Daniel Rondeau, dont je parlerai plusieurs fois ici puisqu’il a produit une série de livres sur les grandes cités de la Méditerranée (Tanger, Alexandrie, Istanbul, Malte), s’est perdu sur les rives de l’antique cité punique détruite par les Romains. L’histoire de Carthage (Qart Hadasht) est d’une complexité rare, depuis sa fondation par la mythique Elissa, plus connue sous le nom de Didon, la Phénicienne jusqu’à son effacement de la carte par les armées du césar Scipion Emilien le Second Africain. Entre ces deux événements fondateurs, un homme se rendit célèbre entre autre pour avoir traversé les Alpes avec ses éléphants africains et avoir eu l’outrecuidance de marcher sur Rome dans l’espoir de la prendre ; Hannibal Barca. C’est de cette grande figure dont Rondeau fait un des points centraux de son livre :
Quelques instants plus tard, quand l’historien me quitte pour rejoindre Tunis, je reste seul devant ce paysage, qui baigne dans une brume de bleu et d’or, et j’en profite pour rassembler mes notes de la journée. Mes deux voisins continuent à se parler, les yeux dans les yeux. Dans leurs phrases revient à plusieurs reprises le nom d’Hannibal. Hannibal fut l’homme le plus glorieux d’une cité disparue. Nous ne connaissons pas son visage, les historiens l’ont négligé (Plutarque ne l’a pas considéré comme un homme illustre) ou caricaturé (Tite-Live et ses épigones se sont focalisés sur sa cruauté, sur le soi-disant cannibalisme des troupes cathaginoises, sur la mauvaise fois punique). Les aventuriers de l’archéologie n’ont jamais retrouvé ses cendres. Au premier siècle de notre ère, Pline l’Ancien évoque simplement l’existence d’un tumulus censé abriter son tombeau. Il suffit pourtant de le nommer pour son ombre se lève.
Autre figure mythique passée sur les terres tunisiennes de l’histoire alors que celle-ci était devenue terre d’islam, Saint Louis, dont la présence à Carthage est entourée d’un voile de mystères et de contes dont on ne sait plus où la fiction déborde sur la réalité historique, mais après tout, peu importe, il n’en reste pas moins de belles histoires.
Photo © Romain Cloff
— Ça tombe bien, je suis une descendante de Sidi Bou Saïd. Tu connais la vérité sur Saint Louis ? Tu sais ce qu’il s’est réellement passé ? Ton roi était à Carthage, à deux kilomètres d’ici, et Sidi Bou Saïd était dans sa maison, là où tu es. Saint Louis voulait tous nous tuer, comme musulmans, et il voulait tuer notre marabout dans le dos. Sidi Bou Saïd lui a fait prendre conscience de ses péchés et, finalement, Sanluwis a rejoint l’islam. Si tu veux en savoir plus, reviens demain, ce soir j’ai des invités, il faut que je prépare le repas.
— Je voudrais simplement jeter un œil sur le tombeau.
Elle ouvre les portes du sanctuaire sans m’autoriser à y pénétrer, puis rejoint sa cuisine en courant. Le lendemain, je repasse, mais elle s’est absentée. Plusieurs personnes m’ont signalé l’existence d’une fleur de lys sur la porte du tombeau du saint. D’après eux, cet emblème royal incrusté dans la pierre du sanctuaire musulman prouve que la légende ne ment pas. Je la cherche tout autour de la mosquée, en vain.
Un livre parcouru de légendes, d’ambiances, baigné de lumières méditerranéennes dans le bleu clair des peintures des villes perchées et le blanc des murs chaulés, et traversé de questions sans cesse en suspens…
Daniel Rondeau, Carthage
Folio Gallimard pour NiL Editions, 2008
Ceci était mon six-centième billet sur ce blog.
Tags de cet article: antiquité, Méditerranée, Rome, Tunisie
bravo Romuald, ! continuer le voyage dans la fraicheur d’une maison romaine, bien à l’abri de la torpeur estivale…c’est délicieux
Romaine d’Afrique 🙂
En fait, une autre légende voudrait que ce soit St Louis qui, convertit à l’islam, a pris le nom de Sidi Bou Saïd et il serait enterré à proximité de la mosquée. Amicalement
Oui j’ai également entendu parler de cette légende. Après Saint-Louis, de même que Sidi Bou Saïd sont nécessairement des personnes autour desquelles les légendes se cristallisent parce que leur destin est exceptionnel.