Dans les bagnes de Malte

Alleway; Mdina, Malta

Mdi­na, Malte — Pho­to © John Has­lam

Les esclaves sont comp­tés tous les soirs, avant d’être enfer­més. Et la crique des galères, au Bor­gu, est fer­mée par une chaîne. Si le nombre n’y est pas, des coups de canon annoncent à la ville le nombre de man­quants, pré­su­més en fuite. Il existe de nom­breuses pri­sons-dor­toirs : les caves-cathé­drales de Saint-Ange­lo, les bag­nos de La Valette, de Bor­gu et de San­glea. Le mot bagno (bagne) vient de Constan­ti­nople. Il fait réfé­rence aux bains publics qui ont été uti­li­sés pour enfer­mer les esclaves sous les Byzantins.

Daniel Ron­deau, Mal­ta Hanina
Gras­set & Fas­quelle, 2012

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Bey­routh centre-ville — Ray­mond Depardon

Bey­routh centre-ville — Ray­mond Depardon

Bey­routh centre-ville est le récit pho­to­gra­phique de Ray­mond Depar­don dans un Bey­routh en pleine guerre. En quelques pho­tos noir & blanc, il plante le décor d’un Bey­routh idyl­lique en 1965, qu’il visite pour la pre­mière fois. Tout semble beau, les pay­sages, les gens, la jet-set un peu futile, la gen­tillesse des gens. Lors­qu’il revient, nous sommes en 1978, il vient d’en­trer à l’a­gence Mag­num et part faire son pre­mier grand repor­tage avec des bobines cou­leurs. Et là, tout a changé…
Avec ses cli­chés au plan res­ser­ré, un cadrage tou­jours très strict mal­gré par­fois l’ur­gence de la situa­tion, Depar­don monte un repor­tage uni­que­ment ponc­tué de quelques phrases laco­niques, comme à son habi­tude, qui rend la lec­ture fié­vreuse et ten­due, comme un jour sous les bombes et les tirs de mitrailleuses…

Un jour, dans une zone tenue par le PNL, en des­cen­dant de voi­ture avec mes appa­reils pho­to, une dizaine de com­bat­tants m’a encer­clé. Je n’ai pas eu le temps d’a­voir peur. J’a­vais pris l’ha­bi­tude de par­ler fort et de me pré­sen­ter en fran­çais. J’ai bien enten­du le cran de sûre­té des kalach­ni­kov sau­ter, ils me bra­quaient, la balle était enga­gée dans le canon, nous avons par­lé. J’é­tais calme, j’ai expli­qué que je sou­hai­tais sim­ple­ment les pho­to­gra­phier ; les minutes étaient longues, les crans de sûre­té sont reve­nus en posi­tion d’attente.
Puis sou­dain j’ai de nou­veau enten­du les crans de sûre­té sau­ter, la balle enga­gée dans le canon : « Il faut nous photographier ! »

 

Il y revient encore en 1991 et les images qu’il en rap­porte lui donne l’im­pres­sion d’une terre dévas­tée, vidée de son huma­ni­té. Un témoi­gnage fort, au bord du cata­clysme, inédit jusque là, d’un conflit qui reste à ce jour encore, tota­le­ment incompréhensible…

Ray­mond Depar­don, Bey­routh centre-ville
Points 2010
Mag­num Pho­tos pour les clichés,
tous dis­po­nibles sur le site de l’a­gence.

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Car­thage d’Han­ni­bal et de Saint-Louis par Daniel Rondeau

Car­thage d’Han­ni­bal et de Saint-Louis par Daniel Rondeau

Daniel Ron­deau, dont je par­le­rai plu­sieurs fois ici puis­qu’il a pro­duit une série de livres sur les grandes cités de la Médi­ter­ra­née (Tan­ger, Alexan­drie, Istan­bul, Malte), s’est per­du sur les rives de l’an­tique cité punique détruite par les Romains. L’his­toire de Car­thage (Qart Hada­sht) est d’une com­plexi­té rare, depuis sa fon­da­tion par la mythique Elis­sa, plus connue sous le nom de Didon, la Phé­ni­cienne jus­qu’à son effa­ce­ment de la carte par les armées du césar Sci­pion Emi­lien le Second Afri­cain. Entre ces deux évé­ne­ments fon­da­teurs, un homme se ren­dit célèbre entre autre pour avoir tra­ver­sé les Alpes avec ses élé­phants afri­cains et avoir eu l’ou­tre­cui­dance de mar­cher sur Rome dans l’es­poir de la prendre ; Han­ni­bal Bar­ca. C’est de cette grande figure dont Ron­deau fait un des points cen­traux de son livre :

Hannibal traverse le Rhône - Henri Motte -1878

Quelques ins­tants plus tard, quand l’his­to­rien me quitte pour rejoindre Tunis, je reste seul devant ce pay­sage, qui baigne dans une brume de bleu et d’or, et j’en pro­fite pour ras­sem­bler mes notes de la jour­née. Mes deux voi­sins conti­nuent à se par­ler, les yeux dans les yeux. Dans leurs phrases revient à plu­sieurs reprises le nom d’Han­ni­bal. Han­ni­bal fut l’homme le plus glo­rieux d’une cité dis­pa­rue. Nous ne connais­sons pas son visage, les his­to­riens l’ont négli­gé (Plu­tarque ne l’a pas consi­dé­ré comme un homme illustre) ou cari­ca­tu­ré (Tite-Live et ses épi­gones se sont foca­li­sés sur sa cruau­té, sur le soi-disant can­ni­ba­lisme des troupes catha­gi­noises, sur la mau­vaise fois punique). Les aven­tu­riers de l’ar­chéo­lo­gie n’ont jamais retrou­vé ses cendres. Au pre­mier siècle de notre ère, Pline l’An­cien évoque sim­ple­ment l’exis­tence d’un tumu­lus cen­sé abri­ter son tom­beau. Il suf­fit pour­tant de le nom­mer pour son ombre se lève.

Autre figure mythique pas­sée sur les terres tuni­siennes de l’his­toire alors que celle-ci était deve­nue terre d’is­lam, Saint Louis, dont la pré­sence à Car­thage est entou­rée d’un voile de mys­tères et de contes dont on ne sait plus où la fic­tion déborde sur la réa­li­té his­to­rique, mais après tout, peu importe, il n’en reste pas moins de belles histoires.

Rue principale de Sidi Bou Said avant la foule !

Pho­to © Romain Cloff

— Ça tombe bien, je suis une des­cen­dante de Sidi Bou Saïd. Tu connais la véri­té sur Saint Louis ? Tu sais ce qu’il s’est réel­le­ment pas­sé ? Ton roi était à Car­thage, à deux kilo­mètres d’i­ci, et Sidi Bou Saïd était dans sa mai­son, là où tu es. Saint Louis vou­lait tous nous tuer, comme musul­mans, et il vou­lait tuer notre mara­bout dans le dos. Sidi Bou Saïd lui a fait prendre conscience de ses péchés et, fina­le­ment, San­lu­wis a rejoint l’is­lam. Si tu veux en savoir plus, reviens demain, ce soir j’ai des invi­tés, il faut que je pré­pare le repas.
— Je vou­drais sim­ple­ment jeter un œil sur le tombeau.
Elle ouvre les portes du sanc­tuaire sans m’au­to­ri­ser à y péné­trer, puis rejoint sa cui­sine en cou­rant. Le len­de­main, je repasse, mais elle s’est absen­tée. Plu­sieurs per­sonnes m’ont signa­lé l’exis­tence d’une fleur de lys sur la porte du tom­beau du saint. D’a­près eux, cet emblème royal incrus­té dans la pierre du sanc­tuaire musul­man prouve que la légende ne ment pas. Je la cherche tout autour de la mos­quée, en vain.

Un livre par­cou­ru de légendes, d’am­biances, bai­gné de lumières médi­ter­ra­néennes dans le bleu clair des pein­tures des villes per­chées et le blanc des murs chau­lés, et tra­ver­sé de ques­tions sans cesse en suspens…

Daniel Ron­deau, Car­thage
Folio Gal­li­mard pour NiL Edi­tions, 2008

Ceci était mon six-cen­tième billet sur ce blog.

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Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 8 août) : Arri­vée à Pata­ra, Gele­miş, Kum­luo­va, le Lêtôon

Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 8 août) : Arri­vée à Pata­ra, Gele­miş, Kum­luo­va, le Lêtôon

Épi­sode pré­cé­dent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 7 août) : Pamuk­kale, le châ­teau de coton et le mar­ty­rium de l’apôtre Phi­lippe, Hiérapolis

Bul­le­tin météo de la jour­née (mer­cre­di) :

  • 10h00 : 35.8°C / humi­di­té : 27% / vent 33 km/h
  • 14h00 : 38.9°C / humi­di­té : 19% / vent 9 km/h
  • 22h00 : 39.6°C / humi­di­té : 64% / vent 7 km/h

C’é­tait mon der­nier jour au Kaş Marin Hotel. Je quitte l’hô­tel sans vrai­ment regret­ter. Je n’é­tais pas là pour faire bron­zette, juste me poser un peu et avoir un point de chute dans les envi­rons, guère plus. L’air mafieux du patron, le per­son­nel à l’œil un peu torve, tout ceci était le cadet de mes sou­cis. Comme on m’a fait payer au début du séjour — on ne sait jamais, des fois que je me cara­pate à tra­vers la Tur­quie avec une voi­ture imma­tri­cu­lée à Izmir — je prends mon petit déjeu­ner, je file à la chambre pour enfi­ler mon maillot de bain et je retourne ran­ger ma valise pour m’é­chap­per loin de là après avoir dépo­sé la clé sur le comp­toir. J’é­vite soi­gneu­se­ment de regar­der autour de moi. Dom­mage, je n’au­rais pas lais­sé une bonne image du Fran­çais moyen, mais là, je rends la mon­naie de ma pièce.

Turquie - jour 13 - Letôon, Kumluova - 001 - Kas

Il est quand même l’heure de déjeu­ner, alors je prends la direc­tion de la ville, dans le petit res­tau­rant où j’ai pris à man­ger à empor­ter (götur­mek) avant-hier (au Lykia Café) et je suis à peine posé sous les ven­ti­la­teurs que le muez­zin com­mence à chan­ter, tan­dis que des petits chats font les imbé­ciles sous les tables. Je mange un plat d’Ev mantı (ravio­lis à la viande et à la crême) et une assiette de frites.

Je prends la route tran­quille­ment. Il n’y a qu’une tren­taine de kilo­mètres entre mes deux points de chute et je prends le temps, un peu, de regar­der le pay­sage et je tourne lorsque je vois le pan­neau mar­ron indi­quant Pata­ra. Pata­ra n’est pas une ville en soi, mais le nom que le hameau a pris en rela­tion avec le site archéo­lo­gique qui se trouve au bout de la route. Il me semble, mais je n’en suis pas cer­tain, que la petite ville est en fait la ville de Gele­miş. Ce n’est fina­le­ment qu’une route bor­dée de quelques mai­sons et d’hô­tels, quelques com­mer­çants et rien d’autre. En cher­chant au pre­mier abord l’hô­tel, je me retrouve en cinq minutes tout au bout de la ville à remon­ter de l’autre côté de la val­lée sur les hau­teurs ; là, je peux consta­ter l’é­ten­due des dégâts. On sent que Pata­ra n’est plus ce qu’elle était ; de grands hôtels désor­mais fer­més, aban­don­nés, des bâtisses immenses déser­tées et qui ne retrou­ve­ront jamais leur faste d’an­tan. (more…)

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