Apr 30, 2013 | Carnets de route (Osmanlı lale) |
Retour en terrain connu, en Cappadoce sur la terre des premiers chrétiens, là où la terre n’est que tuf, un pays qui disparaîtra un jour et qui taira à jamais ses refuges d’ermites qui se cachaient de leurs persécuteurs. Retour aussi dans la ville lumière à la porte de l’Orient, au bord du Bosphore, où le thé coule à flot au chant du muezzin. Retour à la maison, dans ce pays qui me devient de plus en plus étranger au fur et à mesure qu’il me devient familier, dans lequel je me sens vivre, où j’aime à me poser pour regarder la vie battre des paupières comme les ailes d’un papillon. Retour à la maison, pour en revenir une fois de plus dépossédé de moi-même, kidnappé par ses sourires enjôleurs.

Départ demain matin pour İstanbul, escale puis saut de puce jusqu’à l’aéroport de Kayseri (l’ancienne Césarée) dans la partie est de la Cappadoce, voiture de location à l’aéroport pour rejoindre Çavuşin où je serai logé pendant 5 jours. Le 6 mai, retour à Kayseri, retour à İstanbul pour 5 jours, dans un hôtel à deux pas de la mosquée de Beyazıt. Retour à Paris le 11 mai au soir.
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Apr 21, 2013 | Carnets de route (Osmanlı lale), Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Turquie) |
Épisode précédent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Carnet de voyage en Turquie – 5 août) : Myra (Demre), Andriake, Lykia Yolu
Bulletin météo de la journée (lundi) :
- 10h00 : 36.7°C / humidité : 25% / vent 30 km/h
- 14h00 : 39.5°C / humidité : 18% / vent 19 km/h
- 22h00 : 35.0°C / humidité : 23% / vent 13 km/h
Certaines journées semblent faites pour ne rien faire, où tout se met en place d’une telle manière qu’on a l’impression qu’on n’arrivera pas à se coordonner avec l’ordre des événements et qu’il faut soit baisser les bras et se laisser porter, soit lutter contre des moulins.
Puisque je suis au bord de la mer, je décide de passer une matinée calme au bord de l’eau. La côte est cruellement découpée et les à‑pics de roches qui tombent dans la mer sont autant d’entraves à s’approcher de la mer et les quelques plages de sable sont vite prises d’assaut. En même temps, comme une petite plage privée se trouve au pied de l’hôtel, je n’ai qu’à traverser la route — très passagère — pour arriver sur la plage, qui n’a de plage que le nom, car c’est plutôt une enfilade de terrasses posées sur les rochers reliées entre elles par des volées d’escaliers dans tous les sens, jusqu’à la dernière plateforme où un escalier descend dans la mer après qu’on se soit brûlé les pieds sur les caillebotis.

L’eau est un agitée dans cette baie naturelle et l’eau est d’un beau bleu profond et je peux voir avec le masque des petits poissons qui viennent barboter près des rochers. Je passe ma matinée entre l’eau et l’ombre du parasol ; je bulle. Je commande des wraps que le garçon m’apporte en sautillant tellement le sol est chaud. Baignade, somnolence, etc.

L’après-midi, déjà bien avancée, molle, sans vigueur, je prends la voiture pour me rendre à Arycanda, une ancienne ville lycienne tranquille cachée, paraît-il, dans les pins de l’arrière pays, dans un petit bled du nom d’Aykiriçay que le GPS ne connaît pas, que les cartes ne connaissent pas et pour lequel je n’ai qu’une indication vague… pas loin de la route qui va d’Elmalı à Finike. En gros, je n’ai rien de plus que ça pour me repérer. Je roule jusqu’à une petite ville qui porte le doux nom de Kasaba, qui marque le point où tout commence à aller de travers. Des camions à la benne remplie de rochers énormes m’ont empêché soit de rouler à une allure correcte, soit de les doubler sur des routes à peine plus larges que le camion. J’ai traversé ensuite la petite ville de Karadağ (montagne noire) qui longe le lit d’une rivière large et asséchée qui doit être le printemps venu le lit d’un torrent de montagne assez violent et de là, j’ai tout perdu ; la possibilité que le GPS me donne quoi que ce soit à grignoter, les panneaux de direction qui ont commencé à se faire rares aux bifurcations, la carte qui restait muette à mes imprécations l’exhortant à me donner une semblant de réponse à ce que je cherchais… J’ai rencontré une tortue qui a traversé la route plus rapidement qu’un petit vieux avec une canne, j’ai traversé d’immenses forêts de résineux, fait demi-tour une, deux, trois fois… emprunté une route qui m’a emmené dans des exploitations agricoles, une route de montagne éprouvante sur laquelle j’ai fait demi-tour parce que je commençais à avoir le vertige, des panneaux virage dangereux tous les cinquante mètres et des routes qui tournent après des monticules de terre. Je traverse des tout petits villages perdus où des paysans vivent tranquillement et qui se sont amusés à me voir passer plusieurs fois avec ma voiture immatriculée à Izmir, à six heures de route d’ici, après Dağbağ (vignoble de montagne). Le route a été coupée plusieurs fois en raison de travaux destinés à construire des ponts au-dessus du torrent qui parfois a l’air d’être aussi large que la Seine à Paris ; les routes sont parfois littéralement déviées à l’intérieur du lit, sur les cailloux. J’imagine la tête du loueur de voiture quand je vais la lui rendre et quand il va se rendre compte que le bas de caisse est à refaire ; il va me blacklister dans toute la Turquie et je ne pourrais plus jamais louer de voiture dans ce pays. Je trouve des vendeurs de pastèques sur le bord des routes poussiéreuses qui ceignent des montagnes aux sommets recouverts de croûtes verdâtres. Sur le flanc de la montagne, au plus loin que je suis allé, la route s’est mise à serpenter dans des lacets qu’en d’autres pays on aurait fermé à la circulation tellement c’est dangereux, avec le vide pour seule compagnie à ma gauche. Vu comme les Turcs conduisent, je me dis que si croise quelqu’un, un de nous deux va se retrouver en dehors de la route…
Avec tous ces tours et ces détours, je finis par abandonner, il est trop tard et je ne pourrai jamais arriver à temps à Arycanda, si tant est que je finisse par trouver la route. Arycanda m’a échappé.

Sur la route du retour, je me suis arrêté dans un petite ville à la sortie de Kaş, dans la direction du site archéologique d’Isında, qui porte le nom de Belenli. Je n’ai pas trouvé le site archéologique, simplement un petit village discret au milieu duquel se trouve une mosquée flambant neuve, avec des coupoles de zinc ou de plomb, vers laquelle tout le monde se dirige à l’heure de la prière. Je vois en fait surtout des femmes, coran dans une main, enfant dans l’autre.

Je pensais n’avoir rien vu de la journée, mais j’ai en fait vu des tonnes de choses, qui sont simplement autres que ce que je pensais voir. La balade n’en était pas moins intéressante, puisque j’ai réussi à me perdre sur ces routes de montagnes hostiles, j’ai vu des villages que personne ne vient voir, j’ai vu des lits de rivière asséchés, des animaux, des montagnes… j’ai vu la Turquie de tous les jours, la Turquie de la montagne. Il faudrait penser, dans ces voyages, à refonder le rôle du regard. Tout y est ethnographie.

Le soir, arrivé à Kaş, je m’arrête dans un petit restaurant pour y prendre de quoi manger à emporter. C’est un tout petit restaurant dans la partie véritablement turque, tenu par une femme et son fils, à qui j’ai du mal à faire saisir l’idée qu’on puisse emporter sa nourriture, take away, mais loin d’avoir les deux pieds dans le même sabot, il sort son téléphone, se connecte sur Google translate et me demande d’écrire le mot. Lorsqu’il voit la traduction (götürmek) ses yeux s’éclairent et il file dans la cuisine. Je ressors avec une çoban salata, des mantı (ravioli ottomans farcis à la viande baignant dans la crème fraîche et saupoudrés de paprika) et une portion de frites (par contre, ne pas se tromper, porsiyon en turc signifie assiette) et je file m’acheter une bouteille de vin de cerise.
En arrivant à l’hôtel, je m’installe sur le balcon, pose la nourriture sur la petite table… et je me rends compte que je n’ai ni couverts, ni tire-bouchon… Ce n’était vraiment pas le jour… J’ai mangé mes mantı avec les doigts et j’ai enfoncé le bouchon dans la bouteille, m’éclaboussant au passage le pantalon d’un vin qui tâche à peine…
Il est temps d’aller se coucher.
Voir les lieux traversés sur Google Maps :
Voir les 15 photos de cette journée sur Flickr.
Épisode suivant : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Carnet de voyage en Turquie – 7 août) : Pamukkale, le château de coton et le martyrium de l’apôtre Philippe, Hiérapolis
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Apr 14, 2013 | Carnets de route (Osmanlı lale), Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Turquie) |
Épisode précédent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Carnet de voyage en Turquie – 4 août) : Kaputaş plaji, Mavi Mağara, Kalkan (Antalya Fethiye Yolu)
Bulletin météo de la journée (dimanche) :
- 10h00 : 37.5°C / humidité : 25% / vent 26 km/h
- 14h00 : 40.4°C / humidité : 17% / vent 15 km/h
- 22h00 : 36.3°C / humidité : 25% / vent 19 km/h
Comme j’ai vu que la température allait peut-être grimper aujourd’hui, je n’ose pas mettre le nez dehors, mais finalement, il fait assez bon, ni plus ni moins que les jours précédents, tout ceci est tellement routinier à présent. Mais bon 38°C c’est quand-même chaud… Je monte dans la voiture où j’attrape une suée à peine assis, il doit faire plus de 50°C… A peine sorti de Kaş, je tombe sur un groupe de jeunes au bord de la route qui me font signe, ils sont huit au moins et ils m’indiquent la direction de Demre et je leur dit oui, c’est bien par là, mais ce n’était pas la question, ils voulaient que je les emmène, mais huit dans la voiture, ça ne va pas être possible alors je sors un gros bobard, comme quoi je quitte la route à cent mètres pour aller vers l’est. Déception de leur part, soulagement de la mienne.

Sur la route, c’est un étrange paysage composé de pierres érigées séparées par des touffes d’herbes, des arbustes drus. A Yavu, je tombe sur des chèvres qui sont enfermées sous une bâche bleue, dans un enclos ridicule sur une immense plaine nue. Le paysage en arrivant sur la grande ville n’est fait que d’un océan de serres, troué de temps en temps par le minaret d’une mosquée solitaire dans le morne paysage.
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Mar 30, 2013 | Histoires de gens, Livres et carnets |
Jules Dumont d’Urville est un personnage qui a passé toute sa vie sur son navire à courir aux quatre vents sur toutes les mers du monde. Accessoirement, c’est à lui qu’on doit la découverte de la Vénus de Milo.
Sur son navire l’Astrolabe, il sillonna les mers d’Océanie, des Tonga aux Moluques, de la Polynésie à la Micronésie d’où il ramena une somme considérable d’objets, de planches d’illustrations précieuses dans le domaine de la géographie et la botanique qu’il collecta dans les treize tomes de ses Voyages de l’Astrolabe. Pour quelqu’un qui a passé sur sa vie sur la mer, c’est presque déshonorant d’avoir perdu la vie dans un accident de chemin de fer. Lui et toute sa famille sont décédés dans la célèbre catastrophe ferroviaire de Meudon.
Voici ici quelques planches recensant quelques bêtes bizarres et colorées sur Voyage de découvertes de l’Astrolabe, exécuté par ordre du roi, pendant les années 1826–1827-1828–1829, sous le commandement de M. J. Dumont d’Urville, capitaine de vaisseau. Par A. Richard, disponible dans son intégralité sur Botanicus.
Le texte du livre sur Gallica.
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Mar 30, 2013 | Histoires de gens, Livres et carnets |
Bienvenue en terre coréenne (du nord). Jean-Luc Coatalem est journaliste, écrivain, et actuellement rédacteur en chef adjoint du magazine Géo. Une étrange lubie s’empare de lui ; faire le touriste en Corée du Nord. Le pays est certainement le pays le plus fermé du monde, on peut s’y rendre pour affaire, rarement pour le tourisme et encore moins lorsqu’on est journaliste, alors il monte une cabane grosse comme la Corée elle-même, il se fait passer pour un voyagiste, se fait faire de fausses cartes de visites, change le message de son répondeur, met ses amis dans une confidence qui pourrait lui coûter la geôle ou le camp de travail, mais il part quand-même et arrive par-dessus le marché à emmener un ami qui n’a jamais voyagé tellement plus loin que les contours du périphérique parisien.
Voilà le décor ; la plus oppressante dictature mondiale, un pays prison vivant sous le joug d’un gros nourrisson joufflu, naïf et impertinent, fils et petit-fils de gros nourrisson joufflu et naïf, et pire que tout, fou, rendu fou par l’illusion qu’il est l’avenir de cette humanité corrompue qui vit en-dehors de ses frontières et qui laisse son peuple mourir de faim, ses 25 millions d’habitants vivre avec des carences qu’on croirait sorties d’un livre sur le Moyen-âge. Le pays manque tellement de tout que lorsqu’un touriste pointe le bout de son nez ici, il est encadré, surveillé, on allume les lumières et les radiateurs sur son passage, on chauffe la piscine de l’hôtel et on met les enfants au garde à vous pour qu’ils jouent une sonate de Bach quand vous ouvrez la porte et le son retombe dès lors que vous sortez. Pays fantoche, une façade en carton-pâte qui commence à se fissurer sur toute la longueur mais qui maintient tellement bien la tête sous l’eau à ses habitants que je comprends qu’on préfère se noyer plutôt que vivre ça.
Toi qui entre ici oublie le diamètre de l’assiette normale ! Mais aussi celui de l’assiette intermédiaire comme celle dite à dessert pour ne te souvenir que des plus petites, sous-tasses à café et soucoupes. Car c’est ainsi que tout, désormais, te sera servi : dans de la dînette. Avec peu à manger dessus. Et encore, tu es privilégié : le reste de la RPDC crève de faim.
En règle générale, ni fruits frais, ni laitages, ni pain, ni vin, ni huile, ni condiments et encore moins de sel ou de poivre sur la table. Deux bières et une bouteille d’eau de 500ml à se partager. Quant au thé, pas plus d’une demi-tasse chacun, et redemander ne serait pas « camarade ».

Photo © KCNA
Derrière le décor, il n’y a, malheureusement, rien de caché d’autre que la misère d’un pays enrôlé pour exécuter chaque jour de l’année son plus beau rôle, toujours dirigé en direction de son maître, son dominus, dont on ne peut être que l’esclave fidèle, courbant l’échine et montrant son cul pour qu’on le lui botte en remerciant toujours haut et fort. Inutile de dire à quel point tout est contrôlé, minuté, rien n’échappe aux sbires du régime qui sous le coup de la peur ne savent rien faire d’autre qu’obéir. Toute rébellion serait mortifère sinon pour toi, au moins pour ta famille…

Photo © Oldgoldandblack
(Je ne sais pas vous, mais je trouve cette débauche de jambes coréennes
parfaitement érotique)
On repart. Ce matin, mes trois Kim sont d’humeur guillerette mais ils ont les cheveux qui tirent. Ils ont abusé hier soir de l’alcool de riz. Ils profitent bien de ce périple, d’ailleurs le coffre contient quatre cartons scotchés qui n’étaient pas là à l’aller. Coup de téléphone avant de franchir la herse. A l’avant, M. Kim 2 parlemente puis, gêné, les choses le dépassant, refile l’appareil à M. Kim. Celui-ci fait ranger le véhicule sur le bas-côté et se retourne. Sourire de travers, mèche en berne, il demande :
— Chambre 124 ?
— Oui.
— Pourquoi un livre dans la poubelle ?
— Il est tombé dans l’eau et n’est plus…
Ma chambre a été fouillée, l’information est remontée aussitôt, de la femme d’étage jusqu’au responsable, et de celui-ci à mes anges gardiens, avant que nous ne quittions l’établissement : l’un des deux Français a laissé (exprès ?) un livre de poèmes (peut-être codé, les vers rappelant des formules) dans la poubelle de la salle de bains. Pourquoi ? A leur yeux, c’est un geste aberrant car n’importe quel ouvrage vaut une fortune. Et il ne manquerait plus que ce titre ne soit pas autorisé par la censure (y en a‑t-il qui le soient ?) pour que ça aille plus haut, imaginez un hôtel dévolu aux pontes du régime, et précipite chacun, complice, dans les emmerdes.
— Vous ne le rapportez pas, monsieur Jean ?
— Écoutez, je ne peux plus le lire, les pages se sont…
— Alors ils vont le détruire.
Et, après avoir donné son ordre sec, notre guide raccroche et relance la voiture. Avec la satisfaction d’avoir fait son devoir et de m’avoir protégé de moi-même.
Un vrai livre de voyage pour se faire une belle frayeur dans l’autre pays du matin calme, un livre effrayant où Coatelem arrive à nous faire sourire, malgré la réalité d’un pays gentiment rongé par un cancer qui porte le nom de Kim Jong-un, bébé joufflu et suffisant qui s’il n’était aussi malsain pourrait très bien danser comme un cheval en chantant Oppan Gangnam style…
Malheureusement, rien de tout ceci n’est vraiment drôle en soi, et le livre mérite un détour pour comprendre un peu ce qui se passe là-bas. A présent, courez acheter ce livre, car, de ma part, en dire plus ne serait pas… « camarade ».
Jean-Luc Coatalem, Nouilles froides à Pyongyang
Grasset, 2013
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