Ubud sto­ries #3 : L’en­fer émeraude

Ubud sto­ries #3 : L’en­fer émeraude

L’en­fer émeraude

Ubud sto­ries #3

Comme par hasard, dès qu’on s’é­loigne un peu de la foule mas­sée autour des singes, il n’y a plus per­sonne. Il n’y a plus rien, c’est comme si le monde avait ses fron­tières aux limites de ce qui est écrit dans les guides tou­ris­tiques. Pour­tant, la forêt des singes ne manque pas d’of­frir des sur­prises à celui qui fuit ceux qui marchent sans s’arrêter.

La forêt prend le des­sus, les racines cachent une vie qui ose par­fois se mon­trer, les ficus s’é­lèvent au-des­sus de la cano­pée et les nœuds qui s’en­foncent dans la terre laissent pré­sa­ger d’une vie grouillante, faite d’é­cailles et de reptations…

Il suf­fit de prendre les che­mins de tra­verse, mal­gré la touf­feur et la fatigue qui m’étreignent.

Il suf­fit de se rendre là où les che­mins des­cendent vers le cours d’une rivière qu’on entend chu­cho­ter un peu plus bas, mal­gré les rires bruyants.

Quelque chose me dit que je vais trou­ver un trésor.

Une volée de marches enca­drée par le corps immense de deux nagas ser­pente jus­qu’à une pla­te­forme qui donne sur un petit pont.

Par­tout, cachées, des fon­taines chantent dans l’air humide, des corps de femmes ondu­lant ou des monstres aux dents redoutables.

En sur­plomb de la rivière, on peut voir le corps de deux dra­gons de Komo­do, ani­mal sym­bo­lique de l’In­do­né­sie, qui mal­gré son aspect repous­sant et la dan­ge­ro­si­té de sa salive dont il se sert pour fou­droyer ses proies, ter­ras­sées par une sep­ti­cé­mie éclair, garde quelque chose de majes­tueux lors­qu’il déplace son corps mas­sif avec grâce.

Arri­vé tout en bas de la petite val­lée, un autre temple trône sur un sol dal­lé. Deux cahutes au toit de chaume de riz, et sur­tout ces colonnes qui sont comme des temples minia­tures qu’on trouve un peu par­tout sur l’île… Lorsque la reli­gion se mêle à la nature.

Je suis dans un enfer vert, peu­plé de créa­tures ter­ri­fiantes, toute en ron­deur, dans une cha­leur acca­blante, un enfer cou­leur d’é­me­raude, où les ombres dansent au gré du vent dans les hautes branches, sous un soleil qui tente de per­cer le feuillage.

L’a­près-midi est bien avan­cée mais la cha­leur ne semble pas vou­loir s’at­té­nuer. Je n’ai qu’une hâte, trou­ver de quoi man­ger et aller me repo­ser un peu, mais quelque chose me dit qu’il reste encore des lieux à décou­vrir dans les parages, avant d’a­va­ler un grand bol de mie goreng.

Moment récol­té le 21 février 2014. Écrit le 24 jan­vier 2019.

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Ubud sto­ries #2 : Pura Dalem Agung Padangtegal

Ubud sto­ries #2 : Pura Dalem Agung Padangtegal

Pura Dalem Agung padang tegal

Ubud sto­ries #2

Pura Dalem Agung Padang­te­gal, un haut lieu de la culture bali­naise et de la reli­gion. Bali est sur­nom­mé l’Île des dieux car c’est la seule île de l’Ar­chi­pel indo­né­sien à pra­ti­quer le boud­dhisme en majo­ri­té. Dans un pays à très grande majo­ri­té musul­mane, Bali est un bas­tion d’une reli­gion qui compte des dieux par milliers.

Ici est le lieu de dévo­tion au dieu suprême Sang Hyang Wid­hi Wasa, connu aus­si sous le nom d’A­cin­tya, ou Tung­gal. Dans le boud­dhisme bali­nais, il n’y a pas de dieu supé­rieur à celui-ci, à l’o­ri­gine de tout, l’é­qui­valent de Brah­ma dans le boud­dhisme tra­di­tion­nel. Je m’en ren­drai par­ti­cu­liè­re­ment compte plus tard lorsque je visi­te­rai l’en­ceinte de la forêt des singes.

C’est un petit temple dans lequel on ne peut pas entrer. Toute la res­pec­ta­bi­li­té du lieu trans­pire dans les innom­brables sta­tues qui en forment l’en­ceinte de pierre. La pierre est noire, très cer­tai­ne­ment vol­ca­nique et poreuse, ce qui per­met à une végé­ta­tion micro­sco­pique de s’y atta­cher et de pros­pé­rer dans des condi­tions d’hu­mi­di­té opti­males. Je touche cette pierre végé­tale et me laisse impré­gner par la dou­ceur de cette vie qui pros­père sur les ves­tiges du passé.

Au milieu de la cour du temple, vierge de toute pré­sence, se trouve un sanc­tuaire recou­vert de paille de riz, au toit légè­re­ment ren­flé, au milieu duquel se trouve un trône vide ; c’est la repré­sen­ta­tion la plus com­mune du dieu. Le vide est son attri­but. Pré­sent sans l’être, omni­po­tent sans être repré­sen­té, il est l’in­car­na­tion de cette dualité.

Ce qui me frappe sur­tout en ces lieux, c’est la mul­ti­pli­ci­té des créa­tures qui ornent les limites du temple. Monstres gri­ma­çants, visages aux yeux exor­bi­tés, désaxés, faciès aux dents poin­tues, billes rondes presque ridi­cules, cer­taines sont armées de masses et de gour­dins impres­sion­nants… Tous sont recou­verts de la même mousse verte intense. L’ombre des grands arbres joue avec les reliefs de ces per­son­nages cen­sés repous­ser les esprits malins. Les bas-reliefs fine­ment cise­lés témoignent de la richesse et de l’im­por­tance des lieux dans les croyances.

Je me sens bai­gné d’une atmo­sphère pro­tec­trice, tan­dis que le soleil éclate et que l’air semble se faire rare tant l’hu­mi­di­té est pré­gnante. Pen­dant ce temps-là, la horde joyeuse des Chi­nois et des Aus­tra­liens conti­nue de se prendre en pho­to par­mi les singes pour les­quels je n’ai qu’une petite pen­sée… Et s’ils chas­saient ces intrus de leur ter­ri­toire ? Une bonne fois pour toute.

Moment récol­té le 21 février 2014. Ecrit le 23 jan­vier 2019.

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Ubud sto­ries #1 : la forêt des singes

Ubud sto­ries #1 : la forêt des singes

La forêt des singes

Ubud sto­ries #1

Ubud, capi­tale de l’île de Bali, ville chao­tique coin­cée dans le réseau com­plexe des rizières inon­dées. Je suis arri­vé ce matin, à peine sor­ti de l’hô­tel où je viens de poser mes valises après un voyage érein­tant. Je ne suis que l’ombre de moi-même, acca­blée par la cha­leur écra­sante de cette fin du mois de février. Le contraste est d’au­tant plus sai­sis­sant qu’à Paris c’est l’hiver.

La forêt des singes est en réa­li­té l’en­ceinte d’un temple, le Pura Dalem Agung, un des plus vieux temples de Bali, éri­gé vers 1350 et qui est deve­nu le ter­ri­toire d’une horde impres­sion­nante de macaques cra­biers. A l’en­trée, une gué­rite pro­pose de régimes de petites bananes pour nour­rir les hôtes de cette forêt qui se comptent par cen­taines. L’un d’eux tient en équi­libre sur une ram­barde, à deux doigts de pas­ser cul par-des­sus tête et en pro­fite pour me mon­trer (j’en déduis que c’est une femelle) ses mamelles pen­dantes sans la moindre pudeur.

Je ne sais pas vrai­ment ce que je fais ici, par­mi des bouf­fons en short qui se prennent ou se font prendre en pho­to par­mi les singes. Va savoir qui est le plus singe dans cette his­toire. Cer­tains sont atten­dris­sants avec leurs petits cachés dans leur giron. Il est ques­tion des singes, évi­dem­ment. D’autres sont très agres­sifs et coursent les tou­ristes qui s’ap­prochent un peu trop d’eux. Rien de tout ça ne m’é­meut vrai­ment et je pré­fère aller voir le temple qui est le véri­table inté­rêt du lieu.

Dans mon car­net de voyage, les singes n’oc­cupent que trois petites lignes, allez savoir pour­quoi. Il fait chaud et j’ai hâte de décou­vrir toutes les sur­prises que me réservent ces lieux.

Moment récol­té le 21 février 2014. Ecrit le 22 jan­vier 2019.

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Lettres de voyage

Lettres de voyage

Alors que ma main tremble légè­re­ment à cause d’une ten­di­nite qui a cru bon de s’ins­tal­ler et ne pas vou­loir reprendre son envol depuis deux mois, alors que mon bras est endo­lo­ri et réclame le repos qui lui est dû, je conti­nue d’é­crire sur mon car­net avec une cer­taine emphase, vidant la car­touche d’encre qui se répand sur le papier épais, et contre toute attente, il me semble écrire si vite que l’encre peine à des­cendre de son fût au bon rythme, la plume racle alors le papier dans un désa­gréable cris­se­ment lisse qui m’a­gace autant par son bruit mal­ve­nu que par cette inca­pa­ci­té de l’ou­til à suivre mon désir. Je ne pen­sais pas pou­voir réécrire un jour autant, si vite, avec autant d’ai­sance, moi qui suis deve­nu l’es­clave au quo­ti­dien d’un cla­vier habi­tué désor­mais à ne plus taper que des compte-ren­dus de réunions, dres­ser des tableaux de cal­culs imbi­tables et rem­plir des cases dans des dos­siers de demandes de sub­ven­tions. Le flux ne m’a visi­ble­ment jamais quit­té. Ce n’é­tait appa­rem­ment qu’une ques­tion de paresse.

Ce n’est une bonne nou­velle que pour moi, qui n’a pas vrai­ment d’in­ci­dence sur l’ordre des choses, ni sur le cours de l’exis­tence. Mon jour­nal troué a repris vie là où je m’é­tais arrê­té, aga­cé cer­tai­ne­ment par des tranches de vie où je ne sup­por­tais plus d’a­voir sur le dos des emmerdes dans les­quelles je m’é­tais four­ré seul, et non content de les avoir exor­ci­sées, j’ai fini par croire que la fata­li­té n’est pas une orien­ta­tion qu’il faut suivre aveu­glé­ment. Rien n’ar­rive pas hasard, mais rien non plus n’est défi­ni­tif, et les revers de for­tune ne sont que des pierres blanches que le temps finit par recou­vrir de mousse. Oui, il faut avoir l’es­prit dis­po­nible et pour cela, on doit par­fois éva­cuer les gens qui vous pol­luent, parce que mal­veillants, sots, ou cal­cu­la­teurs. Hop. Fini. Der­rière. J’ai pris soin de relire ce que j’a­vais écrit là où j’a­vais lais­sé les choses se faire ; j’ai alors mesu­ré à quel point j’ai été idiot. Aujourd’­hui, je reprends l’é­cri­ture, mais pas que. J’é­cris des lettres de mes voyages, illus­trées. Le livre que j’ai écrit est figé dans le temps, il cor­res­pond à une époque et sera sans suite. Je passe à autre chose, qui me pren­dra du temps mais qui cor­res­pond plus désor­mais à ma façon de voya­ger. Ce que j’y recherche n’est pas tant le goût du dépay­se­ment que le sou­hait de me confron­ter à l’in­con­nu. Il y a mille façon de se faire cha­hu­ter au quo­ti­dien, mais rien ne cha­hute autant que l’in­des­crip­tible monde facé­tieux qui s’ouvre aux fron­tières de chez nous ; et quand je dis aux fron­tières, c’est à la porte, là, dehors, une fois le seuil pas­sé du por­tail. Alors voi­là, je n’ai plus de limites, je m’en­traîne là où j’ai le désir d’al­ler, dans des péré­gri­na­tions réelles ou ima­gi­nées, au fil de pages qui seront l’ex­pres­sion sin­cère de mes envies et de mes dési­rs, avec de temps en temps des extraits de L’u­sage du monde, de Nico­las Bou­vier, comme celui-ci où il est ques­tion des mouches asia­tiques, dont seul lui sait par­ler avec autant de réa­lisme et de poé­sie mêlés. 
Lettres de voyages — Car­net. Page 1
J’aurai long­temps vécu sans savoir grand-chose de la haine. Aujourd’hui j’ai la haine des mouches. Y pen­ser seule­ment me met les larmes aux yeux. Une vie entiè­re­ment consa­crée à leur nuire m’apparaîtrait comme un très beau des­tin. Aux mouches d’Asie s’entend, car, qui n’a pas quit­té l’Europe n’a pas voix au cha­pitre. La mouche d’Europe s’en tient aux vitres, au sirop, à l’ombre des cor­ri­dors. Par­fois même elle s’égare sur une fleur. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, exor­ci­sée, autant dire inno­cente. Celle d’Asie, gâtée par l’abondance de ce qui meurt et l’abandon de ce qui vit, est d’une impu­dence sinistre. Endu­rante, achar­née, escar­bille d’un affreux maté­riau, elle se lève matines et le monde est à elle. Le jour venu, plus de som­meil pos­sible. Au moindre ins­tant de repos, elle vous prend pour un che­val cre­vé, elle attaque ses mor­ceaux favo­ris : com­mis­sures des lèvres, conjonc­tives, tym­pan. Vous trouve-t-elle endor­mi? elle s’aventure, s’affole et va finir par explo­ser d’une manière bien à elle dans les muqueuses les plus sen­sibles des naseaux, vous jetant sur vos pieds au bord de la nau­sée. Mais s’il y a plaie, ulcère, bou­ton­nière de chair mal fer­mée, peut-être pour­rez-vous tout de même vous assou­pir un peu, car elle ira là, au plus pres­sé, et il faut voir quelle immo­bi­li­té gri­sée rem­place son odieuse agi­ta­tion. On peut alors l’observer à son aise : aucune allure évi­dem­ment, mal caré­née, et mieux vaut pas­ser sous silence son vol rom­pu, erra­tique, absurde, bien fait pour tour­men­ter les nerfs – le mous­tique, dont on se pas­se­rait volon­tiers, est un artiste en com­pa­rai­son. Cafards, rats, cor­beaux, vau­tours de quinze kilos qui n’auraient pas le cran de tuer une caille; il existe un entre-monde cha­ro­gnard, tout dans les gris, les bruns mâchés, beso­gneux aux cou­leurs minables, aux livrées subal­ternes, tou­jours prêts à aider au pas­sage. Ces domes­tiques ont pour­tant leurs points faibles – le rat craint la lumière, le cafard est timo­ré, le vau­tour ne tien­drait pas dans le creux de la main – et c’est sans peine que la mouche en remontre à cette pié­taille. Rien ne l’arrête, et je suis per­sua­dé qu’en pas­sant l’Ether au tamis on y trou­ve­rait encore quelques mouches. Par­tout où la vie cède, reflue, la voi­là qui s’affaire en orbes mes­quines, prê­chant le Moins – finissons-en…renonçons à ces pal­pi­ta­tions déri­soires, lais­sons faire le gros soleil – avec son dévoue­ment d’infirmière et ses mau­dites toi­lettes de pattes. L’homme est trop exi­geant: il rêve d’une mort élue, ache­vée, per­son­nelle, pro­fil com­plé­men­taire du pro­fil de sa vie. Il y a tra­vaille et par­fois il l’obtient. La mouche d’Asie n’entre pas dans ces dis­tinc­tions-là. Pour cette salope, mort ou vivant c’est bien pareil et il suf­fit de voir le som­meil des enfants du Bazar (som­meil de mas­sa­crés sous les essaims noirs et tran­quilles) pour com­prendre qu’elle confond tout à plai­sir, en par­faite ser­vante de l’informe. Les anciens, qui y voyaient clair, l’ont tou­jours consi­dé­rée comme engen­drée par le Malin. Elle en a tous les attri­buts : la trom­peuse insi­gni­fiance, l’ubiquité, la pro­li­fé­ra­tion fou­droyante, et plus de fidé­li­té qu’un dogue (beau­coup vous auront lâché qu’elle sera encore là). Les mouches avaient leurs dieux : Baal-Zeboub (Bel­zé­buth) en Syrie, Mel­kart en Phé­ni­cie, Zeus Apo­myios d’Elide, aux­quels on sacri­fiait, en les priant bien fort d’aller paître plus loin leurs infects trou­peaux. Le Moyen-Age les croyait nées de la crotte, res­sus­ci­tées de la cendre, et les voyait sor­tir de la bouche du pécheur. Du haut de sa chaire, saint Ber­nard de Clair­vaux les fou­droyait par grappes avant de célé­brer l’office. Luther lui-même assure, dans une de ses lettres, que le Diable lui envoie ses mouches qui “ “conchient son papier” “. Aux grandes époques de l’empire chi­nois, on a légi­fé­ré contre les mouches, et je suis bien cer­tain que tous les Etats vigou­reux se sont, d’une manière et de l’autre, occu­pés de cet enne­mi. On se moque à bon droit – et aus­si parce que c’est la mode – de l’hygiène mala­dive des Amé­ri­cains. N’empêche que, le jour où avec une esca­drille les­tée de bombes DDT ils ont occis d’un seul coup les mouches de la ville d’Athènes, leurs avions navi­guaient exac­te­ment dans les sillages de saint Georges.
 
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Une pluie de Bouddhas

Une pluie de Bouddhas

Des Boud­dhas comme s’il en pleu­vait, un mil­lion peut-être, peut-être plus, mais des myriades de Boud­dhas. Des Boud­dhas dans des niches dorées, accom­pa­gnés dans leur éveil de cen­taines de petits bâton­nets rouges à la pointe incan­des­cente des­si­nant dans l’air chaud des volutes incom­pré­hen­sibles et poin­tant du doigt le sens du vent, char­riant une odeur âcre et par­fu­mée qui embaume l’air où que l’on se trouve. Ici ou là, tout nous rap­pelle que la terre que nous fou­lons n’est ni plus ni moins qu’un espace de tran­si­tion entre notre exis­tence faite de chair et le monde vapo­reux des esprits et des dieux ; l’exis­tence des dieux ne fait pas de doutes, ils sont par­tout autour de nous et on nous rap­pelle sans cesse que le Prince Sid­dhar­tha passe son temps à se battre contre la ten­ta­tion de Māra et qu’il prend la terre à témoin dans la posi­tion du Bhû­mis­par­sha-Mudrā. Toute vie ne dure, en réa­li­té, qu’un seul et bref ins­tant de conscience…

Peu importe le nombre qu’ils repré­sentent, c’est la myriade qui fait sens, l’in­con­grue et imper­ma­nente mul­ti­pli­ci­té singulière.

Sym­bole de la dynas­tie Chakri

Pen­dant ce temps, la Thaï­lande mil­lé­naire vit son petit bon­homme de che­min dans l’ère moderne. Le bon roi Rama IX, Bhu­mi­bol Adu­lya­dej (ภูมิพลอดุลยเดช), mort en 2016 après un règne d’une lon­gé­vi­té excep­tion­nelle (70 ans, 4 mois et 4 jours, pen­dant les­quels il a tout de même épui­sé 26 pre­miers ministres) et une fin de règne mar­quée par un teint cireux et figé, a fina­le­ment lais­sé sa place à son suc­ces­seur. Dans la dynas­tie Cha­kri qui tient le pou­voir (oui enfin plus trop) depuis 1792, il reste quatre des­cen­dants, tous affu­blés de petits noms faciles à retenir.

  • Une pre­mière fille : Ubol­ra­ta­na Raja­ka­nya Siri­vadha­na Bar­na­va­di (อุบลรัตนราชกัญญา สิริวัฒนาพรรณวดี)
  • Un pre­mier fils : Maha Vaji­ra­long­korn Bodin­dra­de­baya­va­rang­kun (มหาวชิราลงกรณ บดินทรเทพยวรางกูร)
  • Som­dech Phra Deba­rat­ta­na­ra­ja­su­da Chao Fa Maha Cha­kri Sirind­horn Rat­tha­si­ma­gu­na­korn­piya­jat Sayam­bo­ro­ma­ra­ja­ku­ma­ri (สมเด็จพระเทพรัตนราชสุดา เจ้าฟ้ามหาจักรีสิรินธร รัฐสีมาคุณากรปิยชาติ สยามบรมราชกุมารี)
  • Som­det Phra­chao Luk Thoe Chao­fa Chu­labhorn Walai­lak Agra­ra­ja­ku­ma­ri (สมเด็จพระเจ้าลูกเธอ เจ้าฟ้าจุฬาภรณวลัยลักษณ์ อัครราชกุมารี)

Et c’est bien évi­dem­ment le gar­çon qui a rem­por­té le coco­tier sous le nom de Rama X et qu’on appel­le­ra pour plus de com­mo­di­té, Vaji­ra­long­korn. Mais voi­là, ce n’est pas un roi comme les autres. On l’a vu des­cendre d’un avion sim­ple­ment vêtu d’un top crop lais­sant appa­raître ses tatouages et d’un jean taille basse, pre­nant dans ses bras un caniche cer­tai­ne­ment royal. Pour faci­li­ter la vie à la famille royale, il s’est marié à une rotu­rière dont la moi­tié de la famille a été accu­sée de cor­rup­tion et crou­pit actuel­le­ment dans une geôle tro­pi­cale. Peu inté­res­sé par les choses du pou­voir, il a déci­dé de gou­ver­ner la Thaï­lande depuis son nid d’aigle bava­rois en lais­sant les affaires cou­rantes à ses sœu­rettes. Voi­là la Thaï­lande dans de beaux draps. Per­sonne ne vous le dira, mais tout le monde regrette le bon roi Rama IX, modèle de ver­tu et de sagesse…

Alors voi­là. La Thaï­lande revient dans la dis­cus­sion. J’aime les redites lorsque tout me convient. J’aime mar­cher à nou­veau dans mes pas et tant que je ne me lasse pas, je peux remettre ça autant de fois que je le sou­haite. Je fais la liste de toutes ces villes tra­ver­sées, de tous ces temples dans les­quels j’ai pu m’as­seoir, les pieds tour­nés à l’exact oppo­sée des Boud­dhas hié­ra­tiques, de tous ces wat, ubo­sot, che­di et viharn croi­sés sur le bord des routes, des Boud­dhas de la semaine (si vous êtes né un mar­di comme moi, sachez que c’est le jour du Pang Sai Yat, et que si Boud­dha est allon­gé ce jour-là, c’est parce qu’il a rabais­sé la fier­té de Asu­ra Rahu, eh oui…) Je me remé­more les lieux per­dus dans les­quels je me suis moi-même per­du, les petits quar­tiers où l’on mange un bouillon de pou­let et des nouilles sous des bâches sombres qui ont cette fâcheuse ten­dance à gar­der la cha­leur étouf­fante, les places gigan­tesques où la misère a du mal à se ter­rer et que l’on peine à sup­por­ter sous ces lati­tudes tro­pi­cales. Je me refais la liste de toutes ces choses que j’ai vues et dont je n’ai pas par­lé ici, parce que le temps est pré­cieux et que je ne sais même plus par où commencer.

J’ai posé mes valises à Sukho­thaï où j’ai eu tout le loi­sir de me faire dévo­rer par des mous­tiques car­nas­siers, à Phet­cha­bu­ri où je suis arri­vé en train après un voyage rocam­bo­lesque et où je me suis fait cour­ser par un singe grand comme en enfant qui en vou­lait à mon appa­reil pho­to, à Lam­pang où je me suis arrê­té en rase cam­pagne sous une pluie bat­tante pour visi­ter un temple shan qu’au­cune carte ne men­tionne, qu’au­cun guide ne connaît, j’ai vu un temple tout en métal à Bang­kok et l’en­droit pré­cis où l’on décou­pait les corps pour les funé­railles célestes, des Boud­dhas géants per­dus dans les marais, tel­le­ment grands que l’on a l’im­pres­sion qu’ils ont gran­di contraints entre quatre murs, j’ai vu un che­di dans lequel j’ai pu des­cendre et admi­rer des pein­tures du 15è siècle, des élé­phants se bai­gnant dans la rivière et des enfants jeter des bouts de pain pour nour­rir les pois­sons-chats de la Chao Phraya. J’ai vu des chiens errer autour des temples, atten­dant que les moines leur jette une poi­gnée de riz. L’an­née der­nière, j’ai fait une halte à Hanoï où j’ai visi­té le très joli temple de la lit­té­ra­ture et pu contem­pler la dépouille des­sé­chée de Ho Chi Minh et à Ninh Bình où je me suis pro­me­né sur une rivière encas­trée entre des falaises escar­pées rap­pe­lant la baie de Hạ Long. J’ai vu des pagodes dont la taille sur­pas­sait de loin tout ce que j’a­vais pu voir jusque là. Et sur­tout, j’ai bu un café dont je me sou­viens encore des effluves et qui reste gra­vé à tout jamais en moi comme étant l’o­deur de Hanoï.

J’aime la beau­té du monde car cette réa­li­té-là est unique. On n’y voit que la beau­té qu’on ne cherche pas.

[audio:thai/01-CM.mp3]

Il y a cinq ans de cela, je me suis arrê­té à Chiang Mai où je suis arri­vé un jour de mar­ché, c’é­tait un dimanche, j’y ai man­gé des œufs de caille cuits sur une planche et du riz gluant dans l’en­ceinte d’un temple en plein cœur de la ville, sous une cha­leur étouf­fante. L’hymne natio­nal a reten­ti dans les hauts-par­leurs accro­chés aux lam­pa­daires et toute la ville s’est arrê­tée, figée, pour hono­rer le roi. J’ai vu des Boud­dhas, petits, grands, dor­mant, joi­gnant leurs mains, j’ai vu une pluie de Boud­dhas et je ne compte pas m’ar­rê­ter là. Je pars bien­tôt au pays de la pluie de Boud­dhas, des myriades de Boud­dhas.… Peu importe leur nombre…

Pho­to d’en-tête © Chùa Bái Đính (Viet­nam Nord — août 2017)

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