Valé­rien, l’empereur qui fai­sait office de marche-pied

Valé­rien, l’empereur qui fai­sait office de marche-pied

L’empereur romain Valé­rien, dont le nom-même lais­sait à croire que sa vie de valait pas grand-chose (et puis il faut dire que c’est plus facile à rete­nir que Publius Lici­nius Vale­ria­nus), puisque que même son fils ne prit même pas la peine de lui sau­ver la vie lorsque son père fut cap­tu­ré par les troupes de Sha­pur Ier, roi de l’empire sas­sa­nide, connût une fin tra­gique, pour ne pas dire funeste. Pas la peine de s’a­pi­toyer sur l’homme qui fut un véri­table bour­reau puis­qu’il est le signa­taire de plu­sieurs édits de per­sé­cu­tion contre les Chré­tiens, même s’il se cal­ma un peu avant cette banale escar­mouche qui fit de lui un objet à la conve­nance de Sha­pur. Ecou­tons un peu ce que nous en dit Peter Fran­ko­pan dans Les routes de la soie.

Tout au contraire des pro­vinces euro­péennes de l’empire, c’est l’A­sie qui subit les cam­pagnes régu­lières des empe­reurs, pas tou­jours réus­sies. En 260, par exemple, l’empereur Valé­rien fut humi­lié une fois cap­tu­ré, puis main­te­nu « dans une forme abjecte d’es­cla­vage » : uti­li­sé comme tabou­ret humain par le diri­geant perse — « il pré­sen­tait son dos au roi quand il mon­tait à che­val » — il fut fina­le­ment écor­ché vif, « puis sa peau, évis­cé­rée, fut teinte de ver­millon et pla­cée devant le temple du dieu des bar­bares, afin que se per­pé­tue le sou­ve­nir d’une vic­toire aus­si signa­lée et que le spec­tacle en fût tou­jours pré­sen­té à nos ambas­sa­deurs » (Lac­tance, de mor­ti­bus per­se­cu­to­rum). On l’empailla afin que tous pussent voir la déme­sure et la honte de Rome.

Voi­là qui lui valut bien à sa mort le titre de Impe­ra­tor Cae­sar Publius Lici­nius Vale­ria­nus Pius Felix Invic­tus Augus­tus Ger­ma­ni­cus Maxi­mus, Pon­ti­fex Maxi­mus, Tri­bu­ni­ciae Potes­ta­tis VII, Impe­ra­tor I, Consul IV, Pater Patriae. Il ne fal­lait pas se don­ner cette peine pour si peu.

Humi­lia­tion de Valé­rien par l’empereur Sha­pur sur le sanc­tuaire de Naqsh‑e Rostam

Les Perses, fiers de leur his­toire, repro­dui­sirent la scène sur les falaises sculp­tées du sanc­tuaire de Naqsh‑e Ros­tam, non sans une cer­taine sobriété.

Humi­lia­tion de Valé­rien par Sha­pur, par Hans Hol­bein le jeune

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La Rome chré­tienne et sou­ter­raine de Gio­van­ni Bat­tis­ta de Rossi

La Rome chré­tienne et sou­ter­raine de Gio­van­ni Bat­tis­ta de Rossi

Si Rome ne s’est pas faite en un jour, elle n’est pas non plus res­sor­tie de terre comme un fleur dans une prai­rie. La Rome telle qu’on la connaît aujourd’­hui, ce vaste champ de ruines com­po­sé d’un mil­le­feuille inex­tri­cable d’é­poques dif­fé­rentes, a été en par­tie mis au jour par un archéo­logue ita­lien, Gio­van­ni Bat­tis­ta de Ros­si, dont le tra­vail a notam­ment révé­lé dans son inté­gra­li­té une des plus grandes cata­combes de la capi­tale ita­lienne : les cata­combes de Saint-Calixte.
Le lieu s’é­tend sur plus de 15 hec­tares, com­pre­nant presque 20km de gale­ries situées pour la plu­part à près de 20 mètres de pro­fon­deur. On trouve ici un ensemble de cryptes ras­sem­blant pas moins de seize tombes par­mi les pre­miers papes de la Chré­tien­té, ain­si que de nom­breuses autres tombes de mar­tyrs et pon­tifes des pre­mières lueurs du chris­tia­nisme. On consi­dère que c’est le tout pre­mier cime­tière chré­tien et sur­tout le pre­mier cime­tière sacré puisque les pre­miers papes de Rome y étaient enter­rés, à tel point que Ros­si sur­nom­ma la cryptes des papes, le petit Vati­can.
Les restes des papes dont les tombes ont été trou­vés ici ont géné­ra­le­ment été trans­fé­rés à une période ancienne vers d’autres églises. C’est éga­le­ment dans cette vaste nécro­pole que fut enter­rée celle qui fut mar­ty­ri­sée sous le nom de Sainte Cécile, la sainte patronne des musi­ciens. Si l’on connais­sait les cata­combes depuis le IXè siècle, l’in­té­rêt qu’on lui por­tait fut redou­blé lors­qu’en 1509, des fouilles archéo­lo­giques mirent au jour la dépouille de la sainte, appa­rem­ment par­fai­te­ment conservée…
Un autre inté­rêt de ce lieu est le pro­gramme ico­no­gra­phique ; puisque pré­ser­vées de la lumière du jour pen­dant plu­sieurs siècles, de très belles fresques repré­sen­tant les scènes de la vie du Christ et de la litur­gie en géné­ral y ont décou­vertes presque intactes. C’est tout ce tra­vail qui fut mis au jour par Ros­si et qui fut repro­duit dans trois superbes ouvrages aujourd’­hui dis­po­nibles sur le site de l’U­ni­ver­si­té de Heidelberg.

  1. Volume 1
  2. Volume 2
  3. Volume 3
  4. La Roma Sot­ter­ra­nea cris­tia­na par de Rossi
  5. Le même ouvrage en français

 

 

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Car­thage d’Han­ni­bal et de Saint-Louis par Daniel Rondeau

Car­thage d’Han­ni­bal et de Saint-Louis par Daniel Rondeau

Daniel Ron­deau, dont je par­le­rai plu­sieurs fois ici puis­qu’il a pro­duit une série de livres sur les grandes cités de la Médi­ter­ra­née (Tan­ger, Alexan­drie, Istan­bul, Malte), s’est per­du sur les rives de l’an­tique cité punique détruite par les Romains. L’his­toire de Car­thage (Qart Hada­sht) est d’une com­plexi­té rare, depuis sa fon­da­tion par la mythique Elis­sa, plus connue sous le nom de Didon, la Phé­ni­cienne jus­qu’à son effa­ce­ment de la carte par les armées du césar Sci­pion Emi­lien le Second Afri­cain. Entre ces deux évé­ne­ments fon­da­teurs, un homme se ren­dit célèbre entre autre pour avoir tra­ver­sé les Alpes avec ses élé­phants afri­cains et avoir eu l’ou­tre­cui­dance de mar­cher sur Rome dans l’es­poir de la prendre ; Han­ni­bal Bar­ca. C’est de cette grande figure dont Ron­deau fait un des points cen­traux de son livre :

Hannibal traverse le Rhône - Henri Motte -1878

Quelques ins­tants plus tard, quand l’his­to­rien me quitte pour rejoindre Tunis, je reste seul devant ce pay­sage, qui baigne dans une brume de bleu et d’or, et j’en pro­fite pour ras­sem­bler mes notes de la jour­née. Mes deux voi­sins conti­nuent à se par­ler, les yeux dans les yeux. Dans leurs phrases revient à plu­sieurs reprises le nom d’Han­ni­bal. Han­ni­bal fut l’homme le plus glo­rieux d’une cité dis­pa­rue. Nous ne connais­sons pas son visage, les his­to­riens l’ont négli­gé (Plu­tarque ne l’a pas consi­dé­ré comme un homme illustre) ou cari­ca­tu­ré (Tite-Live et ses épi­gones se sont foca­li­sés sur sa cruau­té, sur le soi-disant can­ni­ba­lisme des troupes catha­gi­noises, sur la mau­vaise fois punique). Les aven­tu­riers de l’ar­chéo­lo­gie n’ont jamais retrou­vé ses cendres. Au pre­mier siècle de notre ère, Pline l’An­cien évoque sim­ple­ment l’exis­tence d’un tumu­lus cen­sé abri­ter son tom­beau. Il suf­fit pour­tant de le nom­mer pour son ombre se lève.

Autre figure mythique pas­sée sur les terres tuni­siennes de l’his­toire alors que celle-ci était deve­nue terre d’is­lam, Saint Louis, dont la pré­sence à Car­thage est entou­rée d’un voile de mys­tères et de contes dont on ne sait plus où la fic­tion déborde sur la réa­li­té his­to­rique, mais après tout, peu importe, il n’en reste pas moins de belles histoires.

Rue principale de Sidi Bou Said avant la foule !

Pho­to © Romain Cloff

— Ça tombe bien, je suis une des­cen­dante de Sidi Bou Saïd. Tu connais la véri­té sur Saint Louis ? Tu sais ce qu’il s’est réel­le­ment pas­sé ? Ton roi était à Car­thage, à deux kilo­mètres d’i­ci, et Sidi Bou Saïd était dans sa mai­son, là où tu es. Saint Louis vou­lait tous nous tuer, comme musul­mans, et il vou­lait tuer notre mara­bout dans le dos. Sidi Bou Saïd lui a fait prendre conscience de ses péchés et, fina­le­ment, San­lu­wis a rejoint l’is­lam. Si tu veux en savoir plus, reviens demain, ce soir j’ai des invi­tés, il faut que je pré­pare le repas.
— Je vou­drais sim­ple­ment jeter un œil sur le tombeau.
Elle ouvre les portes du sanc­tuaire sans m’au­to­ri­ser à y péné­trer, puis rejoint sa cui­sine en cou­rant. Le len­de­main, je repasse, mais elle s’est absen­tée. Plu­sieurs per­sonnes m’ont signa­lé l’exis­tence d’une fleur de lys sur la porte du tom­beau du saint. D’a­près eux, cet emblème royal incrus­té dans la pierre du sanc­tuaire musul­man prouve que la légende ne ment pas. Je la cherche tout autour de la mos­quée, en vain.

Un livre par­cou­ru de légendes, d’am­biances, bai­gné de lumières médi­ter­ra­néennes dans le bleu clair des pein­tures des villes per­chées et le blanc des murs chau­lés, et tra­ver­sé de ques­tions sans cesse en suspens…

Daniel Ron­deau, Car­thage
Folio Gal­li­mard pour NiL Edi­tions, 2008

Ceci était mon six-cen­tième billet sur ce blog.

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Hen­ryk Sie­mi­radz­ki — Orgie romaine au temps de César (1872)

Voi­ci un très beau tableau d’un peintre polo­nais par­fai­te­ment confi­den­tiel et tout aus­si par­fai­te­ment aca­dé­mique, Hen­ryk Sie­mi­radz­ki. Si on le connait si peu, c’est que la majo­ri­té de ses œuvres sont expo­sées en Rus­sie, en Ukraine et en Pologne. Les scènes qu’il se plaît à peindre sont pour la plu­part des scènes bibliques ou de l’An­ti­qui­té, dans un style géné­ra­le­ment assez plan-plan. Mais par­fois, on trouve des petits tré­sors, des coups de génie venus de nulle part, qui vous font vous arrê­ter et regar­der plus attentivement.
C’est l’ef­fet que m’ont fait ces lumières dif­fu­sées par les lampes à huile de ces Romains débau­chés sous un ciel de soir tom­bant, toute une gamme de varia­tions de cou­leurs dégra­dées par la dis­tance et les dif­fé­rents points de vue. Un tableau qui, mal­gré son sujet, est d’une véri­table beau­té, d’une grande maî­trise technique.

Henryk Siemiradzki - Orgie Romaine au temps de César (1872) - Musée Russe de Saint-Pétersbourg

Cli­quez pour voir en grand.

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Miche­lan­ge­lo Meri­si da Cara­vag­gio, la voca­tion de Saint-Matthieu

Jésus vit en pas­sant, assis au bureau des taxes, un homme qui s’appelait Mathieu. Il lui dit “Suis-moi”.

La voca­tion de Saint-Mat­thieu est un des plus beaux tableaux, peint entre 1599 et 1600, du peintre Miche­lan­ge­lo Meri­si da Cara­vag­gio, plus connu sous le nom de Le Cara­vage. Pre­mière com­mande offi­cielle du peintre par le Car­di­nal Mat­thieu Conta­rel­li, le tableau est aujourd’­hui expo­sé à son empla­ce­ment d’o­ri­gine, dans la cha­pelle Conta­rel­li de l’église Saint-Louis-des-Fran­çais de Rome et fait par­tie des toiles monu­men­tales de l’ar­tiste par ses dimen­sions (322 x 340 cm). La toile est la pre­mière d’une série de trois illus­trant la vie de l’a­pôtre Mat­thieu, sui­vie de Saint-Mat­thieu et l’ange et du Mar­tyre de Saint-Mat­thieu et raconte en exten­sion l’ap­pel de Mat­thieu par le Christ, décrit dans l’é­van­gile épo­nyme(1), scène qu’on nomme voca­tion (latin vocare, appe­ler).

La toile décrit une situa­tion dans laquelle on voit le Christ dési­gnant le publi­cain (per­cep­teur d’im­pôts) Mat­thieu(2) Levi assis à la table de son bureau de per­cep­teur. Le Christ est accom­pa­gné de son com­pa­gnon de la pre­mière heure, Pierre. Mat­thieu, lui, est entou­ré de quatre per­son­nages ; deux sont tour­nés vers les pro­ta­go­nistes qui viennent d’en­trer et deux autres res­tent occu­pés à leurs affaires comp­tant des pièces de mon­naie. Celui qui se trouve le plus à gauche est direc­te­ment ins­pi­ré d’une scène que le peintre Hans Hol­bein a gra­vé à Bâle en 1522 au cœur de sa danse macabre et que l’on retrouve copiée par nombre d’autres peintres. Clin d’œil du peintre ita­lien ; sur l’o­ri­gi­nal de Hol­bein se trouve cité un pas­sage de l’é­van­gile de… Mat­thieu. (more…)

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