La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istan­bul 14 : sur les quais d’E­minönü, Yeni Camii, Sir­ke­ci, Mısır Çarşısı

La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istan­bul 14 : sur les quais d’E­minönü, Yeni Camii, Sir­ke­ci, Mısır Çarşısı

Épi­sode pré­cé­dent : La rose et la tulipe, car­net de voyage à Istan­bul 13 : une mos­quée au-des­sus du monde, Rüs­tem Paşa Camii

Voi­ci un des quar­tiers les plus ani­més d’Is­tan­bul. Loin de Sul­ta­nah­met et ses res­tau­rants chers, loin de l’Is­tan­bul calme face à la mer de Mar­ma­ra, Eminönü est un car­re­four où se bous­culent ceux qui tra­versent le pont de Gala­ta pour aller à Beyoğ­lu, ceux prennent le tram pour s’en­gouf­frer dans les petites rues au pied de la Süley­ma­niye, ceux qui prennent le bateau ou le car pour Eyüp et ceux qui prennent le fer­ry pour la rive asia­tique et qui peuvent se tar­guer de dire qu’il vont tra­vailler en Asie la jour­née et retournent le soir en Europe. (more…)

Read more

Un beau roman liba­nais : Cara­van­sé­rail de Cha­rif Majdalani

Voi­ci une des plus belles lec­tures qui m’ait été don­né de dévo­rer ces der­niers temps. On vous pro­met un récit digne des mille et une nuits et on se retrouve dans un récit de voyage fan­tasque aux cou­leurs de l’o­rient magique et incer­tain, à mi-che­min entre les errances de T.E. Law­rence et les récits lan­gou­reux de Paul Bowles dans un décor irréel de vent et de sable, dans un monde d’hier qui n’existe plus et qu’on ne pour­ra retrou­ver. On retrou­ve­ra les figures mythiques de Fay­çal et de Law­rence au beau milieu du désert, mais aus­si des his­toires de pierres fan­tômes et de sta­tues cachées.

On repart donc tan­dis que, de leur côté, Samuel et ses vingt-cinq guer­riers, depuis l’oa­sis de Badr, galopent en direc­tion du levant. Au bout de trois jours, le doute s’ins­talle en eux, ils s’ar­rêtent, tournent en rond et se mettent à explo­rer les diverses pistes qui s’offrent, celle de Mous­bat, puis celle de Bir Fou­ra­wia, et aus­si celle qui relie Gimr à Tei­ga jus­qu’à ce que, un après-midi un groupe de cava­lier reçoive en pleine rétine l’é­clat de soleil ren­voyé par un sin­gu­lier tes­son et découvre, au croi­se­ment des pistes de Qum­qum et de Dar Tama, le miroir de bronze posé contre un aca­cia. Son tain de plus en plus glauque est encore capable de reflé­ter la piste déserte, les bos­quets verts et pous­sié­reux — et peut-être a‑t-il aus­si reflé­té durant les jour­nées pré­cé­dentes l’i­mage des gazelles pas­sant au galop, de hyènes lentes et fure­teuses et d’au­truches guin­dées. Après cette décou­verte, Samuel et sa troupe n’ont plus qu’à pous­ser un peu vers le sud le long de cette piste et voi­là qu’ap­pa­raît, cou­ron­nant un bos­quet de genêts sau­vages, l’une des portes sculp­tées du palais Abyad, puis, à une jour­née de marche, une par­tie de la fon­taine au décor mau­resque vert et tur­quoise, aban­don­née sous un bao­bab. « Il s’est pas­sé quelque chose » a décla­ré Samuel. Lorsque se suc­cèdent, toutes les demi-jour­nées, les pierres de taille numé­ro 105 (« salle d’ap­pa­rat »), puis numé­ro 72 (« appui de fenêtre divan des femmes »), puis 42 (« sou­bas­se­ment mur gale­rie »), il com­prend la rai­son qui a pu pous­ser Cha­fic à réagir ain­si et presse le pas, pas­sant désor­mais sans même s’ar­rê­ter devant les mor­ceaux de plus en plus riches balan­cés dans la savane comme de vieux chif­fons, et il rejoint la cara­vane au moment où elle vient de reprendre la route après les conci­lia­bules et les disputes.

Ethereality of Eternity

Pho­to © Hamed Saber

Samuel, un Liba­nais raf­fi­né pris dans les tour­ments de la guerre, erre dans le désert et ren­contre une cara­vane dont le char­ge­ment et la des­ti­na­tion sont autant de fan­tai­sies pour la rai­son dans cet uni­vers inhos­pi­ta­lier. Celui qui mène cette cara­vane a démon­té un palais pièce par pièce pour aller le vendre aux tri­bus nomades du désert… autant dire que le pari est per­du d’a­vance. C’est cette his­toire colo­rée, tru­cu­lente et sen­suelle que nous raconte Maj­da­la­ni avec un verbe rapide et enro­bé, plein d’hu­mour et de sensualité.

Il croit être sûr de son effet, mais Samuel le regarde dans les yeux en fai­sant remar­quer que déci­dé­ment, dans cette par­tie du désert, tout le monde connaît d’Ar­gès, tout le monde l’a aidé et tout le monde a fini par le tra­hir. Et voi­là Zeid qui éclate de rire, et qui clame que ça c’est sûr, que Dar­jis a été très res­pec­té dans ces régions, que les chefs étaient à ses ordres, que par­tout les che­mins et les oasis sont mar­qués de sa pré­sence, que son nom est gra­vé sur bien des rochers et bien des troncs de pal­miers, que les sculp­teurs de l’an­cien temps ont sculp­té son por­trait et frap­pé les pièces d’or à son effi­gie sans le savoir et que le désert l’aime tant que si, dans un endroit où il y a de l’é­cho on crie n’im­porte quel mot, l’é­cho ren­voie le nom de Dar­jis (et il pro­nonce lui aus­si le mot en accen­tuant for­te­ment la der­nière syl­labe). Samuel, ce fils des vieux poètes de la mon­tagne liba­naise, se dit que voi­là sans doute la plus belle ode amou­reuse que l’on ait pro­non­cé dans ces contrées depuis long­temps, et il regarde Zeid avec une admi­ra­tion cer­taine. Mais il n’en laisse rien paraître.

Cara­van­sé­rail, Cha­rif Majdalani
Edi­tions Seuil
Col­lec­tion Points Grands Romans

Read more

Le pre­mier sou­rire de la pein­ture : por­trait d’homme par Anto­nel­lo da Messina

Voi­ci un très beau tableau d’un peintre du XVème siècle ita­lien qui toute sa vie res­ta dans sa ville natale de Mes­sine. Anto­nel­lo da Mes­si­na est un peintre majeure, à l’o­ri­gine de cer­taines des plus belles pein­tures de la Renais­sance comme Le Condot­tière ou une Annon­cia­tion datant de 1475. Le por­trait d’homme, connu éga­le­ment sous le nom de l’homme qui rit, datant de 1470, a cette par­ti­cu­la­ri­té d’être le tout pre­mier por­trait depuis l’an­ti­qui­té sur lequel le sujet est clai­re­ment en train de sou­rire ; une audace folle dans une socié­té où la reli­gion condamne ce genre de pra­tiques dans les repré­sen­ta­tions com­man­di­tées. (more…)

Read more

Fla­men­ca

[audio:mediterranean.xol]

En train d’at­tendre mon fils qui tente avec dif­fi­cul­té de trai­ner l’ar­chet de crin sur les cordes de son vio­lon­celle, un vieux mon­sieur assis à côté de moi me demande avec un léger accent du sud-ouest si j’ai suf­fi­sam­ment de lumière pour lire. Il a la peau tan­née, ridée, le nez rose de soleil et de beaux che­veux blancs bien propres, de grandes jambes fines que son short découvre. Son fils le rejoint. Tout aus­si grand, élé­gant. L’un attend son fils, l’autre son petit fils. Le grand-père a une gâte­rie dans sa poche pour le petit mais le père ne le sait pas, il me montre le sachet de bon­bons en me fai­sant un clin d’œil com­plice. Je lui sou­ris ten­dre­ment. C’est tou­jours gen­til les pépés. Sinon ils n’au­raient pas de petits enfants. A l’é­tage du des­sous joue Isa­belle. Elle me confie qu’au­jourd’­hui elle n’a per­sonne, ses élèves ne sont pas venus, mais les musi­ciens ça ne perd pas son temps le nez en l’air à regar­der les mouches, alors elle joue du vieux fla­men­co espa­gnol, si vieux qu’on le croi­rait ara­bo-anda­lou, une main leste et pré­cise qui frappe le corps de la gui­tare et caresse les cordes à toute vitesse. C’est une dame d’un cer­tain âge que j’ai sou­vent vue trai­ner au bis­trot, des manières de bon­homme et quelques kilos en trop. Elle a le cou raide, des che­veux roux fri­sés et un regard vif qui voit par en-des­sous. Elle me parle de son grand-père qui était méde­cin et musi­cien, du fla­men­co qu’elle jouait près de la fron­tière au nez et à la barbe de son pro­fes­seur, de for­ma­tion plus clas­sique qui lui disait qu’elle lui fai­sait des infi­dé­li­tés avec sa gui­tare espa­gnole, mais elle me dit que la musique est un plai­sir alors vaya con dios… Elle parle du luth comme per­sonne et me dit qu’elle se fout de tout, elle a de l’argent, un appar­te­ment, une rési­dence secon­daire et qu’elle fait ce qu’elle veut sans rendre de comptes à per­sonne. Tout ce qu’elle aime c’est par­ta­ger son goût de la gui­tare, alors elle ne fait que ça, don­ner des cours. Alors moi, moi qui ai fait de la gui­tare, je me dis ben tiens, quoi de mieux que de reprendre. Autant par­tir avec quel­qu’un de pas­sion­né dans cette nou­velle aven­ture. Les cours du Louvre s’ar­rêtent, je m’en vais de ce pas m’a­che­ter une fla­men­ca, et c’est reparti…

Là haut, John McLaugh­lin, Paco de Lucia, Al di Meo­la, Medi­ter­ra­nean Sun­dance / Rio Ancho sur l’al­bum Fri­day night in San Fran­cis­co, 1980
Et puis bon, quand on voit les trois lou­lous jouer ensemble

Read more