« La vie, c’é­tait l’ex­pé­rience, char­gée d’exacte et pré­cise signification »

HAN­DY, E.S. Crai­ghill et PUKUI, M. Kawe­ma : « The Poly­ne­sian fami­ly sys­tem in Ka-‘u, Hawai’i ». The Poly­ne­sian socie­ty, Wel­ling­ton, 1958

Chaque civi­li­sa­tion a ten­dance à sur­es­ti­mer l’o­rien­ta­tion objec­tive de sa pen­sée, c’est donc qu’elle n’est jamais absente. Quand nous com­met­tons l’er­reur de croire le sau­vage exclu­si­ve­ment gou­ver­né par ses besoins orga­niques ou éco­no­miques, nous ne pre­nons pas garde qu’il nous adresse le même reproche, et qu’à lui son propre désir de savoir paraît mieux équi­li­bré que le nôtre.

Habi­tants d’une région déser­tique de la Cali­for­nie du Sud où quelques rares familles de Blancs par­viennent seules à sub­sis­ter aujourd’­hui, les indiens Coa­huilla, au nombre de plu­sieurs mil­liers, ne réus­sis­saient pas à épui­ser les res­sources natu­relles ; ils vivaient dans l’a­bon­dance. Car, dans ce pays en appa­rence déshé­ri­té, ils ne connais­saient pas moins de 60 plantes ali­men­taires, et 28 autres, à pro­prié­tés nar­co­tiques, sti­mu­lantes ou médicinales.

« Ces gens sont des culti­va­teurs : pour eux les plantes sont aus­si impor­tantes, aus­si fami­lières que les êtres humains. Pour ma part, je n’ai jamais vécu dans une ferme et je ne suis même pas très sûre de recon­naître les bégo­nias des dah­lias ou des pétu­nias. Les plantes, comme les équa­tions, ont l’ha­bi­tude traî­tresse de sem­bler pareille et d’être dif­fé­rentes ou de sem­bler dif­fé­rentes et d’être pareilles. En consé­quence, je m’embrouille en bota­nique comme en mathé­ma­tiques. Pour la pre­mière fois de ma vie, je me trouve dans une com­mu­nau­té où les enfants de dix ans ne me sont pas supé­rieurs en math, mais je suis aus­si en un lieu où chaque plante, sau­vage ou culti­vée, a un nom et un usage bien défi­nis, où chaque homme, chaque femme et chaque enfant connaît des cen­taines d’es­pèces. Aucun d’entre eux ne vou­dra jamais croire que je sois inca­pable, même si je le veux, d’en savoir autant qu’eux. »

SMITH BOWEN Ele­nore, Le rire et les songes, Arthaud, Paris 1957

On infé­re­rait volon­tiers que les espèces ani­males et végé­tales ne sont pas connues pour autant qu’elles sont utiles : elles sont décré­tées utiles ou inté­res­santes parce qu’elles sont d’a­bord connues.

Extraits de La Pen­sée Sau­vage, Claude Lévi-Strauss,
Librai­rie Plon, Paris 1962

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