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Retour à la mai­son (ritour­nelle ottomane)

Retour en ter­rain connu, en Cap­pa­doce sur la terre des pre­miers chré­tiens, là où la terre n’est que tuf, un pays qui dis­pa­raî­tra un jour et qui tai­ra à jamais ses refuges d’er­mites qui se cachaient de leurs per­sé­cu­teurs. Retour aus­si dans la ville lumière à la porte de l’O­rient, au bord du Bos­phore, où le thé coule à flot au chant du muez­zin. Retour à la mai­son, dans ce pays qui me devient de plus en plus étran­ger au fur et à mesure qu’il me devient fami­lier, dans lequel je me sens vivre, où j’aime à me poser pour regar­der la vie battre des pau­pières comme les ailes d’un papillon. Retour à la mai­son, pour en reve­nir une fois de plus dépos­sé­dé de moi-même, kid­nap­pé par ses sou­rires enjôleurs.

Istanbul - avril 2012 - jour 6 - 114 - Vapur - Sur le Bosphore

Départ demain matin pour İst­anb­ul, escale puis saut de puce jus­qu’à l’aé­ro­port de Kay­se­ri (l’an­cienne Césa­rée) dans la par­tie est de la Cap­pa­doce, voi­ture de loca­tion à l’aé­ro­port pour rejoindre Çavuşin où je serai logé pen­dant 5 jours. Le 6 mai, retour à Kay­se­ri, retour à İst­anb­ul pour 5 jours, dans un hôtel à deux pas de la mos­quée de Beyazıt. Retour à Paris le 11 mai au soir.

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Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 6 août) : La route d’Arycanda et les mantı

Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 6 août) : La route d’Arycanda et les mantı

Épi­sode pré­cé­dent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 5 août) : Myra (Demre), Andriake, Lykia Yolu

Bul­le­tin météo de la jour­née (lun­di) :

  • 10h00 : 36.7°C / humi­di­té : 25% / vent 30 km/h
  • 14h00 : 39.5°C / humi­di­té : 18% / vent 19 km/h
  • 22h00 : 35.0°C / humi­di­té : 23% / vent 13 km/h

Cer­taines jour­nées semblent faites pour ne rien faire, où tout se met en place d’une telle manière qu’on a l’im­pres­sion qu’on n’ar­ri­ve­ra pas à se coor­don­ner avec l’ordre des évé­ne­ments et qu’il faut soit bais­ser les bras et se lais­ser por­ter, soit lut­ter contre des moulins.
Puisque je suis au bord de la mer, je décide de pas­ser une mati­née calme au bord de l’eau. La côte est cruel­le­ment décou­pée et les à‑pics de roches qui tombent dans la mer sont autant d’en­traves à s’ap­pro­cher de la mer et les quelques plages de sable sont vite prises d’as­saut. En même temps, comme une petite plage pri­vée se trouve au pied de l’hô­tel, je n’ai qu’à tra­ver­ser la route — très pas­sa­gère — pour arri­ver sur la plage, qui n’a de plage que le nom, car c’est plu­tôt une enfi­lade de ter­rasses posées sur les rochers reliées entre elles par des volées d’es­ca­liers dans tous les sens, jus­qu’à la der­nière pla­te­forme où un esca­lier des­cend dans la mer après qu’on se soit brû­lé les pieds sur les caillebotis.

Turquie - jour 11 - Le jour des manti - 01 - Route d'Arycanda - Karadağ

L’eau est un agi­tée dans cette baie natu­relle et l’eau est d’un beau bleu pro­fond et je peux voir avec le masque des petits pois­sons qui viennent bar­bo­ter près des rochers. Je passe ma mati­née entre l’eau et l’ombre du para­sol ; je bulle. Je com­mande des wraps que le gar­çon m’ap­porte en sau­tillant tel­le­ment le sol est chaud. Bai­gnade, som­no­lence, etc.

Turquie - jour 11 - Le jour des manti - 04 - Kasaba

L’a­près-midi, déjà bien avan­cée, molle, sans vigueur, je prends la voi­ture pour me rendre à Ary­can­da, une ancienne ville lycienne tran­quille cachée, paraît-il, dans les pins de l’ar­rière pays, dans un petit bled du nom d’Ayki­ri­çay que le GPS ne connaît pas, que les cartes ne connaissent pas et pour lequel je n’ai qu’une indi­ca­tion vague… pas loin de la route qui va d’Elmalı à Finike. En gros, je n’ai rien de plus que ça pour me repé­rer. Je roule jus­qu’à une petite ville qui porte le doux nom de Kasa­ba, qui marque le point où tout com­mence à aller de tra­vers. Des camions à la benne rem­plie de rochers énormes m’ont empê­ché soit de rou­ler à une allure cor­recte, soit de les dou­bler sur des routes à peine plus larges que le camion. J’ai tra­ver­sé ensuite la petite ville de Kara­dağ (mon­tagne noire) qui longe le lit d’une rivière large et assé­chée qui doit être le prin­temps venu le lit d’un tor­rent de mon­tagne assez violent et de là, j’ai tout per­du ; la pos­si­bi­li­té que le GPS me donne quoi que ce soit à gri­gno­ter, les pan­neaux de direc­tion qui ont com­men­cé à se faire rares aux bifur­ca­tions, la carte qui res­tait muette à mes impré­ca­tions l’exhortant à me don­ner une sem­blant de réponse à ce que je cher­chais… J’ai ren­con­tré une tor­tue qui a tra­ver­sé la route plus rapi­de­ment qu’un petit vieux avec une canne, j’ai tra­ver­sé d’im­menses forêts de rési­neux, fait demi-tour une, deux, trois fois… emprun­té une route qui m’a emme­né dans des exploi­ta­tions agri­coles, une route de mon­tagne éprou­vante sur laquelle j’ai fait demi-tour parce que je com­men­çais à avoir le ver­tige, des pan­neaux virage dan­ge­reux tous les cin­quante mètres et des routes qui tournent après des mon­ti­cules de terre. Je tra­verse des tout petits vil­lages per­dus où des pay­sans vivent tran­quille­ment et qui se sont amu­sés à me voir pas­ser plu­sieurs fois avec ma voi­ture imma­tri­cu­lée à Izmir, à six heures de route d’i­ci, après Dağ­bağ (vignoble de mon­tagne). Le route a été cou­pée plu­sieurs fois en rai­son de tra­vaux des­ti­nés à construire des ponts au-des­sus du tor­rent qui par­fois a l’air d’être aus­si large que la Seine à Paris ; les routes sont par­fois lit­té­ra­le­ment déviées à l’in­té­rieur du lit, sur les cailloux. J’i­ma­gine la tête du loueur de voi­ture quand je vais la lui rendre et quand il va se rendre compte que le bas de caisse est à refaire ; il va me bla­ck­lis­ter dans toute la Tur­quie et je ne pour­rais plus jamais louer de voi­ture dans ce pays. Je trouve des ven­deurs de pas­tèques sur le bord des routes pous­sié­reuses qui ceignent des mon­tagnes aux som­mets recou­verts de croûtes ver­dâtres. Sur le flanc de la mon­tagne, au plus loin que je suis allé, la route s’est mise à ser­pen­ter dans des lacets qu’en d’autres pays on aurait fer­mé à la cir­cu­la­tion tel­le­ment c’est dan­ge­reux, avec le vide pour seule com­pa­gnie à ma gauche. Vu comme les Turcs conduisent, je me dis que si croise quel­qu’un, un de nous deux va se retrou­ver en dehors de la route…

Avec tous ces tours et ces détours, je finis par aban­don­ner, il est trop tard et je ne pour­rai jamais arri­ver à temps à Ary­can­da, si tant est que je finisse par trou­ver la route. Ary­can­da m’a échappé.

Turquie - jour 11 - Le jour des manti - 05 - Belenli

Sur la route du retour, je me suis arrê­té dans un petite ville à la sor­tie de Kaş, dans la direc­tion du site archéo­lo­gique d’Isın­da, qui porte le nom de Belen­li. Je n’ai pas trou­vé le site archéo­lo­gique, sim­ple­ment un petit vil­lage dis­cret au milieu duquel se trouve une mos­quée flam­bant neuve, avec des cou­poles de zinc ou de plomb, vers laquelle tout le monde se dirige à l’heure de la prière. Je vois en fait sur­tout des femmes, coran dans une main, enfant dans l’autre.

Turquie - jour 11 - Le jour des manti - 08 - Belenli

Je pen­sais n’a­voir rien vu de la jour­née, mais j’ai en fait vu des tonnes de choses, qui sont sim­ple­ment autres que ce que je pen­sais voir. La balade n’en était pas moins inté­res­sante, puisque j’ai réus­si à me perdre sur ces routes de mon­tagnes hos­tiles, j’ai vu des vil­lages que per­sonne ne vient voir, j’ai vu des lits de rivière assé­chés, des ani­maux, des mon­tagnes… j’ai vu la Tur­quie de tous les jours, la Tur­quie de la mon­tagne. Il fau­drait pen­ser, dans ces voyages, à refon­der le rôle du regard. Tout y est ethnographie.

Turquie - jour 11 - Le jour des manti - 09 - Kaş

Le soir, arri­vé à Kaş, je m’ar­rête dans un petit res­tau­rant pour y prendre de quoi man­ger à empor­ter. C’est un tout petit res­tau­rant dans la par­tie véri­ta­ble­ment turque, tenu par une femme et son fils, à qui j’ai du mal à faire sai­sir l’i­dée qu’on puisse empor­ter sa nour­ri­ture, take away, mais loin d’a­voir les deux pieds dans le même sabot, il sort son télé­phone, se connecte sur Google trans­late et me demande d’é­crire le mot. Lors­qu’il voit la tra­duc­tion (götür­mek) ses yeux s’é­clairent et il file dans la cui­sine. Je res­sors avec une çoban sala­ta, des mantı (ravio­li otto­mans far­cis à la viande bai­gnant dans la crème fraîche et sau­pou­drés de papri­ka) et une por­tion de frites (par contre, ne pas se trom­per, por­siyon en turc signi­fie assiette) et je file m’a­che­ter une bou­teille de vin de cerise.

En arri­vant à l’hô­tel, je m’ins­talle sur le bal­con, pose la nour­ri­ture sur la petite table… et je me rends compte que je n’ai ni cou­verts, ni tire-bou­chon… Ce n’é­tait vrai­ment pas le jour… J’ai man­gé mes mantı avec les doigts et j’ai enfon­cé le bou­chon dans la bou­teille, m’é­cla­bous­sant au pas­sage le pan­ta­lon d’un vin qui tâche à peine…

Il est temps d’al­ler se coucher.

Voir les lieux tra­ver­sés sur Google Maps :

Voir les 15 pho­tos de cette jour­née sur Fli­ckr.

Épi­sode sui­vant : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 7 août) : Pamuk­kale, le châ­teau de coton et le mar­ty­rium de l’a­pôtre Phi­lippe, Hiérapolis

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Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 5 août) : Myra (Demre), Andriake, Lykia Yolu

Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 5 août) : Myra (Demre), Andriake, Lykia Yolu

Épi­sode pré­cé­dent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 4 août) : Kapu­taş pla­ji, Mavi Mağa­ra, Kal­kan (Anta­lya Fethiye Yolu)

Bul­le­tin météo de la jour­née (dimanche) :

  • 10h00 : 37.5°C / humi­di­té : 25% / vent 26 km/h
  • 14h00 : 40.4°C / humi­di­té : 17% / vent 15 km/h
  • 22h00 : 36.3°C / humi­di­té : 25% / vent 19 km/h

Comme j’ai vu que la tem­pé­ra­ture allait peut-être grim­per aujourd’­hui, je n’ose pas mettre le nez dehors, mais fina­le­ment, il fait assez bon, ni plus ni moins que les jours pré­cé­dents, tout ceci est tel­le­ment rou­ti­nier à pré­sent. Mais bon 38°C c’est quand-même chaud… Je monte dans la voi­ture où j’at­trape une suée à peine assis, il doit faire plus de 50°C… A peine sor­ti de Kaş, je tombe sur un groupe de jeunes au bord de la route qui me font signe, ils sont huit au moins et ils m’in­diquent la direc­tion de Demre et je leur dit oui, c’est bien par là, mais ce n’é­tait pas la ques­tion, ils vou­laient que je les emmène, mais huit dans la voi­ture, ça ne va pas être pos­sible alors je sors un gros bobard, comme quoi je quitte la route à cent mètres pour aller vers l’est. Décep­tion de leur part, sou­la­ge­ment de la mienne.

Turquie - jour 10 - Demre (Myra) - 007 - Andriake

Sur la route, c’est un étrange pay­sage com­po­sé de pierres éri­gées sépa­rées par des touffes d’herbes, des arbustes drus. A Yavu, je tombe sur des chèvres qui sont enfer­mées sous une bâche bleue, dans un enclos ridi­cule sur une immense plaine nue. Le pay­sage en arri­vant sur la grande ville n’est fait que d’un océan de serres, troué de temps en temps par le mina­ret d’une mos­quée soli­taire dans le morne paysage.

Turquie - jour 10 - Demre (Myra) - 010 - Nécropole de Myra (Örenyeri) (more…)

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Voyage de Décou­vertes de L’As­tro­labe exé­cu­té par ordre du Roi pen­dant les années 1826–1827-1828–1829 sous le com­man­de­ment de M. J. Dumont d’Urville

Jules Dumont d'Urville par Jérôme CartellierJules Dumont d’Ur­ville est un per­son­nage qui a pas­sé toute sa vie sur son navire à cou­rir aux quatre vents sur toutes les mers du monde. Acces­soi­re­ment, c’est à lui qu’on doit la décou­verte de la Vénus de Milo.
Sur son navire l’Astro­labe, il sillon­na les mers d’O­céa­nie, des Ton­ga aux Moluques, de la Poly­né­sie à la Micro­né­sie d’où il rame­na une somme consi­dé­rable d’ob­jets, de planches d’illus­tra­tions pré­cieuses dans le domaine de la géo­gra­phie et la bota­nique qu’il col­lec­ta dans les treize tomes de ses Voyages de l’As­tro­labe. Pour quel­qu’un qui a pas­sé sur sa vie sur la mer, c’est presque désho­no­rant d’a­voir per­du la vie dans un acci­dent de che­min de fer. Lui et toute sa famille sont décé­dés dans la célèbre catas­trophe fer­ro­viaire de Meu­don.
Voi­ci ici quelques planches recen­sant quelques bêtes bizarres et colo­rées sur Voyage de découvertes de l’As­tro­labe, exécuté par ordre du roi, pen­dant les années 1826–1827-1828–1829, sous le com­man­de­ment de M. J. Dumont d’Ur­ville, capi­taine de vais­seau. Par A. Richard, dis­po­nible dans son inté­gra­li­té sur Bota­ni­cus.
Le texte du livre sur Gal­li­ca.

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Nouilles froides à Pyon­gyang — Jean-Luc Coatalem

Nouilles froides à Pyon­gyang — Jean-Luc Coatalem

Bien­ve­nue en terre coréenne (du nord). Jean-Luc Coa­ta­lem est jour­na­liste, écri­vain, et actuel­le­ment rédac­teur en chef adjoint du maga­zine Géo. Une étrange lubie s’empare de lui ; faire le tou­riste en Corée du Nord. Le pays est cer­tai­ne­ment le pays le plus fer­mé du monde, on peut s’y rendre pour affaire, rare­ment pour le tou­risme et encore moins lors­qu’on est jour­na­liste, alors il monte une cabane grosse comme la Corée elle-même, il se fait pas­ser pour un voya­giste, se fait faire de fausses cartes de visites, change le mes­sage de son répon­deur, met ses amis dans une confi­dence qui pour­rait lui coû­ter la geôle ou le camp de tra­vail, mais il part quand-même et arrive par-des­sus le mar­ché à emme­ner un ami qui n’a jamais voya­gé tel­le­ment plus loin que les contours du péri­phé­rique parisien.
Voi­là le décor ; la plus oppres­sante dic­ta­ture mon­diale, un pays pri­son vivant sous le joug d’un gros nour­ris­son jouf­flu, naïf et imper­ti­nent, fils et petit-fils de gros nour­ris­son jouf­flu et naïf, et pire que tout, fou, ren­du fou par l’illu­sion qu’il est l’a­ve­nir de cette huma­ni­té cor­rom­pue qui vit en-dehors de ses fron­tières et qui laisse son peuple mou­rir de faim, ses 25 mil­lions d’ha­bi­tants vivre avec des carences qu’on croi­rait sor­ties d’un livre sur le Moyen-âge. Le pays manque tel­le­ment de tout que lors­qu’un tou­riste pointe le bout de son nez ici, il est enca­dré, sur­veillé, on allume les lumières et les radia­teurs sur son pas­sage, on chauffe la pis­cine de l’hô­tel et on met les enfants au garde à vous pour qu’ils jouent une sonate de Bach quand vous ouvrez la porte et le son retombe dès lors que vous sor­tez. Pays fan­toche, une façade en car­ton-pâte qui com­mence à se fis­su­rer sur toute la lon­gueur mais qui main­tient tel­le­ment bien la tête sous l’eau à ses habi­tants que je com­prends qu’on pré­fère se noyer plu­tôt que vivre ça.

Toi qui entre ici oublie le dia­mètre de l’as­siette nor­male ! Mais aus­si celui de l’as­siette inter­mé­diaire comme celle dite à des­sert pour ne te sou­ve­nir que des plus petites, sous-tasses à café et sou­coupes. Car c’est ain­si que tout, désor­mais, te sera ser­vi : dans de la dînette. Avec peu à man­ger des­sus. Et encore, tu es pri­vi­lé­gié : le reste de la RPDC crève de faim.
En règle géné­rale, ni fruits frais, ni lai­tages, ni pain, ni vin, ni huile, ni condi­ments et encore moins de sel ou de poivre sur la table. Deux bières et une bou­teille d’eau de 500ml à se par­ta­ger. Quant au thé, pas plus d’une demi-tasse cha­cun, et rede­man­der ne serait pas « camarade ».

Corée du Nord - KCNA

Pho­to © KCNA

Der­rière le décor, il n’y a, mal­heu­reu­se­ment, rien de caché d’autre que la misère d’un pays enrô­lé pour exé­cu­ter chaque jour de l’an­née son plus beau rôle, tou­jours diri­gé en direc­tion de son maître, son domi­nus, dont on ne peut être que l’es­clave fidèle, cour­bant l’é­chine et mon­trant son cul pour qu’on le lui botte en remer­ciant tou­jours haut et fort. Inutile de dire à quel point tout est contrô­lé, minu­té, rien n’é­chappe aux sbires du régime qui sous le coup de la peur ne savent rien faire d’autre qu’o­béir. Toute rébel­lion serait mor­ti­fère sinon pour toi, au moins pour ta famille…

Pyongyang

Pho­to © Oldgoldandblack
(Je ne sais pas vous, mais je trouve cette débauche de jambes coréennes 
par­fai­te­ment érotique)

On repart. Ce matin, mes trois Kim sont d’hu­meur guille­rette mais ils ont les che­veux qui tirent. Ils ont abu­sé hier soir de l’al­cool de riz. Ils pro­fitent bien de ce périple, d’ailleurs le coffre contient quatre car­tons scot­chés qui n’é­taient pas là à l’al­ler. Coup de télé­phone avant de fran­chir la herse. A l’a­vant, M. Kim 2 par­le­mente puis, gêné, les choses le dépas­sant, refile l’ap­pa­reil à M. Kim. Celui-ci fait ran­ger le véhi­cule sur le bas-côté et se retourne. Sou­rire de tra­vers, mèche en berne, il demande :
— Chambre 124 ?
— Oui.
— Pour­quoi un livre dans la poubelle ?
— Il est tom­bé dans l’eau et n’est plus…
Ma chambre a été fouillée, l’in­for­ma­tion est remon­tée aus­si­tôt, de la femme d’é­tage jus­qu’au res­pon­sable, et de celui-ci à mes anges gar­diens, avant que nous ne quit­tions l’é­ta­blis­se­ment : l’un des deux Fran­çais a lais­sé (exprès ?) un livre de poèmes (peut-être codé, les vers rap­pe­lant des for­mules) dans la pou­belle de la salle de bains. Pour­quoi ? A leur yeux, c’est un geste aber­rant car n’im­porte quel ouvrage vaut une for­tune. Et il ne man­que­rait plus que ce titre ne soit pas auto­ri­sé par la cen­sure (y en a‑t-il qui le soient ?) pour que ça aille plus haut, ima­gi­nez un hôtel dévo­lu aux pontes du régime, et pré­ci­pite cha­cun, com­plice, dans les emmerdes.
— Vous ne le rap­por­tez pas, mon­sieur Jean ?
— Écou­tez, je ne peux plus le lire, les pages se sont…
— Alors ils vont le détruire.
Et, après avoir don­né son ordre sec, notre guide rac­croche et relance la voi­ture. Avec la satis­fac­tion d’a­voir fait son devoir et de m’a­voir pro­té­gé de moi-même.

Kim Jong-unUn vrai livre de voyage pour se faire une belle frayeur dans l’autre pays du matin calme, un livre effrayant où Coa­te­lem arrive à nous faire sou­rire, mal­gré la réa­li­té d’un pays gen­ti­ment ron­gé par un can­cer qui porte le nom de Kim Jong-un, bébé jouf­flu et suf­fi­sant qui s’il n’é­tait aus­si mal­sain pour­rait très bien dan­ser comme un che­val en chan­tant Oppan Gan­gnam style
Mal­heu­reu­se­ment, rien de tout ceci n’est vrai­ment drôle en soi, et le livre mérite un détour pour com­prendre un peu ce qui se passe là-bas.  A pré­sent, cou­rez ache­ter ce livre, car, de ma part, en dire plus ne serait pas… « camarade ».

Jean-Luc Coa­ta­lem, Nouilles froides à Pyongyang
Gras­set, 2013

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