Cette ville est un autre monde, dedans, un monde flo­ris­sant (2ème partie)

Paris n’a pas tou­jours été un lieu pres­ti­gieux dont l’i­mage rayonne aux quatre coins du monde, qui décen­tra­lise ses musées en pro­vince et dans les émi­rats arabes, qui fait de l’A­ve­nue des Champs-Ély­sée la plus belle ave­nue du monde (en réa­li­té la plus vul­gaire, et de loin) ou qui devient capi­tale de la mode. Au Moyen-Âge, lorsque la ville devient la plus grande ville du monde occi­den­tal, c’est un véri­table coupe-gorge et un lieu de per­di­tion, mais remis dans son contexte de l’é­poque, Paris est loin d’être une ville riche. Les nobles s’en­tassent dans les palais, jamais bien loin du roi, tan­dis que les notables et les bour­geois déve­loppent les vil­lages de Paris (Saint-Laurent, Saint-Ger­main des Prés, Saint-Mar­cel, etc.) avec l’argent flo­ris­sant du com­merce et de l’in­dus­trie — fina­le­ment, rien de nou­veau. Au milieu de tout ce beau monde, une belle pro­por­tion de la popu­la­tion vit dans la misère la plus crasse, et comme dans toute situa­tion de crise, les réseaux mafieux s’ins­tallent, la pros­ti­tu­tion s’ins­ti­tu­tion­na­lise, le crime se propage…

Loin de Pigalle, des abords du bois de Bou­logne (de cette ban­lieue dont le nom vient du ban, la loi sei­gneu­riale, et la lieue, l’u­ni­té de mesure qui défi­nit l’es­pace à par­tir du centre de la ville sur lequel s’é­tend l’au­to­ri­té du sei­gneur) et de la rue Saint-Denis, en remon­tant dans le pas­sé, on trouve des hauts-lieux de la pros­ti­tu­tion aux noms évo­ca­teurs. Par­mi les plus connus, on cite­ra la rue de Gla­ti­gny sur l’île de Cité, le fameux Val d’A­mour, qui fut à l’o­ri­gine de l’ex­pres­sion “fille de Gla­ti­gny”, mais on trouve éga­le­ment trace dans une ordon­nance du pré­vôt de Paris, datée de 1367, d’un état de la situa­tion qui force les auto­ri­tés à prendre des mesures et tentent de cir­cons­crire les filles de joie dans leurs péri­mètres, sans grand effet :

Que toutes les femmes pros­ti­tuées, tenant bor­del en la ville de Paris, allassent demeu­rer et tenir leurs bor­dels en places et lieux publics à ce ordon­nés et accou­tu­més, selon l’or­don­nance de Saint Louis. C’est à savoir : à L’A­breu­voir de Mas­con (à l’angle du pont Saint-Michel et de la rue de la Huchette), en La Bou­che­rie (voi­sine de la rue de la Huchette), rue Froid­men­tel, près du clos Bru­nel (à l’est du Col­lège de France abou­tis­sant au car­re­four du Puits-Cer­tain), en Gla­ti­gny (rue nom­mée Val d’A­mour dans la Cité), en la Court-Robert de Pris (rue du Renard-Saint-Mer­ri), en Baille-Hoë (près de l’é­glise Saint-Mer­ri et com­mu­ni­quant avec la rue Taille-Pain et à la rue Brise-Miche), en Tyron (rue entre la rue Saint-Antoine et du roi de Sicile), en la rue Cha­pon (abou­tis­sant rue du Temple) et en Champ-Flo­ry (rue Champ-Fleu­ry, près du Louvre). Si les femmes publiques, d’é­cris ensuite cette ordon­nance, se per­mettent d’ha­bi­ter des rues ou quar­tiers autres que ceux ci-des­sus dési­gnés, elles seront empri­son­nées au Châ­te­let puis ban­nies de Paris. Et les ser­gents, pour salaire, pren­dront sur leurs biens huit sous parisis…

Source Inse­cu­la.
On recon­nait aisé­ment des rues au nom évo­ca­teur : rue Taille-Pain et rue Brise-Miche, qui n’ont rien à voir avec le métier de bou­lan­ger. Aujourd’­hui encore cer­taines rues portent des noms qui ne sont que la défor­ma­tion res­pec­table de noms fleu­ris : La rue des Poi­te­vins, hor­mis quelques noms sans inté­rêt (Gui le queux, Gérard aux Poi­te­vins, etc.) a por­té suc­ces­si­ve­ment et cela jus­qu’au XVè siècle les noms de rue du Pet, rue du Petit-Pet et rue du Gros-Pet. Tout un poème. La rue du Péli­can s’est appe­lée rue Pur­gée, mais sur­tout Rue du Poil-au-con. L’ac­tuelle rue Marie Stuart s’ap­pe­lait autre­fois rue du Tire-Bou­din (pas besoin de dire que le bou­din en ques­tion n’est nul­le­ment bour­ré de viande de porc) et rue du Tire-Vit, elle aurait appré­cié, j’en suis certain.
Une par­tie de l’ac­tuelle rue de Beau­bourg (ce nom même, iro­nique, indi­quait que cette par­tie de la ville a long­temps eu mau­vaise répu­ta­tion) a por­té le nom de rue Trace-Putain, et la rue du Petit-Musc (nom évo­ca­teur qui pour­rait faire pen­ser au par­fum) s’ap­pe­lait en réa­li­té rue Pute-y-musse (pute s’y cache).

1ère par­tie
3ème par­tie
4ème par­tie

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Hil­de­gard

Hil­de­garde de Bin­gen rece­vant une vision sous forme d’une flamme, vision qu’elle s’empresse de retrans­crire dans ses Sci­vias

[audio:hildegard.xol]

Hil­de­gard von Bingen
O dul­cis electe — O Nobi­lis­si­ma Viriditas
Cathe­rine Ser­gent & Cathe­rine Schroeder

Hil­de­garde de Bin­gen est une reli­gieuse béné­dic­tine du XIIème siècle. Par­fai­te­ment consa­crée à la vie reli­gieuse et ayant pro­non­cé ses vœux per­pé­tuels à l’a­do­les­cence, elle reçoit à 38 ans le titre d’ab­besse de Disi­bo­den­berg. Plus tard, elle consi­gne­ra les visions qu’elle a depuis toute jeune dans plu­sieurs ouvrages et fon­de­ra suc­ces­si­ve­ment les abbayes de Ruperts­berg et d’Ei­bin­gen qui lui sont toutes les deux consa­crées (mais n’existent plus aujourd’­hui). En plus d’être une femme excep­tion­nelle à la foi ardente, elle est d’une extrême bon­té envers les plus néces­si­teux. Éga­le­ment écri­vain, elle est consi­dé­rée comme étant une des plus grandes com­po­si­trices de musique médié­vale et toute son œuvre est empreinte de l’acte fon­da­teur, la révé­la­tion, et colo­rée du com­bat éter­nel entre le vice et la ver­tu. Son tout der­nier talent consiste à avoir créé une langue et un alpha­bet qu’elle sera la seule à avoir utilisé.

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Cette ville est un autre monde, dedans, un monde flo­ris­sant (1ère partie)

Je n’aime pas spé­cia­le­ment Paris, du moins, je pen­sais ne pas vrai­ment l’ai­mer. Je n’aime pas beau­coup les gens qui y vivent car par esprit de cla­nisme, ils s’en­ferment dans un vision ténue des choses, qui géné­ra­le­ment ne va pas au-delà du bou­le­vard péri­phé­rique, quand ce n’est pas aux grands bou­le­vards. Je déteste cette men­ta­li­té qui fait sen­tir au ban­lieu­sard qu’i­ci on ne compte pas les dis­tances en mètres mais en sta­tions de métro. C’est ma petite guerre personnelle.

Mais Paris, c’est aus­si un pas­sé d’une incroyable richesse ; née sur les restes d’une ancienne cité romaine dont les axes prin­ci­paux existent encore ; le car­do, nord-sud, cor­res­pond à la rue Saint-Jacques et au bou­le­vard Saint-Michel et le decu­ma­nus, est-ouest, à la rue Souf­flot. Les plus anciens bâti­ments issus de cette vie antique remon­tant au Ier siècle s’y cachent encore, comme les arènes ou les thermes de Clu­ny. On ima­gine mal à quel point ce Paris d’au­jourd’­hui porte en lui encore les stig­mates de sa vie pas­sée, notam­ment du Moyen-Âge qui a été la période pen­dant laquelle son expan­sion a été la plus forte, et donc son urba­nisme. Les mou­ve­ments qui ont le plus chan­gé son visage ont été l’as­sè­che­ment des régions maré­ca­geuses de la rive droite dont on dit à tort qu’elle cor­res­pond à l’ac­tuel Marais. En réa­li­té, le Marais d’au­jourd’­hui cor­res­pond à la cou­ture du Temple, et qui est en fait la der­nière par­tie non défri­chée de ce quar­tier, assai­ni depuis long­temps déjà. On peut aus­si par­ler de l’en­fouis­se­ment de la Bièvre, rivière secon­daire qui bala­frait le quart sud-est de la ville et qui a été pen­dant de longues années un déver­soir pol­lué pour les indus­tries de la tan­ne­ries et ser­vant de dépo­toir aux bou­che­ries éta­blies sur les quais, mais éga­le­ment de l’é­ta­blis­se­ment de Paris comme ville phare, véri­table pôle d’at­trait avec la construc­tion des for­ti­fi­ca­tions de Phi­lippe Auguste puis plus tard de l’en­ceinte de Charles V.

Mat­thaüs Merian, un gra­veur suisse, des­si­ne­ra dans son ate­lier bâlois en 1615 un plan de Paris d’une incroyable pré­ci­sion tant topo­gra­phique qu’­his­to­rique et sur lequel dans le coin infé­rieur gauche, il gra­ve­ra ces vers qui résonnent comme la pro­messe d’un monde à décou­vrir coûte que coûte.

Cette ville est un autre monde
Dedans, un monde florissant,
En peuples et en biens puissants
Qui de toutes choses abonde.

Matheus Merian Basi­lien­sis, 1615

Liens:

2ème par­tie
3ème par­tie
4ème par­tie

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Flâ­ne­ries iliennes

Au hasard des sai­sons, je prends avec moi le temps de répondre aux ques­tions qu’il me pose du haut de ses sept ans. La faim nous mène dans le quar­tier Saint-Séve­rin qui, déci­dé­ment, ne livre guère le meilleur en matière de gas­tro­no­mie. Il fut un temps où je sor­tais sou­vent le soir dans ce coin, un quar­tier qui ne sen­tait pas encore la mau­vaise graisse et dans lequel on pou­vait se pro­me­ner sans se faire rabattre comme si on était un tou­riste amé­ri­cain. Le quar­tier pue la sale affaire et l’attrape-nigaud…

Il reste encore quelques anciennes mai­sons qu’on recon­naît à leurs murs pen­chés, aux toits à pré­sent recou­verts de zinc et à leurs hautes che­mi­nées mas­sives. L’âme du vieux Paris médié­val se trouve dans les hau­teurs de ces immeubles sans âge.

Au 17 rue de la Harpe, au car­re­four de la rue Saint-Séve­rin, se trouve un endroit qu’il fau­drait s’in­ter­dire de fré­quen­ter, mais les cou­leurs et les odeurs qui se dégagent de cette petite échoppe sont comme un piège qui se referme sur le pas­sant. Fina­le­ment, le lou­koum au citron aura rai­son de ma bonne volonté.

Autre­fois, au pied des futs des colonnes de la Concier­ge­rie, on voyait des pigeons chier sur la pierre. Aujourd’­hui ce sont les camé­ras de vidéo sur­veillance qui rongent le cal­caire. Au fond, la Tour de l’Hor­loge, déla­brée à un point inima­gi­nable. Elle fut la pre­mière hor­loge publique du Royaume de France, ins­tal­lée en 1371.

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Codex Argen­teus ou la Bible d’Argent

codex argenteus A par­tir de quel moment peut-on dire qu’un livre est une œuvre d’art ? Peut-on consi­dé­rer un livre comme un oeuvre lorsque son conte­nu est digne d’une créa­tion artis­tique ou lorsque l’ob­jet lui-même est une créa­tion ? Le Codex Argen­teus est un livre, et en plus d’être une oeuvre d’art pour l’ob­jet qu’il repré­sente, c’est le pre­mier témoi­gnage écrit d’une langue aujourd’­hui dis­pa­rue, le Goth. A mes yeux son prin­ci­pal inté­rêt réside dans la cou­leur de ses feuilles.

Le Codex Argen­teus, c’est ça:

Le Codex Argen­teus, qui contient les Évan­giles de Mat­thieu, Jean, Luc et Marc, dans cet ordre, a été pré­ser­vé sans alté­ra­tions. On pense que ce codex remar­quable a été rédi­gé dans le scrip­to­rium de Ravenne, au début du VIème siècle de notre ère. Son nom Codex Argen­teus signi­fie “Livre d’argent”, car l’encre uti­li­sée était d’argent. Les feuilles de par­che­min étaient teintes de pourpre, ce qui semble indi­quer que le manus­crit était des­ti­né à une per­son­na­li­té de la mai­son royale. Des lettres d’or agré­mentent les trois pre­mières lignes de chaque Évan­gile, ain­si que le début des dif­fé­rentes sec­tions. Les noms des rédac­teurs des Évan­giles appa­raissent aus­si en lettres dorées en haut des quatre “arches” paral­lèles des­si­nées à la base de chaque colonne de texte. On y trouve des réfé­rences à des ver­sets ana­logues des Évangiles.

Le pré­cieux Codex Argen­teus a dis­pa­ru après l’effondrement de la nation gothique. On l’a per­du de vue jusqu’au milieu du XVIème siècle, où il est retrou­vé dans le monas­tère de Wer­den, près de Cologne, en Alle­magne. Ce manus­crit a ensuite quit­té Wer­den pour figu­rer dans la col­lec­tion d’objets d’art de l’empereur, à Prague.

Cepen­dant, à la fin de la guerre de Trente ans, en 1648, les Sué­dois vic­to­rieux l’ont empor­té avec d’autres tré­sors. Depuis 1669, ce codex est conser­vé à la biblio­thèque de l’université d’Uppsala, en Suède. Le Codex Argen­teus était à l’origine com­po­sé de 336 feuilles, dont 187 se trouvent à Upp­sa­la. Une autre feuille, la der­nière de l’Évangile de Marc, a été décou­verte en 1970 à Spire, en Alle­magne. Depuis le jour où le codex a été retrou­vé, des phi­lo­logues se sont mis à étu­dier les textes pour com­prendre le gothique. À par­tir des autres manus­crits dis­po­nibles et grâce aux efforts qui avaient été faits pré­cé­dem­ment pour res­tau­rer le texte, le bibliste alle­mand Wil­helm Streit­berg a com­pi­lé et publié en 1908 le livre “Die gotische Bibel” (La Bible en gothique), qui pré­sente le texte grec en regard du gothique.

{Texte pro­ve­nant de ce site}

Le texte date du VIè siècle et contient la tra­duc­tion de l’ab­bé Wul­fi­la (petit loup) des Évan­giles, rédi­gée au IVè siècle, en langue gothique. La longue his­toire de son voyage est un périple qu’au­cun humain n’au­rait aimé vivre. Le texte entier a été scan­né et vous pour­rez retrou­ver l’inté­gra­li­té des feuillets sur ce site.

Codex Argenteus

Billet publié ini­tia­le­ment le 8 juillet 2005 sur brindilles.net

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