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Voici un des quartiers les plus animés d’Istanbul. Loin de Sultanahmet et ses restaurants chers, loin de l’Istanbul calme face à la mer de Marmara, Eminönü est un carrefour où se bousculent ceux qui traversent le pont de Galata pour aller à Beyoğlu, ceux prennent le tram pour s’engouffrer dans les petites rues au pied de la Süleymaniye, ceux qui prennent le bateau ou le car pour Eyüp et ceux qui prennent le ferry pour la rive asiatique et qui peuvent se targuer de dire qu’il vont travailler en Asie la journée et retournent le soir en Europe.
Eminönü est un lieu extrêmement vivant et joyeux, dont la vie est rythmée par l’adhan que le muezzin de la Mosquée Nouvelle (Yeni Camii) lance au-dessus des flots gris de la Corne d’Or. C’est ici qu’on peut trouver sur les quais poussiéreux les fameux fish kebap. D’ici partent à tout instant des bateaux dans toutes les directions, petits ou grands, vedettes flambant neuves ou vieux caboteurs rafistolés.
De Sirkeci gari partent des trains vers toute l’Europe en exécutant une virgule au pied du Palais de Topkapı et surtout accueille le prestigieux Orient Express. La gare est décorée dans un style ottoman très raffiné. A quelques mètres de là commencent les quais et se prolongent jusqu’à Yeni Camii. La mosquée est impressionnante avec ses façades de marbre bleu ; entrer dedans est encore plus spectaculaire. D’une taille assez considérable, elle est aussi richement décorée que Rüstem Paşa Camii et respire à la fois l’opulence et la délicatesse, la grandeur et la majesté. La mosquée neuve n’a rien de neuf puisqu’elle date du XVIème siècle. Laissée à l’abandon alors qu’elle n’était même terminée, elle ne fut terminée qu’en 1665. Située à quelques dizaines de mètres seulement de la Corne d’Or, elle est sur le devant de la scène, qu’on se trouve à Galata ou au pied de la Süleymaniye, la grande mosquée de Süleyman le Magnifique.
Un peu en retrait se trouve le bazar égyptien (Mısır Çarşısı), une grande bâtisse en L où l’on trouve toutes sortes d’épices et de sucreries en quantité. On y trouve du café finement moulu et une de ses portes donne sur Hasırcılar Caddesi, une longue rue étroite qui prolonge l’impression de fouillis du bazar, où l’on trouve confiseries et sucreries au détail ou en gros, à des prix défiant toute concurrence. Après Rüstem Paşa Camii, la rue devient Kutucular Caddesi, rue que j’ai parcourue sous la pluie avec le désir pressant de trouver le chemin le plus court vers la mosquée de Süleyman, tandis que les magasins venaient de fermer les uns après les autres et que la nuit commençait à tomber. C’est alors que je me suis retrouvé nez à nez avec un garçon à la peau noire de crasse et dont le blanc des yeux luisait dans l’obscurité. L’air hagard et les yeux presque révulsés m’ont laissé penser qu’il est complètement drogué. Un chien le suivait, puis deux autres hommes, barbus, la peau sale et les yeux blancs, titubant presque et marchant d’un pas lancinant. Le garçon m’a regardé d’un air menaçant, et j’ai poussé mon fils vers l’avant pour continuer mon chemin à une allure plus pressante. Je crois que la chance était avec nous et la présence de mon bout de chou m’a certainement évité des ennuis. Au bout de la rue, j’ai retrouvé la circulation, l’air libre, un espace moins oppressant.
Malgré ce souvenir assez pesant, je garde en mémoire d’Eminönü l’odeur du café torréfié, l’impression d’espace de la place blanche, le soleil qui se couche derrière la colline avec les pécheurs sur le pont de Galata, l’horizon de minarets et de coupoles, et surtout l’adhan du soir calfeutré dans la cour de la mosquée, à l’abri du bruit ambiant ; un pur moment de grâce que j’ai emporté avec moi…
http://youtu.be/YFKm_zHt–0
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