie au bord de la nationale 9) et c’est dans ce lieu de méditation qu’il se retirait pour compulser les livres de l’armarium du cloître. Le lieu est d’ailleurs ponctué de citations des œuvres de Guillaume de Saint-Pathus narrant la vie et les habitudes ô combien… stimulantes de Louis IX. Prières à tous les repas, et même au milieu d’une nuit généralement courte (les heures canoniales ne laissent point le temps de se reposer).
Sa mère, Blanche de Castille était, elle, une habituée d’une autre abbaye du département, Maubuisson qu’elle fonda en 1241 sur la commune de Saint-Ouen-l’Aumône.
[audio:funerailles.xol]
On commence la visite par un grand parc ombragé très sobre, peu fleuri mais la saison s’y prête peut-être encore assez mal. Il fait bon flâner dans ces larges allées sous les fleurs des marronniers.
Comme toute abbaye digne de ce nom, on y trouve une église, mais ici, on n’en voit plus que quelques rares éléments. En effet, l’intégralité du site servit de filature après que la Révolution ait dissout les Ordres religieux. En 1792 on ordonne de démanteler l’église pour en utiliser les pierres afin de construire d’autres locaux (il est toujours délicat de poser un regard moral sur les erreurs du passé, mais tout de même, quel gâchis…). Aujourd’hui, seule reste la tour nord (rescapée par sa construction compacte puisqu’elle contient un escalier), ainsi que quelques piliers indiquant encore l’emplacement du chœur. Autant dire que l’édifice que l’on a sous les yeux n’a plus grand chose à voir avec le bâtiment d’origine, même si le retour des sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux a permis la restauration partielle et donne une idée correcte de l’aspect d’origine.
Il y est également question d’une vaste salle qui servait de réfectoire aux frères convers et donc le carrelage que l’on foule au pied est fait d’une immense mosaïque des carreaux de faïence colorée restaurés et reproduits de manière artisanale, tels qu’ils étaient lorsque l’abbaye était encore utilisée.
La visite se termine par un bâtiment scindé en deux parties, dont la partie centrale est soutenu par trente-et-une arches séparées par un vide aujourd’hui comblé par des dalles de verre, donnant en surplomb sur un petit canal et sous lequel il aurait été mal venu de passer en des temps reculés, puisque ce canal porte le doux nom de… latrines.
Mais le clou de la visite reste tout de même le cloître, et y passer quelques minutes baigné par la lumière du soleil, dans le silence d’une campagne douce et d’une après-midi tranquille a un effet réellement apaisant.
Localisation de l’abbaye sur Google Maps.
Toutes les photos de cette journée ici, et là pour voir les photos en diaporama.
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Apr 28, 2010 | Arts, Histoires de gens, Livres et carnets |
Avant que je n’étudie l’histoire de l’art, j’ai pioché mes premières expériences et mes premiers émois dans les pages de volumes aux pages jaunies et à l’odeur rance de la Grammaire des styles qu’on trouvait encore à l’époque aux éditions Payot, sur les tables de gravures innombrables sans lesquelles toute approche naïve ne serait que pure perte. L’art se nourrit de ses propres images, et son histoire se gave d’exemples et d’illustrations. Ma mère m’a alors offert la très majestueuse Histoire de l’Art de l’essayiste anarchiste et historien de l’art Élie Faure (parent du géographe — tout aussi anarchiste — Élisée Reclus), une œuvre monumentale en cinq tomes dont la rédaction s’étale entre 1919 et 1921 et qui aujourd’hui reste absolument incontournable. Je replonge dans ces pages lestes, dénuées de la lourdeur académique des écrits trop souvent conventionnels et intellectualistes de l’époque et de ces mots aériens pleins de formes, on goûte la saveur de la simplicité.
La base de l’édifice humain est faite de découvertes quotidiennes, et ses plus hautes tours sont des entassements patients de généralisation progressives. L’homme a copié la forme de ses outils de chasse et l’industrie sur les becs, les dents et les griffes, il a emprunté aux fruits leurs formes pour ses premiers pots. Ses poinçons, ses aiguilles ont été d’abord des épines, des arêtes, il a saisi dans les lames imbriquées, les articulations et les fermoirs des os l’idée des charpentes, des jointures et des leviers. Là est le seul départ de l’abstraction miraculeuse, des formules les plus purifiées de toute trace d’expérience, du plus haut idéal. Et c’est là que nous devons chercher la mesure de notre humilité et de notre force à la fois.
Au contact de Faure, on s’initie à l’art dans ce qu’il a de plus fondamental ; dans sa vision des choses, reprendre le cours d’une histoire provenant des tréfonds des âges est une manière de nous faire adhérer à l’idée qu’il y a une continuité naturelle entre l’utile de la technique et la fonction esthétique de l’art. Sans cette présupposition, on risque la fausse route.
L’art est d’abord un outil d’utilité immédiate, comme les premiers balbutiements du verbe : désigner les objets qui l’entourent, les imiter ou les modifier pour s’en servir, l’homme ne va pas au-delà. L’art ne peut être encore un instrument de généralisation philosophique qu’il ne saurait pas utiliser, mais il forge cet instrument, puisqu’il dégage de son milieu quelques lois rudimentaires qu’il applique à son profit.
Elie Faure, Histoire de l’art, t.1
Avant l’histoire, I (Folio Essais, p.40, 41, imprimé en 1988)
J’aime me rappeler ces mots qu’il se plaisait à répéter et dont la paternité revient à Auguste Renoir:
Ne me demandez pas si la peinture doit être objective ou subjective. Je vous avouerai que je m’en fous.
Concernant les rapports entre Élie Faure et Auguste Renoir, je trouve dans la préface de Martine Chatelain-Courtois les mots dans lesquels on saisit la figure maîtresse de Faure, maître avant tout, personnage charismatique :
Le passeport de Faure Élie-Paul-Jacques, qui donne des conférences sur l’art dans le monde entier en 1931–1932, indique : « Profession : Médecin ». Et Renoir, qui appréciait d’autant plus la modestie du grand écrivain qu’il se voulait lui-même un simple « ouvrier de la peinture », partageait avec son « cher docteur » un silence complice en évitant les discussions d’esthétique, et en lui parlant avec humour de ses hémorroïdes — quitte à dire le bien qu’il pensait de son œuvre quand Élie Faure n’était plus là.
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