Sar­ra­si­nades

Pen­dant des années où j’ai consom­mé des galettes de blé noir four­rés à la tomate, à l’œuf et au fro­mage (plus connue sous le terme géné­rique de “com­plète”), je me suis deman­dé d’où venait le terme et sur­tout, qu’est-ce qu’est le blé noir, ou sar­ra­sin ? Il se trouve que ce blé noir, ou blé sar­ra­sin (il tire son nom de l’ex­cep­tion­nelle facul­té des occi­den­taux à attri­buer à l’é­tran­ger loin­tain tout ce qu’ils ne connaissent pas, alors qu’il vient d’A­sie du nord-est, région assez pauvre en Sar­ra­sins) n’a en fait rien à voir avec le blé, mais en plus n’a rien d’une graminée. 

C’est une plante de la famille des poly­go­na­cées, dans laquelle on trouve éga­le­ment les renouées, la rhu­barbe et l’o­seille et dont les graines sont uti­li­sées pour leur absence de glu­ten, ce qui en fait un ali­ment de choix pour ceux qui y sont into­lé­rants. Lar­ge­ment uti­li­sé en Bre­tagne, il est cepen­dant en voie de raré­fac­tion en France, chas­sé par des cultures plus ren­tables, comme le blé et le maïs, ce qui est d’au­tant plus dom­mage que c’est une plante mellifère.

L’autre accep­ta­tion du terme désigne un sens mal connu. Si on se doute que le Sar­ra­sin est Arabe, on ne lui connait pas vrai­ment de pays, ni de reli­gion du moins à l’é­poque où le terme se géné­ra­lise, puisque les terme de musul­man ou d’islam ne sont uti­li­sés que tar­di­ve­ment res­pec­ti­ve­ment au XVIè et XVIIè siècle. On ne sait pas grand chose de lui et c’est pré­ci­sé­ment ce qui fait peur. Oui, l’his­toire se répète et ne se renou­velle guère…
Voi­ci ce qu’en dit Wiki­pé­dia, mais il semble que géné­ra­le­ment, ce soit la défi­ni­tion d’Isi­dore de Séville qui fasse foi :
Le terme sar­ra­sin pro­vien­drait, d’après cer­tains, de l’arabe شرقيين shar­qiyyīn (orien­taux). Selon d’autres, le mot vient de sara­ke­noi en grec ancien, qui a don­né en bas latin Sar­ra­ce­nus (plu­riel: Sar­ra­ce­ni), ce qui a fait dire à Isi­dore de Séville (VIIe siècle):

« Les Sar­ra­sins vivent dans le désert. On les appelle aus­si les Ismaé­lites, comme l’en­seigne le Livre de la Genèse, car ils des­cendent d’Is­maël (fils d’A­bra­ham). Ils sont éga­le­ment nom­més Haga­ré­niens car ils des­cendent d’Ha­gar (esclave et concu­bine d’A­bra­ham, mère d’Is­maël). Il s’ap­pellent eux-mêmes Sar­ra­sins, on l’a dit avec quelque per­ver­si­té, car ils se flattent men­son­gè­re­ment de des­cendre de Sarah (femme légi­time d’Abraham). »

— Isi­dore de Séville, Éty­mo­lo­gies, IX,2,57 Ed. W.M. Lind­say, Oxford 1911 (cité in La croix et le crois­sant de Richard A. Flet­cher).

A l’é­poque d’I­si­dore, Séville n’a encore rien à voir avec l’Es­pagne, mais fait par­tie inté­grante du Royaume Wisi­goth, héri­tier des Grandes Inva­sions bar­bares et dont la capi­tale est Tou­louse. Les Wisi­goths (Goths de l’Ouest), chas­sés de Tou­louse par Clo­vis 1er, ils ins­tallent leur capi­tale à Tolède .
C’est à cette époque que nait le nom don­né à la région d’Anda­lou­sie.
Selon Heinz Halm, le terme Anda­lou­sie vien­drait de l’ex­pres­sion wisi­go­thique « *lan­da-hlauts » dési­gnant l’« attri­bu­tion des terres par tirage au sort », ce qui parait le plus pro­bable, mais il faut quand même savoir qu’on a long­temps cru que le terme signi­fiait “Atlan­tide” ou terre des Van­dales (du ber­bère : al-Anda­lus, pro­ve­nant lui-même de Wan­dal).

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Des livres en géné­ral et des énormes livres d’art en particulier

Il existe un moment cri­tique, lors­qu’on n’a en tête que le doux bruis­se­ment des pages tour­nées au cœur de la biblio­thèque (j’ai appris ce matin que le mot Bible venait de biblio­thèque, et non le contraire — du grec ancien βιϐλία (Biblia),  mot neutre au plu­riel qui signi­fie « livres », oui parce qu’en fait, c’est ce qu’est la Bible, une col­lec­tion de livres, au cas où l’in­for­ma­tion soit pas­sée inaper­çue) sous la cou­pole immense, où l’on peut très vite se retrou­ver sus­pec­té de n’être qu’un rat par­mi les livres, dévo­rant des tonnes et des tonnes d’ou­vrages col­lec­tés patiem­ment et sau­vés de la bru­ta­li­té du monde (oui, le monde est bru­tal, les gens aus­si — j’entre en phase de rébel­lion struc­tu­relle), conser­vés pen­dant des cen­taines d’an­nées par des êtres tout entier dévoués à la culture du papier (on recon­naît géné­ra­le­ment le mes­sie à son pull en acry­lique rouge et un pan­ta­lon à pinces de cou­leur… indé­fi­nis­sable) dans un contexte où très vite, on se voit taxé d’in­tel­lo pous­sié­reux et fati­guant. Bref. J’ai décou­vert des livres fas­ci­nants et je me dois de vous faire par­ta­ger ça sans quoi on aurait tôt fait de me faire un pro­cès pour réten­tion d’information.

Tout d’a­bord, com­men­çons avec ces livres édi­tés dans les années 80 sous une cou­ver­ture en toile et que je me sou­viens avoir com­pul­sé dans plu­sieurs biblio­thèques (désor­mais épui­sés), c’est la Gram­maire des formes et des styles. Ces livres, édi­tés par l’Office Du Livre, sont de véri­tables mines d’or comme on n’en fait plus. Cette gram­maire n’est ni plus ni moins qu’un inven­taire visuel, gra­vures à l’ap­pui, chaque volume est abon­dam­ment illus­tré et docu­men­té et consti­tue un véri­table puits de science pour toute per­sonne s’in­té­res­sant à l’art. Comme je le disais pré­cé­dem­ment en citant Mal­raux, avec l’ap­pren­tis­sage de l’art, rien ne vaut une savante docu­men­ta­tion pra­tique faite d’i­mages, d’i­cônes, de plans, coupe et élé­va­tion, que sais-je !! Abreu­vez-nous et tuez-les tous, Dieu recon­naî­tra les siens !! (par­don, je m’emballe — à noter que le sac de Béziers n’est pas un acces­soire de mode tren­dy). Voi­ci les exem­plaires que j’ai trou­vé (impos­sible de trou­ver un cata­logue exhaus­tif — mais non je ne mets pas ces liens au cas où vous auriez une irré­pres­sible envie de me faire des cadeaux…):

Je viens de trou­ver éga­le­ment ce superbe livre de Jean Clottes (j’en ai par­lé lors de mon expo­sé sur les cha­manes de la pré­his­toire), L’art des cavernes pré­his­to­riques. J’aime beau­coup l’ap­proche très nova­trice de Clottes pour qui l’art parié­tal est en prise directe avec le cha­ma­nisme et pas sim­ple­ment un art pour l’art, un art de “déco­ra­tion” ou même fonc­tion­nel. Il intro­duit une véri­table pers­pec­tive psy­cho­lo­gique et reli­gieuse dans l’art des cavernes. J’en parle avec la larme à l’œil et le vice che­villé au corps, car ce livre, édi­té par Phai­don, est épui­sé en France. Seule­ment, same­di der­nier, je l’ai trou­vé dans un rayon­nage et je compte bien faire main basse des­sus (ne comp­tez pas sur moi pour vous dire où).

Enfin (je me suis fait confir­mer par ma petite sœur étu­diante en his­toire de l’art que c’é­tait une réfé­rence), les Manuels de l’E­cole du Louvre. Voi­ci des livres pas faits comme les autres. Si on y trouve des fiches détaillées sur des œuvres clef, ces livres sont bour­rés de cartes, plans, biblio­gra­phie détaillée, glos­saire tech­nique, de trucs et de machins très bien docu­men­tés et qui en font réel­le­ment un manuel de réfé­rence ; ce sont éga­le­ment de très beaux livres riche­ment illus­trés d’œuvres pour la plu­part expo­sées dans des musées étran­gers. Des livres vrai­ment très techniques.

Lors de ma visite domi­ni­cale à la Concier­ge­rie, j’ai décou­vert sur un éta­lage de la bou­tique que les Edi­tions du patri­moine avaient publié un “voca­bu­laire” typo­lo­gique et tech­nique des arts, de vrais bon gros bou­quins dont le nombre d’illus­tra­tions est plus consé­quent que le nombre de pages. Ques­tion prix, on avoi­sine les 75 euros, et là, ce n’est plus de l’ordre du rai­son­nable. Ce sont de véri­tables ency­clo­pé­dies tech­niques à mon sens réser­vées à des spé­cia­listes, mais qui res­tent de très beaux livres.

Pour ter­mi­ner, j’a­voue, j’ai cra­qué pour cette magni­fique œuvre de Louis Mas­si­gnon (4 tomes, 1952 pages, que mon âme de lec­teur brule en enfer !). Ça tom­bait bien, moi qui avais l’in­ten­tion de me fouet­ter avec des orties fraî­che­ment cou­pées et faire pénitence…

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Fruits sucrés du passé

Louis VIII par Hen­ri Leh­mann,
châ­teau de Versailles

Le roi de France Louis VIII, dit Le Lion, fils de Phi­lippe-Auguste, mari de Blanche de Cas­tille et père du futur Louis IX, plus connu sous le nom de Saint-Louis, était un homme d’une pié­té exem­plaire. Son his­toire est tra­gique. Par­ti en croi­sade contre les Albi­geois sou­te­nus par Ray­mond VII, comte de Tou­louse (gra­ve­ment sus­pec­té de ne pas avoir vou­lu cau­tion­ner le mas­sacre des héré­tiques Cathares), il mène ses troupes aux portes d’A­vi­gnon qui fini­ra par tom­ber puis aux portes de Tou­louse. Mais l’hi­ver, ses mala­dies et les déser­tions auront rai­son de son armée. Le Roi de France Louis VIII sera frap­pé par la dysenterie.
Il lui aurait pour­tant suf­fi de prendre le trai­te­ment qu’on recom­man­dait à l’é­poque pour chas­ser le mal : cou­cher avec une jeune vierge, mais le Roi était pieux et refu­sa. Il mou­rut en 1226 dans d’a­troces souf­frances (près de la natio­nale 9), à Mont­pen­sier. Entre la dys­en­te­rie et cou­cher avec la vierge, mon cœur balance.

En par­lant de pieux, voi­ci une petite anec­dote qui appar­tient éga­le­ment à l’Histoire.
Mame­louk (مملوك) est un terme arabe qui signi­fie pos­sé­dé. Les mame­louks n’é­taient ni plus ni moins que d’an­ciens esclaves qui se consti­tuaient en milices au ser­vice d’un calife otto­man. Ils enva­hirent l’É­gypte à par­tir de 1250 et mal­gré le fait qu’ils étaient de grands bâtis­seurs (et pilleurs éga­le­ment) et des artistes hors-pair, lais­sant leur trace dans tous les plus beaux monu­ments de l’É­gypte ayyu­bide, ils n’é­taient pas spé­cia­le­ment répu­tés pour leur déli­ca­tesse comme en témoigne l’o­ri­gine de leur nom. Leurs occu­pa­tions consis­taient sur­tout à pas­ser à peu près tout le monde au fil de leur lame recour­bée. Leurs sup­plices pré­fé­rés étaient al-taw­sit et al-kha­zuq.
Al-kha­zuq consiste à empa­ler les corps, tan­dis que al-taw­sit consiste à les décou­per en deux à par­tir de l’ab­do­men. Une raf­fi­ne­ment suprême.

Je ne me lasse jamais de ces petits faits qui font la grande histoire…

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Le tertre du Grand Serpent

Dans le sud de l’é­tat de l’Ohio, près des rivages d’un affluent de la rivière épo­nyme et dans le com­té d’Adams se trouve une bien étrange construc­tion que n’im­porte quel œil peu avi­sé serait à même de prendre pour les acci­dents d’un par­cours de golf. En pre­nant un peu de hau­teur, on se rend compte que ces mon­ti­cules forment en réa­li­té un ensemble repré­sen­tant très dis­tinc­te­ment un ser­pent, dont la tête est par­fai­te­ment des­si­née, ce qui ne laisse aucun doute quant à une éven­tuelle inter­pré­ta­tion. Tou­te­fois, on peut y voir éga­le­ment la pos­si­bi­li­té d’un têtard, voire d’un sper­ma­to­zoïde, ce qui ne serait pas sans aller dans le sens sym­bo­lique du tertre.

La pre­mière évo­ca­tion écrite de ce lieu remonte à 1848, sa lon­gueur totale est d’à peu près 420 mètres et les varia­tions de hau­teur du mon­ti­cule sont de 30 à 100 cm. Même s’il est fait men­tion de ce lieu dans les témoi­gnages oraux des cultures ou tra­di­tions Ade­na, Hope­well et Fort Ancient, et même si après avoir long­temps hési­té sur une date pos­sible d’é­lé­va­tion entre 3000 et 1200 av. J‑C. il sem­ble­rait, d’a­près data­tion au car­bone 14 de restes de char­bon de bois à proxi­mi­té du tertre, indi­quant que des hommes y ont tra­vaillé, que l’o­ri­gine du ser­pent remonte en réa­li­té à une période située aux alen­tours de 1070 après J.-C. Quoi qu’il en soit, il a été mis en évi­dence que ce tertre n’est en réa­li­té pas un tumu­lus, une sépul­ture, contrai­re­ment aux autres élé­va­tions de terre situées à proxi­mi­té et sur les­quelles plu­sieurs couches de terre ont été super­po­sées afin d’en­se­ve­lir d’autres corps à des périodes dif­fé­rentes, comme on peut le voir sur les maquettes visibles sur cette page, mais il semble avoir une fonc­tion sym­bo­lique, liée aux croyances des Indiens de l’é­poque, comme on en trouve encore aujourd’­hui chez les Indiens Che­ro­kee.
On peut trou­ver une expli­ca­tion de cette construc­tion dans l’a­li­gne­ment du ser­pent avec le point de lever du soleil au sol­stice d’hi­ver, mais si la construc­tion a réel­le­ment eu lieu aux alen­tours de 1070, cela cor­res­pond éga­le­ment à deux phé­no­mènes astro­no­miques visibles à l’é­poque : la super­novæ créée par la nébu­leuse du Crabe et le pas­sage de la comète de Hal­ley en 1066, ce qui n’est pas sans rap­pe­ler la forme du serpent.
Si le mys­tère demeure autour de la réelle signi­fi­ca­tion de ce lieu hors du com­mun, il n’en reste pas moins un des plus grands tertres de ce genre qui n’ait pas été détruit.

Liens:

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