En étudiant les visages de Paris à travers l’histoire, depuis les prémisses de son existence, avant même que Paris ne soit Lutèce(1), lorsque le Parisis, bassin limoneux fertile de la vallée séquanienne était exploité par les Parisii(2) pour sa pierre, son calcaire blanc que l’on trouve jusque dans les murs du château de Versailles, et cela jusqu’à nos jours, on voit tout à coup se dessiner l’organisation d’une ville autour de son centre, établi autour des anciens thermes de Cluny et de l’île de la Cité. Il en aura fallu de l’audace pour s’installer sur cette grande île au milieu du fleuve, à une époque où le génie civil n’était pas vraiment au faîte de sa gloire et où le fleuve était régulièrement pris dans les glaces qui en fondant détruisaient avec une impressionnante constance les ponts de bois, et cela jusqu’au XVIè siècle. Mais le lieu revêtait un caractère stratégique particulier et bien vite l’endroit fut construit, fortifié et placé au centre de la vie de cette nouvelle ville. Son emplacement sur le fleuve en fit vite un lieu de passage privilégié tout d’abord pour le commerce fluvial. De riches marchands trouvent leur compte dans cette activité et les industriels tirent parti du flux de la Bièvre pour établir mégisseries, tanneries et autres activités textiles. Les ponts sont mis à profit pour la construction de moulins qui fourniront la farine nécessaire à la cuisson du pain au four banal (le four est à l’époque centralisé pour des questions d’imposition, et le plus connu se trouvait alors… rue du Four). Également, la présence des ponts permet de renforcer les échanges entre le nord et le sud et hostelleries et auberges font leur beurre avec les commerçants et les voyageurs de passage. La vie prend forme et très vite Paris devient la plus grande ville du monde occidental.
Philippe II Auguste (1180 – 1223) enfermera la ville dans ses murs pour la défendre notamment de la menace normande. Le Louvre(3), bâti en 1190 n’est alors qu’un petit fort de 70 mètres sur 80, destiné à protéger l’ouest de la ville et n’occupe qu’une petite partie de l’actuelle Cour Carrée. Charles V le Sage (1364 – 1380) élargira l’enceinte au nord de la cité avec un ensemble de fortifications qui très vite exalteront le prestige de Paris, en feront une ville incroyablement puissante et riche. La plupart des rues du centre de Paris dans les quartiers de Réaumur, du Marais, du Sentier, Saint-Germain des Prés et Saint-Séverin ont à peu près la même configuration, à quelques mètres de voirie près, qu’au Moyen-Âge. On voit encore sur la place de la Bastille les fondations et les arrondis des tours de l’ancienne bastide Saint-Antoine construite à l’emplacement de la porte éponyme, et plus connue sous le nom de… Bastille et sur le parvis de Notre-Dame, le tracé de l’ancienne rue qui faisait face à la cathédrale, qu’on peut voir flanquée de l’église Saint-Jean-le-Rond. Cette rue neuve Notre-Dame était la seule de Paris de laquelle on pouvait avoir un peu de recul pour admirer la façade occidentale du monument (comme le montre ce tableau d’Eduard Gartner), et on y trouvait à l’époque, un autre église, Sainte-Geneviève-des-ardents, et l’entrée de l’ancien Hôtel-Dieu.
Énormément de monuments, d’églises, de forts, de châteaux et de fortifications, voire de rues, ont disparu de la surface de la carte de Paris tel qu’il était au Moyen-Âge et cela, à cause, ou grâce, au Préfet Georges Eugène Haussmann, mandaté par Napoléon III qui de retour de Londres, reconstruit avec les théories hygiénistes et urbanistiques héritées des Lumières, souhaite faire de Paris une ville moins sombre et plus aérée, mais surtout plus saine. On sait également que le but du petit Empereur était d’élargir les rues pour éviter les soulèvements populaires qui se traduisaient souvent par l’érection de barricades incontrôlables. Haussmann sera donc mandaté pour faire “table rase” et table rase il fera dans un Paris qui a encore son aspect médiéval. Mais il est tout de même vrai que ce Paris n’est pas sain. Les égouts sont quasiment à ciel ouvert, la Bièvre charrie une puanteur infernale depuis le quartier des bouchers et des tanneurs et les truands se cachent dans les petites rues du Sentier (écartelé entre la rue Réaumur, la rue de Cléry et la rue du Caire) qui était alors la plus grande cour des miracles, l’ancien Fief d’Alby où régnait en maître le grand Coësre ou roi de Thunes, les Halles qui ont toujours été le marché de Paris ont encore un pilori où l’on humilie les mauvaises gens. Le Paris de l’époque est exigu, sale, puant, et infréquentable. C’est sans compter que le parc des Buttes-Chaumont est alors un immense chantier d’équarrissage et une carrière de gypse rendue irrespirable à cause de la chaux, construit non loin d’un ancien gibet. Un coin de paradis. La Cité, après avoir été le siège du pouvoir puis des institutions judiciaires, a été construit de hautes maisons, la faisant ressembler à sa cousine, l’île Saint-Louis qui pendant longtemps était coupée en deux, d’un côté l’île Notre-Dame, de l’autre l’île aux vaches (le bétail était conduit sur cette île en attendant de rejoindre la grande boucherie), retourne à sa fonction originelle puisqu’elle abrite aujourd’hui la Préfecture de Police et le Palais de Justice.
Mises à part les sommes colossales mises en jeu, la table rase d’Haussmann est vécue comme un véritable drame pour les Parisiens de l’époque qui, chassés à coup de mandats d’expulsion seront charriés par convois entiers vers les faubourgs, vidant le cœur de la ville au profit de populations plus aisées qui investissent les grands immeubles des artères formant des axes immenses à la perspective vertigineuse.
Entre 1865 et 1878, la Commission Historique dirigée par Haussmann charge un photographe, Charles Marville, de fixer sur la pellicule les temps du changement et d’immortaliser avant que les travaux ne commencent, les anciens quartiers de la capitale. Il en prendra plus de 400 photos qui sont un témoignage édifiant de ce passé pas si lointain, mais on a la gorge serrée en regardant ce Paris des petites gens, de petits commerçants et des artisans, des petites maisons, un Paris village pavé aux placettes étriquées et aux ruelles tordues, un Paris que tout un chacun aurait aimé fouler. On est en droit de se demander si Paris sans les Champs-Élysées serait vraiment la plus belle ville du monde, si le Paris des Grands Boulevards, dont le Boulevard Haussmann qui attire les foules pendant les fêtes de fin d’année, était fait de ruelles étroites et si Paris serait aussi riche avec ses masures branlantes et ses maisons à colombages, tel qu’on en voit encore rue Volta ou dans le Marais ? Certainement non. En attendant, Paris ne ressemble plus à ce qu’il a été.
J’ai mis un temps fou pour écrire ce billet, retrouver mes notes, retrouver les photos de Marville, chercher sur Google Maps les endroits où on été prises ces photos il y a cent-cinquante ans. Je constate une chose. Là où les photos de Marville ont du cachet, les lieux actuels sont dépourvus de charme, et le plus souvent… en travaux. J’ai pris mon parti, je préfère le Paris d’avant Haussmann, un Paris qui aujourd’hui serait parcouru de ruelles pavées.
Notes:
(2) L’origine du mot Parisii est sujette à diverses interprétations, dont certaines sont littéralement fantaisistes. Si les linguistes retiennent des hypothèses rationnelles et s’accordent plus ou moins pour dire que le terme désigne un chaudron (attesté par le pilier des nautes, les premiers parisiens étaient des passeurs sur la Seine). Un autre hypothèse fait dériver le mot Parisii de kwar, carrière en gaulois, ce qui n’est pas complètement idiot puisque la pierre a été très tôt utilisée dans cette région.
Les autres hypothèses : Parisii viendrait de Par-Isis et laisserait croire que le terme serait une relique d’un ancien culte de la déesse égyptienne Isis. Je me souviens également avoir lu que le terme de Paris venait de Par-Is, ville identique à Is, la cité bretonne engloutie. Sans commentaire.
(3) L’origine du mot n’est presque plus incertaine. Si on admet communément qu’il vient de “loup”, il a été construit à l’endroit du lieu-dit Lupara, qui semblait être une sorte de chenil destiné à la chasse au loup.
Liens:
- Un très bon site sur le Paris de Philippe Auguste.
- Quelques autres photos de Charles Marville.
- Sur le site du Figaro, d’autres photos superposées.
- Des photos de Charles Marville sur Paris en Images.
Toutes les photos de Marville sont extraites du livre de Patrice de Moncan, Charles Marville : Paris photographié au temps d’Haussmann, aux Éditions du Mécène.
Concernant la photo de la rue Réaumur, la photo déposée sur le site du Figaro est mal placée puisque sur la gauche, c’est le Conservatoire des Arts et Métiers, dans l’enceinte de Saint-Martin des Champs, bien plus loin dans la rue.
1ère partie
2ème partie
3ème partie
merci pour ce magnifique billet , quel travail ! Très bonne idée ces photos avec le lien sur Google maps , effectivement ce Paris là avait plus de charme , mais j’aime beaucoup celui d’aujourd’hui .
concernant ta note 3, à propos de l’origine du mot Louvre, je signale qu’il partage la même origine avec le mot lupanar, qui vient de lupa, la louve, surnom qu’on donnait aux prostituées dans la Rome antique, car elles criaient la nuit pour attirer les clients…
Ah ben je ne savais pas ça, merci pour l’info 🙂
A voir !
http://www.lefigaro.fr/photos/2009/03/27/01013–20090327DIMWWW00367-paris-avant-et-apres-haussmann.php