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Eli­za­beth Sid­dal, le vam­pire de Highgate

Eli­za­beth Sid­dal, le vam­pire de Highgate

Eli­za­beth Siddal

Le vam­pire de Highgate

La Flamme Pré­ra­phaé­lite : Eli­za­beth Siddal

Dans le Londres bru­meux du XIXe siècle, une étoile rousse allait enflam­mer l’i­ma­gi­na­tion des plus grands artistes de son époque. Eli­za­beth Sid­dal naquit le 25 juillet 1829, des­ti­née à deve­nir bien plus qu’un simple visage immor­ta­li­sé sur toile.

Sa pas­sion pour la poé­sie s’é­veilla de la façon la plus roman­tique qui soit : en décou­vrant par hasard des vers de Ten­ny­son sur un vul­gaire bout de papier jour­nal enve­lop­pant une motte de beurre. Cette ren­contre for­tuite avec la beau­té cachée dans le banal devien­drait la par­faite méta­phore de sa propre existence.

Le des­tin frap­pa à sa porte sous les traits de Wal­ter Howell Deve­rell. L’ar­tiste, hyp­no­ti­sé par la beau­té flam­boyante de cette ven­deuse de cha­peaux, s’empressa de par­ta­ger sa trou­vaille avec ses com­pa­gnons pré­ra­phaé­lites. À cette époque, Liz­zie s’é­pui­sait dans une bou­tique de modiste, ses doigts déli­cats tra­vaillant sans relâche dans des condi­tions érein­tantes. Contre l’a­vis d’une socié­té vic­to­rienne rigide, où poser comme modèle frô­lait le scan­dale, sa mère l’en­cou­ra­gea à sai­sir cette chance d’é­chap­per à sa condition.

Le mou­ve­ment pré­ra­phaé­lite, né en 1848 de l’i­ma­gi­na­tion rebelle de Mil­lais, Ros­set­ti et Hunt, cher­chait à res­sus­ci­ter l’art d’a­vant Raphaël, avec ses cou­leurs vibrantes et sa pure­té presque mys­tique. Liz­zie, avec sa longue che­ve­lure cui­vrée et son teint d’al­bâtre, incar­nait par­fai­te­ment leur idéal de beau­té éthé­rée et se des­ti­nait à deve­nir une stun­ner, un canon de beauté.

C’est en posant pour Ophe­lia de Mil­lais que Liz­zie connut simul­ta­né­ment la gloire et les pré­mices de sa déchéance. Immer­gée pen­dant des heures dans une bai­gnoire à peine tié­die par quelques lampes à huile, elle flot­tait, telle l’hé­roïne sha­kes­pea­rienne, entou­rée de fleurs. Lorsque les flammes vacillantes s’é­tei­gnirent, l’eau se trans­for­ma en piège gla­cial. La pneu­mo­nie qui s’en­sui­vit l’in­tro­dui­sit au lau­da­num, cette tein­ture d’o­pium qui devien­drait à la fois son récon­fort et son poison.

Le tableau de Mil­lais repré­sente Ophé­lie, la secrète amante d’Ham­let dont le père, Polo­nius, fut exé­cu­té par le héros sha­kes­pea­rien et dont la san­té men­tale vacilla après ce meurtre. Elle finit folle et noyée. Ce tableau sai­sis­sant qui pré­ci­pi­ta éga­le­ment Sid­dal vers la tombe est un arché­type de la femme à la fois idéale, idéa­li­sée et réi­fiée. Son corps lais­sé à l’a­ban­don, les lèvres mi-closes, les mains ouvertes vers le ciel, peut être vu comme l’ob­jet de désir à la fois idéal et sou­mis, puisque sans vie, sans résistance.

Dante Gabriel Ros­set­ti, jaloux de l’at­ten­tion que ses confrères por­taient à cette créa­ture fas­ci­nante, l’in­vi­ta dans son stu­dio. Sous son pin­ceau amou­reux, Liz­zie se méta­mor­pho­sa en icône de fémi­ni­té idéale – un mélange enivrant de beau­té, d’in­tel­li­gence et de spiritualité.

Leur liai­son pro­fes­sion­nelle se mua en pas­sion dévo­rante mais tumul­tueuse. Pen­dant près d’une décen­nie, ils res­tèrent fian­cés sans jamais concré­ti­ser leur union. Ros­set­ti, pri­son­nier des conven­tions sociales et crai­gnant le cour­roux de sa noble famille, repous­sait sans cesse l’é­chéance. Pen­dant qu’il suc­com­bait aux charmes d’autres femmes, Liz­zie som­brait chaque jour davan­tage dans les bras chi­miques du laudanum.

Mal­gré cette rela­tion ora­geuse, Liz­zie trans­cen­da son sta­tut de muse pour deve­nir créa­trice à part entière. Sous la tutelle de Ros­set­ti, elle déve­lop­pa un talent remar­quable pour la pein­ture et la poé­sie. Le célèbre cri­tique John Rus­kin la qua­li­fia de “génie”, saluant son accom­plis­se­ment unique en tant que seule femme expo­sée à l’ex­po­si­tion pré­ra­phaé­lite de 1857.

À Shef­field, où elle s’ins­tal­la pour pour­suivre son art, Liz­zie conti­nuait de créer, même alors que son corps fra­gile com­men­çait à l’abandonner.

En 1860, la san­té de Liz­zie décli­na pré­ci­pi­tam­ment. Appre­nant son état alar­mant, Ros­set­ti l’é­pou­sa enfin, mais la jeune femme était si affai­blie qu’elle dut être por­tée jus­qu’à l’au­tel. L’an­née sui­vante, une fausse couche la plon­gea dans les abîmes de la dépres­sion. Quelques mois plus tard, enceinte à nou­veau, elle com­mit l’irréparable.

Le 11 février 1862, Ros­set­ti décou­vrit le corps inani­mé de sa muse et épouse, une bou­teille vide de lau­da­num à ses côtés. Pour lui épar­gner l’hu­mi­lia­tion d’un enter­re­ment hors terre consa­crée – sort réser­vé aux sui­ci­dés – il fit dis­pa­raître toute preuve de son geste déses­pé­ré. Plu­tôt qu’un sui­cide, il faut plu­tôt ima­gi­ner que ce fut une over­dose acci­den­telle, que les mau­vaises langues auraient tôt fait de maquiller en suicide.

Dans un ultime acte d’a­mour déchi­rant, il pla­ça un recueil de ses propres poèmes manus­crits dans le cer­cueil de Liz­zie, enve­lop­pé dans sa belle che­ve­lure rousse. Sept ans plus tard, ron­gé par le remords et la folie nais­sante (et cer­tai­ne­ment aus­si par l’ap­pât du gain, car il connût à ce moment-là plu­sieurs revers de for­tune), il fit exhu­mer le pré­cieux recueil, cer­tai­ne­ment sous la pres­sion de Charles Augus­tus Howell, un ami assez peu scru­pu­leux qui fai­sait office d’agent artis­tique. La légende raconte que le corps de la belle rousse était mira­cu­leu­se­ment pré­ser­vé, sa flam­boyante che­ve­lure ayant conti­nué de croître jus­qu’à rem­plir le cer­cueil – comme si, même dans la mort, sa beau­té refu­sait de s’é­teindre. C’est du moins ce que fit croire Howell qui était seul pré­sent lors de l’ex­hu­ma­tion, Ros­set­ti étant trop ron­gé par le remors pour y assister.

Eli­za­beth Sid­dal, bien plus qu’une simple muse, reste l’in­car­na­tion de la flamme pré­ra­phaé­lite – brû­lante d’in­ten­si­té, consu­mée trop vite, mais dont l’é­clat conti­nue d’illu­mi­ner l’his­toire de l’art plus d’un siècle et demi après sa disparition.

Il est dit que le cime­tière de High­gate où elle est enter­rée serait han­té par le fan­tôme d’une grande femme rousse au regard éthéré.

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Jha­tor, célestes funé­railles et tours du silence

Jha­tor, célestes funé­railles et tours du silence

Les Zoroas­triens construi­saient des tours appe­lées “Tours du silence”, dak­ma ou dakh­meh. Les tenants de cette reli­gion née il y a trois ou quatre mille ans aujourd’­hui en déclin conti­nu vivaient au cœur de l’I­ran, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Méso­po­ta­mie. Dans cette reli­gion mono­théiste (la plus ancienne du monde) issue du maz­déisme et pro­phé­ti­sée par Zara­thous­tra, le Dieu supé­rieur, Ahu­ra Maz­dâ (le sei­gneur de la sagesse) pré­side à l’é­qui­libre de la lumière et de l’obs­cu­ri­té, le bien et le mal. Dans cette reli­gion que cer­tains sol­dats romains pra­ti­quaient en silence, l’i­mage du cadavre est impure et les élé­ments prin­ci­paux de cette croyance que sont l’eau, le feu et la terre, ne doivent en aucun cas être souillés par le cadavre en décom­po­si­tion. Aus­si, l’en­ter­re­ment était-il pros­crit, aus­si bien que l’in­ci­né­ra­tion ou que le dépôt dans une rivière ou un fleuve. C’est la rai­son pour laquelle on construi­sait ces tours, au som­met des­quelles ont dis­po­sait les cadavres afin qu’ils soient dévo­rés par les oiseaux cha­ro­gnards. Les osse­ments récu­rés étaient récu­pé­rés et pla­cés dans des ossuaires.

Tour du silence de Mumbai

Tour du silence de Mumbai

Il ne reste aujourd’­hui que deux tours du silence en Iran, et les seuls Zoroas­triens (les Pār­sis) qu’on trouve encore aujourd’hui vivent en Inde, le mot de Pār­si lui-même signi­fiant “peuple de Perse”. Il est donc natu­rel qu’on trouve dans la région de Mum­bai et de Ban­ga­lore des édi­fices liés à cette pra­tique, mais la raré­fac­tion des oiseaux cha­ro­gnards dans cette région du monde rend l’é­qui­libre dif­fi­cile et pousse cer­tains à sou­hai­ter éle­ver des vau­tours captifs.

Tour du silence de Mumbai 2

Tour du silence de Mum­bai. On voit par­ti­cu­liè­re­ment bien sur cette pho­to les cercles concen­triques et les empla­ce­ments réser­vés aux corps. Les hommes sont pla­cés sur le cercle en péri­phé­rie, les femmes et les enfants sur l’autre.

Si j’in­tro­duis cet article par les tours du silence, c’est pour atti­rer l’at­ten­tion sur le fait que cette pra­tique funé­raire qui peut paraître cho­quante remonte à des temps très anciens, et que de nom­breux sites archéo­lo­giques, dont celui de Göble­ki Tepe en Tur­quie, répu­té comme étant le plus ancien site reli­gieux du monde et datant de 12 000 ans, semblent avoir pra­ti­qué ce rite funé­raire. On pense aus­si que le site de Sto­ne­henge avait peut-être éga­le­ment cette fonc­tion. A‑delà d’un aspect pure­ment reli­gieux, le fait de faire dévo­rer les cadavres par les cha­ro­gnards com­porte une aspect sani­taire non négli­geable qui est celui de se débar­ras­ser des corps qui peuvent être por­teurs de mala­dies et dont on sait par­fai­te­ment que l’en­fouis­se­ment est sou­vent à l’o­ri­gine d’é­pi­dé­mies de cho­lé­ra par conta­mi­na­tion des puits.

Site de funérailles célestes dans la vallée de Yerpa au Tibet

Site de funé­railles célestes dans la val­lée de Yer­pa au Tibet

Il existe aujourd’­hui d’autres sites, notam­ment au Tibet, où l’on pra­tique ce rite funé­raire por­tant le nom de jha­tor (བྱ་གཏོར་), pra­ti­qué d’une manière dif­fé­rente, puisque dans ce cas, le corps est pré­pa­ré pour les cha­ro­gnards, c’est-à-dire décou­pé. Ce n’est pas un hasard si on retrouve cette pra­tique sur le toit du monde, au Tibet, car c’est un pra­tique encou­ra­gée dans le boud­dhisme vaj­rayā­na (वज्रयान) et qui a long­temps été obser­vée comme rite funé­raire majo­ri­taire au titre de la trans­mi­gra­tion des esprits. Le corps n’est rien, ce n’est qu’une enve­loppe ter­restre, le vais­seau de nos émo­tions et le trans­port de notre pré­sence au monde, mais ce n’est que ça. On ima­gine aus­si que pour des rai­sons pra­tiques, les “funé­railles célestes” sont à plu­sieurs titres plus pra­ti­cables que la cré­ma­tion. D’une part, dans les hautes mon­tagnes, les lieux sont sou­vent trop rocailleux pour per­mettre un enter­re­ment, mais éga­le­ment, il y a sou­vent trop peu d’arbres et de bois pour per­mettre la cré­ma­tion. C’est en tout cas une pra­tique cou­rante et com­plè­te­ment inté­grée à la reli­gion boud­dhique, un peu mar­gi­nale par rap­port à la cré­ma­tion, même si elle peut paraître outran­cière et cho­quante pour cer­taines personnes.

Golden mount (Wat Saket)

Gol­den mount (Wat Saket) à Bang­kok. Pho­to © The W perspective

Dans un livre que j’ai lu récem­ment (Thaï­lande, par Isa­belle Mas­sieu) et qu’on peut trou­ver en accès libre sur inter­net (Com­ment j’ai par­cou­ru l’In­do­chine), j’ai retrou­vé la trace de cette pra­tique dans l’an­cien royaume de Siam, au cœur de Bang­kok qui n’est encore qu’une petite ville habi­tée de 800 000 habi­tants alors que nous sommes au tout début du XXè siècle. L’au­teure de ce texte ne cache pas sa répu­gnance, même elle ne se place qu’en obser­va­trice. Nous sommes alors dans un lieu encore très tou­ris­tique aujourd’­hui, qu’on appelle tri­via­le­ment le Gol­den Mount, mais qui s’ap­pelle en réa­li­té Wat Saket Rat­cha Wora Maha Wihan, et dont j’ai par­lé récem­ment, puisque c’est dans ce lieu que pen­dant un temps furent conser­vées les reliques du Boud­dha Sha­kya­mu­ni. Mais qui se doute aujourd’­hui que ce temple ren­fer­mait alors la plus grande cité des morts du royaume de Siam ? Écou­tons Isa­belle Mas­sieu nous décrire le lieu, tout en lui par­don­nant ses juge­ments de valeur et le fait qu’elle nous écrive depuis l’an­née 1901…

A la fin de ce texte, se trouve un lien vers un article qui décrit le busi­ness de la mort en Thaï­lande aujourd’­hui et qui remet en pers­pec­tive ces rites qui nous semblent presque d’un autre âge, même si en réa­li­té, ce ne sont que des souplesses.

La pagode de Wat Saket, la grande nécro­pole sia­moise, dresse pit­to­res­que­ment son phnom appe­lé « mon­tagne d’or » sur un mon­ti­cule ver­doyant, à l’ex­tré­mi­té d’un pit­to­resque canal : sous ses frais ombrages s’é­tendent l’ap­pa­reil cré­ma­toire, le char­nier et l’o­dieux cime­tière d’où on extrait les cadavres pour un dépè­ce­ment effroyable, conforme à la volon­té du défunt. Les corps des hauts fonc­tion­naires sont conser­vé un ou deux mois, quelques fois plu­sieurs années, dans une urne munie d’un long tube ver­ti­cal en bam­bou qui per­met aux gaz délé­tères de s’é­chap­per par le toit de la mai­son. Avant de le por­ter au bûcher, on fait faire au mort trois fois le tour de sa demeure en cou­rant, afin qu’il n’y revienne pas. La reli­gion inter­dit de brû­ler de suite les gens décé­dés rapi­de­ment, de mort vio­lente ou d’é­pi­dé­mie. Les corps doivent repo­ser en terre pen­dant quelques jours ; mais les fos­soyeurs enterrent à fleur de sol et les chient se joignent aux vau­tours pour déter­rer les cadavres. Les abords du cime­tière sont ain­si jon­chés de têtes et d’os­se­ments à demi ron­gés. Faire dévo­rer son corps par les vau­tours est une sépul­ture noble qui pro­cure des grâces insignes ; leur aban­don­ner un membre est un acte méri­toire. Boud­dha a ordon­né, en signe d’ex­pia­tion, que les corps des condam­nés fussent entiè­re­ment dévo­rés. Les corps sont brû­lés en tota­li­té ou en par­tie, et les gens de dis­tinc­tion et de foi raf­fi­née ne manquent pas de réser­ver une part quel­conque d’eux-mêmes aux cor­beaux, aux chiens, aux porcs ou aux vau­tours ; aus­si tous ces répu­gnants ani­maux sont-ils légion dans le char­nier, sans pré­ju­dice de la ville, où ils se répandent. Le corps, quel­que­fois plus ou moins cor­rom­pu, est décou­pé sur des pierres ad hoc pla­cées à terre. Les entrailles sont réser­vées à tels ani­maux, une cuisse aux porcs, un bras aux chiens ou aux cor­beaux, et le reste est dis­po­sé sur un bûcher assez maigre dont on agite les débris pour obte­nir une meilleure com­bus­tion. Ailleurs, le sapa­reu (cro­que­mort), après avoir pris dans la bouche du mort, où elle a été pla­cée, la pièce de mon­naie qui consti­tue son salaire, lui ouvre le ventre et lui entaille les membres, puis s’é­carte pour faire place aux oiseaux de proie. Les vau­tours ras­sem­blés qui guettent sur les arbres, sur les toi­tures ou sur le sol, s’a­battent sur le cadavre, et on ne dis­tingue plus pen­dant quelques ins­tants qu’un mon­ceau d’ailes sombres qui battent fré­né­ti­que­ment. Lorsque les os sont déjà presque à nu, le sapa­reu écarte les oiseaux avec un grand bâton , retourne le corps et entaille pro­fon­dé­ment le dos. Le nuage noir s’a­bat de nou­veau et, quelques ins­tants après, il ne reste qu’un sque­lette dont le bûcher a bien­tôt rai­son. Vau­tours, cor­beaux, chiens, porcs aux ventres traî­nants ont eu la part dési­gnée, les rites sont accom­plis et de nom­breux mérites sont acquis au défunt.
Ces scènes effroyables se passent à l’ombre d’arbres char­mants ; les grils funé­raires jonchent la verte pelouse, et des fleurs s’é­pa­nouissent en mul­ti­tude autour des petits pavillons aériens, aux toits rele­vés en hautes pointes, qui consti­tuent les édi­cules de dépècement.
Ici, des bières béantes disent que la dépouille de leur pro­prié­taire a reçu sa des­ti­na­tion ter­restre ; là, deux corps achèvent de se consu­mer, et plus loin, dans les salas ouverts, se reposent les parents et les amis qui assistent à la céré­mo­nie et ont dû appor­ter cha­cun un mor­ceau de bois au bûcher. Quand nous nous sau­vons, confon­dus de ces scènes d’hor­reur que Dante n’eût osé rêver, les immondes repus font la sieste ; une vieille femme très macabre nous pour­suit tenant en main un os maxil­laire à demi éden­té qu’elle veut pla­cer sur nos figures, et un vieux sapa­reu offre en rica­nant à notre admi­ra­tion pour nous la faire ache­ter, une tête de mort dont il fait jouer la mâchoire. Comme, en reve­nant, nous flâ­nons aux bou­tiques, nous arri­vons devant une mai­son en fête, dans laquelle on nous invite à entrer. Tout le monde est paré et a l’air riant ; on voit par­tout des fleurs et des orne­ments ; il y a évi­dem­ment un mort dans la mai­son. Il semble que les Sia­mois aient à se réjouir de voir leurs parents et leurs amis quit­ter cette val­lée de larmes. Ils consi­dèrent que leur pleurs seraient une offense au mort, et pour­raient le retar­der et l’en­tra­ver sur la voie des diverses incar­na­tions par les­quelles il doit pas­ser. Nous sommes dans une sorte de large bou­tique sans devan­ture, un gué­ri­don est au milieu sur lequel on s’empresse de nous appor­ter un pla­teau char­gé de minus­cules tasses de thé. A notre droite s’é­lève une pyra­mide d’é­ta­gères bien gar­nies, et au som­met se trouve le grand coffre dans lequel la morte est enfer­mée. Des par­fums déli­cieux nous entourent et de spon­gieuses goyaves sont pla­cées à pro­fu­sion près du corps, pour absor­ber les miasmes qui s’en échappent. Toutes les femmes de la mai­son sont habillées de blanc, c’est la cou­leur du deuil, et les proches parents ont la tête rasée. Après l’ar­rière-bou­tique, où les femmes sont réunies, se trouve une cour pleine de fleurs et d’arbustes pla­cés dans des caisses ou des faïences. Le Sia­mois, comme le Chi­nois ou le Japo­nais, trouve les arbustes d’au­tant plus beaux qu’à force de les tailler il est par­ve­nu à faire venir plus direc­te­ment les pousses fraîches sur le vieux bois. Tout est propre en ce jour de récep­tion, nous sommes chez de riches com­mer­çants. Un grand esca­lier accède à la salle supé­rieure. Des frian­dises, des sucre­ries, des tasses, des ser­vices de toutes sortes se ren­contrent par­tout. Nous devons, sous peine de ne pas être polis, accep­ter, de nou­veau, thé ou soda water et bon­bons variés qui rem­plissent une quan­ti­té de petites assiettes. La table en est cou­verte, la gai­té et le sou­rire de ces gens qui viennent de perdre un des leurs est vrai­ment une étrange chose. Ils ont le culte de leurs morts, leur joie n’est qu’une forme de poli­tesse, c’est aus­si selon leurs idées une der­nière marque d’af­fec­tion qu’ils témoignent au défunt.  Sur un mur, on voit les pho­to­gra­phies des cha­pelles ardentes, de la mère de la défunte et de quelques parents, deve­nus de pré­cieux sou­ve­nirs pour les sur­vi­vants. Mon com­pa­gnon, qui avait beau­coup étu­dié les Sia­mois et cir­cu­lé dans l’in­té­rieur du pays, pré­ten­dait que leurs sen­ti­ments de famille sont très vifs. Il me disait avoir ren­con­tré, dans une de ses étapes, une mai­son dans laquelle l’o­deur péné­trante des goyaves et tous les par­fums de l’A­sie ne par­ve­naient pas à mas­quer l’in­ten­si­té de celle qu’ex­ha­lait le cadavre. Par devoir, un vieillard cou­chait depuis un an au pied du cer­cueil de sa femme, qui, pour une cause quel­conque, atten­dait encore d’être brû­lée. Selon les lois de l’hos­pi­ta­li­té, mon com­pa­gnon avait été invi­té à cou­cher dans cette chambre funèbre, hon­neur qu’il s’é­tait d’ailleurs empres­sé de décli­ner, pour pas­ser la nuit dans son bateau, amar­ré à la berge ; mais les exha­lai­sons de la mai­son allèrent jus­qu’à lui, si bien qu’il en fut malade.

Isa­belle Mas­sieu, Thaï­lande
Magel­lan & Cie, col­lec­tion Heu­reux qui comme… , numé­ro 87 , (mars 2014)

Liens (atten­tion, cer­taines images peuvent heur­ter la sen­si­bi­li­té des lecteurs):

Pho­to d’en-tête © Claude Dopagne

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Dans les pas du baron fou, Roman Fio­do­ro­vitch von Ungern-Sternberg

Dans les pas du baron fou, Roman Fio­do­ro­vitch von Ungern-Sternberg

« Je ne suis pas aven­tu­rier ou mer­ce­naire. Je suis l’homme d’un rêve, et on ne change pas de rêve pas plus qu’on ne change de peau »

Si tou­te­fois un jour vous croi­sez la route de cet homme, au hasard de vos lec­tures, dites-vous que vous êtes face à un des plus étranges per­son­nages qui soit. Vous en trou­ve­rez un por­trait éche­ve­lé, longue mous­tache por­tée comme des ori­peaux de guer­rier bar­bare, col de four­rure épaisse, gants blancs et sabre effi­lé dans Cor­to Mal­tese en Sibé­rie, mais vous le trou­ve­rez aus­si au cœur d’un roman téné­breux de Joseph Kes­sel, Les temps sau­vages, en ombre chi­noise, tapi dans l’obs­cu­ri­té au côté de Seme­nov et de Kolt­chak. Celui qui parle de Niko­lai Robert Maxi­mi­lian von Ungern-Stern­berg avec le plus de majes­té et qui en brosse un por­trait d’illu­mi­né sau­vage, de chef de guerre impi­toyable et san­gui­naire, c’est le géo­logue Fer­dy­nand Ossen­dows­ki, que nous avons déjà ren­con­tré plu­sieurs fois sur ce blog, au tra­vers de son livre monu­men­tal Bêtes, Hommes et Dieux, et s’il en parle avec autant de véra­ci­té, c’est que contrai­re­ment aux autres, lui l’a ren­con­tré dans son antre. Les deux hommes mus par un but com­mun, échap­per aux Bol­ché­viks, se sont ser­rés les coudes jus­qu’à temps que le baron fou connaisse le des­tin funeste que lui avait pré­dit un cha­man mongol.

Roman von Ungern-Sternberg 
en uni­forme de géné­ral de l’ar­mée impé­riale en 1917

Comme je pas­sais le seuil, un homme vêtu d’une tunique mon­gole en soie rouge se pré­ci­pi­ta sur moi comme un tigre, me ser­ra la main d’un air pres­sé, puis se lais­sa tom­ber sur le lit qui se trou­vait d’un côté de la tente.
— Dites-moi qui vous êtes. Nous sommes entou­rés par les espions et les agi­ta­teurs, s’é­cria-t-il d’un voix criarde où per­çait la nervosité.
L’homme ne me quit­tait pas du regard. Il ne me fal­lut qu’un ins­tant pour le dévi­sa­ger et cer­ner son carac­tère : une petite tête et de larges épaules ; des che­veux blonds en désordre ; une mous­tache rousse en brosse, un visage éma­cié comme celui des vieilles icônes byzan­tines. Dans cette phy­sio­no­mie, un détail occul­tait tous les autres : un grand front avan­cé qui sur­mon­tait des yeux d’a­cier, per­çants, fixés sur moi comme ceux d’un ani­mal au fond d’une caverne. Aus­si brève qu’ait été mon obser­va­tion, elle m’a­vait suf­fit pour com­prendre que j’a­vais devant moi un homme dan­ge­reux, prêt à com­mettre sans ter­gi­ver­ser l’ir­ré­pa­rable. Bien que le dan­ger fut évident, je n’en oubliais pas son atti­tude insultante.

Issu d’une vieille famille noble de la Bal­tique remon­tant au XVème siècle et tou­jours repré­sen­tée, le baron fou (ou baron san­glant, ou baron noir) est un per­son­nage que la folie a pris tan­dis qu’il menait les Armées Blanches avec le Géné­ral (tout aus­si fou, mais beau­coup moins excen­trique) Gri­go­ri Mikhaï­lo­vitch Seme­nov et lors­qu’il prit la déci­sion de la rup­ture avec son supé­rieur, l’A­mi­ral Alexandre Vas­si­lie­vitch Kolt­chak. Ungern-Stern­berg condui­ra un corps indi­gène com­po­sé de Mon­gols, Bou­riates, Kal­mouks, Kaza­khs, Bach­kirs et de Japo­nais qu’il tien­dra d’une main de fer, il se conver­tit au boud­dhisme tibé­tain et ten­te­ra même de remettre sur son trône l’empereur mon­gol Bog­do Khan. Se rêvant l’ex­ter­mi­na­teur des Bol­ché­viks en Rus­sie, il se voyait la réin­car­na­tion de Gen­gis Khan et arbo­rait fiè­re­ment une pos­ture pan­mon­go­liste. Pour­chas­sé par les Rouges qui en avaient une peur bleue, le baron blanc finit exé­cu­té au terme d’une paro­die de pro­cès… Ne reste que le sou­ve­nir d’un fou dans les chants des Mon­gols des steppes…

Roman von Ungern-Stern­berg aux alen­tours de 1919
en uni­forme mon­gol tan­dis qu’il est à la tête
de la ter­ri­fiante « Divi­sion sauvage »

Les pro­phé­ties se sont réa­li­sées. Envi­ron cent trente jours après notre sépa­ra­tion, le baron fut cap­tu­ré par les bol­che­viks, à la suite de la tra­hi­son de ses offi­ciers. Il fut exé­cu­té à la fin du mois de septembre.
Baron Ungern von Stern­berg… Comme un orage san­gui­naire du Kar­ma ven­geur, il pas­sa sur l’A­sie cen­trale. Qu’a-t-il lais­sé der­rière lui ? L’ordre du jour sévère qu’il adres­sa à ses sol­dats et qui se ter­mi­nait par les paroles de la révé­la­tion de saint Jean :
— Que per­sonne n’ar­rête la ven­geance qui doit frap­per le cor­rup­teur et le meur­trier de l’âme russe. La révo­lu­tion doit être arra­chée du monde. Contre elle, la révé­la­tion de saint Jean nous a pré­ve­nus en ces termes : « Et la femme était vêtue de pourpre et d’é­car­late, parée d’or, de pierres pré­cieuses et de perles ; elle avait à la main une coupe d’or pleine des abo­mi­na­tions et de la souillure de ses impu­di­ci­tés. Et sur son front était écrit ce nom mys­té­rieux : la grande Baby­lone, la mère des débauches et des abo­mi­na­tions de la terre. Je vis cette femme enivré du sang des saints et du sang des mar­tyrs de Jésus. »
C’est un vrai témoi­gnage humain qu’il lais­sait là, un témoi­gnage de la tra­gé­die russe, une témoi­gnage peut-être de la tra­gé­die mondiale.
Mais il res­tait une autre trace, plus impor­tante encore.
Dans les your­tas mon­goles, près des feux des ber­gers, Bou­riates, Mon­gols, Dzon­gars, Kir­ghiz, Kal­mouks et Thi­bé­tains racontent la légende née de ce fils de croi­sés et de cor­saires : « Du Nord est venu un guer­rier blanc qui appe­la les Mon­gols, les conviant à bri­ser leurs chaînes d’es­cla­vage, qui tom­bèrent sur notre sol déli­vré. Ce guer­rier blanc était Gen­gis Khan réin­car­né ; il a pré­dit la venue du plus grand de tous les Mon­gols, qui répan­dra la belle foi de Boud­dha, la gloire et la puis­sance des des­cen­dants de Gen­gis, d’U­ga­daï et de Kublaï Khan. Et ce temps viendra ! »
L’A­sie s’est réveillée et ses fils pro­noncent d’au­da­cieuses paroles.
Il serait bon, pour la paix du monde, qu’ils se mon­trassent les dis­ciples des sages créa­tures. Qu’ils suivent Uga­daï et le sul­tan Baber plu­tôt que de se ran­ger sous les aus­pices des mau­vais démons de Tamer­lan le Destructeur.

Fer­dy­nand Ossen­dows­ki, Bêtes, hommes et dieux
A tra­vers la Mon­go­lie inter­dite, 1920–1921
Edi­tions Phe­bus Libretto

A lire, ce très bon article sur Libé­ra­tion, Le baron per­ché.

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En pré­lude à la val­lée des rubis de Joseph Kes­sel… Le temple des mendiants

En pré­lude à la val­lée des rubis de Joseph Kes­sel… Le temple des mendiants

On peut com­men­cer à lire Joseph Kes­sel en pas­sant par la grande porte, avec Le Lion et les livres qui ont été por­tés à l’é­cran et que l’on connaît plus pour leur suc­cès propre que par le nom de celui qui en a écrit l’his­toire, comme La pas­sante du sans-sou­ci ou L’ar­mée des ombres. Ou alors on peut entrer par la petite porte avec ses romans de jeu­nesse ou tar­difs, ou ses repor­tages magni­fiques. Il y a de toute façon beau­coup de matière, beau­coup à lire, et c’est ce que j’ai com­men­cé à faire, sans trop crier gare. Une réédi­tion récente de La val­lée des rubis m’a per­mis de décou­vrir un texte pas­sion­nant sur un des lieux les plus étranges de ce monde ; Mogok. Mogok est une ville bir­mane située dans la région de l’an­cienne capi­tale royale Man­da­lay. Répu­tée pour ses mines de pierres pré­cieuses et semi-pré­cieuses, les étran­gers ne peuvent s’y rendre qu’a­vec un per­mis spé­cial et à condi­tion qu’ils béné­fi­cient d’une licence leur per­met­tant d’ex­ploi­ter le com­merce des pierres. On sait aus­si que les ouvriers des mines sont sou­vent dro­gués afin de sup­por­ter les condi­tions de tra­vail abo­mi­nables dans les­quelles sont extraites les gemmes, et que les auto­ri­tés font tout pour que cela ne soit pas connu. Pas assez appa­rem­ment, mais cela n’empêche pas l’ex­ploi­ta­tion de continuer.
L’his­toire de Kes­sel se déroule depuis Paris jus­qu’à Mogok, où le nar­ra­teur et son ami Jean se rendent pour retrou­ver les traces d’un tré­sor de rubis « sang-de-pigeon » per­du de manière mys­té­rieuse. Avant d’ar­ri­ver sur les terres bir­manes, ils passent par Bom­bay, ce qui sera pour eux une expé­rience gla­çante… Je livre ici deux pages de ce grand livre, à lire avec pré­cau­tions. Âmes sen­sibles… s’abs­te­nir… (more…)

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Le vam­pire de Ropraz

Le vam­pire de Ropraz

Jacques Ches­sex est très cer­tai­ne­ment trop peu connu. Mais qu’on ne s’y trompe pas ; celui qui fut Prix Gon­court en 1973 pour L’ogre est Suisse (comme ça c’est dit, his­toire d’éviter l’appropriation). Il est d’ailleurs le seul Suisse à avoir obte­nu ce prix, ain­si que le Prix Gon­court de la poé­sie en 2004. Décé­dé en 2009, il a béné­fi­cié d”un regain de popu­la­ri­té après sa dis­pa­ri­tion, c’est en tout cas ce qui me l’a fait connaître et je découvre Ches­sex avec ce petit livre au nom qui sonne comme un coup de toc­sin dans l’hiver des hauts pla­teaux nei­geux, Le vam­pire de Ropraz.
Tout com­mence par la mort d’une jeune fille, une fleur sur la boue, qui sitôt enter­rée ver­ra sa tombe pro­fa­née, son corps atro­ce­ment muti­lé, dévo­ré, par un fou dan­ge­reux qu’on aura tôt fait de sur­nom­mer le vam­pire. La psy­chose s’empare d’un petit vil­lage du pla­teau du Haut-Jorat vau­dois, au nord du Léman, d’autant que le fou mul­ti­plie ses hor­reurs et s’en prend à deux autres jeunes filles, toutes aus­si mortes… Les dénon­cia­tions calom­nieuses com­mencent à cou­rir, on s’en prend aux mar­gi­naux, aux étran­gers, et la folie s’empare aus­si de la petite cam­pagne dans laquelle se répand la vilé­nie comme une traî­née de poudre, exa­cer­bant les ins­tincts les plus bas d’une com­mu­nau­té repliée sur elle-même… on finit par trou­ver un cou­pable qu’on envoie aux fers, puis un temps sau­vé par la psy­chia­trie fait un faux pas et se retrouve à nou­veau sous la vin­dicte popu­laire… Le jeune homme s’enfuit, on perd sa trace…
Le roman de Ches­sex décrit avec une éner­gie simple mais d’une effi­ca­ci­té redou­table la fas­ci­na­tion exer­cée par cet odieux per­son­nage, dont rien ne nous dit s’il est le cou­pable ou non, mais ce qui est le plus fas­ci­nant, c’est la bas­sesse des gens, leur mes­qui­ne­rie, les grandes peurs qui par magie se trans­muent en petites cochon­ne­ries. Dans une langue lim­pide, directe et somp­tueu­se­ment pesée, Ches­sex livre un bijou ter­ri­fiant, basé sur des faits réels, qui n’a rien à envier aux maîtres de la lit­té­ra­ture d’horreur.

Février 1903. Le début de l’année a été très froid, la neige tient sur Ropraz, qui paraît encore plus tas­sé, et oublié, sur son pla­teau bat­tu des vents. Depuis le 1er février la neige tombe sans dis­con­ti­nuer. Une neige lourde, mouillée, sur le ciel sombre, et le vil­lage n’a pas été épar­gné depuis quelques temps. Routes cou­pées, les fièvres, plu­sieurs vaches ont mal vêlé, et le 17, un mar­di, la jeune Rosa, grande fleur fraîche, vingt ans, la peau claire, de grands yeux, de longs che­veux châ­tains, est morte de la ménin­gite dans la ferme de son père, M. Emile Gil­lié­ron, juge de paix et dépu­té au Grand Conseil. C’est un homme consi­dé­rable, sévère, avi­sé, géné­reux. Il a du bien, beau­coup de terre à la ronde, et la souple beau­té de sa fille a fait des troubles puis­sants. De plus elle est bonne chan­teuse, dévouée aux malades, active parois­sienne à l’église mère de Mézières… Des gens rares, comme on voit. Et qui étonnent devant la lai­deur, le vice, la ladre­rie ambiante.

La fin que Ches­sex nous réserve peut paraître fan­tasque, mais ce n’est que pour mieux poin­ter du doigt le fait qu’une socié­té qui engendre des monstres est tout aus­si capable de les vénérer…

Pho­to © Oli­vier Londe

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