Carnets de campagne #4
Une gare fantôme grande comme la gare Saint Lazare perchée à 1195 mètres d’altitude… Canfranc
Si toutefois, un jour, vous passez par Canfranc… Non, je recommence, il n’y a aucune raison que vous passiez un jour par Canfranc… A moins que vous ne preniez un jour le train pour relier Pau à Saragosse… Oui hein, les chances sont maigres… La plaisanterie passée, si toutefois un jour, vous passez par Canfranc, ne faites pas l’économie de voir ce grand bâtiment, cet immense bâtiment perché dans une petite ville espagnole à la frontière de la France et qui eut autrefois ses heures de gloire.
Perchée à 1195 mètres d’altitude, grande comme la gare Saint Lazare, on la disait plus grande que la Titanic ; construite en seulement six ans entre 1922 et 1928, le roi Alphonse XIII et le président Gaston Doumergue l’inaugurèrent conjointement.
Si la guerre civile espagnole et par la suite, la seconde guerre mondiale eurent raison de l’exploitation de la gare (et donc de la ligne), le trafic n’atteint jamais plus de cinquante voyageurs par jour. Sa fermeture définitive en 1970 entraîna avec elle la fermeture du célèbre tunnel ferroviaire du Somport (remplacé par un tunnel routier), qui mesurait tout de même la bagatelle de 7875 mètres de longueur…
On se demande par quel miracle l’ingénierie humaine se sera tant mis au service d’un tel ouvrage pour aussi peu de résultat… Mais comme dirait l’autre, ça a le mérite d’exister…
Voir un article sur le Daily Beast. Et à écouter sur France Culture.
Portraits de cour des empereurs Ming
Ils nous ont pourtant laissé un patrimoine artistique captivant (à part les vases), une nécropole superbe, dont la voie d’accès, la voie des esprits fait près de 7 kilomètres de long, et accessoirement, une Grande Muraille. Il est tout de même à noter que si la dynastie s’est éteinte, c’est que la fin de règne a été particulièrement désastreuse, en particulier sous Tianqi (天啓), qui, illettré, laissa les affaires de l’état à sa nourrice et son eunuque, préférant se consacrer à la menuiserie. Son prédécesseur, Taichang (泰昌), quant à lui, mourut un mois après son couronnement, d’un empoisonnement, ou d’abus sexuels, c’est selon. Comme on dit, quand ça ne veut pas… La dynastie fut remplacée pendant quelques années par la dynastie des Ming du sud, tentant de se maintenir au pouvoir, mais la période fut si ténébreuse que les chronologies officielles ne la mentionne même pas. Puis vint l’avènement de la dernière dynastie, celle d’origine mandchoue des Qing, qui régna jusqu’à sa chute avec l’évincement du dernier d’entre eux, Pu Yi, alors âgé de 6 ans, en 1912.
Chaque empereur portait un nom de naissance, un nom de règne (nianhao 年號), un nom posthume (謚號), et un nom de temple (廟號).
Mais ce dont il est question ici, ce sont leurs magnifiques portraits de cour, que je reproduis ici avec un certain plaisir, et par ordre de règne, parmi les plus beaux d’entre eux. Parce qu’ils sont d’une rare finesse, aux détails presque imperceptibles et d’une beauté simplement majestueuse. Presque aussi beaux que les portraits des Qing…
Aujourd’hui est un jour un peu particulier. Le 13 juillet de chaque année, je fête l’anniversaire de mon premier billet, l’anniversaire de mon blog, qui fête aujourd’hui ses 16 ans… L’âge de mon fils.
Portraits de cour des empereurs Qing
Par simple goût pour les belles représentations, pour les portraits de cour, guindés et clinquants, recouverts de feuilles d’or finement travaillées, pour les figures royales qu’on voit trôner dans les salles climatisées des musées qu’on traverse l’air distrait, les mains dans les poches… Par simple goût de l’Asie qui chante un air doucereux et strident, j’ai collecté les portraits des empereurs Qing, de ceux dont le clan s’appelait, selon le fondateur Nurhachi, Aisin Gioro (爱新觉罗), c’est-à-dire le clan d’or ; Jin (金, ) en chinois signifiant également “or”, la dynastie prit le nom Qing, qui se disent de la même manière en pinyin, malgré les apparences.
Ce qui est frappant dans ces représentations, c’est que près de trois cents ans séparent la première (Nurhachi, 1616–1626), de la dernière (Guangxu, 1875–1908) — Pu Yi n’a pas régné suffisamment longtemps pour avoir son propre portrait de cour. Mais regardez bien ces portraits, et l’incroyable proximité des couleurs, des styles, des motifs… A quelques exceptions près, les vêtements qui gagnent en richesse sont toujours croisés sur le flanc droit avec un liseré bleu. Entre les deux extrémités, le sol est toujours représenté de la même manière, et le trône également ; pas vraiment de surprise à cela, car tous ont été représentés au même endroit, c’est-à-dire sur un des trônes de la Cité violette, peut-être celui du palais de la Pureté Céleste. Cela me fait penser au canon artistique de l’Égypte ancienne qui pendant des centaines d’années n’a pas dévié d’un poil. Harmonie, régularité, tradition et sagesse ; ces mots semblent avoir été inventés en particulier pour les Empereurs Chinois. Tout au moins en apparence.
A la rencontre du peuple Lao Theung
Isabelle Massieu, à la rencontre d’un peuple qu’elle nomme, qu’on nomme à l’époque, le peuple Kha. En réalité, en laotien, le terme kha est très péjoratif ; il signifie esclave. Il apparaît que les peuples frères Lao Theung (Lao des versants), peuple Môn-Khmer regroupant 31 ethnies, Lao Loum (Lao des plaines), de langue laotienne et les discrets Lao Sung (Lao des sommets), Hmongs de langue hmong-mien, sont en réalité dans un rapport de domination, les Lao Theung étant le peuple soumis aux plus nombreux, les Lao Loum qui comptent pour 60% de l’actuel Laos.
Il est à noter que l’ensemble de l’ethnie Lao Loum compte pour 68% de la population du pays actuel avec 4 millions de représentants, mais la majorité des Lao Loum vivent en Thaïlande avec 19 millions de personnes, vivant principalement dans la région frontalière du Laos, l’Isan.
Timbre du Royaume du Laos, Légende des Pou Gneu Nha Gneu, protecteurs de la ville de Luang Prabang
Timbre du Royaume du Laos, costumes traditionnels de mariage chez les Lao Sung
On distingue les Khas-Lemet, les Khas-Kouang, les Khas-Mouk, les Khas-Mouceu, les Khas-Païe et les braves Khas-Sak, dont la simplicité et la bonté font l’objet de mille légendes.
Ce sont eux, lorsque le roi change de demeure, qui viennent tirer des flèches dans les poutres du palais pour en chasser les mauvais esprits. Ce sont eux encore qui viennent chaque année prier solennellement les dieux de leur réserver toutes les calamités, et de les épargner à leurs “frères cadets” les Laotiens. Les Khas et les Laotiens se tiennent en effet pour frères, ils se disent sortis les uns et les autres de la “citrouille”, et jusqu’à présent les Khas ont gardé pour eux toutes les misères.
On raconte qu’au temps jadis Khas et Loatiens étaient partis ensemble de Dien Bien Phû pour aller au Laos occuper le territoire de Luang Prabang. Il avait été entendu que les premiers arrivés feraient une entaille à un certain arbre pour établir leur droit et que le pays leur appartiendrait. Les Laotiens étaient partis dans une pirogue d’or, tandis que les Khas avaient une pirogue de cuir qui “filait comme poisson dans les rapides”. Ce que voyant, les Laotiens, dont la pirogue était chargée des vivres, proposèrent à leurs “frères ainés” de changer de pirogue. Le changement eu lieu ; mais les Khas ramaient si bien et si fort qu’ils n’en arrivèrent pas moins les premiers. Ils marquèrent l’arbre puis s’en allèrent voir le pays dans la montagne. Quand ils revinrent, les Laotiens étaient installés. En vain les Khas montrèrent sur l’arbre la marque qu’ils y avaient faite, les Laotiens prétendirent être arrivés les premiers et firent voir à leurs frères une autre marque tout en haut de l’arbre. Et les Khas s’inclinèrent et s’en allèrent vivre dans la montagne.
Selon une autre légende, le royaume de Luang Prabang devaient appartenir à celui dont la branche, plantée devant la pagode, pousserait le plus vite. Les Laotiens plantèrent la leur dans une tige de bananier, dont la sève la fit germer rapidement, et le Prabang leur appartint.
Ailleurs encore, on raconte que le royaume devait échoir à ceux qui pourraient planter leurs flèches dans le rocher de Nam-Hou, la grande paroi qui se dresse à pic en face de la rivière du même nom. Les Laotiens enduisirent la pointe de leurs flèches de cire vierge qui se colla au rocher, tandis que les flèches des trop honnêtes Khas retombèrent au Mékong.
On rapport enfin qu’il y avait deux éléphants, une mère et son petit, qu’il s’agissait de se partager. Les “petits frères” choisirent le jeune éléphant. Et celui-ci criait sans cesse et appelait sa mère, qui revenait toujours auprès de lui, ce qui procura aux “petits frères” les deux éléphants. Il restait encore à partager deux “gongs”, un gros et un petit. Instruits par l’exemple du gros éléphant, les bons Khas choisirent le petit gong, et se mirent à taper dessus tant qu’ils purent, espérant que le grand gong viendrait rejoindre le petit. Le grand gong ne vint pas ; et les malins Laotiens eurent tout à la fois le grand gong et les deux éléphants.
On se doute qu’avec de tels récits légendaires les pauvres Lao Theung ont toujours été remisé au ban de la société, récits dont les Lao Loum sont certainement les initiateurs…
Heureusement, ce bon peuple laotien est si doux, il va sou-sou
Le discours est un peu éculé, le texte un peu ancien, donc excusable s’il en est, mais disons qu’il a le mérite d’être sincère, un des premiers témoignages que l’on a des mœurs laotiennes en dehors des villes. Les relents des sentiers de la civilisation ne sentent jamais très bon, mais restons sur l’élégance des descriptions et de la pudeur des femmes qui se baignent dans la rivière.
Femme laotienne. Photo © CambodgeMag
Isabelle Massieu, Le Laos
Magellan & Cie, coll. Heureux qui comme…
Nous sommes vendredi soir, je n’ai plus de force ; les yeux me brûlent et mon livre me tombe des mains ; cette semaine a été éprouvante à de nombreux égards ; il est temps pour moi d’aller me reposer alors que dehors pousse une odeur de terre humide dans une soirée sans vent. Je suis heureux de terminer cette semaine avec Isabelle Massieu tandis que je m’apprête à ouvrir d’autres livres qui ont la vertu de me faire voyager.
La chaleur est attendue pour la semaine prochaine et je serais tenté de me dire que c’est tant mieux ; ma peau, mon corps, mon esprit, tout entier je ne vagabonde jamais aussi bien que lorsque j’ai l’impression d’être ailleurs. Je referme ce carnet de campagne, en me demandant déjà à quoi ressemblera le prochain.