L’ai­guière aux oiseaux ou aiguière de Saint-Denis (Mr 333)

L’ai­guière aux oiseaux ou aiguière de Saint-Denis (Mr 333)

L’ai­guière aux oiseaux est un vrai tré­sor issu des échanges liés à l’his­toire médi­ter­ra­néenne. Elle est men­tion­née par le moine béné­dic­tin Dom Michel Féli­bien dans son His­toire de l’ab­baye royale de Saint-Denys en France, en  1706, mais bien aupa­ra­vant, on retrouve trace de cet objet déjà aux pre­miers temps de l’é­di­fi­ca­tion de la basi­lique puisque dans les œuvres-mêmes de l’ab­bé Suger, on en retrouve men­tion, dès la fin du XIè siècle. Si on ne sait pas vrai­ment d’où elle vient, ni dans quelles condi­tions elle est arri­vée en France, on se doute tout de même qu’elle a pu être offerte en cadeau ou plus pro­ba­ble­ment volée ou sor­tie d’E­gypte lors d’un pillage au milieu du XIè siècle. Ce que nous indique son cou­vercle en or, faus­se­ment de style orien­tal puis­qu’on sait de source sûre qu’il a été fabri­qué en Ita­lie, c’est que l’ob­jet a voya­gé jus­qu’à Saint-Denis en pas­sant par un ate­lier d’or­fè­vre­rie de haut rang, cer­tai­ne­ment dans le sud du pays. Orné de fili­granes tor­sa­dés, de rosettes et de minus­cules entre­lacs de type « ver­mi­cel­li », ce cou­vercle épouse l’ouverture en amande du bec ver­seur et « chris­tia­nise » l’objet. (source Qan­ta­ra)

L’his­toire de son arri­vée jus­qu’à Saint-Denis demeure un mystère.

Aiguière aux oiseaux - Musée du Louvre - cristal de roche

Aiguière aux oiseaux — Musée du Louvre — cris­tal de roche (Mr 333)

Ce qui fait de cet objet une rare­té, c’est non seule­ment sa matière, puis­qu’il a été réa­li­sé dans du cris­tal de roche, d’un seul bloc. De dimen­sion modestes, haute de 24cm et à peine large de 13,5cm, le décor réa­li­sé sur son flanc en forme de poire repré­sente des oiseaux sty­li­sés enrou­lés autour de motifs flo­raux d’ins­pi­ra­tion per­sane. Même l’anse n’est pas rap­por­tée et fait par­tie du même bloc. La voir ain­si tou­jours soli­daire du corps prin­ci­pal plus de 1000 ans après sa créa­tion en fait une pièce tout-à-fait excep­tion­nelle, même si la par­tie supé­rieure taillée en ronde bosse repré­sen­tant cer­tai­ne­ment un oiseau ou un bou­que­tin, située sur le haut de l’anse a disparu.

Dom Michel Félibien - Trésor de Saint-Denis (1706) - Planche issue de l'Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denys en France - détail

Dom Michel Féli­bien — Tré­sor de Saint-Denis (1706) — Planche issue de l’His­toire de l’ab­baye royale de Saint-Denys en France — détail

La tech­nique uti­li­sée par les artistes cai­rotes de la période fati­mide est une taille par abra­sion par des maté­riaux per­met­tant une grande pré­ci­sion (sable et dia­mant) dans une pierre d’une dure­té de 7 (le dia­mant étant à 10). Même si ce n’est pas évident au pre­mier coup d’œil, la pièce de cris­tal de roche est creu­sée de l’in­té­rieur, évi­dée par abra­sion, ce qui repré­sente un tra­vail de longue haleine et de pré­ci­sion. A son point le plus fin, l’é­pais­seur au col n’est que de 3mm et il aura fal­lu à l’ar­tiste pas­ser un outil dans un gou­let de moins de 2cm de large. On remarque aus­si que la symé­trie de la pièce n’est pas par­faite, cer­tai­ne­ment parce que l’ar­tiste a été contraint par la forme de la pierre initiale.

La période de fabri­ca­tion remonte très cer­tai­ne­ment au der­nier quart du Xè siècle et elle porte au col une ins­crip­tion en cou­fique signi­fiant “béné­dic­tion, satis­fac­tion et [mot man­quant] à son pos­ses­seur”. Source Wiki­pe­dia.

On retrouve la men­tion de la pré­sence de cet objet dans le tré­sor de Saint-Denis sur cette gra­vure de Dom Michel Féli­bien, sous le nom de vase d’A­lié­nor, mais on recon­naît bien sa forme, l’oi­seau et le bec, ain­si que son cou­vercle en or por­tant chaînette.

Dom Michel Félibien - Trésor de Saint-Denis (1706) - Planche issue de l'Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denys en France

Dom Michel Féli­bien — Tré­sor de Saint-Denis (1706) — Planche issue de l’His­toire de l’ab­baye royale de Saint-Denys en France

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Jour­nal de bord période #1

Jour­nal de bord période #1

Mar­di 23 septembre

Petit matin, je viens de ter­mi­ner L’homme aux semelles de vent de Michel Le Bris, un livre fort exci­tant si tant est que l’on soit un peu sen­sible à l’homme lui-même. J’ai ache­té ce livre en n’ayant pas pris le soin de lire la qua­trième de cou­ver­ture, comme sou­vent atti­ré par le simple titre, et sur­tout l’au­teur que je connais notam­ment pour avoir écrit de très belles pages sur Ste­ven­son. Conne­ment j’ai cru avoir avoir ache­té un livre sur Rim­baud et le voyage, un peu aveu­glé par le che­min de l’au­teur, mais je me suis lour­de­ment trom­pé sur ses inten­tions. Racon­ter ce livre est impos­sible, c’est une immense gerbe de feu qui brûle sur le bûcher de la Rai­son ; ses détours sont nom­breux et on n’ac­cède fina­le­ment à une pen­sée qui ne se laisse pas sai­sir si faci­le­ment, entre une cri­tique sen­sa­tion­nelle du hégé­lia­nisme, une ode à Nietzsche, une vision flam­boyante du roman­tisme fos­soyé par ce même Nietzsche, et une pen­sée de l’in­ter­ces­sion du sacré au cœur d’une vie com­men­cée dans le renon­ce­ment et le res­sen­ti­ment géné­ré par le déra­ci­ne­ment d’un homme de sa terre dans une socié­té d’a­près-guerre qui se moder­nise à un train d’enfer.

Il est temps pour moi de ras­sem­bler toutes mes lec­tures de cette année, de les entas­ser. Il va fal­loir conti­nuer à écrire main­te­nant ; il va fal­loir que je m’é­mer­veille à la relec­ture de mes notes, de tout ce que j’ai entas­sé pen­dant cette nou­velle année uni­ver­si­taire un peu clan­des­tine à plu­sieurs titres, qu’il va fal­loir aus­si que je réor­ga­nise, que je jette dans la mar­mite pour en faire une nou­velle pro­duc­tion, solaire, ful­gu­rante. Tout est en train de se recréer.

Nou­velle lec­ture : Fran­çois Jul­lien, L’écart et l’entre : Leçon inau­gu­rale de la Chaire sur l’altérité.

Je conti­nue mon che­mi­ne­ment de pen­sée ; cette année le voyage se fera sur les terres du noma­disme ; le titre de mon mémoire en porte déjà les stig­mates. A peu de choses près, l’ac­cès se fera par le détour.

Antoine Cal­vi­no, Un an autour de l’océan Indien : un livre écrit avec les pieds. Il y avait long­temps que je n’a­vais pas lu quelque chose d’aus­si mal écrit, d’aus­si mau­vais, d’aus­si incon­sis­tant. Pour­tant, ça se sent, l’au­teur s’est don­né du mal. En vain.

Barbe de 4 jours.

Mer­cre­di 24 septembre

J’ai appris hier soir, à peu près en même temps que tout le monde, la mort d’Her­vé Gour­del qui a été kid­nap­pé en Algé­rie. L’é­mis­sion que j’é­tais en train d’é­cou­ter a été inter­rom­pue bru­ta­le­ment, l’a­ni­ma­trice a bre­douillé quelque chose, une porte a cla­qué, des bruits comme quel­qu’un qui s’ins­talle autour de la table et elle dit, nous inter­rom­pons cette émis­sion pour faire place à un flash d’in­for­ma­tion spé­cial. Je n’aime pas ces moments solen­nels dont la dure­té de pierre est comme un sou­ve­nir dont on sait qu’il ne s’ef­fa­ce­ra jamais. For­cé­ment, ce n’est pas facile de recom­men­cer son émis­sion dans ces condi­tions, quand on vient d’ap­prendre qu’un guide de haute mon­tagne en vacances en Algé­rie s’est fait égor­ger par une troupe d’a­bru­tis illu­mi­nés. Com­ment recom­men­cer à vivre après ça ?

Jeu­di 25 septembre

J’ai pris la liber­té d’é­teindre mon réveil lors­qu’il a son­né pour dor­mir jus­qu’à temps de perdre pied au beau milieu de mes rêves. On ne peut pas vrai­ment dire que je fais des rêves pré­mo­ni­toires ; dans l’am­biance un peu catas­tro­phiste de mes songes, je me suis sen­ti mal, à deux doigts d’é­cla­ter en san­glots à cause d’une de mes sta­giaires. Ce matin, ren­ver­se­ment de situa­tion, tout s’est arran­gé. Levé tard, mais tou­jours dans les clous, j’ai juste eu le temps de sau­ter sous la douche, ava­ler un petit déjeu­ner et je suis arri­vé à l’heure.
La route s’est per­due dans un brouillard épais, épais comme une vie sans joie, sombre de l’in­té­rieur. Peut-être est-ce matin que l’au­rore a tour­né les talons face à la fadeur des jour­nées sans teint ?

Com­men­cé trois livres de front : L’in­ven­tion du quo­ti­dien du jésuite Michel de Cer­teau, Dehors dedans, la condi­tion d’é­tran­ger du phi­lo­sophe Guillaume Le Banc et Les conqué­rants d’André Mal­raux, qui n’a abso­lu­ment rien à voir les deux pre­miers dans leur thé­ma­tique et sur­tout, à pro­pos duquel je suis stric­te­ment inca­pable de dire quel en est le sujet.

Ven­dre­di 26 septembre

Je me suis ini­tié de manière ins­tinc­tive à la lec­ture rapide pour lire de Cer­teau ; éton­nam­ment, je me suis tout de suite calé sur la recherche de l’es­sen­tiel dans le texte, le texte s’est alors mis à défi­ler seul devant mes yeux en écré­mant direc­te­ment les infor­ma­tions essen­tielles ; j’a­vais déjà quelques notions de lec­ture sur l’empan de la page, ce qui implique dans un pre­mier temps de cali­brer son champs de vision sur le gaba­rit de la page. Il faut ensuite trou­ver son propre mode de lec­ture. Je ne lis pas les pre­mières lignes de la page car la fin de la pré­cé­dente induit déjà cette par­tie, j’ai déjà donc l’in­tui­tion de ce qui va être dit. Pour la suite, je balaie la page en me basant sur les côtés, en lisant par flèches obliques, un coup à droite, un coup à gauche. Je peux ain­si trou­ver des élé­ments essen­tiels par mots-clés, mais en me basant aus­si sur la méthode glo­bale ; j’in­voque les mots plus que je ne les lis réel­le­ment. Je passe ain­si quelques secondes seule­ment sur une page. Jus­qu’au moment où il est néces­saire de ralen­tir. Évi­dem­ment, ce type de lec­ture ne convient qu’à des lec­tures de recherche, pas à de la lec­ture plai­sir, sinon l’in­té­rêt est nul. La lec­ture rapide est aus­si très fati­gante pour la vue et l’es­prit, et le temps s’é­tire alors, devient den­rée rare à savou­rer. Une expé­rience étrange, mais sage dans mon cas, tan­dis que je dois remettre dans quelques semaines mon mémoire de master.

En route pour Paris dans le RER, le voyage pas­sé sur la nuque d’une fille dont je n’ai jamais vu le visage, blou­son de cuir bleu, che­veux bou­clés atta­chés, une mèche qui frôle sa joue lisse, Sha­li­mar. Un ins­tant de grâce inter­rom­pu par un type d’A­sie Cen­trale qui par­lait fort dans son télé­phone. Au retour du CNAM, la douce cha­leur der­rière les car­reaux m’a fait m’as­sou­pir. Un ven­dre­di comme un autre, en somme.

Same­di 27 septembre

Voi­là, ma semaine se referme dou­ce­ment. Mon pro­gramme du week-end va se par­ta­ger entre poser du car­re­lage et en faire le joint, net­toyer le voile de ciment, repeindre le mur de la salle de bain. Je pren­drai cer­tai­ne­ment aus­si le temps de lire un peu et d’é­crire quelques lignes sur mon blog, peut-être même mon­ter quelques vidéos, le tout étant d’al­ler à mon rythme. Le mau­vais mois d’août s’é­loigne et n’a fina­le­ment pas lais­sé tant de traces que ça.

J’ai encore quelques jours devant moi pour me docu­men­ter et écrire encore quelques lignes pour mon sujet. Je vais lais­ser les choses venir, et retour­ner du côté de la peinture.

Je me laisse tou­jours enva­hir par l’o­deur des femmes, et par­fois, leur insou­te­nable et tendre féminité.

Pho­to d’en-tête © János Cson­gor Kerekes

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Indo­né­sie sonore #1 CDG ✈ DPS

Indo­né­sie sonore #1 CDG ✈ DPS

Prendre l’a­vion est tou­jours pour moi une angoisse pas pos­sible. Les longs voyages m’é­puisent, même si je suis bien évi­dem­ment tou­jours heu­reux de me dire qu’au bout je me réveille­rai dans un autre pays, peut-être à l’autre bout du monde. Mais voi­là, je déteste être coin­cé 7 heures ou plus dans une car­lingue volante, d’au­tant que je ne sais pas dor­mir assis et que le moindre bruit me réveille. En géné­ral, j’at­tends mon pla­teau repas que j’en­glou­tis avant de fer­mer l’œil. Pour la pre­mière fois, je suis par­ti en empor­tant mon enre­gis­treur, à l’af­fût de la moindre cocas­se­rie — autant dire qu’elle n’ar­rive pas sou­vent, ou alors bien avant qu’on ait eu le temps de sor­tir l’instrument.
J’ai tenu à enre­gis­trer une par­tie de mon voyage jus­qu’en Indo­né­sie, pour me replon­ger dans cette ambiance si par­ti­cu­lière propre aux aéro­ports, aux salles d’at­tente ou aux abords des files où passent les taxis qui vous inter­pellent à grands coups de klaxons et c’est tou­jours avec plai­sir que je ferme les yeux en écou­tant l’a­vion décol­ler ou l’am­biance dans l’aéroport.

Détails du vol Paris-Dubaï-Jakarta-Denpasar :

  • 21h15 CDG ✈ DXB 6h45
  • 10h45 DXB ✈ CGK 21h55
  • 5h40 CGK ✈ DPS 8h45

Voi­ci mes notes prises en vol, ou dans l’at­tente, faute de faire autre chose. Je sais tou­jours très bien m’occuper.

Mau­vais moment dans l’a­vion, impos­sible de dor­mir à cause d’une migraine tenace. J’ai tour à tour eu chaud, envie de vomir, d’al­ler au toi­lettes et une soif atroce. En gros, je me suis endor­mi quand l’a­vion a tour­né au-des­sus de Dubaï, comme d’habitude.

L’aé­ro­port de Dubaï n’est qu’une immense vitrine, un centre com­mer­cial géant d’où acces­soi­re­ment décollent quelques avions, où tra­vaillent des Chi­nois et des Pakis­ta­nais sous-payés. Le Hei­ne­ken Lounge cible une cer­taine popu­la­tion qui s’y recon­naît bien. Le duty free est fon­ciè­re­ment cher et un café et un jus d’o­range me reviennent à 8 euros ; on me rend la mon­naie en dirham des Émi­rats Arabes (AED) dont je ne sais que faire.

L’at­ter­ris­sage a été com­pli­qué, et sur une grosse bête comme l’A380, ça fait du bruit.

En atten­dant l’a­vion, j’ose à peine m’en­dor­mir, de peur de ne pas me réveiller. Je com­mence à flan­cher. J’ai fini par dor­mir une demi-heure à deux pas de la porte d’embarquement. Pour la pre­mière fois, je vois des Indo­né­siens, des visages dif­fé­rents, des gens au visage brun, por­tant le calot natio­nal, le songkok.

L’a­vion a du retard aus­si au départ. A chaque fois à Dubaï, quelque chose ne tourne pas rond, à part les avions qui attendent d’at­ter­rir. Leur aéro­port est énorme, n’ac­cueille que des vols inter­na­tio­naux sur Emi­rates et QA, d’im­menses salles d’at­tente sont com­plè­te­ment vides, mais ça bou­chonne tou­jours sur le tarmac.

L’an­nonce au micro dans l’a­vion est faite en baha­sa, et pour la pre­mière fois depuis que je vole sur cette com­pa­gnie, je vole dans un avion vide. Busi­ness class fer­mée, éco rem­plie au deux tiers. Cer­tains s’offrent quatre places pour dor­mir. Je ne sau­rais dire com­bien de temps j’ai dor­mi dans ce Boeing 777 mais ça reste stric­te­ment anecdotique.

Fina­le­ment, j’ai quand-même réus­si à me repo­ser un peu et j’ai pris le par­ti de ne me fier ni à l’heure ni au jour, mais à la fatigue. Pour l’ins­tant, tout va bien, je ne me sens pas épui­sé. L’i­dée d’ar­ri­ver en Indo­né­sie me fait bizarre, tout y sera nou­veau pour moi, à décou­vrir, peut-être un peu pit­to­resque. Il paraît que l’aé­ro­port de Jakar­ta est un peu… rus­tique. Je vais y pas­ser la nuit, je ver­rai bien.

Pen­dant une bonne par­tie du voyage, l’ap­pa­reil est bal­lo­té dans tous les sens. On tra­verse un sacré orage, même les hôtesses n’en mènent pas large.

Des gens habillés dans un beau blanc, des femmes voi­lées, des song­kok, des barbes. Des visages agréables. Je me suis fait un pote d’un type qui venait d’A­ra­bie Saou­dite et qui ne savait pas rem­plir son for­mu­laire d’im­mi­gra­tion, il m’ex­plique dans un anglais approxi­ma­tif qu’il ne connait que l’al­pha­bet arabe. Du coup, c’est moi qui lui rem­plit sa carte. C’est quand-même un peu drôle comme situa­tion. Il me demande si je suis Amé­ri­cain ou Cana­dien, un peu sur la défen­sive, mais quand je lui dit que je viens de France, il a comme l’air sou­la­gé. Il s’ap­pelle Nader et me remer­cie cha­leu­reu­se­ment de l’a­voir aidé et me serre la main. Il finit par me dire “good french…”

Arri­vée à l’aé­ro­port. Il fait lourd, la cli­ma­ti­sa­tion n’est pas à fond, loin de là. Tra­cas­se­rie du visa à payer en dol­lars, puis attente pour les papiers à la douane. Les types ont vrai­ment des sales gueules, me demandent d’où je viens. France.

Je suis en tran­sit dans l’aé­ro­port, mais en dehors de l’aé­ro­port, sous les néons jaunes du hall. Je suis har­ce­lé par les taxis et les por­teurs mais main­te­nant j’ai la tech­nique. Ils sont gen­tils et pré­ve­nants, même s’ils essaient de m’emmener dans un hôtel pas cher. Je m’é­tais dit que la pre­mière chose que je ferai en arri­vant, ce serait fumer un ciga­rillo. Un taxi s’as­soit à côté de moi, il essaie de m’embarquer dans son manège, mais je lui pro­pose un ciga­rillo qui lui cloue le bec, il a l’air heu­reux, un peu sur­pris tout de même. Il a vrai­ment l’air sym­pa, et n’in­siste pas. Mon pre­mier contact avec cet Indo­né­sien me fait oublier un peu les Thaïs.

Diner dans un boui­boui cher où je mange un Ipoh lun mee, je ne sais pas ce que c’est, c’est impos­sible à décrire, c’est gras et ça res­semble à des ramens.

Soe­kar­no ne res­semble à rien de ce que je connais. Samui qui est plus petit est aus­si plus moderne. On est loin de Suvar­nabhu­mi qui est à la pointe de la moder­ni­té. Ici, c’est un vaste hall en lon­gueur dont le toit imite l’ar­chi­tec­ture bali­naise en bois, mais le tout est hété­ro­clite et un peu sale. Je ne pense pas pou­voir entrer dans la zone d’embarquement avant 3h00. Dehors, la patrouille aéro­por­tuaire passe dans une espèce de taxi 4x4 qui pousse d’é­tranges glous­se­ments que des types assis par terre imitent en se marrant.

Une petite salle fait office de mos­quée. J’au­rais dû me conver­tir à l’is­lam pour aller dor­mir sur les cous­sins moi aussi

L’o­deur humide, les insectes, les éclairs dans le ciel ora­geux, les hauts-par­leurs qui crient leurs annonces, les sirènes des voi­tures de police, les chats qui se battent.

Arrive 3h10 après un somme sur un banc en pierre, le seul que j’ai trou­vé est dans la zone fumeurs. Je me suis fina­le­ment replié dans une salle cli­ma­ti­sée, avec des familles indo­né­siennes qui l’air de rien me regardent avec cir­cons­pec­tion, tout en sou­riant ; je m’ins­talle à côté d’eux et tente de fer­mer l’œil, la tête posée sur la bouche de la clim, un coup à attra­per la mort. Un type ronfle à en faire trem­bler les vitres.

Enre­gis­tre­ment au comp­toir de Garu­da Air­lines. Tous les comp­toirs ont une orchi­dée blanche, les employées sont toutes voi­lées, vêtues de turquoise.

Le type du contrôle me parle en baha­sa, mais j’ai beau faire des efforts, je ne com­prends pas. Il chante tout seul entre deux passagers.

Je mange un Roti’O (“savour hard to des­cribe”, on dirait quelque chose comme notre tour­teau au fro­mage, sauf que c’est aro­ma­ti­sé au café), l’aé­ro­port se rem­plit, il a plus de gueule dans la zone d’embarquement que dans la zone d’at­tente. J’ar­rive dans une salle car­rée magni­fique, les employées ne sont plus voi­lées pas­sés les contrôles. Les éclairs illu­minent le ciel où le soleil pointe le bout de son nez. Il a plu fort sans que je m’en rende compte.

La suite, c’est à Bali.

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L’é­po­pée de Rama contre le démon Rha­wa­na : kecak à Ubud, Bali

L’é­po­pée de Rama contre le démon Rha­wa­na : kecak à Ubud, Bali

Ubud… (suite)
Au cœur du Pura Dalem Taman Kaja. On y joue ce soir un spec­tacle où sont regrou­pés une cen­taine d’hommes et de femmes de la com­mu­nau­té Taman Kaja. La cour du temple est déga­gée et c’est devant le petit por­tail sculp­té que va se jouer la céré­mo­nie, autour d’une immense can­dé­labre sur lequel sont dis­po­sées des lampes à huile. Une à une, un homme en sarong les allume, puis les chan­teurs entrent, le regard bais­sé, comme s’ils étaient concen­trés, et cha­cun prend sa place, de manière concen­trique autour du pylône lumi­neux. Cha­cun sait ce qu’il a à faire, aucun n’hé­site, ils se jugent à la bonne dis­tance ; c’est millimétré.

Mon cœur bat fort, je ne sais pas pour­quoi. Peut-être le fait d’a­voir mar­ché vite pour ne pas rien rater, peut-être un peu d’é­mo­tion, comme si je savais que ce que j’al­lais voir avait le par­fum de l’ex­pé­rience unique. Comme sou­vent, je me laisse por­ter par mes envies en terre étran­gère, sans rien pré­voir, sans rien ima­gi­ner. Les idées pré­con­çues font tous les ans des mil­liers de vic­times qu’on retrouve incons­cientes dans le monde entier.

Un homme en blanc jette de l’eau sur les hommes, tou­jours tête bais­sée à l’aide d’un petit gou­pillon végé­tal et d’un bol en lai­ton. J’ai l’im­pres­sion d’a­voir vu cette scène des cen­taines de fois, ailleurs, je ne sais pas.

Les hommes com­mencent à chan­ter après qu’un des chan­teurs que je n’ar­rive pas à iden­ti­fier tout de suite ait don­né le départ. Tout de suite, on entend l’un d’eux scan­der une syl­labe rapi­de­ment, tou­jours sur le même rythme ; il faut s’ha­bi­tuer, on va l’en­tendre qua­si­ment tout du long. Assis autour du feu les hommes posent leurs mains sur leurs cuisses, un coup d’un côté, un coup de l’autre et leur tête fait une sac­cade de l’autre côté ; le rythme est don­né. Les tcha­kat­cha­kak arrivent, tout parait désor­don­né, mais j’ar­rive à per­ce­voir quelques sons qui donnent l’in­to­na­tion et leur per­mettent de chan­ger de rythme. Sous mes yeux se déroule un spec­tacle très ancien qui n’a pas chan­gé d’un pouce et que la tra­di­tion pousse à main­te­nir vivant. Cette his­toire est un épi­sode du Râmâya­na (रामायण), la célèbre épo­pée hin­douiste com­po­sée à par­tir du IIIème siècle AEC.

L’é­pi­sode pré­cis que raconte le kecak est celui où le prince Râma, alors héri­tier du trône du royaume d’Ayo­dya, ain­si que son épouse Sītā sont ban­nis par le roi Dasa­ra­ta après que la belle-mère de Râma ait com­plo­té pour qu’il n’hé­rite pas du pou­voir. L’his­toire com­mence tan­dis que les amants accom­pa­gnés de Laks­ma­na, le frère de Râma, entrent dans la forêt de Dan­da­ka.

Le roi d’Aleng­ka, le démon Rah­wa­na, a repé­ré le trio, mais sur­tout la belle Sītā qu’il convoite pour sa beau­té. Il envoie son ministre Mari­ca iso­ler la belle pour pou­voir la kid­nap­per, et pour cela, Mari­ca uti­lise ses pou­voirs pour se trans­for­mer en cerf cou­leur d’or. La jeune fille, cap­ti­vée par cet ani­mal, demande à Râma de le cap­tu­rer pour elle. Il part à la chasse et demande à son frère de gar­der une œil sur elle. Sītā entend un cri, pense que c’est son amant qui a besoin d’aide, envoie son pro­tec­teur l’ai­der. Celui-ci part après avoir des­si­né un cercle magique sur le sol et donne l’ins­truc­tion à Sītā de ne pas en sortir.

Rah­wa­na, alors dégui­sé en vieux prêtre affa­mé, lui demande l’au­mône, et c’est sans mal qu’elle sort du cercle magique pour aider le vieil homme. Il l’en­lève jus­qu’à son palais où il tente de la séduire. Pen­dant ce temps, Hanu­man, le singe blanc ami de Râma cherche Sītā. Celle-ci se lie d’a­mi­tié avec la nièce de Rah­wa­na, Tri­ja­ta, lors­qu’­Ha­nu­man appa­raît en lui mon­trant la bague de Râma. Celle-ci lui donne une épingle à che­veux pour pas­ser le mes­sage qu’elle est tou­jours en vie et pour deman­der à Râma de venir l’aider.

Pen­dant ce temps, Râma et son frère tombent sur Mega­na­da, le fils du démon, qui les entraînent dans un com­bat féroce. Celui-ci tire une flèche qui se trans­forme en dra­gon qui les ligote avec des cordes. L’oiseau Garu­da, roi de tous les oiseaux, ami de Dasa­ra­ta, voit depuis le ciel dans quelle situa­tion se trouve Râma et vient libé­rer les hommes. Râma et son frère sont aidés par Sugri­wa, roi des singes et son armées de singes.

Ce tableau se ter­mine avec la défaite de Mega­na­da par Sugri­wa et son armée.

Le der­nier tableau est la danse du feu (San­ghyang Dja­ran). Les dan­seurs et les chan­teurs sortent du car­ré du temple. Un homme vient dépo­ser des coques de noix de coco sèches au centre, à la place du can­dé­labre, et y met le feu. Une ran­gée de chan­teurs entonne un chant dif­fé­rent de ce qui a été chan­té jus­qu’à pré­sent ; ils dressent devant eux des paillasses comme pour se pro­té­ger de quelque chose. Un dan­seur, un grand cos­taud por­tant à l’é­paule une manière de che­val danse en sillon­nant la place d’un pas lour­daud ; il entre dans le feu et balaie de ses pieds le bra­sier puis marche dans les braises. Plu­sieurs fois un homme ras­semble les braises avec un balai et la scène se repro­duit plu­sieurs fois.

La fonc­tion de cette danse est d’ap­por­ter la pro­tec­tion sur les familles, pour leur évi­ter l’in­fluence des forces du mal et les pré­ve­nir des épi­dé­mies. Le che­val à bas­cule, à Bali comme à Java, est asso­cié à la transe. Le che­va­lier qui marche dans le feu entre en transe au son des maigres ins­tru­ments et des chants qui portent le nom de game­lan sua­ra.

Je res­sens un étrange bien-être de me trou­ver ici dans la cour de ce temple, comme légè­re­ment ivre, empor­té par ces chants de transe d’un autre âge. Je rentre me cou­cher le cœur léger, heu­reux d’a­voir vécu cette expé­rience dont je ne soup­çon­nais pas la por­tée. Les cha­mans existent encore, je viens de les ren­con­trer… une nou­velle fois.

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Kecak à Ubud, chœurs, danse du feu et transe (car­net de voyage sonore)

Kecak à Ubud, chœurs, danse du feu et transe (car­net de voyage sonore)

Ubud…
Je me fait abor­der par un type à la peau noire buri­née, por­tant sarong rouge et blanc et che­mise à manche courte, tan­dis que je sors du Pura Taman Kemu­da Saras­wa­ti, un peu per­du dans cette ville dans laquelle je n’ar­rive pas à me repé­rer. Il me dit que ce soir il y a un spec­tacle de kecak, « fire dance ». Tou­jours un peu sur la défen­sive, je regarde sa bro­chure et lui demande un peu en quoi ça consiste, mais il ne me dit que « fire dance ». J’ai lu avant de par­tir qu’il ne fal­lait pas venir à Ubud sans voir au moins un de ces fabu­leux spec­tacle de danse ou de chant bali­nais. Évi­dem­ment, ce sont les tou­ristes qui pro­fitent essen­tiel­le­ment de ces exhi­bi­tions, mais en y regar­dant de plus près, on voit à quel point les Bali­nais sont fiers de per­pé­tuer une tra­di­tion ancienne et pour ceux qui font par­tie des troupes de dan­seurs et de chan­teurs, c’est une véri­table pas­sion qu’ils par­tagent géné­ra­le­ment avec un autre emploi la jour­née. J’ai pris un taxi le len­de­main du spec­tacle et le chauf­feur, lors­qu’il m’a deman­dé ce que j’a­vais fait la veille, m’a dit qu’il fai­sait par­tie de la troupe dont j’a­vais assis­té à la repré­sen­ta­tion. J’en ai pro­fi­té pour lui deman­der pour­quoi il fai­sait par­tie de cette troupe et il s’est mon­tré inta­ris­sable sur le sujet.
Le coquin réus­sit à me vendre un ticket pour m’y rendre. Il m’ex­plique vague­ment com­ment trou­ver le temple. Le soir venu, je m’y rends en pen­sant être large sur l’ho­raire, mais c’é­tait sans comp­ter que les esti­ma­tions de dis­tance qu’il m’a­vait four­ni s’a­vé­raient un peu opti­miste. Je finis par cava­ler un peu pour ne pas rater le début. Je finis par deman­der mon che­min, pas très cer­tain de l’en­droit où je me trouve. Tout le monde ici connaît le kecak qu’on ne joue qu’au Pura Dalem Taman Kaja.

Voir un spec­tacle de Kecak est une expé­rience hors du com­mun. S’ins­pi­rant des textes du Ramaya­na, ces ensembles ne sont com­po­sés que de chan­teurs, une cen­taine envi­ron, scan­dant des chants enivrants où le thème prin­ci­pal est chan­té au rythme des “tcha­kat­cha­kat­cha­kak” qui ont don­né le nom au genre. Il y est ques­tion de singes enga­gés dans une lutte contre un démon, tout cela autour d’une colonne où sont allu­més des feux. Comme dans toutes les céré­mo­nies, un prêtre vient bénir les chan­teurs avant de com­men­cer. Tan­dis qu’ils chantent, les hommes exé­cutent des mou­ve­ments sac­ca­dés, tan­tôt assis, tan­tôt allon­gés. Dans un pro­chain billet accom­pa­gné de vidéos, je par­le­rai plus pré­ci­sé­ment du dérou­lé du spectacle.

C’est le seul type de repré­sen­ta­tion dans lequel il n’y a aucun ins­tru­ment, et éton­nam­ment, je me suis ren­du compte que cer­tains spec­ta­teurs sont sor­tis avant la fin. Au début, je me suis dit que cela ne devait pas être à leur goût, mais je me suis ren­du compte que les ritour­nelles agissent for­te­ment sur l’é­tat de conscience et que cer­tains des chan­teurs étaient en transe. La ryth­mique répé­ti­tive est un des élé­ments qui per­met de modi­fier l’é­tat de conscience dans les rituels cha­ma­niques et j’i­ma­gine par­fai­te­ment que cer­taines per­sonnes puissent être irri­tées par les chants, comme on peut l’être par­fois au son répé­ti­tif d’une percussion.

Voi­ci ici qua­si­ment l’in­té­gra­li­té du spec­tacle à l’é­coute pour s’im­pré­gner de cette ambiance si par­ti­cu­lière à la lumière de quelques torches, par une belle soi­rée nuit balinaise.

Pura Taman Kemuda Saraswati - Kecak

Béné­dic­tion des chan­teurs par le prêtre

Pura Taman Kemuda Saraswati - Kecak - Danseuses

Dan­seuses

Pura Taman Kemuda Saraswati - Kecak - Maître de cérémonie

Danse du démon. Le maître de céré­mo­nie est juste à gauche de la colonne de feu

Pura Taman Kemuda Saraswati - Kecak - Chanteurs

Lorsque le démon passe, les hommes s’al­longent, sym­bo­li­sant la mort des singes

Pura dalem taman kaja (localisation)

Loca­li­sa­tion du Pura Dalem Taman Kaja sur Google Maps

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