La Royau­mont de Saint-Louis

Une belle après-midi prin­ta­nière, une bou­teille d’eau coin­cée dans le sac-à-dos entre les objec­tifs et l’ap­pa­reil, deux car­nets dans la poche et c’est par­ti sur les routes du Val-d’Oise, à une tren­taine de kilo­mètres de Paris à vol d’oi­seau, exac­te­ment à la limite qui sépare l’Île de France et la Picar­die, der­rière les champs de col­za, les étangs de pêche et un pay­sage d’une pla­ti­tude mono­tone. Par­tir de l’autre côté, sur la route à contre­point. Arri­vée à Asnières-sur-Oise, au hameau de Baillon.

Abbaye de Royaumont

Royau­mont est une abbaye fon­dée par Louis IX entre 1228 et 1235. Celui qui sera cano­ni­sé pour ses actes de pié­té contrite et sa croi­sade par­tiel­le­ment échouée n’a­vait rien d’un joyeux luron (celui-là même qui mou­rut de dys­en­te­rie au bord de la natio­nale 9) et c’est dans ce lieu de médi­ta­tion qu’il se reti­rait pour com­pul­ser les livres de l’arma­rium du cloître. Le lieu est d’ailleurs ponc­tué de cita­tions des œuvres de Guillaume de Saint-Pathus nar­rant la vie et les habi­tudes ô com­bien… sti­mu­lantes de Louis IX. Prières à tous les repas, et même au milieu d’une nuit géné­ra­le­ment courte (les heures cano­niales ne laissent point le temps de se reposer).
Sa mère, Blanche de Cas­tille était, elle, une habi­tuée d’une autre abbaye du dépar­te­ment, Mau­buis­son qu’elle fon­da en 1241 sur la com­mune de Saint-Ouen-l’Aumône.

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Abbaye de Royaumont

On com­mence la visite par un grand parc ombra­gé très sobre, peu fleu­ri mais la sai­son s’y prête peut-être encore assez mal. Il fait bon flâ­ner dans ces larges allées sous les fleurs des marronniers.

Abbaye de Royaumont

Comme toute abbaye digne de ce nom, on y trouve une église, mais ici, on n’en voit plus que quelques rares élé­ments. En effet, l’in­té­gra­li­té du site ser­vit de fila­ture après que la Révo­lu­tion ait dis­sout les Ordres reli­gieux. En 1792 on ordonne de déman­te­ler l’é­glise pour en uti­li­ser les pierres afin de construire d’autres locaux (il est tou­jours déli­cat de poser un regard moral sur les erreurs du pas­sé, mais tout de même, quel gâchis…). Aujourd’­hui, seule reste la tour nord (res­ca­pée par sa construc­tion com­pacte puis­qu’elle contient un esca­lier), ain­si que quelques piliers indi­quant encore l’emplacement du chœur. Autant dire que l’é­di­fice que l’on a sous les yeux n’a plus grand chose à voir avec le bâti­ment d’o­ri­gine, même si le retour des sœurs de la Sainte-Famille de Bor­deaux a per­mis la res­tau­ra­tion par­tielle et donne une idée cor­recte de l’as­pect d’origine.

Abbaye de Royaumont

Il y est éga­le­ment ques­tion d’une vaste salle qui ser­vait de réfec­toire aux frères convers et donc le car­re­lage que l’on foule au pied est fait d’une immense mosaïque des car­reaux de faïence colo­rée res­tau­rés et repro­duits de manière arti­sa­nale, tels qu’ils étaient lorsque l’ab­baye était encore utilisée.

Abbaye de Royaumont

La visite se ter­mine par un bâti­ment scin­dé en deux par­ties, dont la par­tie cen­trale est sou­te­nu par trente-et-une arches sépa­rées par un vide aujourd’­hui com­blé par des dalles de verre, don­nant en sur­plomb sur un petit canal et sous lequel il aurait été mal venu de pas­ser en des temps recu­lés, puisque ce canal porte le doux nom de… latrines.

Abbaye de Royaumont

Mais le clou de la visite reste tout de même le cloître, et y pas­ser quelques minutes bai­gné par la lumière du soleil, dans le silence d’une cam­pagne douce et d’une après-midi tran­quille a un effet réel­le­ment apaisant.

Loca­li­sa­tion de l’abbaye sur Google Maps.
Toutes les pho­tos de cette jour­née ici, et là pour voir les pho­tos en dia­po­ra­ma.

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L’abs­trac­tion miraculeuse

Avant que je n’é­tu­die l’his­toire de l’art, j’ai pio­ché mes pre­mières expé­riences et mes pre­miers émois dans les pages de volumes aux pages jau­nies et à l’o­deur rance de la Gram­maire des styles qu’on trou­vait encore à l’é­poque aux édi­tions Payot, sur les tables de gra­vures innom­brables sans les­quelles toute approche naïve ne serait que pure perte. L’art se nour­rit de ses propres images, et son his­toire se gave d’exemples et d’illus­tra­tions. Ma mère m’a alors offert la très majes­tueuse His­toire de l’Art de l’es­sayiste anar­chiste et his­to­rien de l’art Élie Faure (parent du géo­graphe — tout aus­si anar­chiste — Éli­sée Reclus), une œuvre monu­men­tale en cinq tomes dont la rédac­tion s’é­tale entre 1919 et 1921 et qui aujourd’­hui reste abso­lu­ment incon­tour­nable. Je replonge dans ces pages lestes, dénuées de la lour­deur aca­dé­mique des écrits trop sou­vent conven­tion­nels et intel­lec­tua­listes de l’é­poque et de ces mots aériens pleins de formes, on goûte la saveur de la simplicité.

La base de l’é­di­fice humain est faite de décou­vertes quo­ti­diennes, et ses plus hautes tours sont des entas­se­ments patients de géné­ra­li­sa­tion pro­gres­sives. L’homme a copié la forme de ses outils de chasse et l’in­dus­trie sur les becs, les dents et les griffes, il a emprun­té aux fruits leurs formes pour ses pre­miers pots. Ses poin­çons, ses aiguilles ont été d’a­bord des épines, des arêtes, il a sai­si dans les lames imbri­quées, les arti­cu­la­tions et les fer­moirs des os l’i­dée des char­pentes, des join­tures et des leviers. Là est le seul départ de l’abs­trac­tion mira­cu­leuse, des for­mules les plus puri­fiées de toute trace d’ex­pé­rience, du plus haut idéal. Et c’est là que nous devons cher­cher la mesure de notre humi­li­té et de notre force à la fois.

Au contact de Faure, on s’i­ni­tie à l’art dans ce qu’il a de plus fon­da­men­tal ; dans sa vision des choses, reprendre le cours d’une his­toire pro­ve­nant des tré­fonds des âges est une manière de nous faire adhé­rer à l’i­dée qu’il y a une conti­nui­té natu­relle entre l’u­tile de la tech­nique et la fonc­tion esthé­tique de l’art. Sans cette pré­sup­po­si­tion, on risque la fausse route.

L’art est d’a­bord un outil d’u­ti­li­té immé­diate, comme les pre­miers bal­bu­tie­ments du verbe : dési­gner les objets qui l’en­tourent, les imi­ter ou les modi­fier pour s’en ser­vir, l’homme ne va pas au-delà. L’art ne peut être encore un ins­tru­ment de géné­ra­li­sa­tion phi­lo­so­phique qu’il ne sau­rait pas uti­li­ser, mais il forge cet ins­tru­ment, puis­qu’il dégage de son milieu quelques lois rudi­men­taires qu’il applique à son profit.

Elie Faure, His­toire de l’art, t.1
Avant l’his­toire, I (Folio Essais, p.40, 41, impri­mé en 1988)

J’aime me rap­pe­ler ces mots qu’il se plai­sait à répé­ter et dont la pater­ni­té revient à Auguste Renoir:

Ne me deman­dez pas si la pein­ture doit être objec­tive ou sub­jec­tive. Je vous avoue­rai que je m’en fous.

Concer­nant les rap­ports entre Élie Faure et Auguste Renoir, je trouve dans la pré­face de Mar­tine Cha­te­lain-Cour­tois les mots dans les­quels on sai­sit la figure maî­tresse de Faure, maître avant tout, per­son­nage charismatique :

Le pas­se­port de Faure Élie-Paul-Jacques, qui donne des confé­rences sur l’art dans le monde entier en 1931–1932, indique : « Pro­fes­sion : Méde­cin ». Et Renoir, qui appré­ciait d’au­tant plus la modes­tie du grand écri­vain qu’il se vou­lait lui-même un simple « ouvrier de la pein­ture », par­ta­geait avec son « cher doc­teur » un silence com­plice en évi­tant les dis­cus­sions d’es­thé­tique, et en lui par­lant avec humour de ses hémor­roïdes — quitte à dire le bien qu’il pen­sait de son œuvre quand Élie Faure n’é­tait plus là.

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Sar­ra­si­nades

Pen­dant des années où j’ai consom­mé des galettes de blé noir four­rés à la tomate, à l’œuf et au fro­mage (plus connue sous le terme géné­rique de “com­plète”), je me suis deman­dé d’où venait le terme et sur­tout, qu’est-ce qu’est le blé noir, ou sar­ra­sin ? Il se trouve que ce blé noir, ou blé sar­ra­sin (il tire son nom de l’ex­cep­tion­nelle facul­té des occi­den­taux à attri­buer à l’é­tran­ger loin­tain tout ce qu’ils ne connaissent pas, alors qu’il vient d’A­sie du nord-est, région assez pauvre en Sar­ra­sins) n’a en fait rien à voir avec le blé, mais en plus n’a rien d’une graminée. 

C’est une plante de la famille des poly­go­na­cées, dans laquelle on trouve éga­le­ment les renouées, la rhu­barbe et l’o­seille et dont les graines sont uti­li­sées pour leur absence de glu­ten, ce qui en fait un ali­ment de choix pour ceux qui y sont into­lé­rants. Lar­ge­ment uti­li­sé en Bre­tagne, il est cepen­dant en voie de raré­fac­tion en France, chas­sé par des cultures plus ren­tables, comme le blé et le maïs, ce qui est d’au­tant plus dom­mage que c’est une plante mellifère.

L’autre accep­ta­tion du terme désigne un sens mal connu. Si on se doute que le Sar­ra­sin est Arabe, on ne lui connait pas vrai­ment de pays, ni de reli­gion du moins à l’é­poque où le terme se géné­ra­lise, puisque les terme de musul­man ou d’islam ne sont uti­li­sés que tar­di­ve­ment res­pec­ti­ve­ment au XVIè et XVIIè siècle. On ne sait pas grand chose de lui et c’est pré­ci­sé­ment ce qui fait peur. Oui, l’his­toire se répète et ne se renou­velle guère…
Voi­ci ce qu’en dit Wiki­pé­dia, mais il semble que géné­ra­le­ment, ce soit la défi­ni­tion d’Isi­dore de Séville qui fasse foi :
Le terme sar­ra­sin pro­vien­drait, d’après cer­tains, de l’arabe شرقيين shar­qiyyīn (orien­taux). Selon d’autres, le mot vient de sara­ke­noi en grec ancien, qui a don­né en bas latin Sar­ra­ce­nus (plu­riel: Sar­ra­ce­ni), ce qui a fait dire à Isi­dore de Séville (VIIe siècle):

« Les Sar­ra­sins vivent dans le désert. On les appelle aus­si les Ismaé­lites, comme l’en­seigne le Livre de la Genèse, car ils des­cendent d’Is­maël (fils d’A­bra­ham). Ils sont éga­le­ment nom­més Haga­ré­niens car ils des­cendent d’Ha­gar (esclave et concu­bine d’A­bra­ham, mère d’Is­maël). Il s’ap­pellent eux-mêmes Sar­ra­sins, on l’a dit avec quelque per­ver­si­té, car ils se flattent men­son­gè­re­ment de des­cendre de Sarah (femme légi­time d’Abraham). »

— Isi­dore de Séville, Éty­mo­lo­gies, IX,2,57 Ed. W.M. Lind­say, Oxford 1911 (cité in La croix et le crois­sant de Richard A. Flet­cher).

A l’é­poque d’I­si­dore, Séville n’a encore rien à voir avec l’Es­pagne, mais fait par­tie inté­grante du Royaume Wisi­goth, héri­tier des Grandes Inva­sions bar­bares et dont la capi­tale est Tou­louse. Les Wisi­goths (Goths de l’Ouest), chas­sés de Tou­louse par Clo­vis 1er, ils ins­tallent leur capi­tale à Tolède .
C’est à cette époque que nait le nom don­né à la région d’Anda­lou­sie.
Selon Heinz Halm, le terme Anda­lou­sie vien­drait de l’ex­pres­sion wisi­go­thique « *lan­da-hlauts » dési­gnant l’« attri­bu­tion des terres par tirage au sort », ce qui parait le plus pro­bable, mais il faut quand même savoir qu’on a long­temps cru que le terme signi­fiait “Atlan­tide” ou terre des Van­dales (du ber­bère : al-Anda­lus, pro­ve­nant lui-même de Wan­dal).

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Dans l’in­ti­mi­té obs­cure de Lascaux

Son­gez à Mar­ce­li­no Sanz de Sau­tuo­la qui en 1868 et à sa petite fille Maria, alors âgée de huit ans, qui remar­qua sur les pla­fonds de la grotte de San­tilla­na del Mar(1), des tau­reaux des­si­nés et ornés de cou­leurs sombres. Ils venait de décou­vrir l’un des plus grands sites pré­his­to­riques parié­tal, et les pre­mières publi­ca­tions qui s’en­sui­virent à par­tir de 1876 firent décou­vrir au monde occi­den­tal le reli­quat de leur his­toire antédiluvienne.
Son­gez à la gran­deur de l’in­ven­tion. Son­gez à l’é­mo­tion que cela doit être d’é­treindre ain­si les marques des pré­misses de l’humanité.
Son­gez à ce qu’on appelle aujourd’­hui la grotte d’Al­ta­mi­ra et à l’en­goue­ment sou­dain qu’a sus­ci­té cette décou­verte pour l’hu­ma­ni­té toute entière, et à toutes les voca­tions de cher­cheurs en com­men­çant par celui qui don­na sa lettres de noblesse à la Pré­his­toire, l’ab­bé Hen­ri Breuil.
Son­gez à ce même Hen­ri Breuil qui en sep­tembre 1940 fut le pre­mier spé­cia­liste à visi­ter le site ô com­bien majes­tueux de Las­caux(2), après qu’une bande de gamins ait décou­vert une toute petite cavi­té dans laquelle leur chien ten­tait de s’in­tro­duire. Ils en firent le site le plus excep­tion­nel décou­vert à ce jour, même si ces dimen­sions res­tent modestes avec ses 250 mètres de long (la par­tie infé­rieure étant dif­fi­ci­le­ment acces­sible à cause de la pré­sence d’un fort taux de dioxyde car­bone) et aus­si un des plus contro­ver­sés sur le plan poli­tique puisque les quelques années d’ex­ploi­ta­tion tou­ris­tique qui lui ont per­mis une telle noto­rié­té ont eu rai­son des mil­liers d’an­nées de pré­ser­va­tion dans l’obs­cu­ri­té qui l’ont fait par­ve­nir intacte jus­qu’à notre époque.
Aujourd’­hui fer­mée et copiée à 200 mètres de là, c’est une grotte presque fan­tas­ma­tique qu’on peut visi­ter aujourd’­hui sur Inter­net. Véri­table sanc­tuaire de l’hu­ma­ni­té, la grotte a enfin un site digne de ce nom (Las­caux), par le Minis­tère de la Culture.

Notes:

1- Non loin de San­tan­der en Cantabrie.

2- Sur la com­mune de Mon­ti­gnac, en Dor­dogne, sur les bords de la Vézère, le ber­ceau de la pré­his­toire en France. Sur ses bords se trouvent les sites de Lau­ge­rie-Haute et Lau­ge­rie-Basse, Les Eyzies, Font-de-Gaume, Rouf­fi­gnac, Saint-Cirq du Bugue, entre autres, tous ins­crits au Patri­moine Mon­dial de l’U­nes­co.

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Mini­ma­liste du same­di matin #5

Semaine éprou­vante qui mérite de se ter­mi­ner dans le repos, dans la béa­ti­tude sacrée d’une bonne grosse semaine de congés. Enfin. Une petite pas­se­relle avant l’é­té, un répit d’une courte seconde.
L’oc­ca­sion de se détendre, de se vau­trer dans la beau­té de la nudi­té la plus simple, sans pen­ser, sans par­ler, juste être là et regar­der le monde bou­ger autour de soi. Attendre, regar­der les ceri­siers en fleur.
Ce sera aus­si l’oc­ca­sion pour moi de tra­vailler à d’autres choses, lire, étu­dier, clas­ser mes notes, mes livres, des tonnes et des tonnes de feuilles éparpillées.
Et dor­mir enfin.

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