In situ / Revue des patrimoines

Comme son nom l’in­dique, In situ est une revue consa­crée aux patri­moines et à leur conser­va­tion. Mise en ligne sur le site du Minis­tère de la Culture, sa rédac­tion est assu­rée par un comi­té scien­ti­fique déplo­rant quelque peu le manque de moyens des pro­jets pré­cé­dents et sem­blant à nou­veau s’é­pa­nouir dans cette publi­ca­tion semestrielle.

La mise en page en est som­maire, misant sur­tout sur l’as­pect scien­ti­fique des sujets trai­tés. Der­rière l’a­ri­di­té de la pré­sen­ta­tion se cache des articles foi­son­nants (12 numé­ros à l’heure actuelle) et à la pré­ci­sion chi­rur­gi­cale, abon­dam­ment illus­trés, inépui­sa­ble­ment documentés.
On y trou­ve­ra des articles poin­tus, comme par exemple l’éclai­rage des salles d’opération aux XIXe et XXe siècles : l’apparition du scia­ly­tique ou L’é­tude des char­pentes comme élé­ment de data­tion du patri­moine rural : l’exemple gene­vois. Tout un programme…

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Des nou­velles des merveilles

Elles étaient sept, comme les mer­ce­naires et les samou­raïs ou encore les péchés capi­taux, c’est à dire moins que les salo­pards ou les tra­vaux d’Her­cule, et beau­coup moins que les jours de Sodome et toutes ne sont pas par­ve­nues jus­qu’à nous. La par­ti­cu­la­ri­té de la plu­part de ces mer­veilles est d’être visibles depuis la mer, aus­si, il est fort pro­bable que cette liste pro­vienne de récits de voya­geurs par­ti­cu­liè­re­ment impres­sion­nés par ces monu­ments géants.

Si on sait que la pyra­mide de Kheops est encore qua­si­ment intacte, qu’en est-il des autres, où se trou­vaient-elles, ont-elles toutes réel­le­ment exis­té ? Et sur­tout, que leur est-il arri­vé ? Notre grand repor­ter est par­ti sur le ter­rain pour répondre à ces grandes questions.

La pyra­mide de Kheops, construite aux alen­tours de ‑2650 est de loin la plus ancienne de toutes. Elle est encore debout, se visite tou­jours et seul son pare­ment de cal­caire blanc a dis­pa­ru, même si quelques blocs ont été démon­tés par les fel­lahs pour ser­vir de constructions.

Les jar­dins sus­pen­dus de Baby­lone, ou de Sémi­ra­mis, construits au VIè siècle av. J.-C., dont l’exis­tence a long­temps été remise en cause n’ont peut-être effec­ti­ve­ment jamais exis­té. Ils auraient été bâtis sous le règne de Nabu­cho­do­no­sor II, roi du royaume assy­rien de Baby­lone mais aucun docu­ment de l’é­poque n’en fait men­tion. Il est ques­tion d’une construc­tion sou­te­nue par des piliers, plan­tée en ter­rasse d’arbres gigan­tesques et irri­guée par un sys­tème de vis d’Ar­chi­mède. Il est très pro­bable que les anciens ait confon­du Baby­lone et Ninive (plus au nord) où l’on pra­ti­quait l’ir­ri­ga­tion des terres de cette manière. Voi­ci la loca­li­sa­tion pré­su­mée des jar­dins suspendus.

La sta­tue chry­sé­lé­phan­tine de Zeus olym­pien, sculp­tée par Phi­dias en 437 av. J.-C. Haute de 12 mètres, elle repré­sente Zeus assis, coif­fé d’un rameau d’o­li­vier et por­tant un sceptre. Le terme “chry­sé­lé­phan­tine” vient des deux maté­riaux uti­li­sés pour son pare­ment, l’or (χρυσός / khrusós) et l’i­voire (ελεφάντος / ele­phán­tos) qui recouvrent la struc­ture de bois. D’a­bord conser­vée à Olym­pie, elle fut trans­por­tée à Constan­ti­nople où elle dis­pa­rut dans les flammes d’un incen­die en 461. Loca­li­sa­tion de l’emplacement ini­tial de la sta­tue à Olym­pie.

Le Mau­so­lée d’Ha­li­car­nasse, construit en 355 av. J.-C. à… Hali­car­nasse car le mau­so­lée n’est pas la tombe d’un mon­sieur qui aurait por­té un tel nom, mais le lieu où il se trouve, en Carie et le mon­sieur qui y est enter­ré se nom­mait… Mau­sole. Oui, c’est un peu com­pli­qué, mais on y arrive. S’il res­ta debout jus­qu’au XII siècle, il finit par s’é­crou­ler à cause des guerres d’in­va­sion et des intem­pé­ries (peut-être éga­le­ment d’un séisme). Les Hos­pi­ta­liers (déci­dé­ment des gens sym­pa­thiques) se ser­virent de ses ruines pour construire le Châ­teau Saint-Pierre de Bodrum.
Loca­li­sa­tion de l’emplacement du Mau­so­lée.

Le temple d’Ar­té­mis ou Artemí­sion, construit à Éphèse en 340 av. J.-C. Long de plus de 137 mètres, c’est un des bâti­ments les plus impo­sants de l’An­ti­qui­té, mais aus­si le plus riche­ment déco­ré. Il est détruit 16 ans après sa construc­tion par un mariole du nom d’E­ros­trate qui vou­lait par ce geste uni­que­ment se rendre célèbre. Gagné. Reba­ti, il est pillé par les Ostro­goths en 263 et détruit par les flammes par les sym­pa­thiques chré­tiens en 401. Jus­ti­nien achè­ve­ra la besogne en pré­le­vant ses pierres pour ses affaires per­son­nelles à Constan­ti­nople. Les plus belles sculp­tures sont conser­vées au Bri­tish Museum.
Loca­li­sa­tion du site.

Le Colosse de Rhodes repré­sente le dieu Hélios, dieu Soleil. Construit en 303 av. J.-C. à l’en­trée du port de Rhodes, il fut détruit en 226 av. J.-C. par un trem­ble­ment de terre. Son arma­ture de bois et sa sur­face recou­verte de bronze pesait un poids tel que la secousse l’a bri­sé au niveau des genoux. Tou­te­fois, le maté­riau de construc­tion est sujet à cau­tion ; cer­tains disent qu’il était en pierre. En revanche, contrai­re­ment à l’i­co­no­gra­phie tra­di­tion­nelle, il n’au­rait pas eu un pied posé de chaque côté de l’en­trée en rai­son d’un écar­te­ment néces­saire trop impor­tant, mais il aurait été construit sur un seul et même socle. Une fois effon­dré, il est res­té sur place (l’o­racle de Delphes aurait inter­dit d’y tou­cher) jus­qu’en 654, date à laquelle une expé­di­tion arabe récu­pé­ra le maté­riau pour le vendre.
Loca­li­sa­tion du Colosse.

Le Phare d’A­lexan­drie (le pre­mier qui chante du Claude Fran­çois, c’est un coup de fouet), construit en 290 av. J.-C. sur la pointe de l’île de Pha­ros. Secoué à plu­sieurs reprises par des trem­ble­ments de terre, il fini­ra dans le port en 1303. En 1349, le voya­geur Ibn Bat­tû­ta rap­porte qu’il n’est plus pos­sible d’y entrer. Les pierres ser­vi­ront au mame­louk Qait­bay pour construire le fort por­tant son nom, à l’an­cien empla­ce­ment du phare.
Loca­li­sa­tion du phare.

Il est bon de se rap­pe­ler ces choses qu’on oublie. Très bien­tôt, je vous pro­pose une gram­maire des civi­li­sa­tions disparues.

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Flâ­ne­ries iliennes

Au hasard des sai­sons, je prends avec moi le temps de répondre aux ques­tions qu’il me pose du haut de ses sept ans. La faim nous mène dans le quar­tier Saint-Séve­rin qui, déci­dé­ment, ne livre guère le meilleur en matière de gas­tro­no­mie. Il fut un temps où je sor­tais sou­vent le soir dans ce coin, un quar­tier qui ne sen­tait pas encore la mau­vaise graisse et dans lequel on pou­vait se pro­me­ner sans se faire rabattre comme si on était un tou­riste amé­ri­cain. Le quar­tier pue la sale affaire et l’attrape-nigaud…

Il reste encore quelques anciennes mai­sons qu’on recon­naît à leurs murs pen­chés, aux toits à pré­sent recou­verts de zinc et à leurs hautes che­mi­nées mas­sives. L’âme du vieux Paris médié­val se trouve dans les hau­teurs de ces immeubles sans âge.

Au 17 rue de la Harpe, au car­re­four de la rue Saint-Séve­rin, se trouve un endroit qu’il fau­drait s’in­ter­dire de fré­quen­ter, mais les cou­leurs et les odeurs qui se dégagent de cette petite échoppe sont comme un piège qui se referme sur le pas­sant. Fina­le­ment, le lou­koum au citron aura rai­son de ma bonne volonté.

Autre­fois, au pied des futs des colonnes de la Concier­ge­rie, on voyait des pigeons chier sur la pierre. Aujourd’­hui ce sont les camé­ras de vidéo sur­veillance qui rongent le cal­caire. Au fond, la Tour de l’Hor­loge, déla­brée à un point inima­gi­nable. Elle fut la pre­mière hor­loge publique du Royaume de France, ins­tal­lée en 1371.

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La Royau­mont de Saint-Louis

Une belle après-midi prin­ta­nière, une bou­teille d’eau coin­cée dans le sac-à-dos entre les objec­tifs et l’ap­pa­reil, deux car­nets dans la poche et c’est par­ti sur les routes du Val-d’Oise, à une tren­taine de kilo­mètres de Paris à vol d’oi­seau, exac­te­ment à la limite qui sépare l’Île de France et la Picar­die, der­rière les champs de col­za, les étangs de pêche et un pay­sage d’une pla­ti­tude mono­tone. Par­tir de l’autre côté, sur la route à contre­point. Arri­vée à Asnières-sur-Oise, au hameau de Baillon.

Abbaye de Royaumont

Royau­mont est une abbaye fon­dée par Louis IX entre 1228 et 1235. Celui qui sera cano­ni­sé pour ses actes de pié­té contrite et sa croi­sade par­tiel­le­ment échouée n’a­vait rien d’un joyeux luron (celui-là même qui mou­rut de dys­en­te­rie au bord de la natio­nale 9) et c’est dans ce lieu de médi­ta­tion qu’il se reti­rait pour com­pul­ser les livres de l’arma­rium du cloître. Le lieu est d’ailleurs ponc­tué de cita­tions des œuvres de Guillaume de Saint-Pathus nar­rant la vie et les habi­tudes ô com­bien… sti­mu­lantes de Louis IX. Prières à tous les repas, et même au milieu d’une nuit géné­ra­le­ment courte (les heures cano­niales ne laissent point le temps de se reposer).
Sa mère, Blanche de Cas­tille était, elle, une habi­tuée d’une autre abbaye du dépar­te­ment, Mau­buis­son qu’elle fon­da en 1241 sur la com­mune de Saint-Ouen-l’Aumône.

[audio:funerailles.xol]
Abbaye de Royaumont

On com­mence la visite par un grand parc ombra­gé très sobre, peu fleu­ri mais la sai­son s’y prête peut-être encore assez mal. Il fait bon flâ­ner dans ces larges allées sous les fleurs des marronniers.

Abbaye de Royaumont

Comme toute abbaye digne de ce nom, on y trouve une église, mais ici, on n’en voit plus que quelques rares élé­ments. En effet, l’in­té­gra­li­té du site ser­vit de fila­ture après que la Révo­lu­tion ait dis­sout les Ordres reli­gieux. En 1792 on ordonne de déman­te­ler l’é­glise pour en uti­li­ser les pierres afin de construire d’autres locaux (il est tou­jours déli­cat de poser un regard moral sur les erreurs du pas­sé, mais tout de même, quel gâchis…). Aujourd’­hui, seule reste la tour nord (res­ca­pée par sa construc­tion com­pacte puis­qu’elle contient un esca­lier), ain­si que quelques piliers indi­quant encore l’emplacement du chœur. Autant dire que l’é­di­fice que l’on a sous les yeux n’a plus grand chose à voir avec le bâti­ment d’o­ri­gine, même si le retour des sœurs de la Sainte-Famille de Bor­deaux a per­mis la res­tau­ra­tion par­tielle et donne une idée cor­recte de l’as­pect d’origine.

Abbaye de Royaumont

Il y est éga­le­ment ques­tion d’une vaste salle qui ser­vait de réfec­toire aux frères convers et donc le car­re­lage que l’on foule au pied est fait d’une immense mosaïque des car­reaux de faïence colo­rée res­tau­rés et repro­duits de manière arti­sa­nale, tels qu’ils étaient lorsque l’ab­baye était encore utilisée.

Abbaye de Royaumont

La visite se ter­mine par un bâti­ment scin­dé en deux par­ties, dont la par­tie cen­trale est sou­te­nu par trente-et-une arches sépa­rées par un vide aujourd’­hui com­blé par des dalles de verre, don­nant en sur­plomb sur un petit canal et sous lequel il aurait été mal venu de pas­ser en des temps recu­lés, puisque ce canal porte le doux nom de… latrines.

Abbaye de Royaumont

Mais le clou de la visite reste tout de même le cloître, et y pas­ser quelques minutes bai­gné par la lumière du soleil, dans le silence d’une cam­pagne douce et d’une après-midi tran­quille a un effet réel­le­ment apaisant.

Loca­li­sa­tion de l’abbaye sur Google Maps.
Toutes les pho­tos de cette jour­née ici, et là pour voir les pho­tos en dia­po­ra­ma.

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L’abs­trac­tion miraculeuse

Avant que je n’é­tu­die l’his­toire de l’art, j’ai pio­ché mes pre­mières expé­riences et mes pre­miers émois dans les pages de volumes aux pages jau­nies et à l’o­deur rance de la Gram­maire des styles qu’on trou­vait encore à l’é­poque aux édi­tions Payot, sur les tables de gra­vures innom­brables sans les­quelles toute approche naïve ne serait que pure perte. L’art se nour­rit de ses propres images, et son his­toire se gave d’exemples et d’illus­tra­tions. Ma mère m’a alors offert la très majes­tueuse His­toire de l’Art de l’es­sayiste anar­chiste et his­to­rien de l’art Élie Faure (parent du géo­graphe — tout aus­si anar­chiste — Éli­sée Reclus), une œuvre monu­men­tale en cinq tomes dont la rédac­tion s’é­tale entre 1919 et 1921 et qui aujourd’­hui reste abso­lu­ment incon­tour­nable. Je replonge dans ces pages lestes, dénuées de la lour­deur aca­dé­mique des écrits trop sou­vent conven­tion­nels et intel­lec­tua­listes de l’é­poque et de ces mots aériens pleins de formes, on goûte la saveur de la simplicité.

La base de l’é­di­fice humain est faite de décou­vertes quo­ti­diennes, et ses plus hautes tours sont des entas­se­ments patients de géné­ra­li­sa­tion pro­gres­sives. L’homme a copié la forme de ses outils de chasse et l’in­dus­trie sur les becs, les dents et les griffes, il a emprun­té aux fruits leurs formes pour ses pre­miers pots. Ses poin­çons, ses aiguilles ont été d’a­bord des épines, des arêtes, il a sai­si dans les lames imbri­quées, les arti­cu­la­tions et les fer­moirs des os l’i­dée des char­pentes, des join­tures et des leviers. Là est le seul départ de l’abs­trac­tion mira­cu­leuse, des for­mules les plus puri­fiées de toute trace d’ex­pé­rience, du plus haut idéal. Et c’est là que nous devons cher­cher la mesure de notre humi­li­té et de notre force à la fois.

Au contact de Faure, on s’i­ni­tie à l’art dans ce qu’il a de plus fon­da­men­tal ; dans sa vision des choses, reprendre le cours d’une his­toire pro­ve­nant des tré­fonds des âges est une manière de nous faire adhé­rer à l’i­dée qu’il y a une conti­nui­té natu­relle entre l’u­tile de la tech­nique et la fonc­tion esthé­tique de l’art. Sans cette pré­sup­po­si­tion, on risque la fausse route.

L’art est d’a­bord un outil d’u­ti­li­té immé­diate, comme les pre­miers bal­bu­tie­ments du verbe : dési­gner les objets qui l’en­tourent, les imi­ter ou les modi­fier pour s’en ser­vir, l’homme ne va pas au-delà. L’art ne peut être encore un ins­tru­ment de géné­ra­li­sa­tion phi­lo­so­phique qu’il ne sau­rait pas uti­li­ser, mais il forge cet ins­tru­ment, puis­qu’il dégage de son milieu quelques lois rudi­men­taires qu’il applique à son profit.

Elie Faure, His­toire de l’art, t.1
Avant l’his­toire, I (Folio Essais, p.40, 41, impri­mé en 1988)

J’aime me rap­pe­ler ces mots qu’il se plai­sait à répé­ter et dont la pater­ni­té revient à Auguste Renoir:

Ne me deman­dez pas si la pein­ture doit être objec­tive ou sub­jec­tive. Je vous avoue­rai que je m’en fous.

Concer­nant les rap­ports entre Élie Faure et Auguste Renoir, je trouve dans la pré­face de Mar­tine Cha­te­lain-Cour­tois les mots dans les­quels on sai­sit la figure maî­tresse de Faure, maître avant tout, per­son­nage charismatique :

Le pas­se­port de Faure Élie-Paul-Jacques, qui donne des confé­rences sur l’art dans le monde entier en 1931–1932, indique : « Pro­fes­sion : Méde­cin ». Et Renoir, qui appré­ciait d’au­tant plus la modes­tie du grand écri­vain qu’il se vou­lait lui-même un simple « ouvrier de la pein­ture », par­ta­geait avec son « cher doc­teur » un silence com­plice en évi­tant les dis­cus­sions d’es­thé­tique, et en lui par­lant avec humour de ses hémor­roïdes — quitte à dire le bien qu’il pen­sait de son œuvre quand Élie Faure n’é­tait plus là.

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