Car­nets de cam­pagne #3

Com­po­si­tions
J’ai regrou­pé autour de moi des petits tré­sors, et pour cer­tains, le sou­ve­nir-même de les avoir ache­tés m’a­vait quit­té. L’é­norme volume des Voyages en Extrême-Orient de Pierre Loti, mais aus­si les Essais sur la Chine, de Simon Leÿs, celui qui prit comme nom de plume le nom de famille du per­son­nage créé par Vic­tor Sega­len, René Leÿs. Les boucles se bouclent. Pen­dant ce temps-là, sur mon ordi­na­teur, je copie les mil­liers de pho­tos de mes voyages en Asie, la jauge se rem­plis­sant tout dou­ce­ment en arrière-plan. Je ne sais plus où don­ner de la tête, me don­nant en secret des objec­tifs, des petits chal­lenges à réa­li­ser, des choses à mettre en ordre, à com­po­ser, à har­mo­ni­ser pour en tirer de belles choses, inédites, à ma sauce.
Porte des lions à Mycène. Wil­helm Dörp­feld et Hein­rich Schliemann
Hier matin, j’ai cap­té la voix de Jean-Claude Amei­sen dans son émis­sion Sur les épaules de Dar­win : Éclats du pas­sé : avec Homère pour guide. Il y était ques­tion d’un homme sur lequel j’a­vais déjà un livre, mais dont je n’ar­ri­vais pas à me sou­ve­nir du nom. L’é­mis­sion dérou­lait une bio­gra­phie d’un homme au des­tin excep­tion­nel, car il fut le décou­vreur de l’an­tique civi­li­sa­tion de Troie, que l’on croyait dis­pa­rue à jamais, ou alors pure­ment légen­daire, car il était impos­sible que l’on ne retrouve rien de cette cité majes­tueuse, lieu de vie de la célèbre et superbe Hélène. Hein­rich Schlie­mann, fils d’un pauvre pas­teur alle­mand, dont le des­tin extra­or­di­naire le pous­se­ra à mener des recherches archéo­lo­giques aus­si folles que déme­su­rées, à Hisarlık, à Mycènes, tan­dis qu’il engen­dra deux enfants, une fille et un gar­çon, dont les pré­noms sont comme des appels à l’An­ti­qui­té ; Andro­maque et Aga­mem­non… Voya­geur et homme d’af­faires, il mène­ra ses fouilles en par­fait auto­di­dacte après avoir obte­nu un doc­to­rat en his­toire de l’art aux États-Unis après avoir fait com­merce d’armes en Cri­mée, achète des terres à canne à sucre à Cuba et devient cor­res­pon­dant dans les hautes sphères. Encore un fou qui prouve que les des­tins sont émaillés d’opportunités.

Le ciel s’est cou­vert en ce dimanche matin post-cani­cule. Quelques gouttes viennent à peine rafraî­chir l’air sans vent.

Byr­sa
Byr­sa. J’ai confon­du avec Bur­sa (Brousse, en Tur­quie), mais il s’a­git bien de Bur­sa, une légende qui vient de la fon­da­tion de la ville de Car­thage, mais qu’on ne trouve pas dans l’Énéide.

La tra­di­tion la plus cou­ram­ment admise date la fon­da­tion de la ville en 814 av. J.-C. Selon les tra­di­tions les plus répan­dues, le roi du pays, Hiar­bas ou Iar­bas, consen­tit à leur offrir un ter­ri­toire « aus­si grand que pour­rait en recou­vrir une peau de bœuf ». Élys­sa (Didon), en ayant recours à une ruse punique (puni­ca fides) décou­pa alors la peau en lanières dont elle entou­ra un ter­ri­toire suf­fi­sant pour y bâtir une cita­delle, les arri­vants payant un tri­but au roi­te­let local. Ce ter­ri­toire, appe­lé Byr­sa (« bœuf »), devien­dra le centre his­to­rique de la cité punique.
Source Wiki­pe­dia

On a mon­tré que la plus grande sur­face limi­tée par une lon­gueur fixée est un disque. La démons­tra­tion, dite de la pro­prié­té iso­pé­ri­mé­trique du cercle, est due à Zéno­dore (Grèce, seconde moi­tié du IIe siècle avant J.-C. ; ceci est cité par Théon dans l’Al­ma­geste de Pto­lé­mée et par Pap­pus), et sera com­plé­tée par Weiers­trass à la fin du XIXe siècle. En pre­nant astu­cieu­se­ment un ter­rain en forme de demi-disque au bord de la mer (ce bord étant sup­po­sé rec­ti­ligne), Didon mul­ti­plia encore par 4 la sur­face acquise.
Source Apprendre en ligne

On pour­ra en savoir sur ce savant cal­cul géo­mé­trique sur ce site, expli­quant que Didon vou­lut se réser­ver l’ac­cès à la mer, elle aurait uti­li­sé le cal­cul iso­pé­ri­mé­trique pour tra­cer un arc de cercle à par­tir de sa confec­tion, ce qui explique éga­le­ment la confi­gu­ra­tion de la ville de Car­thage telle qu’on la repré­sente tra­di­tion­nel­le­ment, avec son port circulaire.

Isa­belle Mas­sieu au Laos

On ne sait pas grand-chose de cette dame, née Jeanne Bauche, mariée à un avo­cat sans enver­gure et qui fut la pre­mière femme occi­den­tale à entrer au Népal. Grande voya­geuse, elle semble avoir été l’ar­ché­type de la femme libre qui se déplace à tra­vers les contrées de l’A­sie sans but aucun, sans mis­sion (connue), même si l’on trouve dans son par­cours quelques signes qui laissent pen­ser que sa liber­té de pas­ser les fron­tières ne pou­vaient être pos­sible que grâce à des docu­ments diplo­ma­tiques, sur­tout lors­qu’il s’a­git de pas­ser en terres conquises par les Britanniques.

Une douce phrase, héri­tée de son pas­sage au Laos :

“Quand on n’a plus besoin de ce qui est vrai­ment néces­saire, c’est incroyable comme il faut peu de choses, et comme on com­prend et on envie la supé­rio­ri­té de celui qui exige encore moins !”

Com­ment j’ai par­cou­ru l’In­do-Chine. Bir­ma­nie, états Chans, Siam, Ton­kin, Laos.

Dis­po­nible sur Gal­li­ca.

Wat Phra Kaew — Pho­to Isa­belle Massieu
Stèles orien­tées

Retour sur les Stèles de Sega­len. Voi­ci les cinq cha­pitres : stèles face au midi, stèles face au nord, stèles orien­tées, stèles occi­den­tées, stèles du milieu. Sega­len créé ain­si une croix qui est à l’exact oppo­sé du signe de croix que font les Chré­tiens, lui à qui l’on a appris à connaître la reli­gion, et non à la suivre. Stèles orien­tées, qui sont face à l’o­rient, occi­den­tées, face à l’oc­ci­dent. Voi­ci un bien joli mot : occi­den­té. Cela fait réflé­chir sur le sens du mot “orien­ter”. L’o­rien­ta­tion est comme le sens d’une bous­sole qui nous ferait suivre l’o­rient. Et pour­quoi pas le nord comme l’in­dique la bous­sole qui suit le pôle magné­tique ter­restre ? Pour­quoi l’o­rient alors que notre esprit euro­péa­no-cen­tré vou­drait nous faire nous diri­ger vers l’ouest ? L’o­rien­ta­tion serait le terme qui vou­drait que nous soyons tour­nés vers l’o­rient, l’o­ri­gine de la Chré­tien­té pour nous autres, soit-disant êtres de civi­li­sa­tion chré­tienne… Pour­quoi ne sommes-nous pas occi­den­tés ? Me voi­ci déboussolé…

Stèles des doc­teurs, Temple de la lit­té­ra­ture, Hanoï, 2 août 2017

Lec­ture d’I­sa­belle Massieu

Dans le train pour Paris, mon esprit a du mal à ne pas vaga­bon­der ; une jolie fille au che­mi­sier rouge, che­veux rele­vés, lunettes de soleil rondes, un charme fou, s’est assise en face de moi. J’ai l’im­pres­sion de me retrou­ver des années en arrière, durant mes innom­brables tra­jets en train pen­dant les­quels je pou­vais pas­ser tout mon temps à ten­ter de cap­ter le regard des femmes indo­lentes au tra­jet incertain.

Un nom attire mon atten­tion dans une énumération :

“Muong-Sin, sur la fron­tière des Sip-Song-Pana, pour se rendre en Bir­ma­nie et à Xien Khong. C’est la région des mines de saphir. Il s’y fait un grand com­merce de cire, et le thé, spé­cia­le­ment pré­pa­ré, est envoyé en Bir­ma­nie pour y être chiqué.”

Sip Song Pana. Un nom qui me plonge dans mon enfance, comme une vieille made­leine toute sèche, rabou­grie, un je-ne-sais-quoi dont je n’ar­rive pas à me sou­ve­nir. Je me sou­viens entendre mon grand-père pro­non­cer ce nom, le nom d’une mai­son ou d’une vil­la louée pour les vacances, peut-être à Argen­tat, peut-être à Gérard­mer, des­ti­na­tions parais­sant impro­bables pour des vacances, mais qui fleurent bon les années 60. J’ai peut-être enten­du Simp­son Pana, ce qui ne dit rien non plus à l’es­prit éveillé qui est le mien.

C’est bien cela, le nom d’une mai­son. Mais pour quelle rai­son don­ne­rait-on ce nom à une mai­son ? Je ne peux m’empêcher de pen­ser à un vieux relent colo­nia­liste, d’un vieux mon­sieur à mous­tache recour­bée, un peu épais à pré­sent, mar­chant avec une canne et por­tant des pan­ta­lons en velours côte­lé, vert fon­cé et des gilets à écus­son, des petites lunettes rondes à la Kipling… un nos­tal­gique de l’In­do­chine fran­çaise, où il a peut-être mené un bataillon dans les forêts inex­tri­cables et infes­tées de lour­deurs et de miasmes…

Sip Song Pana. Sip, en thaï, c’est le chiffre 10, song, c’est 2. Sip song, c’est ain­si qu’on dit 12. On avance. Sip song pa na, cela signi­fie les 12 tri­bus. Après avoir lon­gue­ment cher­ché une réfé­rence viable, j’ai fini par trou­ver dans les Annales de Géo­gra­phie, t. 59, n°313, 1950, du Bul­le­tin de la Socié­té de Géo­gra­phie publié par Armand Colin, un article de Pierre Gourou.

Les Thaïs des Sip Song Pa Na. Les Thaïs de l’ex­tré­mi­té méri­dio­nale du Yun Nan sont mal connus. Une par­tie de ces Sip Song Pa Na (douze tri­bus) viennent de faire l’ob­jet d’une étude (CHEN HAN SENG, Fon­tier land sys­tems in Sou­thern­most Chi­na, New-York, Ins­ti­tute of Paci­fic rela­tions) ; il s’a­git seule­ment du dis­trict de Che Li (Xieng Hung en thaï). Défi­ni­ti­ve­ment sou­mis en 1909 seule­ment, ce dis­trict a conser­vé ne grande par­tie de ses carac­tères tra­di­tion­nels ; le sys­tème féo­dal thaï y sub­siste sous un pro­tec­to­rat chi­nois. Les abo­ri­gènes que les Thaïs ont refou­lés et sou­mis n’ont pas dis­pa­ru ; ce sont les Le Kher et les Akar, équi­valent des Kha du Laos français.

On retrouve éga­le­ment des traces des Sip Song Pa Na dans les récits d’ex­plo­ra­tion d’Au­guste Pavie. A leur lec­ture, on com­prend un peu ce que signi­fient les douze tribus…

Notre cara­vane compte 42 bêtes de somme. Deo Van Tri a pré­si­dé au choix des 30 volon­taires char­gés d’as­su­rer la sécu­ri­té. Dans le nombre se trouvent quelques hommes de confiance thais et chi­nois.[…] Les 20 mulets por­teurs sont sous la conduite de leurs six anciens guides yun­na­nais habi­tués à la mon­tagne. Deux Lu de Muong Boum nous accom­pagnent. Etant de même race que les gens des Sip Song Panas et très dévoués à Deo Van Tri, Chi et Noi aide­ront à nous faire bien accueillir. 23 coo­lies khas portent une par­tie des bagages. Dans la val­lée du Nam Lai cette cara­vane pit­to­resque s’al­longe. La note est variée. Tous ces hommes sont dif­fé­rents par la race, la cou­leur, le vête­ment. Euro­péens, Thais, Chi­nois, Anna­mites de Cochin­chine et du Ton­kin, Cam­bod­giens, Lus, Bir­mans, Khas étant ici représentés.

Site dédié à Auguste Pavie.

Auguste Pavie à Xieng Hung

Pierre Loti va en Bir­ma­nie, qui fait par­tie alors du Raj bri­tan­nique, en 1900

Il visite la capi­tale de l’é­tat, Ran­goon (Yan­gon, ရန်ကုန်), à la manière d’un tou­riste, comme on pour­rait le voir aujourd’­hui, au pas de course, chro­no­mé­tré. Loti vit ces quelques jours tran­si par la fièvre de cette capi­tale, hal­lu­ci­né et fié­vreux, décou­vrant la peau ambrée des cuisses des Bir­manes qui gra­vissent les degrés des pagodes, sous le tis­su flot­tant, s’at­tar­dant pour voir jus­qu’où le tis­su remonte, un jour de fête ou de pèlerinage.

A chaque pas qu’elles font, à chaque mou­ve­ment, on pré­voit que cela va s’ou­vrir trop haut, mais tou­jours cela s’ar­rête à point, et les conve­nances res­tent sauves.

Visions d’or et de nuit lumi­neuse, de bijoux clin­quants, de mosaïques étin­ce­lantes. Inévi­ta­ble­ment, ce sont les pagodes d’or qui attirent Loti, dans les mou­ve­ments de foules et les bous­cu­lades, les odeurs de fleurs et de pau­vre­té innom­mable. Éton­nant de voir à quelle point ses des­crip­tions peuvent paraître actuelles.

Lumières de Yan­gon. Pho­to © Momo

Je fran­chis la belle porte, au cou­ron­ne­ment tout héris­sé de clo­che­tons d’or, et je m’en­gouffre dans la mon­tée obs­cure. On y est sur­pris par la pénombre ; d’ailleurs, le soir approche et le soleil tor­ride va s’é­teindre. On glisse un peu sur les marches, usées, polies par le conti­nuel pas­sage des pèle­rins aux pieds nus. Dans ce cou­loir ascen­dant, un capi­teuse odeur de fleurs imprègne l’air qui est chaud et lourd, qui sent la fièvre et le gar­dé­nia, qui a je ne sais quoi de volup­tueu­se­ment mor­tel. Des gens montent et des­cendent, me frôlent sans bruit. Ce sont des Bir­mans, des vrais, en cos­tume ; à part les pauvres ouvriers des docks, je n’en avais encore jamais ren­con­tré en tra­ver­sant l’af­freuse ville d’en bas, qui ne m’a­vait sem­blé peu­plée que de Chi­nois et d’An­glais. Et sur­tout ce sont des Bir­manes, les pre­mières que je vois ; dans les loin­tains du cou­loir, leurs groupes se détachent en cou­leurs vives et claires. Je monte, je monte tou­jours. Des dorures brillent aux poutres cise­lées des inter­mi­nables pla­fonds. Main­te­nant, de chaque côté de l’es­ca­lier, il y a des mar­chands de sucre­ries, de jouets, de sta­tuettes, de fleurs ; tant et tant de fleurs, pour les Boud­dhas qui habitent là-haut, des mannes rem­plies de bou­quets qui embaument, des lis, des jas­mins, des tubé­reuses ; on est trou­blé par l’ex­cès et le mélange de ces par­fums dans la cha­leur molle du soir.

Dif­fi­ciles dans ces pays de boud­dhisme de res­ter insen­sible à ce pic d’or s’é­le­vant tels des doigts sacrés vers le ciel, comme toute élé­va­tion, pro­pice à l’é­lé­va­tion… On se doute qu’il est ques­tion de la pagode Shwe­da­gon (ရွှေတိဂုံဘုရား), la plus sacrée et la plus belle de la capi­tale birmane.

Ces pagodes du tour, aux mille flèches si dorées, dif­fé­rent à l’in­fi­ni de formes, d’or­ne­ments et de cise­lures ; mais toutes font scin­tiller leurs innom­brables petits cris­taux à facettes, et toutes s’al­longent, s’é­tirent éper­du­ment vers le ciel, se ter­minent en minces aiguilles effi­lées ; leurs piliers courts, que l’on dirait ten­dus de bro­carts, leurs petits por­tiques à fes­tons étranges, sont comme écra­sés par la hau­teur exor­bi­tante et l’ex­tra­va­se­ment des toi­tures d’or — toi­tures à cinq ou six étages qui ne sont que des pré­textes pour mul­ti­plier en l’air des cornes et des pointes. Mon Dieu, si poin­tu, tout cela, poin­tu jus­qu’à l’in­vrai­sem­blance !… Et comme c’est sin­gu­lier, cette concep­tion de la pointe, du fais­ceau de pointes, qui per­siste depuis des siècles à han­ter l’i­ma­gi­na­tion des peuples de la Bir­ma­nie et du Siam : en ces pays-là, temples, palais, casque de dieux ou de rois doivent être sur­mon­tés de quelque chose d’ai­gu et d’in­fi­ni­ment long — sans doute pour atti­rer les effluves célestes comme les para­ton­nerres attirent l’orage.

Suite des aven­tures de Loti en Birmanie

Le départ, après la fièvre, l’in­ten­si­té, l’hal­lu­ci­na­tion des nuits chaudes, le rêve éveillé des cou­leurs et des odeurs. Le moment du départ, sans retour pos­sible, l’his­toire que ne se répé­te­ra jamais.

Lumières de Yan­gon. Pho­to © Eli­sa­beth Haslam

Et mon regard d’a­dieu, sur tout cela que je ne rever­rai jamais, m’en lais­se­ra un plus inou­bliable vision. Les ors conti­nuent de briller, on ne sait trop com­ment puis­qu’il fait nuit. La pyra­mide géante qui est au milieu se détache en lui­sances claires sur le bleu sombre du ciel, et la col­line d’or qui lui sert de base garde ses reflets. Alen­tour se pressent les petites pagodes aux pro­di­gieuses toi­tures, les hautes gerbes de feuillage en bronze doré, toutes choses dont l’obs­cu­ri­té ne per­met à pré­sent de voir que les sil­houettes étran­ge­ment poin­tues et l’é­clat de métal pré­cieux. Plus que jamais on dirait des bos­quets de longs if d’or. Mais ce sont des ifs char­gés de fleurs qui sonnent, et leurs myriades de cam­pa­nules remuent dou­ce­ment pour don­ner dans l’air une sorte d’im­mense concer­to dif­fus, comme avec des sono­ri­tés de tym­pa­nons et des voix grêles de cigales…

Après tout, pour­quoi ne pas aller cher­cher les textes à leur source. Aller cher­cher chez Simon Leys et les habits neufs du pré­sident Mao

La semaine a fini de tou­cher à son milieu, elle tend vers la fin, elle n’a aucun sens, n’a aucune sub­stance. Les jours ne se res­semblent pas et mal­gré tout, une migraine sau­vage m’in­ter­dit tout mou­ve­ment qui ne ferait que me contra­rier, me bous­cu­ler ; je suis dans une sorte d’at­ten­tisme pro­fond, ner­veux et contre-productif.

Je butine dans mes livres, sans savoir réel­le­ment où don­ner de la tête, je cherche peut-être quelque chose qui n’existe pas. Et puis je finis par trou­ver. Une note de bas de page qui sur­git d’on ne sait où, dès les pre­mières pages des Habits neufs du Pré­sident Mao, de Simon Leys.

Je le répète, il faut lire les notes de bas de page, c’est sou­vent ce qu’il y a de plus intéressant.

Le pré­sident Mao Zedong à sa table de travail

“Une poé­sie moins mau­vaise que la pein­ture d’Hit­ler, mais pas aus­si bonne que celle de Churchill.”

Il ne faut pas se faire d’illu­sions sur la qua­li­té des créa­tions artis­tiques de Mao. Ses poèmes ne doivent leur célé­bri­té qu’à celle de l’homme poli­tique ; si Mao n’a­vait pas joué un tel rôle sur la scène de l’his­toire, sa pro­duc­tion poé­tique, mince et sou­vent gauche, se serait dif­fi­ci­le­ment dis­tin­guée de celle de ces cen­taines de mil­liers de poètes ama­teurs que la Chine compte à chaque géné­ra­tion de let­trés ; certes il y a eu une ren­contre excep­tion­nelle entre l’ins­pi­ra­tion poé­tique et le des­tin his­to­rique du poli­ti­cien dans le cas du poème chan­té “Neige” […], mais mis à part cette unique occur­rence, on sous­cri­ra volon­tiers au juge­ment d’Ar­thur Waley qui, pre­nant une com­pa­rai­son pic­tu­rale, qua­li­fiait très exac­te­ment la qua­li­té de cette poé­sie “moins mau­vaise que la pein­ture de Hit­ler, mais pas aus­si bonne que celle de Chur­chill”. La cal­li­gra­phie de Mao pré­sente un fas­ci­nant miroir de sa per­son­na­li­té : agres­si­ve­ment hété­ro­doxe, elle reflète la flam­boyance d’un ego qui n’ac­cepte d’autres règles que celles qu’il tire de sa propre inven­tion ; pareille atti­tude pro­duit en cal­li­gra­phie les créa­tions supé­rieures lorsque le cal­li­graphe se trouve à même de fon­der ses licences sur une maî­trise préa­lable de la dis­ci­pline du métier ; celle-ci fait entiè­re­ment défaut chez Mao, ce qui donne à sa cal­li­gra­phie son déplai­sant carac­tère d’au­dace arbi­traire et d’en­flure (l’im­pres­sion d’en­flure est encore aggra­vée du fait qu’il s’a­git d’o­ri­gi­naux de petites dimen­sions agran­dis arti­fi­ciel­le­ment par la reproduction).

Cal­li­gra­phie de Mao à Guo Moruo

Tout ceci est écrit bien trop petit, je m’y fatigue tel­le­ment les yeux que même mes lunettes n’y peuvent plus rien. Il est temps de refer­mer le livre, la page, de lais­ser tom­ber les lunettes et de clô­tu­rer ce car­net de cam­pagne. Vous repren­drez peut-être une pipe d’opium ?

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