Textes sacrés, contes tra­di­tion­nels et lit­té­ra­tures orales

Lorsque j’é­tais gamin et que j’é­tais en vacances  en Bre­tagne, au 216 rue de la gare à Ploua­ret, je me suis long­temps deman­dé pour­quoi cette étrange mai­son avait son rez-de-chaus­sée rue Fran­çois-Marie Luzel (Fañch an Uhel) alors que quand on mon­tait au pre­mier étage, on était encore au rez-de-chaus­sée, mais rue de la gare. Par contre, je ne me suis deman­dé que très très tard qui était Fran­çois-Marie Luzel. Dans ma famille, du côté de mon père, tra­di­tion bigote et bre­tonne oblige, tout le monde porte au moins quelque part le pré­nom de la Vierge Marie, hommes, femmes ou ani­maux, alors que celui-ci s’ap­pelle Fran­çois-Marie ne m’a jamais cho­qué. Luzel, on retrouve son buste sur la place de l’é­glise de Ploua­ret, mais cela ne dit en rien sa qua­li­té et son his­toire. Luzel était un per­son­nage notable, né en 1821 au Vieux-Mar­ché, com­mune voi­sine de Ploua­ret, au manoir de Keram­borgne-Bras que l’on peut encore voir aujourd’­hui (en cher­chant bien, il faut vrai­ment connaître le coin). Ami d’Ernest Renan, celui-ci lui four­ni­ra l’ap­pui néces­saire pour mener à bien son tra­vail de col­lecte des lit­té­ra­tures orales en Basse-Bre­tagne. A cette époque, les tra­di­tions orales sont répu­tées faire par­tie du quo­ti­dien, les soirs d’hi­ver sont dédiées aux veillées, ces moments d’in­ti­mi­té fami­liale où les langues se délient, où l’i­ma­gi­na­tion court comme un kor­ri­gan(1) sur la lande et sur­tout, où l’on per­pé­tue la mémoire des anciens et les récits dans les­quels sont encap­su­lés la morale, la tra­di­tion, des struc­tures struc­tu­rantes qui sont à la fois de l’ordre du poli­tique, du cultu­rel, de l’his­toire, du social, du reli­gieux et du psychologique.
C’est dans ce contexte, en fai­sant connais­sance avec la fier­té locale ploua­re­taise que plus glo­ba­le­ment tout natu­rel­le­ment je me suis inté­res­sé aux tra­di­tions orales.
Tout ceci tient du para­doxe: les lit­té­ra­tures dites orales n’en sont en fait pas tant qu’elles ne sont pas écrites, auquel cas elles ne sont plus orales. Elles consti­tuent un patri­moine énorme mais en rapide voie d’ex­tinc­tion, qui heu­reu­se­ment a été en par­tie sau­vé et conti­nue de l’être jour après jour grâce aux col­lec­teurs qui battent la cam­pagne aux quatre coins du monde.

Voi­ci deux sources qui per­met­tront de décou­vrir une mul­ti­tude de textes, le pre­mier site pour les textes sacrés mais qui reprend éga­le­ment des textes de William Jen­kyn Tho­mas par exemple et nombre de recueils de légendes de tous les pays et de toutes les civi­li­sa­tions, le second est un site que je connais depuis long­temps, tenu par le Dr Ash­li­man est un index de bon nombre de textes mytho­lo­giques fon­da­teurs et de contes tra­di­tion­nels, clas­sés selon les types du sys­tème Aarne-Thomp­son-Uther (à ma connais­sance, c’est le seul site qui soit aus­si com­plet au regard de cette clas­si­fi­ca­tion) . Une mine d’or (uni­que­ment en anglais).

  1. Sacred texts
  2. Folk­lore and Mytho­lo­gy Elec­tro­nic Texts

Notes:
(1) Je viens d’ap­prendre le mot hypo­co­ris­tique

J’ai éga­le­ment retrou­vé un lien qui recense diverses his­toires du Hod­ja cité dans un billet précédent.

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L’u­ni­vers des formes

Apprendre l’art néces­site plus que des des­crip­tions. Son his­toire est pétrie de toutes les diver­si­tés des peuples du monde et de mys­tères qui res­te­ront peut-être à jamais scel­lés der­rière le mor­tier des temples les plus anciens, et c’est pré­ci­sé­ment cela qui le rend attrayant. Tou­te­fois, apprendre l’art sans le voir, c’est un peu comme res­ter au pied de la pyra­mide et ne pas pou­voir y entrer, une incroyable frus­tra­tion, ça a besoin de texte mais aus­si d’i­mages, de repro­duc­tions qu’on ido­lâtre comme de saintes icônes parce que l’i­so­le­ment dans les musées, leur éloi­gne­ment et par­fois même l’i­so­le­ment dans des caves à l’a­bri de l’hu­mi­di­té, de la lumière et des yeux mal­veillants du public, tout ceci nous rend le témoi­gnage du pas­sé peu ver­beux. Mal­raux avait cette vision des choses :

« Il appar­tient à l’his­toire de don­ner aux œuvres toute leur part du pas­sé, mais il appar­tient à cer­taines images d’en révé­ler l’é­nig­ma­tique part de pré­sent, sans laquelle l’his­toire de l’art devien­drait sœur de celle du cos­tume ou de l’ameublement. »

André Mal­raux, L’U­ni­vers des formes, Gal­li­mard, 1960

Pour illus­trer cette his­toire, il a vou­lu une immense fresque de la plus belle his­toire de notre huma­ni­té, qui se tra­duit aujourd’­hui par une col­lec­tion unique au monde, L’u­ni­vers des formes, édi­tée par Gal­li­mard en 42 volumes, ven­due à ce jour à plus de 800 000 exemplaires.

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Le ser­mon du Hodja

Nasr Eddin Hod­ja est un per­son­nage mythique de la culture musul­mane, dont les innom­brables aven­tures qu’on lui prête ont été tra­duites, voire écrites dans des dizaines de langues. Ayant rare­ment des ver­tus morales, ses his­to­riettes sont la plu­part du temps drôles, voire coquines. Le Hod­ja est asso­cié à la ville turque de Akşe­hir, où il a sa tombe, répu­tée n’être qu’un canular.

Mosaïques

Nasr Eddin, un jour, est de pas­sage dans une petite ville dont l’i­mam vient de mou­rir. Les habi­tants, pre­nant le voya­geur pour un saint homme, lui demandent de pro­non­cer le ser­mon du ven­dre­di. Il monte en chaire et inter­pelle la nom­breuse assistance :
— Chers frères, savez-vous de quoi je vais vous parler ?
— Non, non, font les fidèles, nous ne le savons pas.
— Com­ment ? s’é­crie Nasr Eddin en colère, vous ne savez pas de quoi je vais vous par­ler dans ce lieu consa­cré à la prière ! Je n’ai rien à faire avec de tels mécréants.
Et le voi­là qui des­cend de la chaire et quitte la mosquée.
Impres­sion­nées par cette sor­tie qui les confirme dans leur convic­tion que l’homme est d’une grande pié­té, les gens s’empressent d’al­ler rat­tra­per le Hod­ja et le sup­plient de reve­nir prê­cher. Il remonte alors en chaire :
— Chers frères, vous savez peut-être à pré­sent de quoi je vais vous parler ?
— Oui, oui, répondent en chœur les fidèles, nous le savons !
— Fils de chiens ! tonne Nasr Eddin. Par deux fois, vous m’im­por­tu­nez pour que je prenne la parole, et vous pré­ten­dez savoir ce que je vais dire !
Il quitte alors de nou­veau les lieux, lais­sant der­rière lui l’as­sem­blée stu­pé­faite : que faut-il donc répondre pour qu’un tel saint accepte de répandre ses lumières ?
Une des per­sonnes de l’as­sis­tance pro­pose que si la ques­tion est encore posée, les uns crient : « Oui, oui, nous le savons ! », et les autres : « Non, non, nous ne le savons pas ! » L’i­dée est rete­nue, et l’on court cher­cher le Hod­ja, qui monte en chaire pour la troi­sième fois :
— Chers frères, savez-vous enfin de quoi je vais vous parler ?
— Oui, oui, répondent cer­tains, nous le savons !
— Non, non, crient d’autres, nous ne le savons pas !
— A la bonne heure, conclut Nasr Eddin. Dans ces condi­tions, que ceux qui savent le disent aux autres.

Sublimes paroles et idio­ties de Nasr Eddin Hod­ja,
trad. J.-L. Mau­nou­ry, Phé­bus Libret­to, 1990

Je dédie ce billet à mon grand-père, qui, j’en suis cer­tain, l’au­rait beau­coup fait rire.

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Abou’l Qasim Al-Tamimi

Des tous les poètes qui com­posent la superbe antho­lo­gie de la Poé­sie Arabe, tra­duite et pré­sen­tée par René R. Kha­wam, chez Phe­bus, il a fal­lu que je m’en­tiche du prince des poètes-truands, Abou’l Qasim Al-Tami­mi. Il gagnait sa vie en écri­vant de petites saillies par­fai­te­ment insul­tantes et drôles dont il fai­sait com­merce auprès des notables qui s’of­fraient ses ser­vices dans les socié­tés pri­vées. Pour­tant, ce sont ici deux poèmes de toute beau­té que je repro­duis ici, agré­men­tés d’un mur­ra­qa conser­vé à la BNF (manus­crit per­san enlu­mi­né) et d’un chant sou­fi issu de l’al­bum Hadra par Fadhel Jazi­ri. A noter qu’E­ve­lyne Lar­guèche a dépo­sé un texte sur l’« insul­teur public » sur le site de la Revue des mondes musul­mans et de la Médi­ter­ra­née (REMMM).

Entre deux vins

Rouge avant le mélange, et fauve après,
le vin appa­raît entre deux tuniques
et nous offre son corps entre deux fleurs :
l’un de nar­cisse, l’autre d’anémone.

Pur, il est à l’i­mage de la joue
rosis­sante de la pucelle aimée ;
et livré au mélange, il a la couleur
de la joue d’or pâli du bel amant.


[audio:vin.xol]

Red­di­tion

Une fille blanche
comme de l’argent
mais le front orné
d’une frange noire…

Vois-là s’a­van­cer,
emprun­tant par ruse
le jais de ses yeux
à quelque antilope !

Pareille beau­té
ne sera vaincue
qu’à la reddition
de ses deux paupières !

Abou’l Qasim Al-Tamimi
Xème siècle

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