Carnets de campagne #1
Carnets de campagne #1
Carnets de campagne #1
Les plus belles mains de Delhi
Le livre qui a plus vécu que moi
Wat Chalok Lam.
Le mot wat désigne tout naturellement ces temples que les bouddhistes visitent de temps à autre pour honorer la figure de Bouddha et les grands moines qui ont parfois leurs statues en cire criantes de réalisme exposées sous les auvents en bois.
Wat Chalok Lam, c’est le premier petit temple provincial à qui j’ai rendu visite sur l’île. Visiter est un bien grand mot ; il n’y a pas grand-chose à voir ici, à part un tout petit temple dans une clairière carrelée d’un damier, des nagas en pierre finement ciselés montant la garde. Resplendissant d’ors et de mosaïques de miroirs, il étincelle, caché dans un recoin du village. Rien en lui ne respire l’ancien, la pierre patinée, avec sa peinture blanche étincelante, mais j’apprendrai plus tard que conserver l’ancien n’est pas forcément la pratique la plus courante et que chaque temple peut être reconstruit à l’identique avec des matériaux modernes, parfois même juste à côté, l’aspect sacré du monument primant sur la conservation du patrimoine.
Un peu à l’écart de la ville, la pluie commence à se déverser sur la route goudronnée, et le seul refuge que je trouve, c’est la cour du temple, mais tout est aux quatre vents. Seul un espace couvert, quatre piliers et un toit de chaume, permet de s’abriter. Aux poutres traversières sont accrochées des dizaines d’orchidées simplement retenue par quelques fils de fer enchevêtrés. Un homme qui a laissé son scooter un peu plus loin est venu me rejoindre en me faisant comprendre que ce qui tombe du ciel est un vrai déluge, en se marrant de toutes ses dents, des quelques unes qui lui restent… Dans la chaleur humide, la pluie n’arrive pas vraiment à apaiser l’air électrique, se faufilant à travers les lames de chaumes ajourées, créant des filets d’eau qu’il faut éviter.
Quelques mauvais chiens se sont réfugiés sous un auvent en aboyant plus fort les uns que les autres, à côté de trois hommes qui sirotent leur bière en continuant de discuter, pas le moins du monde perturbés par ce qui se passe autour d’eux.
Et tout à coup, une tunique orange, un bhikshu grassouillet enroulé dans son drap de coton safran passe devant moi pour se rendre dans le temple dont il ferme les lourds volets de bois avant de repartir dans l’autre sens, une main dans le dos, l’autre tenant un grand parapluie jaune. Un instant d’éternité séculier.
Le temps s’écoule doucement pendant que la pluie rince le paysage dont de fortes effluves de terre mouillée émanent avec une discrétion toute bouddhiste. Il pleut ainsi pendant un bon quart d’heure qui impose un temps d’éternité dans la cour du petit temple, Wat Chaloklam…
La pluie s’arrête comme elle est arrivée, sans prévenir ; les chiens reprennent leur place en s’allongeant sur la route détrempée, regardant les scooters qui serpentent pour les éviter avec un air débonnaire, presque méprisant, et la vie reprend soudain d’autres couleurs sous le ciel de plomb du petit village de pécheurs.
Moment recueilli le 5 mars 2013. Écrit le 8 mai 2019.
Baan Chalok Lam. On dit aussi Chaloklum. Voici le finistère de Koh Pha Ngan, un finistère en forme de croissant de lune s’enfonçant dans une vallée au pied d’un des points culminants, une montagne où les nuages chargés d’eau s’accrochent et finissent par se vider au-dessus du village de pécheurs.
C’est une petite ville avec des routes en terre, deux rues parallèles qui longent une plage sans prétention où quelques bateaux souffreteux déversent leurs poissons et les calamars qui seront séchés sur les tables qu’on peut voir un peut partout en bord de mer.
C’est le genre d’endroit où il ne se passe rien, où les touristes n’arrivent que par hasard au terme d’une route chaotique qui a longtemps été en chantier. Pas de surfeurs, pas de vieux allemands arrivés là on ne sait comment, cradingues et les cheveux entourbillonnés et tressés à la mode rasta, perchés un jour et jamais vraiment totalement revenus.
Quelques restaurants proposant une variété incroyable de poissons aux couleurs chatoyantes et de crustacés cuits en sauces curry, sont la seule réelle attraction de ce petit coin qu’on pourrait croire être un paradis, mais qui n’est qu’un bout de terre tendu vers la mer.
Au détour d’un chemin, derrière une petite plage où une balançoire a été accrochée à un cocotier qui pointe vers le large, deux panneaux indiquent que la plage, orientée au nord, est un lieu où les tsunamis peuvent faire beaucoup de dégâts. Une flèche invite les promeneurs à se diriger vers une route en hauteur pour se protéger en cas de danger. Le paradis ressemble un peu à l’enfer.
C’est un finistère où les vieux regardent la mer comme on discute avec un vieil ami, où les chiens, inquiets de rien et surtout pas des quelques scooters qui passent ici, dorment sur la route décapée par les pluies et le soleil, où les jackfruits poussent à portée de main et s’éclatent de temps à autre sur le béton des cours, pourrissant là comme des animaux morts, où les enfants jouent dans le sable en se demandant à quelle heure on mange.
Moment recueilli le 5 mars 2013. Écrit le 27 avril 2019.