Apr 30, 2010 | Arts, Histoires de gens, Sur les portulans |
Une belle après-midi printanière, une bouteille d’eau coincée dans le sac-à-dos entre les objectifs et l’appareil, deux carnets dans la poche et c’est parti sur les routes du Val-d’Oise, à une trentaine de kilomètres de Paris à vol d’oiseau, exactement à la limite qui sépare l’Île de France et la Picardie, derrière les champs de colza, les étangs de pêche et un paysage d’une platitude monotone. Partir de l’autre côté, sur la route à contrepoint. Arrivée à Asnières-sur-Oise, au hameau de Baillon.
Royaumont est une abbaye fondée par Louis IX entre 1228 et 1235. Celui qui sera canonisé pour ses actes de piété contrite et sa croisade partiellement échouée n’avait rien d’un joyeux luron (celui-là même qui mourut de dysenterie au bord de la nationale 9) et c’est dans ce lieu de méditation qu’il se retirait pour compulser les livres de l’armarium du cloître. Le lieu est d’ailleurs ponctué de citations des œuvres de Guillaume de Saint-Pathus narrant la vie et les habitudes ô combien… stimulantes de Louis IX. Prières à tous les repas, et même au milieu d’une nuit généralement courte (les heures canoniales ne laissent point le temps de se reposer).
Sa mère, Blanche de Castille était, elle, une habituée d’une autre abbaye du département, Maubuisson qu’elle fonda en 1241 sur la commune de Saint-Ouen-l’Aumône.
[audio:funerailles.xol]
On commence la visite par un grand parc ombragé très sobre, peu fleuri mais la saison s’y prête peut-être encore assez mal. Il fait bon flâner dans ces larges allées sous les fleurs des marronniers.
Comme toute abbaye digne de ce nom, on y trouve une église, mais ici, on n’en voit plus que quelques rares éléments. En effet, l’intégralité du site servit de filature après que la Révolution ait dissout les Ordres religieux. En 1792 on ordonne de démanteler l’église pour en utiliser les pierres afin de construire d’autres locaux (il est toujours délicat de poser un regard moral sur les erreurs du passé, mais tout de même, quel gâchis…). Aujourd’hui, seule reste la tour nord (rescapée par sa construction compacte puisqu’elle contient un escalier), ainsi que quelques piliers indiquant encore l’emplacement du chœur. Autant dire que l’édifice que l’on a sous les yeux n’a plus grand chose à voir avec le bâtiment d’origine, même si le retour des sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux a permis la restauration partielle et donne une idée correcte de l’aspect d’origine.
Il y est également question d’une vaste salle qui servait de réfectoire aux frères convers et donc le carrelage que l’on foule au pied est fait d’une immense mosaïque des carreaux de faïence colorée restaurés et reproduits de manière artisanale, tels qu’ils étaient lorsque l’abbaye était encore utilisée.
La visite se termine par un bâtiment scindé en deux parties, dont la partie centrale est soutenu par trente-et-une arches séparées par un vide aujourd’hui comblé par des dalles de verre, donnant en surplomb sur un petit canal et sous lequel il aurait été mal venu de passer en des temps reculés, puisque ce canal porte le doux nom de… latrines.
Mais le clou de la visite reste tout de même le cloître, et y passer quelques minutes baigné par la lumière du soleil, dans le silence d’une campagne douce et d’une après-midi tranquille a un effet réellement apaisant.
Localisation de l’abbaye sur Google Maps.
Toutes les photos de cette journée ici, et là pour voir les photos en diaporama.
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Apr 28, 2010 | Arts, Histoires de gens, Livres et carnets |
Avant que je n’étudie l’histoire de l’art, j’ai pioché mes premières expériences et mes premiers émois dans les pages de volumes aux pages jaunies et à l’odeur rance de la Grammaire des styles qu’on trouvait encore à l’époque aux éditions Payot, sur les tables de gravures innombrables sans lesquelles toute approche naïve ne serait que pure perte. L’art se nourrit de ses propres images, et son histoire se gave d’exemples et d’illustrations. Ma mère m’a alors offert la très majestueuse Histoire de l’Art de l’essayiste anarchiste et historien de l’art Élie Faure (parent du géographe — tout aussi anarchiste — Élisée Reclus), une œuvre monumentale en cinq tomes dont la rédaction s’étale entre 1919 et 1921 et qui aujourd’hui reste absolument incontournable. Je replonge dans ces pages lestes, dénuées de la lourdeur académique des écrits trop souvent conventionnels et intellectualistes de l’époque et de ces mots aériens pleins de formes, on goûte la saveur de la simplicité.
La base de l’édifice humain est faite de découvertes quotidiennes, et ses plus hautes tours sont des entassements patients de généralisation progressives. L’homme a copié la forme de ses outils de chasse et l’industrie sur les becs, les dents et les griffes, il a emprunté aux fruits leurs formes pour ses premiers pots. Ses poinçons, ses aiguilles ont été d’abord des épines, des arêtes, il a saisi dans les lames imbriquées, les articulations et les fermoirs des os l’idée des charpentes, des jointures et des leviers. Là est le seul départ de l’abstraction miraculeuse, des formules les plus purifiées de toute trace d’expérience, du plus haut idéal. Et c’est là que nous devons chercher la mesure de notre humilité et de notre force à la fois.
Au contact de Faure, on s’initie à l’art dans ce qu’il a de plus fondamental ; dans sa vision des choses, reprendre le cours d’une histoire provenant des tréfonds des âges est une manière de nous faire adhérer à l’idée qu’il y a une continuité naturelle entre l’utile de la technique et la fonction esthétique de l’art. Sans cette présupposition, on risque la fausse route.
L’art est d’abord un outil d’utilité immédiate, comme les premiers balbutiements du verbe : désigner les objets qui l’entourent, les imiter ou les modifier pour s’en servir, l’homme ne va pas au-delà. L’art ne peut être encore un instrument de généralisation philosophique qu’il ne saurait pas utiliser, mais il forge cet instrument, puisqu’il dégage de son milieu quelques lois rudimentaires qu’il applique à son profit.
Elie Faure, Histoire de l’art, t.1
Avant l’histoire, I (Folio Essais, p.40, 41, imprimé en 1988)
J’aime me rappeler ces mots qu’il se plaisait à répéter et dont la paternité revient à Auguste Renoir:
Ne me demandez pas si la peinture doit être objective ou subjective. Je vous avouerai que je m’en fous.
Concernant les rapports entre Élie Faure et Auguste Renoir, je trouve dans la préface de Martine Chatelain-Courtois les mots dans lesquels on saisit la figure maîtresse de Faure, maître avant tout, personnage charismatique :
Le passeport de Faure Élie-Paul-Jacques, qui donne des conférences sur l’art dans le monde entier en 1931–1932, indique : « Profession : Médecin ». Et Renoir, qui appréciait d’autant plus la modestie du grand écrivain qu’il se voulait lui-même un simple « ouvrier de la peinture », partageait avec son « cher docteur » un silence complice en évitant les discussions d’esthétique, et en lui parlant avec humour de ses hémorroïdes — quitte à dire le bien qu’il pensait de son œuvre quand Élie Faure n’était plus là.
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Apr 27, 2010 | Histoires de gens, Sur les portulans |
Pendant des années où j’ai consommé des galettes de blé noir fourrés à la tomate, à l’œuf et au fromage (plus connue sous le terme générique de “complète”), je me suis demandé d’où venait le terme et surtout, qu’est-ce qu’est le blé noir, ou sarrasin ? Il se trouve que ce blé noir, ou blé sarrasin (il tire son nom de l’exceptionnelle faculté des occidentaux à attribuer à l’étranger lointain tout ce qu’ils ne connaissent pas, alors qu’il vient d’Asie du nord-est, région assez pauvre en Sarrasins) n’a en fait rien à voir avec le blé, mais en plus n’a rien d’une graminée.
C’est une plante de la famille des polygonacées, dans laquelle on trouve également les renouées, la rhubarbe et l’oseille et dont les graines sont utilisées pour leur absence de gluten, ce qui en fait un aliment de choix pour ceux qui y sont intolérants. Largement utilisé en Bretagne, il est cependant en voie de raréfaction en France, chassé par des cultures plus rentables, comme le blé et le maïs, ce qui est d’autant plus dommage que c’est une plante mellifère.
L’autre acceptation du terme désigne un sens mal connu. Si on se doute que le Sarrasin est Arabe, on ne lui connait pas vraiment de pays, ni de religion du moins à l’époque où le terme se généralise, puisque les terme de musulman ou d’islam ne sont utilisés que tardivement respectivement au XVIè et XVIIè siècle. On ne sait pas grand chose de lui et c’est précisément ce qui fait peur. Oui, l’histoire se répète et ne se renouvelle guère…
Voici ce qu’en dit Wikipédia, mais il semble que généralement, ce soit la définition d’Isidore de Séville qui fasse foi :
Le terme sarrasin proviendrait, d’après certains, de l’arabe شرقيين sharqiyyīn (orientaux). Selon d’autres, le mot vient de sarakenoi en grec ancien, qui a donné en bas latin Sarracenus (pluriel: Sarraceni), ce qui a fait dire à Isidore de Séville (VIIe siècle):
« Les Sarrasins vivent dans le désert. On les appelle aussi les Ismaélites, comme l’enseigne le Livre de la Genèse, car ils descendent d’Ismaël (fils d’Abraham). Ils sont également nommés Hagaréniens car ils descendent d’Hagar (esclave et concubine d’Abraham, mère d’Ismaël). Il s’appellent eux-mêmes Sarrasins, on l’a dit avec quelque perversité, car ils se flattent mensongèrement de descendre de Sarah (femme légitime d’Abraham). »
— Isidore de Séville, Étymologies, IX,2,57 Ed. W.M. Lindsay, Oxford 1911 (cité in La croix et le croissant de Richard A. Fletcher).
A l’époque d’Isidore, Séville n’a encore rien à voir avec l’Espagne, mais fait partie intégrante du Royaume Wisigoth, héritier des Grandes Invasions barbares et dont la capitale est Toulouse. Les Wisigoths (Goths de l’Ouest), chassés de Toulouse par Clovis 1er, ils installent leur capitale à Tolède .
C’est à cette époque que nait le nom donné à la région d’Andalousie.
Selon Heinz Halm, le terme Andalousie viendrait de l’expression wisigothique « *landa-hlauts » désignant l’« attribution des terres par tirage au sort », ce qui parait le plus probable, mais il faut quand même savoir qu’on a longtemps cru que le terme signifiait “Atlantide” ou terre des Vandales (du berbère : al-Andalus, provenant lui-même de Wandal).
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Apr 26, 2010 | Arts, Histoires de gens |
Songez à Marcelino Sanz de Sautuola qui en 1868 et à sa petite fille Maria, alors âgée de huit ans, qui remarqua sur les plafonds de la grotte de Santillana del Mar(1), des taureaux dessinés et ornés de couleurs sombres. Ils venait de découvrir l’un des plus grands sites préhistoriques pariétal, et les premières publications qui s’ensuivirent à partir de 1876 firent découvrir au monde occidental le reliquat de leur histoire antédiluvienne.
Songez à la grandeur de l’invention. Songez à l’émotion que cela doit être d’étreindre ainsi les marques des prémisses de l’humanité.
Songez à ce qu’on appelle aujourd’hui la grotte d’Altamira et à l’engouement soudain qu’a suscité cette découverte pour l’humanité toute entière, et à toutes les vocations de chercheurs en commençant par celui qui donna sa lettres de noblesse à la Préhistoire, l’abbé Henri Breuil.
Songez à ce même Henri Breuil qui en septembre 1940 fut le premier spécialiste à visiter le site ô combien majestueux de Lascaux(2), après qu’une bande de gamins ait découvert une toute petite cavité dans laquelle leur chien tentait de s’introduire. Ils en firent le site le plus exceptionnel découvert à ce jour, même si ces dimensions restent modestes avec ses 250 mètres de long (la partie inférieure étant difficilement accessible à cause de la présence d’un fort taux de dioxyde carbone) et aussi un des plus controversés sur le plan politique puisque les quelques années d’exploitation touristique qui lui ont permis une telle notoriété ont eu raison des milliers d’années de préservation dans l’obscurité qui l’ont fait parvenir intacte jusqu’à notre époque.
Aujourd’hui fermée et copiée à 200 mètres de là, c’est une grotte presque fantasmatique qu’on peut visiter aujourd’hui sur Internet. Véritable sanctuaire de l’humanité, la grotte a enfin un site digne de ce nom (Lascaux), par le Ministère de la Culture.
Notes:
1- Non loin de Santander en Cantabrie.
2- Sur la commune de Montignac, en Dordogne, sur les bords de la Vézère, le berceau de la préhistoire en France. Sur ses bords se trouvent les sites de Laugerie-Haute et Laugerie-Basse, Les Eyzies, Font-de-Gaume, Rouffignac, Saint-Cirq du Bugue, entre autres, tous inscrits au Patrimoine Mondial de l’Unesco.
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Apr 24, 2010 | Passerelle |
Semaine éprouvante qui mérite de se terminer dans le repos, dans la béatitude sacrée d’une bonne grosse semaine de congés. Enfin. Une petite passerelle avant l’été, un répit d’une courte seconde.
L’occasion de se détendre, de se vautrer dans la beauté de la nudité la plus simple, sans penser, sans parler, juste être là et regarder le monde bouger autour de soi. Attendre, regarder les cerisiers en fleur.
Ce sera aussi l’occasion pour moi de travailler à d’autres choses, lire, étudier, classer mes notes, mes livres, des tonnes et des tonnes de feuilles éparpillées.
Et dormir enfin.
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