Icones rerum natu­ra­lium, ou figures enlu­mi­nées d’his­toire natu­relle du Nord [Petrus Asca­nius — 1723–1803]

Petrus (ou Peder) Asca­nius est un zoo­lo­giste nor­vé­gien de l’é­poque de Carl von Lin­né. Il par­cou­rut les côtes de son pays pour en rame­ner un inven­taire illus­tré en cinq cahiers de la faune et de la flore des fjords sous le titre Icones rerum natu­ra­lium ou figures enlu­mi­nées d’his­toire natu­relle du Nord (Copen­hague, 1805), dis­po­nible à la consul­ta­tion et au télé­char­ge­ment sur Google Books. Un vieux livre joli­ment relié et par­fai­te­ment conser­vé, illus­tré de gra­vures aux cou­leurs res­plen­dis­santes. (more…)

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Moka au bar sur les terres vertes du Kalaal­lit Nunaat ou avec les femmes nues des toiles d’An­ders Zorn

Au lever il fait froid, il fait presque soleil, vague­ment. Je me suis levé sur les coups de sept heures, la gorge sèche, pour boire un coup, cal­mer le feu qui s’a­nime à l’in­té­rieur. J’ai rêvé d’a­qua­relles et d’un voyage dans le désert ; une femme toua­reg au loin engon­cée dans ses dra­pe­ries bleues me fixait depuis le toit pous­sié­reux d’une mai­son en adobe, son regard vert intense ne cil­lant qu’à peine. J’ai rêvé de mouettes volant au-des­sus de la terre verte (Kalaal­lit Nunaat).

En octobre, les cou­leurs de la nature sont plus vives, plus nettes et plus nom­breuses que pen­dant les autres mois de l’an­née. La glace, dans la mer, prend des cou­leurs avec le soleil bas et rayonne for­te­ment de bleu, de rouge et de vio­let, et les som­mets des mon­tagnes, qui, chaque matin, sont sau­pou­drés de neige, brillent d’un bleu de glace toute la jour­née, pour virer au rose, et fina­le­ment au rouge sang le soir. Pen­dant une courte période, on peut à nou­veau divi­ser les vingt-quatre heures en jour et en nuit, et per­sonne ne com­prend où est par­tie la longue jour­née claire de l’é­té, ni com­ment on va pou­voir sur­vivre à la nuit éter­nelle de l’hiver.
Le pire en octobre, c’est le silence. L’a­gi­ta­tion de l’é­té dis­pa­raît, la mer gèle de plus en plus, cou­vrant ain­si les der­nières flaques, les rivières coulent de plus en plus fai­ble­ment pour enfin se figer, la neige nou­velle feutre l’a­gréable cris­se­ment des cailloux sous les bottes, et les oiseaux sont par­tis pour des régions plus accueillantes. On découvre une fois qu’ils sont dis­pa­ru à quel point ils chan­taient bien et fort. Au cours de ce mois étrange, on n’en­tend plus que le cri des cor­beaux, quelques appels de goé­lands du haut ciel bleu et, loin sur la mer, le souffle d’ailes de quelques mouettes attardées.

Le rat, in Un safa­ri arctique
Jørn Riel
, Ed 10/18

J’ai décou­vert Anders Zorn un peu par hasard, en feuille­tant une revue, je ne me rap­pelle plus quand ni où, mais j’ai le sou­ve­nir per­sis­tant de ces femmes nues au bord de l’eau, peintes dans des car­na­tions trou­blantes, des peaux velou­tées et des regards las­cifs ou pro­vo­ca­teurs. On sent dans l’œuvre de Zorn une cer­taine vio­lence dans les cou­leurs, un trouble roman­tique et l’an­goisse du sujet. Je repro­duis ici un mini Zorn­Mu­seet autour de ces femmes prises sur le vif, sen­suelles et cal­li­pyges, peintes sans pudeur ou offertes, sou­vent en pré­sence de l’élé­ment liquide, pour une rai­son qui m’é­chappe. La der­nière œuvre est une gra­vure met­tant en scène l’au­teur et un de ses modèles dans une mise en scène tout à fait éton­nante de modernisme…

Si Zorn reste mar­gi­nal par­mi les plus grands peintres, sa noto­rié­té s’est envo­lée de manière spec­ta­cu­laire le 3 juin 2010, lors­qu’une de ses plus lumi­neuses toiles, Som­marnöje (Plai­sirs d’é­té, peinte en 1886) a été ven­due 26 mil­lions de cou­ronnes sué­doises (soit près de 3 mil­lions d’eu­ros). Ce tableau est majes­tueux ; il suf­fit de se rap­pro­cher et de regar­der le trai­te­ment de la matière de l’eau et de la robe de la femme. Un chef d’œuvre de lumière nordique.

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Mati­née de septembre

Paul Cha­bas, 1912

Cer­tains tableaux méritent qu’on raconte leur his­toire, tant on y voit par­fois des fan­tasmes sau­gre­nus. Paul Cha­bas a peint ce tableau en trois été et l’a pré­sen­té en 1912 dans un Salon ; le sujet repré­sente une femme fris­son­nant sur le bord d’un lac, un matin de sep­tembre, comme le dit son titre. Il sem­ble­rait que Cha­bas ait don­né à son modèle le visage d’une Amé­ri­caine ren­con­trée avec sa mère, une rémi­nis­cence amou­reuse à qui il vou­lait cer­tai­ne­ment don­ner consis­tance. Pas­sant plu­tôt inaper­çu, le tableau est envoyé à Chi­ca­go, puis à New-York, où la bonne socié­té amé­ri­caine fait son pos­sible pour mas­quer le tableau aux yeux du public pour atteinte aux bonnes mœurs. Du coup, on se presse pour voir l’ob­jet du délit et le tableau entre dans l’his­toire comme “le tableau qui fait scan­dale”. Le tableau fut ven­du en Rus­sie, puis en France, pour retour­ner aux États-Unis où il est expo­sé aujourd’hui.
Ce qui fait cer­tai­ne­ment le mys­tère de ce tableau, c’est que rien ne jus­ti­fie qu’une femme attende nue au bord d’un lac, visi­ble­ment fri­go­ri­fiée, un main cou­vrant tant bien que mal une poi­trine d’a­do­les­cente, l’autre cachant son sexe, le regard tour­né vers la rive… On ne sait pas ce qu’elle fait là, si elle attend quelque chose, et sur­tout pour­quoi dans cette tenue. C’est peut-être là l’ob­jet de l’a­morce de scan­dale dont il fut l’ob­jet, c’est que l’é­ro­tisme char­mant qui s’en dégage ne ren­voie à rien de jus­ti­fiable ou de calculé.

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Scène de chasse en blanc

Une demi-heure après, leur thé ingur­gi­té, mes trois visi­teurs pre­naient congés. Je m’ac­ti­vai dehors à cas­ser du bois pour le feu. Sou­dain, venant du bois, des coups de fusil reten­tirent dans le loin­tain ; un d’a­bord, puis un autre. Des coqs de bruyère s’en­vo­lèrent, effrayés par le bruit. Au som­met d’un pin, un geai fit entendre sa plainte. Ensuite, tout rede­vint calme. J’é­cou­tai lon­gue­ment pour voir si per­sonne n’ap­pro­chait, mais rien ne vint plus bri­ser le silence.

Untitled

Sur le bas Ienis­seï, la nuit tombe de très bonne heure. Ren­tré à l’in­té­rieur de la cabane, je fis du feu dans le poêle et com­men­çai à faire cuire ma soupe, sans ces­ser de guet­ter le moindre bruit venant du dehors. Je sen­tais, invi­sible, impal­pable, la pré­sence de la mort qui rôdait autour de moi, prête à tout moment à se décou­vrir sous un aspect impré­vi­sible : l’homme, la bête, le froid, l’ac­ci­dent, la mala­die… Face à elle j’é­tais seul, n’ayant pour seul recours que la vigueur de mes bras et de mes jambes, la pré­ci­sion de mon tir, la viva­ci­té de mon esprit, et la Pro­vi­dence divine ! Plon­gé dans ces sombres réflexions, je ne m’a­per­çus pas du retour de l’é­tran­ger. Comme la veille, il appa­rut tout à coup sur le seuil. A tra­vers la buée, je dis­tin­guai d’a­bord les yeux rieurs qui se déta­chaient sur le fin visage. Il entra dans la cabane et, avec un grand bruit, dépo­sa dans un coin trois fusils.
— Deux che­vaux, trois fusils, deux selles, deux boîtes de bis­cuits, un demi-paquet de thé, un sachet de sel, cin­quante car­touches, deux paires de bottes, énu­mé­ra-t-il en riant. Bonne chasse aujourd’hui.

Fer­dy­nand Ossen­dows­ki, Bêtes, hommes et dieux
A tra­vers la Mon­go­lie inter­dite, 1920–1921
Edi­tions Phe­bus Libretto

Ain­si com­mence le grand roman fan­tôme d’aventures…

Après

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Extraits de la Pen­sée Sauvage

« La vie, c’é­tait l’ex­pé­rience, char­gée d’exacte et pré­cise signification »

HAN­DY, E.S. Crai­ghill et PUKUI, M. Kawe­ma : « The Poly­ne­sian fami­ly sys­tem in Ka-‘u, Hawai’i ». The Poly­ne­sian socie­ty, Wel­ling­ton, 1958

Chaque civi­li­sa­tion a ten­dance à sur­es­ti­mer l’o­rien­ta­tion objec­tive de sa pen­sée, c’est donc qu’elle n’est jamais absente. Quand nous com­met­tons l’er­reur de croire le sau­vage exclu­si­ve­ment gou­ver­né par ses besoins orga­niques ou éco­no­miques, nous ne pre­nons pas garde qu’il nous adresse le même reproche, et qu’à lui son propre désir de savoir paraît mieux équi­li­bré que le nôtre.

Habi­tants d’une région déser­tique de la Cali­for­nie du Sud où quelques rares familles de Blancs par­viennent seules à sub­sis­ter aujourd’­hui, les indiens Coa­huilla, au nombre de plu­sieurs mil­liers, ne réus­sis­saient pas à épui­ser les res­sources natu­relles ; ils vivaient dans l’a­bon­dance. Car, dans ce pays en appa­rence déshé­ri­té, ils ne connais­saient pas moins de 60 plantes ali­men­taires, et 28 autres, à pro­prié­tés nar­co­tiques, sti­mu­lantes ou médicinales.

« Ces gens sont des culti­va­teurs : pour eux les plantes sont aus­si impor­tantes, aus­si fami­lières que les êtres humains. Pour ma part, je n’ai jamais vécu dans une ferme et je ne suis même pas très sûre de recon­naître les bégo­nias des dah­lias ou des pétu­nias. Les plantes, comme les équa­tions, ont l’ha­bi­tude traî­tresse de sem­bler pareille et d’être dif­fé­rentes ou de sem­bler dif­fé­rentes et d’être pareilles. En consé­quence, je m’embrouille en bota­nique comme en mathé­ma­tiques. Pour la pre­mière fois de ma vie, je me trouve dans une com­mu­nau­té où les enfants de dix ans ne me sont pas supé­rieurs en math, mais je suis aus­si en un lieu où chaque plante, sau­vage ou culti­vée, a un nom et un usage bien défi­nis, où chaque homme, chaque femme et chaque enfant connaît des cen­taines d’es­pèces. Aucun d’entre eux ne vou­dra jamais croire que je sois inca­pable, même si je le veux, d’en savoir autant qu’eux. »

SMITH BOWEN Ele­nore, Le rire et les songes, Arthaud, Paris 1957

On infé­re­rait volon­tiers que les espèces ani­males et végé­tales ne sont pas connues pour autant qu’elles sont utiles : elles sont décré­tées utiles ou inté­res­santes parce qu’elles sont d’a­bord connues.

Extraits de La Pen­sée Sau­vage, Claude Lévi-Strauss,
Librai­rie Plon, Paris 1962

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