Avant que je n’étudie l’histoire de l’art, j’ai pioché mes premières expériences et mes premiers émois dans les pages de volumes aux pages jaunies et à l’odeur rance de la Grammaire des styles qu’on trouvait encore à l’époque aux éditions Payot, sur les tables de gravures innombrables sans lesquelles toute approche naïve ne serait que pure perte. L’art se nourrit de ses propres images, et son histoire se gave d’exemples et d’illustrations. Ma mère m’a alors offert la très majestueuse Histoire de l’Art de l’essayiste anarchiste et historien de l’art Élie Faure (parent du géographe — tout aussi anarchiste — Élisée Reclus), une œuvre monumentale en cinq tomes dont la rédaction s’étale entre 1919 et 1921 et qui aujourd’hui reste absolument incontournable. Je replonge dans ces pages lestes, dénuées de la lourdeur académique des écrits trop souvent conventionnels et intellectualistes de l’époque et de ces mots aériens pleins de formes, on goûte la saveur de la simplicité.
La base de l’édifice humain est faite de découvertes quotidiennes, et ses plus hautes tours sont des entassements patients de généralisation progressives. L’homme a copié la forme de ses outils de chasse et l’industrie sur les becs, les dents et les griffes, il a emprunté aux fruits leurs formes pour ses premiers pots. Ses poinçons, ses aiguilles ont été d’abord des épines, des arêtes, il a saisi dans les lames imbriquées, les articulations et les fermoirs des os l’idée des charpentes, des jointures et des leviers. Là est le seul départ de l’abstraction miraculeuse, des formules les plus purifiées de toute trace d’expérience, du plus haut idéal. Et c’est là que nous devons chercher la mesure de notre humilité et de notre force à la fois.
Au contact de Faure, on s’initie à l’art dans ce qu’il a de plus fondamental ; dans sa vision des choses, reprendre le cours d’une histoire provenant des tréfonds des âges est une manière de nous faire adhérer à l’idée qu’il y a une continuité naturelle entre l’utile de la technique et la fonction esthétique de l’art. Sans cette présupposition, on risque la fausse route.
L’art est d’abord un outil d’utilité immédiate, comme les premiers balbutiements du verbe : désigner les objets qui l’entourent, les imiter ou les modifier pour s’en servir, l’homme ne va pas au-delà. L’art ne peut être encore un instrument de généralisation philosophique qu’il ne saurait pas utiliser, mais il forge cet instrument, puisqu’il dégage de son milieu quelques lois rudimentaires qu’il applique à son profit.
Elie Faure, Histoire de l’art, t.1
Avant l’histoire, I (Folio Essais, p.40, 41, imprimé en 1988)
J’aime me rappeler ces mots qu’il se plaisait à répéter et dont la paternité revient à Auguste Renoir:
Ne me demandez pas si la peinture doit être objective ou subjective. Je vous avouerai que je m’en fous.
Concernant les rapports entre Élie Faure et Auguste Renoir, je trouve dans la préface de Martine Chatelain-Courtois les mots dans lesquels on saisit la figure maîtresse de Faure, maître avant tout, personnage charismatique :
Tags de cet article: art, histoire, préhistoireLe passeport de Faure Élie-Paul-Jacques, qui donne des conférences sur l’art dans le monde entier en 1931–1932, indique : « Profession : Médecin ». Et Renoir, qui appréciait d’autant plus la modestie du grand écrivain qu’il se voulait lui-même un simple « ouvrier de la peinture », partageait avec son « cher docteur » un silence complice en évitant les discussions d’esthétique, et en lui parlant avec humour de ses hémorroïdes — quitte à dire le bien qu’il pensait de son œuvre quand Élie Faure n’était plus là.
ah c’est marrant, cet ouvrage d’Elie Faure est inscrit depuis des années dans ma liste de projets d’achat de livres (mais acheter des livres saymal)
Teuka le mettre sur ta ouichliste… 😉 ça peut peut-être marcher.