Mogao, et par­ti­cu­liè­re­ment la grotte 17

Mogao, et par­ti­cu­liè­re­ment la grotte 17

Mogao (莫高窟), grottes d’une hau­teur inéga­lée, Dun­huang (敦煌市) ou Touen-Houang, et tous les noms qui y sont asso­ciés, Niko­laï Mikhaï­lo­vitch Prje­vals­ki, celui qui don­na son nom au che­val des steppes, au rou­ge­queue et à la ligu­laire de Chine, Sir Aurel Stein, Paul Pel­liot, l’ab­bé Wáng Yuánlù, mais aus­si le lac et l’oa­sis du Crois­sant de Lune, Yueya­quan (月牙泉) voi­ci ce qui consti­tue un des uni­vers les plus fas­ci­nants dans l’his­toire de la Chine, ou plu­tôt de cette région du monde aujourd’­hui rat­ta­chée à la Chine, non seule­ment à cause de l’ob­jet lui-même de la décou­verte, mais éga­le­ment de ce qu’on peut appe­ler un pillage en bonne et due forme, du fan­tasme de décou­verte lié à cet endroit hors du com­mun et de l’é­trange silence qui est fait aujourd’­hui sur les manus­crits qui y ont été trouvés.

Oasis du Crois­sant de lune — Yueya­quan. Pho­to © Feel planet

A deux pas du désert de Gobi, dans une oasis aux falaises éle­vées, la pierre est creu­sée de 492 cha­pelles boud­dhistes dans les­quelles sont peintes des fresques somp­tueuses, où l’on trouve des sta­tues colos­sales du Boud­dha, mais bien au-delà de ces tré­sors ines­ti­mables dont l’é­mer­gence se situe entre le IVe et le XIVe siècles, que la séche­resse du désert a pu main­te­nir en très bon état, une des plus superbes décou­vertes de l’his­toire de l’hu­ma­ni­té y a été faite par un Anglais dont le nom résonne encore comme l’a­po­gée de la traî­trise aux oreilles des Chi­nois, Sir Aurel Stein. Dans une des grottes, il découvre en 1907 une biblio­thèque murée dont le mur de brique finit par être abat­tu ; la décou­verte y est colos­sale. Près de 50000 docu­ments, objets, sta­tues, ban­nières s’y trouvent dépo­sés depuis une date anté­rieure au XIe siècle. Stein, n’ayant que peu de temps devant lui, arrive à mar­chan­der quelques manus­crits, dont le célèbre Soû­tra du dia­mant. Fina­le­ment, entre ses deux expé­di­tions, il pré­lève près de 20000 docu­ments et objets. Après lui, en 1908, le Fran­çais Paul Pel­liot emporte 10000 objets, dont des textes nes­to­riens et des tra­duc­tions en chi­nois de textes d’ins­pi­ra­tion chré­tienne. C’est la décou­verte de cette grotte, com­mu­né­ment appe­lée grotte 17 que nous raconte Peter Hopkirk.

Wáng Yuánlù, gar­dien des grottes de Dunhuang

Stein écri­vit : « Je n’a­vais rien d’autre à faire qu’attendre. »
Pas pour long­temps, ain­si que la suite devait le prou­ver. Pus tard, au cours de cette nuit-là, Chiang entra silen­cieu­se­ment dans la tente de Stein et sor­tit avec exci­ta­tion plu­sieurs manus­crits cachés sous son man­teau. Stein vit du pre­mier coup d’œil que ces textes rou­lés étaient très anciens. Les dis­si­mu­lant à nou­veau sous ses vête­ments — car le prêtre avait insis­té pour que cela se passe dans le plus abso­lu secret — Chiang s’es­qui­va et rejoi­gnit dis­crè­te­ment sa petite cel­lule de moine située au pied d’un gigan­tesque Boud­dha assis taillé dans la paroi de la falaise. Il pas­sa le reste de la nuit absor­bé dans ces manus­crits, s’ef­for­çant d’i­den­ti­fier ces textes et de déter­mi­ner leurs dates. A l’aube, il revint sous la tente de Stein, « son visage expri­mant à la fois le triomphe et la stu­pé­fac­tion ». Trans­por­té de joie, il lui décla­ra que ces tra­duc­tions chi­noises de soû­tra boud­dhistes por­taient des colo­phons qui per­met­taient d’é­ta­blir que ces textes avaient été tra­duits par Hsuan-tsang lui-même d’a­près des manus­crits ori­gi­naux qu’il avait rap­por­té de l’Inde.
Il s’a­gis­sait d’un extra­or­di­naire pré­sage — « signe divin », comme le qua­li­fiait Stein — que même cet homme inquiet qu’é­tait Wang ne pour­rait man­quer de recon­naître. En effet, lorsque le petit prêtre avait pré­le­vé de sa chambre secrète ces manus­crits-là, il ne pou­vait abso­lu­ment pas savoir que ces docu­ments étaient direc­te­ment liés à Hsuan-tsang. Chiang s’empressa de lui annon­cer la nou­velle. Il assu­ra à Wang qu’il ne pou­vait y avoir qu’une expli­ca­tion : au-delà de sa tombe, Hsuan-tsang avait lui-même choi­si ce moment pour révé­ler ces textes boud­dhistes sacrés à Stein, « afin que son admi­ra­teur et dis­ciple de l’Inde loin­taine », puisse les rap­por­ter d’où ils étaient venus. Chiang n’eut pas besoin d’in­sis­ter davan­tage. Le dévot prêtre n’é­tait pas près d’ou­blier ce pré­sage. En quelques heures, le mur qui blo­quait la niche où se trou­vaient les manus­crits était abat­tu, et avant la tom­bée du jour, Stein scru­tait la chambre secrète à la lumière de la rudi­men­taire lampe à huile de Wang. Cette scène en rap­pelle une autre qui s’é­tait dérou­lée quinze ans aupa­ra­vant, lorsque Howard Car­ter contem­pla la tombe de Tou­tân­kha­mon à la lueur vacillante d’une bougie.
En tant qu’ar­chéo­logue, Stein ne pou­vait qu’être bou­le­ver­sé par ce qu’il voyait. « Ce que me révé­la cette petite pièce avait de quoi me faire écar­quiller les yeux, racon­ta-t-il ». Amon­ce­lés en plu­sieurs couches, sans aucun ordre, appa­rurent à la faible lueur de la petite lampe que tenait le prêtre la masse com­pacte que for­maient ces énormes paquets de manus­crits qui s’é­le­vaient jus­qu’à trois mètres de haut et rem­plis­saient, ain­si que des mesures ulté­rieures le prou­vèrent, un espace de près de cent cin­quante mètres cubes. C’é­tait selon les mots de Leo­nard Wool­ley, l’homme qui avait décou­vert Ur, « une pre­mière archéo­lo­gique sans pré­cé­dent ». Le Times Lite­ra­ry Sup­ple­ment décla­ra que « seuls quelques rares archéo­logues ont fait une aus­si extra­or­di­naire découverte ».

Au fur et à mesure que leur tra­vail quo­ti­dien se pour­sui­vait, étaient extraits de la chambre secrète non seule­ment d’in­nom­brables manus­crits en chi­nois, sans­krit, sog­dien, tibé­tain, turc orien­tal, runique, oui­ghour, révé­lant aus­si des langues incon­nues, mais encore une riche mois­son de pein­tures boud­dhiques. A leur extré­mi­té tri­an­gu­laire et à leurs ban­de­roles flot­tantes, Stein recon­nut tout de suite que quelques-unes étaient des ban­nières de temples, et d’autres des pein­tures votives des­ti­nées à être accro­chées au mur. Toutes étaient peintes sur une soie extrê­me­ment fine ou sur du papier. Beau­coup étaient très frois­sés, leur plis sem­blaient « repas­sés » à cer­tains endroits, parce qu’elles étaient res­tées pen­dant neuf siècles sous le tas de manus­crits. Plu­tôt que dans leur qua­li­té, l’im­por­tance de ces pein­tures rési­dait dans leur ancien­ne­té —  et donc dans leur rare­té. Les pein­tures de la dynas­tie T’ang, aux­quelles toutes celles-ci appar­te­naient, sont extrê­me­ment rares, de même que celles pro­ve­nant d’a­te­liers locaux comme ceux des oasis. La plu­part des pein­tures furent détruites au milieu du IXe siècle lors d’une vague d’an­ti­clé­ri­ca­lisme qui eut pour consé­quence la fer­me­ture ou la des­truc­tion de quelque qua­rante mille temples et sanc­tuaires boud­dhiques dans toute la Chine. Par chance, Touen-houang tom­ba aux mains des Tibé­tains en 781 apr. J.-C. et en res­ta en leur pos­ses­sion pen­dant les soixante-sept années sui­vantes. Ses temples et ses sanc­tuaires échap­pèrent ain­si à la des­truc­tion per­pé­trée dans toute la Chine à cette époque.
Cer­taines ban­nières trou­vées par­mi les manus­crits étaient si longues, lors­qu’elles furent dépliées, que des spé­cia­listes pen­sèrent qu’elles avaient été spé­cia­le­ment conçues pour être sus­pen­dues en haut des falaises de Touen-houang. Stein ne put dérou­ler la plu­part des pein­tures sur soie qu’il trou­va, tant le poids écra­sant des manus­crits sous les­quels elles avaient été ense­ve­lies durant des siècles les avaient com­pri­mées et trans­for­mées en petits paquets fra­giles et durs. Plus tard, avec une dex­té­ri­té de chi­rur­giens neu­ro­logues, des spé­cia­listes réus­sirent à les déplier dans les labo­ra­toires du Bri­tish Museum, après les avoir trai­tés chi­mi­que­ment. Cette opé­ra­tion dura sept ans.

Peter Hop­kirk, Boud­dhas et rôdeurs sur la route de la soie
Pic­quier poche

Paul Pel­liot dans la grotte 17 à Mogao

Si les décou­vertes de Pel­liot sont aujourd’­hui conser­vées au Louvre et au Musée Gui­met, celles de Stein sont dis­sé­mi­nées entre Londres et New Del­hi. Le Bri­tish Museum, loin de faire hon­neur à un de ses plus extra­or­di­naires décou­vreur n’ex­pose, à part le soû­tra du dia­mant, que quelques manus­crits trou­vés dans la grotte 17. La qua­si inté­gra­li­té de ces docu­ments est actuel­le­ment conser­vées dans des caisses, à l’a­bri de la lumière… et des regards. Etrange hom­mage à une des plus sen­sa­tion­nelles décou­vertes de l’ar­chéo­lo­gie de la Route de la soie.

Read more
Lettres du Bos­phore, par Sébas­tien de Cour­tois, la rage sourde

Lettres du Bos­phore, par Sébas­tien de Cour­tois, la rage sourde

Il n’y a pas vrai­ment de hasards, il n’y a que des cor­res­pon­dances. Et de cor­res­pon­dance, cette fois-ci, il est ques­tion dans le der­nier livre de Sébas­tien de Cour­tois, Lettres du Bos­phore. Pour avoir déjà lu et par­lé de son livre, aux mêmes édi­tions (Le Pas­seur), Un thé à Istan­bul, je m’at­ten­dais avec ce titre à une nou­velle ode de l’au­teur à sa ville de cœur, à la ville dans laquelle il vit depuis des années, et où il raconte ses ren­contres sur fond de foi reli­gieuse, d’a­mour de l’autre et peut-être aus­si d’a­mour tout court… Si les thèmes sont les mêmes, cette cor­res­pon­dance est cette fois-ci plu­tôt un échange entre lui et sa ville, et plus glo­ba­le­ment la Tur­quie qu’il est en train de voir chan­ger sous ses fenêtres qui donnent sur la ville.

Istanbul - avril 2012 - jour 6 - 142 - Yeni cami depuis le Bosphore

Le livre n’est pas encore sor­ti qu’on me pro­pose de le lire, chose que je ne sau­rais refu­ser. Je m’im­pa­tiente, je guette ma boîte aux lettres dans laquelle je finis par rece­voir un pli rem­bour­ré de papier bulle. Le livre est là, sur ma table de salon, à côté des pre­miers brins de muguets que j’ai jetés dans un petit vase. Hasard du calen­drier — est-ce vrai­ment un hasard ? — le livre qui vient d’ar­ri­ver cor­res­pond à une autre date. Nous sommes le 17 avril. Déjà, le matin, je me réveille un peu étour­di, furieux, triste, mal à l’aise. La Tur­quie (enfin, seule­ment 51%) vient de voter les pleins pou­voirs au chef de l’E­tat, Recep Tayyip Erdoğan, le 16 avril, c’est encore tout frais. Étran­ge­ment, un livre qui est sur le point de sor­tir en librai­rie ne peut en aucun cas par­ler de l’ac­tua­li­té immé­diate, ce serait inquié­tant, et c’est pour­tant de cela dont il est ques­tion. Pas de l’é­vé­ne­ment en lui-même, mais l’ob­ser­va­tion de l’in­té­rieur de la lente et inexo­rable chute d’un pays. Encore une fois, les Lettres du Bos­phore de Cour­tois ne sont pas une réqui­si­toire, elles gardent la pru­dence de l’ob­ser­va­teur dans un monde qui a sérieu­se­ment besoin qu’on lui accorde l’at­ten­tion du sen­ti­ment objec­tif et le froi­deur d’un regard sans conces­sion. Et éga­le­ment la dou­ceur par­fois amère de l’af­fect. On n’est jamais autant tou­ché que lorsque ce que l’on aime pro­fon­dé­ment prend une tour­nure acide et dire que de Cour­tois aime la Tur­quie est un doux euphé­misme. Ce n’est pas un amour de tou­riste, ni un amour patri­mo­nial, encore moins un amour folk­lo­rique, mais un amour pro­fond, pour son peuple, sa culture, ce qu’il remue au tré­fonds de la chair, même lors­qu’il est tein­té de hüzün

Pre­mier cha­pitre, l’o­pium du peuple, 6 novembre 2015, le décor est plan­té. La situa­tion poli­tique est inquié­tante. Pour celui qui regarde des deux côtés de la lor­gnette, les fris­sons par­courent l’é­chine. On pour­rait se conten­ter d’é­cou­ter les médias, mais lorsque le cri de détresse pro­vient de l’in­té­rieur et qu’on a la pos­si­bi­li­té d’y voir plus clair par soi-même, on ne peut faire autre­ment que de se cacher le visage dans les mains, de peur, d’in­com­pré­hen­sion, de tris­tesse tein­tée de colère.

J’ai du mal à lire le livre d’une traite. Si Un thé à Istan­bul était un livre plu­tôt enthou­siaste et amou­reux, les Lettres du Bos­phore sont ani­mées d’une rage sourde. Au même moment, le calen­drier élec­to­ral en France se pré­cise. Je me rends vers la mai­rie de ma ville en ce dimanche 23 avril pour le pre­mier tour des pré­si­den­tielles. Il fait beau même si la fraî­cheur est encore bien pré­sente. Je ne peux m’empêcher de pen­ser à mes amis res­tés en Tur­quie qui ont fait le même geste une semaine aupa­ra­vant, dans d’autres cir­cons­tances, mais eux y sont allés la peur au ventre, le regard inquiet. C’est à ce moment-là que je me dis qu’il ne fau­drait fina­le­ment pas grand-chose pour que les choses bas­culent du mau­vais côté. Jus­qu’à 20 heures, je traîne dans mon jar­din, fei­gnant de d’ar­ra­cher les pis­sen­lits et le plan­tain qui com­mencent à pous­ser dans les mas­sifs, arro­sant les hor­ten­sias qui ont déjà soif. Il n’a pas beau­coup plu. 19h59, je me pose devant la télé pour voir appa­raître les deux visages. On y est. L’hor­reur est à por­tée de main. Qui a fait ça ? Qui a fait en sorte qu’on en arrive là ? Mon regard se tourne vers Istan­bul. Tout est si facile. Je pense à ces simples mots… « élu par le peuple »… oui ! Mais par quelle conscience ? A quel point peut-on avoir le regard embru­mé pour se tour­ner vers de telles extré­mi­tés ? Vik­tor Orbán a été élu par le peuple, Vla­di­mir Pou­tine aus­si, Islam Kari­mov de même, Hugo Chá­vez, Charles de Gaulle aus­si (ce qui ne l’a pas empê­ché de dire des salo­pe­ries sur les Algé­riens, ce qui ne l’a pas empê­ché de faire des salo­pe­ries et de se com­por­ter comme un dic­ta­teur avant de se faire mettre à la porte par le même peuple qui l’a­vait élu…).  Tout se brouille en moi, je me dis qu’il vau­drait mieux que je retourne à mes lectures.

En sep­tembre 2015, je lisais le livre magis­tral de William Dal­rymple, Dans l’ombre de Byzance. For­mi­dable plon­gée dans les his­toires incon­nues des Chré­tiens d’O­rient et de leur place dans le monde moderne. Loin de faire du pro­sé­ly­tisme, loin de me pré­oc­cu­per du sort des croyants, de quelle confes­sion qu’ils soient, je m’in­quiète tou­jours du sort de ceux qui sont pour­chas­sés pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils pensent, pour ce qu’ils espèrent. Le sou­ve­nir de ce livre me rend encore plus amer au sou­ve­nir des mani­gances d’un état pour effa­cer les traces gênantes dans l’op­tique de la construc­tion d’un nou­veau récit natio­nal. Je ne m’y attarde pas, il suf­fit de retour­ner dans ces pages pour com­prendre ce qui se passe et qui ne se dit pas.

Je par­lais de luci­di­té plus haut. De Cour­tois fait le même constat, lui qui était à Istan­bul le jour où des tou­ristes ont été assas­si­nés dans l’at­ten­tat de Sultanahmet :

Le conflit s’an­nonce féroce. Alors qu’il y a moins de dix ans, à l’est, les choses se pas­saient plu­tôt bien : la Tur­quie et la Syrie avait sup­pri­mé les visas, les bour­geois d’A­lep venaient faire leurs courses à Gazian­tep, Bachar al-Assad était le « frère » de Recep Tayyip Erdoğan, et le gou­ver­ne­ment turc enta­mait un pro­ces­sus de paix avec les Kurdes. Il était même ques­tion de réou­vrir la fron­tière tur­co-armé­nienne ! Erdoğan aurait pu res­ter dans l’his­toire pour de bonnes choses, mais en quelques années, c’est le contraire qui s’est pas­sé. Radi­ca­le­ment. D’une poli­tique de « zéro pro­blème avec ses voi­sins », le pays est allé dans la direc­tion inverse en s’im­pli­quant dès 2011 dans la guerre civile syrienne. Le refou­lé est reve­nu au grand galop avec des dia­tribes natio­na­listes d’un autre temps. Aux ordres, les médias conti­nuent de relayer la pro­pa­gande offi­cielle, celle d’une vaste théo­rie du com­plot fai­sant de la Tur­quie un pays assié­gé, ce qui relève du pur fan­tasme. A Istan­bul, l’at­ten­tat de mar­di n’é­tait qu’un rap­pel de ce déni, une preuve fla­grante qu’il ne s’a­git pas d’être seule­ment opti­miste ou pes­si­miste, mais le besoin d’une indis­pen­sable lucidité.

Entre deux tours. Le pays se déchire pour savoir s’il faut s’abs­te­nir, voter blanc, prendre par­ti, ne pas prendre par­ti. C’est un vaste chan­tier, je ne recon­nais plus mon pays. A l’ins­tar de ces éti­quettes col­lées sur les paquets de ciga­rettes, on pour­rait presque col­ler sur les affiches élec­to­rales : Se culti­ver nuit gra­ve­ment à l’i­gno­rance… C’est ce que j’ai en tête lorsque j’en­tends des gens de mon pays dire que les Arabes sont une sous-race, que les Musul­mans ne sont pas comme nous, que l’im­mi­gra­tion est le can­cer de notre socié­té. Il y a des ter­ro­ristes par­tout !!! Sen­tir la peur s’in­si­nuer sous les moindres replis de sa chair, quelle jouis­sance pour ceux qui l’ins­til­lent !!! L’his­toire se répète, nous sommes en train de som­brer alors qu’il était si facile de faire en sorte que tout se passe bien.

Turquie - jour 3 - Istanbul - 89 - Sur le Bosphore de Beşiktaş à Beşiktaş - Kandilli

Comme le dit de Cour­tois, un peuple est libre de choi­sir son gou­ver­ne­ment, est libre de choi­sir sa liber­té, de choi­sir entre les ténèbres et la lumière. N’empêche… La liber­té, c’est choi­sir la lon­gueur de ses chaînes et il sem­ble­rait que celles choi­sies soient incroya­ble­ment courtes… Et le pire, c’est qu’on se doute de ce qui va se pas­ser après ; le réta­blis­se­ment de la peine de mort (pra­tique pour les oppo­sants), endur­cis­se­ment de la reli­gion (j’ose à peine y pen­ser), concen­tra­tion des pou­voirs poli­tiques, bref, c’est le déman­tè­le­ment sys­té­ma­tique de l’hé­ri­tage d’A­tatürk. La liber­té se paie cher :

A l’é­cart, Dün­dar grif­fonne quelques lignes sur son car­net. Élé­gant, une barbe poivre et sel, il porte un cos­tume sombre sur une cra­vate noire. Le deuil de la démo­cra­tie turque ? « Oui, d’une cer­taine manière, répond-il d’une voix timide et amu­sée. Au cours du pre­mier mois de ma déten­tion j’é­tais en iso­le­ment total, mais par la fenêtre de ma cel­lule, je voyais la liber­té… Chez moi, c’est le contraire, ma fenêtre donne sur un cime­tière et sur le palais de jus­tice, les deux endroits où finissent nor­ma­le­ment les jour­na­listes en Turquie. »

Sébas­tien de Cour­tois a des attaches pro­fondes, il par­court le pays en amou­reux tran­si qui a pour lui cette sau­vage conscience que l’in­croyable com­plexi­té du pays qui l’a adop­té va au-delà de l’op­po­si­tion poli­tique. Heu­reu­se­ment, il n’est pas ques­tion que de géo­po­li­tique, même si c’est vrai­sem­bla­ble­ment ce qui paraît le plus inquié­tant aujourd’­hui, alors que les der­nières années connais­saient un aller simple vers la séré­ni­té. On se frotte les yeux en se deman­dant com­ment on en est arri­vé là. Cet amour se com­pose de dia­logues avec ceux qui sont aujourd’­hui les obser­va­teurs du monde, les intel­lec­tuels, les écri­vains, mais aus­si avec ceux qui vivent leur vie de tous les jours, sans distinction.

Je n’at­ten­drai pas le second tour des élec­tions pré­si­den­tielles dans mon pays pour finir le livre, j’ai tout à coup envie de décor­ré­ler l’ac­tua­li­té de mes lec­tures, ne pas en faire de sombres amal­games et écou­ter les meilleures pages du livre, l’é­cri­ture à la fois sucrée et intran­si­geante de de Cour­tois, en tirer la sève pour m’en nour­rir et espé­rer encore que les choses peuvent chan­ger. En cet ins­tant, je pense à Sum­ru, à Sıtkı, à Emin, Meh­met, Firat, Nihat, Sadık, Abdul­lah, Fatoş et Bukem, à tous ceux ren­con­trés sur le bord du Bos­phore ou dans les mon­tagnes de Cap­pa­doce et qui sont deve­nus mes amis, qui eux, alors qu’ils vivent dans ce grand et beau pays que l’on ne connaît encore pas assez vu d’i­ci, conti­nuent de croire que le pire est pas­sé. Je me plonge jus­qu’à l’en­dor­mis­se­ment dans les déam­bu­la­tions de l’au­teur au cœur des mey­hane, dans les rues où l’on joue au tav­la sur les trot­toirs et où l’on boit du çay et (pour l’ins­tant encore) du rakı, et où l’on entend encore par­fois les envo­lées char­mantes du bağ­la­ma.

La Tur­quie est un pays qui se mérite, il n’est pas une simple étape de vie, une des­ti­na­tion par­mi d’autres, mais un choix, une expé­rience. Il faut en accep­ter le pire pour com­prendre le bien, lire, se ren­sei­gner, goû­ter les plats et cou­rir la cam­pagne. Les saveurs y sont puis­santes. […] Si les Turcs ont une leçon à nous don­ner, c’est bien celle de la joie de vivre.

Lettres du Bos­phore- Sébas­tien de Cour­tois aux édi­tions Le Passeur

Mer­ci à Le Pas­seur Édi­teur et l’a­gence Lan­gage et Pro­jets Conseils. Pho­tos © Romuald Le Peru

Read more
Ayut­thaya sto­ries #4 : Odeurs et autres cou­leurs d’Ayutthaya

Ayut­thaya sto­ries #4 : Odeurs et autres cou­leurs d’Ayutthaya

Au petit matin, une odeur d’eau, de rivière mou­vante, quelque chose de vivant emplit l’air. L’o­deur âcre d’un feu de végé­taux se répand dou­ce­ment. Après le petit déjeu­ner, je me ren­dors quelques minutes sur la ter­rasse, où la cha­leur des pre­miers ins­tants me chauffe déjà la peau. Je pro­fite quelques ins­tants de la pis­cine avant de refaire ma valise qui res­te­ra toute la jour­née à la récep­tion de l’hô­tel. Déjà, je suis rede­ve­nu un étran­ger aux lieux et lais­ser la suite der­rière moi me pince le cœur. Si peu de temps pas­sé ici. C’est le prin­cipe du voyage ; déjà il faut repar­tir, tout le temps repar­tir, se des­sai­sir de ce qu’on a appré­hen­dé pour n’en gar­der qu’une essence.

J’ai com­man­dé un sky­lab à la récep­tion de l’hô­tel. Le petit bon­homme qui arrive ne paie de mine avec sa che­mise jaune déchi­rée et une bouche presque entiè­re­ment éden­tée, mais il arbore un sou­rire heu­reux d’homme simple et jovial. Il connaît par­fai­te­ment sa ville, mais n’en­trave pas un seul mot d’an­glais. Ce n’est pas vrai­ment un pro­blème, on réus­si­ra à s’en sor­tir pour se par­ler quand-même. Je lui demande de m’emmener à Hua Raw, à l’est de la ville. Hua Raw c’est le plus grand mar­ché cou­vert de la ville, une grande halle sans charme qui abrite des cen­taines de com­mer­çants, où l’on peut trou­ver aus­si bien de quoi man­ger sur le pouce, que de quoi cui­si­ner, paniers à riz, usten­siles, mais aus­si lunch-boxes, tis­sus, balais, réchauds, bâtons d’en­cens et offrandes pour les temples, cous­sins de paille, bref, tout ce qu’il faut pour le foyer. Je suis éba­hi par la frai­cheur des mar­chan­dises qu’on trouve sur les étals, mal­gré leur aspect peu enga­geant ; pois­sons fumés, pois­sons frais à la mine pati­bu­laire, entrailles d’a­ni­maux non iden­ti­fiés… des tripes, boyaux, vis­cères que je ne connais­sais pas, s’en­tassent sur la glace pilée des bou­che­ries ambu­lantes. On se demande à quel moment cela va se retrou­ver dans nos assiettes… L’o­deur âcre des ani­maux abat­tus prend à la gorge, mais ce n’est pas une odeur de mort ou de pour­ri­ture, c’est plu­tôt quelque chose de sauvage…

Le conduc­teur du sky­lab par­tage avec moi un petit bal­lo­tin de fraises blanches avec un petit sachet de sucre rose pimen­té. Elles sont dures et sans saveur, mais nous rions tous les deux en par­ta­geant cet en-cas incon­gru. Man­ger des fraises en Thaï­lande, au bord de la route avec un chauf­feur de skylab…

Une vieille dame qui tient une échoppe encom­brée de tis­sus et d’us­ten­siles de cui­sine rigole avec moi lorsque, je ne sais pour­quoi, j’en viens à lui deman­der com­ment on pro­nonce en thaï le mot “main” (มือ) ; elle essaie déses­pé­ré­ment avant d’a­ban­don­ner de me faire pro­non­cer quelque chose qui res­semble à “meuuuuuuuh” en gar­dant les dents ser­rées et en fai­sant s’é­ter­ni­ser ce joli son long. Un peu plus loin, j’a­chète un balai recour­bé en paille de riz au fils d’une vieille dame ; il parle un anglais par­fait avec l’ac­cent de l’u­ni­ver­si­té, mais la bosse du com­merce n’est pas encore en lui. Celui que j’a­chète est cher (90 bahts) et me pro­pose si je le sou­haite d’en acqué­rir un autre beau­coup moins cher pour 50 baths (un peu plus d’un euro) parce qu’il m’ex­plique qu’il est plus pratique.

Un peu plus loin, j’a­chète une petite boîte à riz tres­sée pour un prix tel­le­ment déri­soire que c’en est gênant, à un vieux chi­nois presque aveugle pour qui sou­rire doit être une vague notion antique, mais lorsque, comme à chaque fois que j’a­chète quelque chose, je lui dis mer­ci en thaï (khop kun khrap) sui­vi d’un salut (sawas­di khrap), j’ar­rive à lui arra­cher un léger sou­rire de satis­fac­tion presque ému. Se fou­ler d’ap­prendre quelques mots est la moindre des poli­tesses, ce qui est tou­jours res­sen­ti comme une marque d’at­ten­tion dans un pays où la confron­ta­tion avec l’é­tran­ger est sou­vent res­sen­ti comme une colo­ni­sa­tion agressive.

Dans la par­tie du mar­ché où l’on trouve légumes et fruits, viande et épices, ce sont sur­tout des musul­manes qui sont aux affaires sous les grandes plaques de tôle du toit ajou­ré. Elles pré­parent des volailles avec la méti­cu­lo­si­té des arti­sanes appli­quées. D’im­menses ven­ti­la­teurs brassent un air inexis­tant sous ce han­gar frap­pé par un soleil impi­toyable qui se fau­file au tra­vers des petites ouver­tures et des­sine sur le sol de jolis motifs ter­mi­nant les rais de lumière enfu­més. C’est ici que j’ar­ri­ve­rai à trou­ver des petits sachets d’é­pices pour cui­si­ner le Laab-Nam­tok.

A l’hô­tel, j’a­vais deman­dé au sky­lab de m’emmener au mar­ché, puis au Wat Yai Chai Mong­khon, mais je change d’i­dée et lui demande de me rame­ner là où j’ai déjeu­né hier, au Wat Rat­cha­bu­ra­na, là où je me suis réga­lé de ce superbe chi­cken noo­dle. Une fois arrê­té devant, il me dit avec malice avec quelques mots d’an­glais que c’est très bon ici ; je lève mon pouce pour approu­ver en lui fai­sant com­prendre qu’on est sur la même lon­gueur d’ondes. Aujourd’­hui, c’est une petite jeune fille d’à peine 13 ans qui fait le ser­vice, cou­pée au car­ré et lunettes rondes, son anglais est très bon. Elle me sert une soupe de pou­let et nouilles aux œufs à la chi­noise, légumes et coriandre, que j’a­gré­mente de sauce soja et piment maison.

Nous repar­tons vers le Wat Yai Chai Mong­khon qui se trouve encore plus à l’est que le mar­ché, au-delà de la fron­tière natu­relle for­mée par la Pa Sak, dans une cir­cu­la­tion dense à l’ex­té­rieur de la ville. Il roule à contre­sens pour gagner un peu de temps et enquiller l’en­trée du temple. C’est aujourd’­hui un jour férié, et comme tous les jours comme celui-ci, les gens se pressent dans les temples en famille, c’est ce que je remarque immé­dia­te­ment en arri­vant au temple où se garer devient un jeu com­plexe. Le petit homme me laisse devant et va garer son sky­lab un peu plus loin, à l’ombre des ficus, avant d’al­ler se payer une bière avec ses copains chauf­feurs à l’a­bri des regards. Les boud­dhistes ne sont pas cen­sés boire de l’al­cool (le cin­quième pré­cepte de la conduite morale du boud­dhisme exige qu’on n’in­gère pas de pro­duits toxiques anni­hi­lant la maî­trise de soi, mais tant qu’on est maître, tout va bien, non ?).

Avant d’être un lieu de pèle­ri­nage impor­tant, ce temple est un monas­tère (Wihan Phra­phut­tha­saiyat), et sa par­ti­cu­la­ri­té est d’ac­cueillir éga­le­ment des femmes, vêtues de blanc et le crane rasé. Construit en pre­mier lieu par le roi U‑Thong, il faut agran­di par ses pré­dé­ces­seurs et consa­cré comme le lieu de la vic­toire sur les Bir­mans. Le ubo­sot est entiè­re­ment en bois et pas­sa­ble­ment ancien. La foule qui s’y presse rend l’ac­cès com­pli­qué, et je capi­tule devant la masse des pèle­rins, sur­tout pour ne pas déran­ger. Je n’aime pas m’im­po­ser comme visi­teur tan­dis que d’autres viennent ici avant tout pour prier. Mais ce qui fait la beau­té du lieu, c’est le che­di, immense, visible à des kilo­mètres à la ronde. De chaque côté, un immense Boud­dha sou­riant semble assu­rer la sécu­ri­té du lieu.

Un peu à l’a­bri de la foule se trouve un immense Boud­dha allon­gé, recou­vert d’un drap orange, que deux petits vieux à la peau bru­nie par le soleil, tout habillés de car­min et de bor­deaux, cour­bés comme de vieux arbres, remettent en place avec atta­che­ment et ten­dresse. Il se passe ici quelque chose d’é­trange. Der­rière la foule de ceux qui se pressent ici pour prier, bâtons d’en­cens et fleur de lotus rete­nus dans leurs mains jointes au che­vet du Boud­dha cou­ché, posi­tion qui sym­bo­lise le Boud­dha malade sur le point d’en­trer au Pari­nirvāṇa, bon nombre de per­sonnes sta­tionnent devant les deux pieds de la sta­tue dont les orteils sont tous, comme dans toute l’i­co­no­gra­phie thaï­lan­daise, de la même lon­gueur, et pressent de toute leur force une pièce de mon­naie qu’ils tentent de faire adhé­rer à la pierre. L’exer­cice peut sem­bler étrange, mais aus­si bizarre que cela puisse paraître, cer­taines des pièces s’en­foncent et res­tent col­lées des­sus. Tout le monde essaie à son tour ; cer­tains dépi­tés de voir que leur pièce ne tient pas, s’é­loignent ; d’autres qui y par­viennent arborent un sou­rire d’ex­tase. Si la pièce est rete­nue par la pierre, la chance et le bon­heur sont assu­rés. C’est la pre­mière que je vois cette pra­tique en Thaï­lande, c’est assez émouvant.

L’im­mense che­di est entou­ré de dizaines de sta­tues de Boud­dha, toutes recou­vertes d’un linge jaune d’or aus­si brillant que la soie, res­plen­dit dans le soleil d’une jour­née chaude. Dans la main ouverte vers le ciel de la sta­tue se trouve par­fois une fleur de fran­gi­pa­nier, dépo­sée là avec ten­dresse. Par­fois, ce sont des amu­lettes en bronze posées là sur le rebord du socle. Les fran­gi­pa­niers poussent dans la cour du che­di, répen­dant leur odeur si sucrée au pied de l’im­mense monu­ment. Dans la jar­din gisant au pied du che­di, de l’autre côté de l’ubo­sot, des mai­sons en bois sont les retraites de ces femmes qui sont entrées en reli­gion, por­tant l’ha­bit blanc, crane rasé ; elles vivent ici en toute quié­tude, à l’a­bri des regards, entou­rées de chats et d’arbres hauts au pied des­quels des petites sta­tuettes, des arbres tres­sées de fils de fers et de petites pierres, des amu­lettes sont dépo­sées en signe de véné­ra­tion. Une plante épi­phyte est enrou­lée autour du tronc d’un arbre, dans un mor­ceau de tis­su de cou­leur jaune éga­le­ment. Le jaune ici prend la sym­bo­lique de la renon­ce­ment aux choses maté­rielles et de l’hu­mi­li­té. Je fais le tour, comme beau­coup d’autres per­sonnes, du beau che­di par la gauche, comme il se doit, et regarde les gens pieux en faire de même avec leur fleur de lotus dans les mains. Une jolie lumière tami­sée, oran­gée, recouvre les jar­dins et les visages pai­sibles des Boud­dha, dans l’o­deur flo­rale des fleurs de fran­gi­pa­niers et l’at­mo­sphère humide que la brique du che­di semble exhaler.

Une fois mon­té sur le che­di par une volée de marche extrê­me­ment raide, la vue est excep­tion­nelle sur la ville d’Ayut­thaya, même si on ne se trouve qu’à peine plus haut que la cime des plus grands ficus des alen­tours. Une niche est creu­sée à l’in­té­rieur du monu­ment, il y a fait une cha­leur haras­sante. Sept Boud­dhas trônent ici, tous recou­vert de feuilles d’or que l’on vient dépo­ser en masse sur le corps de la sta­tue. Au centre, un puits, qui a dû conte­nir autre­fois des tré­sors et des reliques, contient des cen­taines de pièces d’or que l’on jette ici comme dans un geste pour s’at­ti­rer la chance ; c’est aus­si un sym­bole fort : on se déleste des biens maté­riels au creux de ce monu­ment dont la forme ani­co­nique est cen­sée repré­sen­ter le corps du Boud­dha. Ceux qui ont la chance de mon­ter jus­qu’à cet endroit sont empreints d’une fer­veur tout particulière.

A l’é­cart du temple, une petite mai­son cen­sée repré­sen­ter un temple contient des dizaines de peluches de Dorae­mon, un per­son­nage de man­gas japo­nais qui n’est autre qu’un chat-robot qui voyage dans le temps. On se demande déjà pour­quoi ce per­son­nage est aus­si connu ici, mais d’i­ci à le voir sanc­tua­ri­sé dans un temple boud­dhiste, on se rend compte à quel point la reli­gion prend des formes un peu élargies.

A l’é­cart du temple, quand je rejoins le sky­lab, je tombe sur une petite fille qui ouvre les gros bou­tons des fleurs de lotus pour en faire de belles choses, pliées et repliées, avec une agi­li­té dont elle est très fière. Elle me fait un grand sou­rire tan­dis que je la filme.

La foule se presse encore à l’en­trée du temple et la cir­cu­la­tion reste très dense, même à l’é­cart de la ville. Le petit véhi­cule se fraie un pas­sage entre les voi­tures pour m’emmener au Wat Lokaya­su­tha­ram (วัดโลกยสุธาราม), qui n’a plus de temple que le nom. En réa­li­té, l’im­mense Boud­dha cou­ché est tout ce qui reste du temple. Tout le reste est tom­bé à terre, for­te­ment endom­ma­gé. Le prang est en très mau­vais état et tout autour, il ne reste plus que les socles et six pierres en forme d’or­chi­dées plan­tées devant le monu­ment prin­ci­pal ; ce sont les sym­boles anciens, pro­tec­teurs, dont le nom m’é­chappe encore et tou­jours. Ce lieu est répu­té pour son Boud­dha cou­ché qui a été maintes fois res­tau­ré et dont les dimen­sions en font un des plus impo­sants de Thaï­lande ; 42 mètres de long pour 8 mètres de haut. Bien évi­dem­ment, celui du Wat Pho le sur­passe lar­ge­ment, mais celui-ci est en plein air, direc­te­ment sous le soleil ; un petit pla­teau d’of­frandes lui est consa­cré. Je ne sais pas si c’est parce que l’heure com­mence à être avan­cée, mais il n’y a per­sonne alen­tour. Seuls quelques Thaïs trainent encore dans les envi­rons tan­dis que le soleil décline.

Il va être temps de retour­ner à l’hô­tel pour récu­pé­rer ma valise et repar­tir ce soir-même. Aupa­ra­vant, le chauf­feur du sky­lab s’ex­cuse pla­te­ment, mais il doit abso­lu­ment s’ar­rê­ter sur un tout petit mar­ché enfu­mé près du Boud­dha cou­ché. Il est en réa­li­té par­ti s’a­che­ter deux bro­chettes de pou­let qu’on lui enfourne dans un sachet plas­tique et qu’il dévore en ne tenant plus son gui­don que d’une main. Il se marre d’un air déso­lé en mon­trant qu’il com­men­çait à avoir faim.

Dans le centre de la ville, près du quar­tier géné­ral des élé­phants, là où les cor­nacs vêtus de rouge et de noir comme les sol­dats Thaïs du XIXè siècle, lavent leurs mon­tures à grande eau et les nour­rissent, il existe un petit mar­ché tout en lon­gueur où l’on trouve toutes sortes de bon­dieu­se­ries et d’us­ten­siles de cui­sine sous les tôles basses chauf­fées par le soleil. A l’heure qu’il est, tout ferme, et je me résigne à par­tir sans d’a­voir pu jeter un coup d’œil. Je me console comme je peux en me disant que de toute façon, qua­si­ment tout ce qu’on trouve ici est fabri­quée en Chine.

Avant de retour­ner cher­cher ma valise, je demande au chauf­feur de m’a­me­ner à Chao Phrom, un mar­ché, ou plu­tôt un centre com­mer­cial qui se trouve à l’est de la ville, non loin de la rivière. Tout est en train de fer­mer. L’am­biance du mar­ché me rap­pelle Pasar Berin­ghar­jo à Yogya­kar­ta. Les ven­deurs de légumes sont les der­niers à fer­mer, mais avec la cha­leur qu’il a fait aujourd’­hui, il ne reste plus sur les étals que de vieilles choses vertes, molles et flé­tries. En ce jour férié et à cette heure du jour, il ne reste plus grand-chose d’ou­vert. La der­nière image que j’au­rais d’Ayut­thaya, ce seront d’im­menses bou­le­vards vidés de leurs voi­tures, ville de pro­vince, calme et sans bruit de cir­cu­la­tion, tan­dis que le sky­lab me ramène à l’hô­tel. Le petit chauf­feur avec qui j’ai pas­sé la jour­née me demande 600 bahts, soit la moi­tié de ce que je lui dois puisque nor­ma­le­ment je le paie à l’heure… je fronce les sour­cils et trouve ça bizarre de lui devoir aus­si peu mais je m’exé­cute. Il revien­dra dix minutes plus tard en s’ex­cu­sant auprès de la récep­tion pour deman­der le reste. Je lui donne le reste, et même plus pour le remer­cier de cette belle jour­née avec lui dans la ville qu’il connaît parfaitement.

Je me bar­bouille d’an­ti-mous­tiques, com­mande un Chang beer qu’on me sert dans le patio de l’hô­tel et j’at­tends mon taxi qui doit arri­ver vers 19h30 pour m’emmener à Bang­kok. Lors­qu’il arrive, il s’ex­cuse de son retard et file aux toi­lettes en se mar­rant. Nous nous mar­rons bien quand il revient et qu’il me dit qu’il avait une urgence…

Le taxi est une grosse bagnole, un mini-van Nis­san super confor­table qui par­court les quatre-vingts kilo­mètres qui me séparent de Don Mueang dans une atmo­sphère feu­trée et cli­ma­ti­sée qui n’est pas sans apai­ser le feu d’un soleil brû­lant qui s’est amu­sé à tatouer ma peau blanche tout au long de la jour­née. Il me dépose dans un quar­tier miteux près de l’aé­ro­port, dans la nuit cras­seuse et bor­dé­lique, au pied de l’hô­tel non moins miteux que j’ai choi­si pour être près de l’aé­ro­port. La récep­tion­niste, une femme revêche et grasse qui me fait pen­ser à Ger­maine dans Monstres et Cie, aimable comme une porte de pri­son, me donne la clé d’une toute petite chambre à peine assez grande pour pas­ser entre le mur et le lit. La cli­ma­ti­sa­tion, néces­saire dans cette cage à lapins, ne fonc­tionne presque pas et émet un souffle bruyant que je vais devoir sup­por­ter toute la nuit ; la tem­pé­ra­ture ne des­cen­dra pas en des­sous de 29°C. Après avoir posé ma valise, je tente de trou­ver un petit res­tau­rant dans le quar­tier, mais même les indi­ca­tions que je trouve sur le GPS et sur inter­net sont fausses ; j’ai l’im­pres­sion d’être dans un no man’s land, loin de tout, iso­lé et per­du. Pas un seul res­tau­rant, même pas de quoi ache­ter à empor­ter pour dîner sur un bout de trot­toir, à part un pauvre 7/11 où j’a­chète un bol de nouilles déshy­dra­tées. C’est vrai­ment la pire nuit que je passe en Thaï­lande, une très courte nuit puisque je dois me lever à 3h30 demain matin. Demain, je pars sur un île, alors je mets tout ça de côté, et je m’en­dors presque paisiblement.

Read more
Ayut­thaya sto­ries #3 : La Chao Phraya à Ayut­thaya sous une lumière d’ambre

Ayut­thaya sto­ries #3 : La Chao Phraya à Ayut­thaya sous une lumière d’ambre

Ayut­thaya est une ville étrange, entiè­re­ment entou­rée d’eau, un île-ville, à moins que ce ne soit le contraire. Du nord des­cendent deux rivières, la Lop­bu­ri (แม่น้ำ ลพบุรี) et la Pa Sak (แม่น้ำป่าสัก), du nord-ouest des­cend la majes­tueuse Menam Chao Phraya (แม่น้ำเจ้าพระยา), le fleuve sur lequel est assise Bang­kok, sépa­rant la méga­lo­pole de l’an­cienne capi­tale Thon­bu­ri, beau­coup plus dis­crète et char­mante avec ses khlongs (คลอง) sillon­nant les quar­tiers pauvres et luxu­riants de végé­ta­tion. La Chao Phraya contourne la ville par l’ouest, la Pa Sak par l’est, encer­clant la ville en une forme de poche où, au sud, elles se rejoignent ; la Chao Phraya prend le des­sus et des­cend seule vers la mer. Un canal a été creu­sé au nord, reliant les deux rivières et trans­for­mant ain­si la ville en île, l’eau enser­rant dans ses bras l’an­tique ville royale. En y regar­dant de plus près, on se rend compte à quel point le réseau flu­vial est émi­nem­ment plus com­pli­qué, ce qui n’a pas jamais vrai­ment faci­li­té le tra­vail de nos car­to­graphes occi­den­taux lors des pre­mières ten­ta­tives aux XVIIè et XVIIIè siècles.

Source OpenS­treet­Map

Au pied de l’hô­tel bai­gnant ses pieds dans la rivière sacrée, une petite barque moto­ri­sée, en fait un long-tail boat (Ruea Hang Yaoเรือหางยาว) cou­vert attend l’heure du départ pour visi­ter la ville par les rives. Il est 16h00 et la lumière com­mence déjà à revê­tir ses habits de nuit. Lorsque je revien­drai, l’heure dorée écla­te­ra de mille feux. En par­cou­rant la vieille ville dans le sky­lab de Mr Sihn, je découvre la vie du quar­tier dans lequel je vis et notam­ment U‑Thong Road, qui a ce mérite de faire tout le tour de la ville.

Thaïlande - Ayutthaya - 113 - Rues d'Ayutthaya

Thaïlande - Ayutthaya - 115 - Rues d'Ayutthaya

Thaïlande - Ayutthaya - 118 - Rues d'Ayutthaya

Ven­deurs de fruits, échoppes rou­lantes pro­po­sant des plats à empor­ter, répa­ra­teurs de 2 roues consti­tuent la majo­ri­té de ce qu’on peut trou­ver ici. La plu­part des com­mer­çants sont musul­mans, ce qu’on peut remar­quer par leur façon de s’ha­biller ou l’ab­sence des sem­pi­ter­nels por­traits des ancêtres dont les boud­dhistes décorent leur inté­rieur, ou des petits temples rouges entur­ban­nés par la fumée épaisse des com­merces chi­nois. On trouve ici les Roti Sai Mai (โรตีสายไหม), la spé­cia­li­té d’Ayut­thaya. Pas facile de com­prendre ce que sont ces sacs gon­flés d’air, conte­nant des fils enche­vê­trés de toutes les cou­leurs et ali­gnés sur les étals. C’est en réa­li­té du sucre can­di, ou plu­tôt comme des fils de barbe-à-papa colo­rés et par­fu­més à tout ce qu’on veut (banane, noix de coco, fraise, pis­tache — arômes arti­fi­ciels bien évi­dem­ment…) que l’on mange dans des petites crêpes qui peuvent elles-mêmes être par­fu­mées. Pour ma part, j’ai goû­té des crêpes à la pis­tache avec du sucre can­di aro­ma­ti­sé à la fraise. Rien de trans­cen­dant ; ce n’est que du sucre par­fu­mé, mais je ne suis pas si éton­né que ça de voir le suc­cès que ça peut avoir auprès des Thaïs, très friands de sucre en géné­ral (sur­tout dans les sodas qui sont hor­ri­ble­ment plus sucrés qu’en France).

Thaïlande - Ayutthaya - 119 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 122 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 123 - Sur la Chao Phraya

Pour l’ins­tant, me voi­ci par­ti sur la petite barque pro­pul­sée par un bruyant moteur de voi­ture mon­té sur une perche. Sur les rives de la Chao Phraya, on peut voir les mai­sons construites sur pilo­tis, les pieds dans l’eau la plu­part du temps lorsque le ter­rain le per­met. Si beau­coup ont une appa­rence assez misé­rables, rafis­to­lées de plaques de tôle bran­lantes et de planches pour­ries, recou­vertes de bâches en plas­tique bleu, d’autres sont très bien entre­te­nues, en bois le plus sou­vent, peintes dans des cou­leurs vives et équi­pées de petites ter­rasses où sèche tant bien que mal le linge domes­tique. L’eau trouble de la rivière char­rie des îles entières de jacinthes d’eau qui pul­lulent tran­quille­ment mal­gré les remous des embar­ca­tions. Le bateau sur lequel je me trouve fait le tour de la ville dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. A l’ho­ri­zon, un temple immense se des­sine, avec ses toits à plu­sieurs étages poin­tus, juste sur la rive, à l’embouchure de la Pa Sak et de la Chao Phraya. C’est la sil­houette du Wat Pha­nan Choeng Wora­wi­han (วัดพนัญเชิง), dont le plus haut bâti­ment est presque deux fois plus grand que tous les autres. L’é­trave tout en finesse se taille une route dans les îles de jacinthes, qui ne cha­virent pas pour autant. Lorsque j’ar­rive sur le quai, une petite dame ron­douillarde dans sa gui­toune per­çoit un droit d’en­trée pour l’ac­cès au temple, par lequel on peut par ailleurs accé­der gra­tui­te­ment en arri­vant par la terre et indique une direc­tion en bre­douillant quelques mots dans un anglais mâché que je ne sai­sis pas vrai­ment, mais j’i­ma­gine que le plus haut des wat est la direc­tion qu’il faut suivre.

Thaïlande - Ayutthaya - 124 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 125 - Wat Phanan Choeng

Je remonte la rivière avec l’es­poir d’une pro­messe qui sera tenue. Il fait encore très chaud et ma che­mise conti­nue d’ab­sor­ber en silence la sueur qui coule dans le creux de mes reins. J’ai la sen­sa­tion d’ar­pen­ter des lieux en dehors du temps, mal­gré la foule qui se rend ici dans l’op­tique de ser­vir les icônes de leur reli­gion, ou peut-être d’ob­te­nir des grâces que leur vie simple ne leur offre pas. Il règne une sorte de fébri­li­té dis­crète et de joies déli­cates d’être ensemble en famille.

Thaïlande - Ayutthaya - 126 - Wat Phanan Choeng

Une foule de Thaïs se presse devant l’en­trée où tout le monde converge vers une porte étroite qui ne laisse pas­ser que deux ou trois per­sonnes à la fois. On per­çoit une fer­veur intense, un je-ne-sais-quoi de pro­fon­dé­ment fébrile à l’i­dée d’en­trer dans ce lieu qui n’a d’ex­cep­tion­nel que la taille du Boud­dha doré qui se trouve assis sous la voûte du toit, dont les genoux font deux fois ma taille. Mal­gré son aspect ruti­lant, c’est un Boud­dha beau­coup plus vieux que la plu­part de ceux qu’on peut voir en Thaï­lande, puis­qu’il date de 1324 ; il porte le doux nom de Luang Pho Tho (หลวงพ่อโต) pour les Thaïs et Sam Pao Kong (ซำเปากง) pour les Thaïs d’o­ri­gine chi­noise et se trouve être le pro­tec­teur des marins (d’eau douce, en l’oc­cur­rence). Les Bir­mans l’ont plu­sieurs fois sac­ca­gé, mais il a été res­tau­ré pour revê­tir l’ap­pa­rence majes­tueuse qu’on peut voir aujourd’hui.

Thaïlande - Ayutthaya - 128 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 131 - Wat Phanan Choeng

Les Thaïs le contournent par la gauche, comme il se doit, avant de frap­per la peau d’un immense tam­bour dont je res­sens les vibra­tions dans la poi­trine, et qui est cen­sé por­ter chance. Der­rière le grand homme doré, des femmes s’af­fairent à plier les kilo­mètres de toile cou­leur safran que les fidèles offrent en signe de véné­ra­tion. Toute une équipe est dédiée, par un sys­tème ingé­nieux de cordes, à dévê­tir le prince pauvre pour le revê­tir de linge propre et d’un orange écla­tant. Tout se passe dans une ambiance à la fois bon-enfant et res­pec­tueuse. Je m’a­muse plus à obser­ver la pié­té des fidèles devant cette gigan­tesque masse si impo­sante qu’on n’ar­rive pas en voir toutes les par­ties au niveau du sol plu­tôt que m’ex­ta­sier devant un Boud­dha qu’il est dif­fi­cile d’ap­pré­hen­der. Les enfants s’a­musent à faire réson­ner le tam­bour le plus fort possible.

Thaïlande - Ayutthaya - 132 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 135 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 136 - Wat Phanan Choeng

Thaïlande - Ayutthaya - 137 - Wat Phanan Choeng

Dehors, un petit temple peint en rouge arbore des idéo­grammes chi­nois sous les­quels brûlent des cen­taines de bâtons d’en­cens. C’est un temple boud­dhiste chi­nois, appa­rem­ment très fré­quen­té. Je retourne vers la bateau qui m’at­tend au pon­ton, où une troupe de Thaïs s’a­muse à jeter par poi­gnées entières des boules de cou­leurs aux énormes pois­sons-chats qui se che­vauchent pour attra­per leur nour­ri­ture. Plus qu’une habi­tude, c’est un geste sacré de nour­rir ces pois­sons (Pan­ga­sia­no­don gigas) dont les plus gros spé­ci­mens dépassent le mètre. Il paraît qu’un pêcheur a sor­ti de l’eau un spé­ci­men mesu­rant plus de trois mètres pour 293 kilos. On les voit pul­lu­ler ici, mais aus­si en plein Bang­kok, et leur nombre paraît si impres­sion­nant qu’il masque tota­le­ment le fait que c’est une espèce en voix d’ex­tinc­tion, vic­time de la sur­pêche. Cer­tains de ces pois­sons n’hé­sitent pas à se mon­ter les uns sur les autres pour attra­per la nour­ri­ture, mon­trant par­fois leur ventre blanc rebon­di au ciel… Le fait de savoir ces fleuves majes­tueux infes­tés de ces gros pois­sons les rendent un peu inquié­tants ; même si ces bêtes sont loin d’être car­ni­vores, l’i­dée de les côtoyer, moi qui adore l’eau mais uni­que­ment lorsque je suis des­sus et non dedans, me donne des sueurs froides.

Thaïlande - Ayutthaya - 138 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 140 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 141 - Sur la Chao Phraya

La petite embar­ca­tion remonte la rivière Pa Sak vers le nord, à contre-cou­rant, le long des rives dont cer­taines sont plan­tées de petits temples entou­rant un che­di blanc, soli­taire, se décou­pant sur le ciel cou­leur de miel. Des barges pour­rissent, encore atta­chées à leur pon­ton, par­mi les jacinthes d’eau qui enva­hissent tout, au pied de mai­sons en bois dont les ter­rasses laissent libre cours à la flâ­ne­rie de ceux qui s’y pré­lassent. Des entre­pôts en bois doit les pieds baignent dans la rivière semblent sur le point de s’é­crou­ler au pre­mier coup de vent, mais les Thaïs sont des bâtis­seurs de pre­mier ordre, et même si leurs construc­tions ne sont pas faites pour durer dans le temps, elles sont au moins pré­vues pour durer le temps de leur uti­li­sa­tion. Rien de plus, rai­son pour laquelle on peut voir des usines entières som­brer dans l’eau des maré­cages, désor­mais inutiles et inuti­li­sables, leur longues che­mi­nées de briques dai­gnant encore poin­ter leurs doigts effi­lés vers le ciel.

Thaïlande - Ayutthaya - 143 - Sur la Chao Phraya

Thaïlande - Ayutthaya - 144 - Sur la Chao Phraya - Elephant

Thaïlande - Ayutthaya - 146 - Sur la Chao Phraya

Sur les berges, on peut voir des élé­phants lon­ger la rive en se balan­çant comme le font les ani­maux en cap­ti­vi­té ; des chaînes entravent les pieds mas­sifs de ces énormes pachy­dermes qu’on contraint à res­ter au même endroit pour le spec­tacle, mais cette exhi­bi­tion me désole. Je pré­fère ne rien rete­nir de ces moments qui ne me sont pas des­ti­nés. Je fais signe au nau­to­nier de conti­nuer son che­min et je m’en­gouffre dans ce canal plus étroit qui a été creu­sé au nord pour relier les deux rivières, entou­rant ain­si la vieille ville d’eau pour en faire une île, un immense navire pro­té­gé natu­rel­le­ment du reste du pays. L’embarcation file jus­qu’à rejoindre un lieu beau­coup plus boi­sé, où les ter­rasses de petits res­tau­rants coquets, déjà fré­quen­tés par ceux qui ne tra­vaillent plus, avancent dans l’eau et la surplombe.

Thaïlande - Ayutthaya - 147 - Wat Chaiwatthanaram

Un immense che­di blanc et doré (Che­di Sri Suriyo­thai) se pro­file sur la gauche ; c’est l’u­nique ves­tige d’une rési­dence royale, por­tant le nom d’une reine du Siam ayant vécu au XVIè siècle, icône d’un cer­tain natio­na­lisme un peu dépla­cé. La moi­tié supé­rieure de monu­ment, entiè­re­ment recou­verte d’or, res­plen­dit dans l’air du soir, ren­voyant la lumière du soleil alen­tour, tel un phare immo­bile au pied de la rivière sacrée.

Thaïlande - Ayutthaya - 149 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 150 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 152 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 153 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 155 - Wat Chaiwatthanaram

Tan­dis que le soir est prêt à tom­ber, que le soleil plonge vers l’ouest, il reste sus­pen­du dans l’air vapo­reux au-des­sus de la sil­houette pas tout à fait incon­nue d’un grand temple, le cei­gnant d’une cou­ronne de lumière d’ambre. Je dis pas tout à fait incon­nue car je me trouve face à un temple, le Wat Chai Wat­tha­na­ram, qui peut faire pen­ser aux ombres dan­santes des temples khmers d’Ang­kor, même si celui-ci est plus tar­dif. Son prang prin­ci­pal, construit dans le style Khom, est un chef‑d’œuvre d’ar­chi­tec­ture qui culmine à 35 mètres de haut. Sa construc­tion géo­mé­trique lui donne fière allure et les huit che­di qui l’en­tourent forment une pro­me­nade un peu déso­lante, car les sta­tues de Boud­dha qui la jonchent sont elles aus­si meur­tries, déca­pi­tées depuis l’in­va­sion des Birmans.

Thaïlande - Ayutthaya - 156 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 157 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 158 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 160 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 164 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 167 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 169 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 172 - Wat Chaiwatthanaram

Thaïlande - Ayutthaya - 173 - Wat Chaiwatthanaram

Le temple n’a été res­tau­ré et rou­vert au public que depuis 1992. Les plus grandes sta­tues ont été res­tau­rées elles aus­si, sur­mon­tées de têtes en ciment inex­pres­sives et sans charme. Cer­taines des sta­tues servent de repo­soirs à oiseaux qui ne se gênent pas pour s’ou­blier sur les épaules du Prince Sid­dhar­tha. La brique affleure par­tout, seuls quelques che­di arborent encore des traces de stuc blanc, entre les mau­vaises herbes qui poussent dans l’ap­pa­reillage de briques bran­lantes. L’air sent bon la fraî­cheur des maré­cages, un je-ne-sais-quoi de végé­tal chaud, de terre char­gée d’his­toire, enro­bée de la cha­leur moite d’une fin de jour­née au cœur de la Thaï­lande. Le soleil se cache der­rière une brume épaisse qui donne au pay­sage une cou­leur intem­po­relle dans une fin de jour­née qui s’é­tire dans un soir éter­nel. Le disque orange se montre dans toute sa beau­té, illu­mi­nant les pierres aban­don­nées dans un décor de fin du monde…

Thaïlande - Ayutthaya - 175 - Wat Phutthaisawan

Thaïlande - Ayutthaya - 176 - iuDia

La ter­rasse de la suite Okun, hôtel iuDia, ma chambre…

Thaïlande - Ayutthaya - 177 - iuDia

Le long-tail boat me ramène au pied de l’hô­tel tan­dis que le soleil a fini par s’é­va­nouir der­rière l’ho­ri­zon. La sil­houette éti­rée du Wat Phut­thai­sa­wan semble attendre la nuit dans son écrin arbo­ré. Le corps four­bu, la peau cuite par un soleil que je n’ai même pas vu, je pro­fite des der­niers ins­tants du jour pour plon­ger dans la pis­cine de l’hô­tel depuis laquelle je vois les pre­mières lumières s’illu­mi­ner sur le temple de l’autre côté de la rivière sacrée. C’est un moment unique, un de ceux que l’on aime­rait voir durer toute une vie et qui ne sont au final que les touches finales qui servent à don­ner au voyage une cou­leur que les rudes ins­tants de la vie n’ar­rivent pas à effa­cer. Tan­dis que je flotte sur l’eau claire de la pis­cine, les yeux tour­nés vers le ciel, je me remé­more cette chaude jour­née, ma pre­mière en Thaï­lande dans ce nou­veau périple, pas­sant mes doigts sur ma poi­trine libre comme pour mieux lais­ser mon cœur se repaître de ce pays aux accents magiques. J’en­tends l’ap­pel du muez­zin, quelque peu incon­gru dans un pays où les boud­dhistes sont rois, en regar­dant la rivière dont je me demande si le cou­rant n’a pas chan­gé de sens depuis ce matin…

Le soir venu, je remonte U‑Thong road vers les res­tau­rants qui flottent sur la rivière et jette mon dévo­lu sur une adresse que je ferai tout pour oublier, le Sai­thong River. Ce n’est ni plus ni moins qu’une can­tine sans charme dans laquelle je pen­sais pou­voir trou­ver mon compte, mais ce n’est qu’une usine à tou­ristes où les ser­veuses poussent à la consom­ma­tion en rem­plis­sant mon verre de bière à chaque gor­gée, où la nour­ri­ture est grasse et sans raf­fi­ne­ment ; ambiance pour Chi­nois affai­rées à se rem­plir de whis­ky coca fas­ci­nés par un gui­ta­riste folk qui reprend des stan­dards occi­den­taux pour évi­ter le dépay­se­ment. Je me rem­plis l’es­to­mac et quitte l’en­droit avec empres­se­ment pour rejoindre la ter­rasse de ma chambre sur la rivière ; ici il fait calme et doux, seul le cla­po­tis de la rivière vient per­tur­ber mes doux rêves d’Ayut­thaya, et la bière ache­tée au 7/11 prend tout de suite une autre saveur…

Je m’en­dors en me deman­dant ce qu’il peut y avoir au cœur de tous ces prang

Read more
Ayut­thaya sto­ries #2 : Boud­dhas, viharns et ubo­soths à Ayutthaya

Ayut­thaya sto­ries #2 : Boud­dhas, viharns et ubo­soths à Ayutthaya

Lorsque j’ouvre les yeux, il est déjà 9h00. Trop tard pour moi, le monde alen­tour s’a­muse déjà sans m’at­tendre. Il fait bon dans la chambre et la nuit a été repo­sante, mais dehors il fait déjà chaud, et la lumière du matin revêt des appa­rences de sable maré­ca­geux, un ocre jaune qui teinte ma peau d’une étrange cou­leur. Je vais devoir m’y habi­tuer, la lumière d’i­ci est incom­pa­rable, ne res­semble à rien de ce que je connais. Quelques bateaux passent à une dizaine de mètres de ma ter­rasse sur laquelle je me pré­lasse après un petit déjeu­ner somme toute assez moyen et une douche qui me décrasse de l’at­mo­sphère pois­seuse de l’a­vion. Deux écu­reuils for­niquent dans le fran­gi­pa­nier qui me sert de para­sol tan­dis que j’en­tends mon­ter les pirith d’un moine priant dans le temple de l’autre côté de la rivière. Dans la lumière du matin, je me rends compte que plu­sieurs des che­di du Wat Phut­thai­sa­wan sont en réa­li­té en brique nue, un seul est encore recou­vert de ciment blan­chi. C’est un temple qui reste magni­fique mal­gré le peu d’in­té­rêt que lui portent les touristes.

Thaïlande - Ayutthaya - 001 - Pont dans la vieille ville

Thaïlande - Ayutthaya - 002 - Elephants

Ayut­thaya est une ancienne ville royale. Son vrai nom est Phra Nakhon Si Ayut­thaya, (พระนครศรีอยุธยา). Le début de l’his­toire de cette ville remonte à 1350, date de sa fon­da­tion pour le roi U‑Thong (Rama­thi­bo­di Ier) , d’o­ri­gine chi­noise et pre­mier roi du Royaume d’Ayut­thaya qui fut pen­dant quelques temps la capi­tale de ce qu’on appelle aujourd’­hui la Thaï­lande. Mais les Bir­mans, conduits par le roi Bayin­naung (ဘုရင့်နောင်), détrui­sirent la ville en 1569 après un long siège qui fit alors du Siam une pro­vince vas­sale de son empire. Exsangue, la ville d’Ayut­thaya fut détruite à nou­veau par les Bir­mans et défi­ni­ti­ve­ment aban­don­née comme capi­tale en 1767, date à laquelle le géné­ral Tak­sin (Borom­ma Rat­cha­thi­rat VI — สมเด็จพระเจ้าตากสินมหาราช) se replie sur Thon­bu­ri, sur la rive droite de Bang­kok, pour en faire sa capi­tale et s’y faire couronner.
Le nom d’Ayut­thaya est direc­te­ment issu du nom de la ville indienne Ayod­hya (अयोध्या , qui ne peut être conquise), ville mythique et capi­tale du grand Rāmā, héros du Rāmāya­na.

Thaïlande - Ayutthaya - 003 - Skylab

Thaïlande - Ayutthaya - 004 - Promenade dans la ville

Voi­là pour­quoi je suis ici, parce que c’est une ville d’im­por­tance majeure et qu’il en reste quelques ruines, même si la proxi­mi­té avec la Pa Sak et la Chao Phraya l’a plu­sieurs fois inon­dée au point que les fon­da­tions des plus beaux temples sont aujourd’­hui for­te­ment mena­cées. Les temples s’en­foncent tout dou­ce­ment dans le sol maré­ca­geux, les stucs s’ef­fritent et les sta­tues de Boud­dha déca­pi­tées par les Bir­mans lors de leurs raz­zias suc­ces­sives assistent avec impuis­sance à la chute de la gran­deur de cette ville royale qui dis­pa­raît avec une len­teur inexo­rable dans un sol regor­geant du sang des sol­dats. En 2011, toute la région dis­pa­raît sous l’eau de la mous­son, pro­vo­quant des glis­se­ments de ter­rains et rava­geant des terres agri­coles. 270 per­sonnes ont péri dans cette catas­trophe. Il ne reste que des amas de briques bran­lantes, des che­di tor­dus, des murs qui ondulent, des colonnes bri­sées, des espla­nades qui ont été fou­lées par des rois, des moines, une armée de sol­dats, qui tous, ont fait l’his­toire. Alors je suis venu ici parce que je serai peut-être un des der­niers témoins de la gran­deur de cette ville dont les pierres me susurrent à l’o­reille qu’il ne faut pas oublier les lieux qui ont fait les peuples, et les peuples qui ont don­né vie aux lieux.

Thaïlande - Ayutthaya - 005 - Banian

Thaïlande - Ayutthaya - 006 - Wat Maha That

A Ayut­thaya, pas de tuk-tuk comme à Bang­kok, mais des Sky­lab. C’est à peu près la même chose sauf qu’au lieu d’être (mal) assis dans le sens de la route, on se tient de chaque côté de la petite chose péta­ra­dante, sur des ban­quettes par­fai­te­ment incon­for­tables, mais cela reste le moyen le plus (non pas éco­lo­gique, même si ces bébêtes roulent au gaz pro­pane) (non pas confor­table, non non)… je ne sais pas, pit­to­resque ? Agréable ? Le plus pra­tique… pour visi­ter la ville. Contrai­re­ment à la vieille ville de Sukh­to­thaï qui n’est pas habi­tée à l’in­té­rieur, Ayut­thaya reste vivante et les habi­tants de la ville ne font qu’un avec leur patri­moine. Je monte à l’in­té­rieur d’un de ces petits sky­labs, un tout bleu mis à dis­po­si­tion par l’hô­tel pour me rendre dans les temples. Si la ville paraît petite sur le plan, par­cou­rir la ville à pied serait absurde. Les dis­tances sont beau­coup trop longues et arpen­ter de longues ave­nues droites et sans charme, et sur­tout sans trot­toirs, serait une perte de temps mani­feste ; et pour­tant, je reste un grand par­ti­san de la marche à pied (mon aven­ture de Yogya­kar­ta res­te­ra dans les annales de la ran­don­née). Le chauf­feur s’ap­pelle Mr Sinh, c’est un grand bon­homme qu’on sent bon vivant, la cin­quan­taine asia­tique (il fait dix ans de moins), ser­viable et dis­cret ; il se fait payer à l’heure et me fait bien com­prendre qu’il peut m’emmener par­tout où je le désire. Plu­sieurs fois, il sera assez sur­pris de ce que je lui demande…

Thaïlande - Ayutthaya - 007 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 011 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 014 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 018 - Wat Maha That

Le pre­mier temple que je choi­sis est assu­ré­ment un des plus connus, un des plus grands aus­si. Une fois sur place, je suis assez éton­né de voir qu’il n’y a pas grand-monde, ce qui n’est pas pour me déplaire. Il fait une cha­leur de four­naise sous un soleil déjà haut, même si le ciel reste cou­vert tout le temps. Le Wat Maha That est situé en plein cœur de la ville. Sa construc­tion remonte à l’é­poque de sa fon­da­tion ; le roi Som­det Phra Borom­ma­ra­cha­thi­rat, troi­sième roi d’Ayut­thaya, en com­mence l’é­di­fi­ca­tion en 1374, à deux pas du Palais Royal. Le plan en est, comme sou­vent dans les Wat les plus anciens, émi­nem­ment simple. On y entre par le côté sud pour y cir­cu­ler dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (ce qui n’est pas très boud­dhiste puisque la cir­cu­mam­bu­la­tion — Pra­dak­shi­na — se fait tou­jours par la gauche, dans le sens de la marche du soleil, la sta­tue du Boud­dha ou le che­di à sa droite). Au centre, se trouve le Prang1 prin­ci­pal, entou­ré d’une cour car­rée. A l’est, le grand viharn (salle de prière) et à l’ouest, le ubo­soth (salle d’or­di­na­tion). Les autres viharn sont dis­po­sés de chaque côté mais de manière assez aléa­toire, de même que les che­di et les petits prang.

Thaïlande - Ayutthaya - 019 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 021 - Wat Maha That

Non loin de l’en­trée, on trouve la fameuse tête de Boud­dha empri­son­née dans les racines d’un ficus. Per­sonne aujourd’­hui ne sait d’où vient cette tête ni ce qu’elle fait là, mais ce qui est cer­tain, c’est qu’a­près le pas­sage des Bir­mans qui se sont achar­nés à détruire toutes les têtes les plus acces­sibles, celle-ci fait office de miraculée.

Thaïlande - Ayutthaya - 024 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 025 - Wat Maha That

La nature ici reprend ses droits et les arbres qui poussent de manière assez anar­chique dans la cour du temple sont consi­dé­rés comme sacrés, même s’ils s’emploient assez inexo­ra­ble­ment à déchaus­ser les pierres dans les­quelles ils poussent et à consti­tuer un par­fait par­cours du com­bat­tant pour le mal­adroit que je suis. Plu­sieurs fois, je manque de me retrou­ver face contre terre à cause de ces mau­dites racines qui ne trouvent rien de mieux à faire que labou­rer la terre dans l’a­nar­chie la plus totale.

Thaïlande - Ayutthaya - 028 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 030 - Wat Maha That

Même si j’ai conscience de me trou­ver dans un lieu de mémoire, je me rends à l’é­vi­dence que ce spec­tacle est assez triste. L’é­tat de déla­bre­ment du temple me pince le cœur. Boud­dhas démem­brés, déca­pi­tés, sculp­tés dans un grès patiem­ment ron­gé par les pluies, plâtres décon­fits et se déta­chant par plaques entières, le Wat Maha That s’é­va­nouit tout dou­ce­ment dans les arcanes du temps. Il ne reste que deux figures de Boud­dha com­plètes, majes­tueuses et silen­cieuses, assises de chaque côté du plus grand des Prang, dans la posi­tion du bhū­mis­parśa-mudrā.

Juste avant son Éveil, Śākya­mu­ni, assis sous l’arbre de la bod­hi, subit les assauts du « régent » du saṃsā­ra, Māra (aus­si appe­lé Pāpīyān, le « pire »). Crai­gnant de perdre son ascen­dant sur les êtres domi­nés par les pas­sions, celui-ci envoie d’abord ses armées, dont les flèches se trans­forment en fleurs dès que le futur Bud­dha les regarde ! Dépi­té, Māra déclare alors avec orgueil qu’il doit sa posi­tion insigne aux très nom­breux mérites qu’il a accu­mu­lés au cours de ses vies anté­rieures et dénie au futur Bud­dha d’en avoir autant que lui…
Le maître touche alors la terre pour prou­ver sa déter­mi­na­tion inébran­lable à res­ter sur les lieux et pour prendre à témoin la déesse-terre Sthā­varā (ou Pri­thvī). Celle-ci appa­raît, lui rend hom­mage et, tor­dant sa che­ve­lure, en extrait toute l’eau accu­mu­lée au fil des ères cos­miques, chaque fois qu’une liba­tion a été effec­tuée lors d’un don du bod­hi­satt­va. Cette eau est si abon­dante qu’elle emporte les armées de Māra.
Source : Ins­ti­tut d’é­tudes bouddhiques

Déam­bu­ler dans ces ruines donne le tour­nis. Voir ces che­di et ces prang se contor­sion­ner pour res­ter droits est peut-être une signe que Boud­dha agit sur l’ordre du monde pour que les briques ne s’é­croulent pas.

Thaïlande - Ayutthaya - 041 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 044 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 045 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 046 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 050 - Wat Maha That

Thaïlande - Ayutthaya - 051 - Wat Maha That

Sur quelques murs, on peut encore voir le plâtre des pilastres en forme de fleurs de lotus qui autre­fois ornaient la nais­sance des plafonds.

Je viens d’ar­ri­ver et déjà la cha­leur m’ac­cable ; à peine accou­tu­mé, je manque de m’é­va­nouir avant de me vider une bou­teille d’eau sur la tête. La fatigue, la cha­leur, l’é­mo­tion, la joie aus­si sans doute, tout ceci ali­mente mon syn­drome de Jérusalem.

Thaïlande - Ayutthaya - 059 - Skylab

Je rejoins Mr Sinh à qui je demande de m’ac­com­pa­gner main­te­nant au Wat Rat­cha­bu­ra­na. Peu conscient des dis­tances indi­quées par le plan, je fais bien rigo­ler mon chauf­feur qui me montre que les deux temples sont col­lés l’un à l’autre en m’in­di­quant l’im­mense prang blanc à une cen­taine de mètres de là. Mais pas de sou­ci, il me demande de mon­ter dans le sky­lab et me voi­là trans­por­té dans un autre monde de prang en à peine dix secondes. Si je n’é­tais pas en Thaï­lande, je pour­rais dire que je ris jaune de ma bêtise…

Thaïlande - Ayutthaya - 060 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 063 - Wat Ratchaburana

Le Wat Rat­cha­bu­ra­na est plus récent que son voi­sin. Son édi­fi­ca­tion com­mence en 1424 sur les ordres du roi Som­det Phra Borom­ma­ra­cha­thi­rat II , cin­quième roi de la cité, sur le site même de la cré­ma­tion de ses deux frères ainés, les­quels se sont gen­ti­ment entre­tués pour la suc­ces­sion de leur roi de père. Visi­ble­ment, aucun n’a gagné.

Thaïlande - Ayutthaya - 065 - Wat Ratchaburana

Ce temple dis­pose du plus beau prang de la ville, élan­cé et fier, il est encore recou­vert des stucs d’o­ri­gine, et l’on peut encore voir Garu­da fon­dant sur un nāga sur un des coins. A l’in­té­rieur (il faut mon­ter une volée de marches peu recom­man­dables pour ceux qui souffrent de ver­tige), on peut redes­cendre à l’in­té­rieur de la cel­la par une autre volée de marche que je qua­li­fie­rais volon­tiers de casse-gueule… La décou­verte de cette cavi­té est rela­ti­ve­ment récente et si la sueur de dégou­line pas trop sur le visage et que l’at­mo­sphère suf­fo­cante du lieu per­met de ne pas s’é­va­nouir, on peut voir de magni­fiques fresques très aériennes, dont les traits noirs sont encore par­fai­te­ment visibles et les rouges aus­si écla­tants qu’au pre­mier jour.

Thaïlande - Ayutthaya - 066 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 068 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 069 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 072 - Wat Ratchaburana

Thaïlande - Ayutthaya - 073 - Wat Ratchaburana

De ce temple récent et du haut du prang, on peut admi­rer les ruines encore hautes du viharn et de l’ubo­soth, aux murs de brique épais et hauts, dont on voit encore l’in­cli­nai­son qui sup­por­tait autre­fois le toit en bois. Ici non plus, pas la peine de s’es­cri­mer à cher­cher le moindre Boud­dha encore entier.

Me voi­ci repar­ti dans mon petit sky­lab vers un autre temple. Le Wat Phra Si San­phet (Temple du Saint, Splen­dide Omni­scient). Voi­ci le temple le plus véné­ré de la ville, le plus éten­du en sur­face mais éga­le­ment tel­le­ment magni­fique qu’il a ser­vi de modèle au Wat Phra Kaeo de Bang­kok. A l’en­droit même où l’on peut voir aujourd’­hui les trois énormes che­di, se trou­vaient trois bâti­ments de bois construits par le fon­da­teur de la ville, U‑thong : le Phai­thun Maha Pra­sat, le Phai­chayon Maha Pra­sat et le Aisa­wan Maha Pra­sat. En 1448, le roi Borom­ma­trai­lok­ka­nat décide la construc­tion d’un nou­veau palais et conver­tit les bâti­ments royaux en che­di. Un autre temple fut construit à proxi­mi­té, ren­fer­mant une immense sta­tue de Boud­dha (Phra Si San­phet­dayan) de 16 mètres de haut, entiè­re­ment recou­verte d’or (envi­ron 343 kilos au total) et qui consti­tuait le prin­ci­pal objet de véné­ra­tion du lieu, mais tout fut détruit lors de l’in­va­sion des Bir­mans. Du fait de son rôle de temple royal, aucun moine n’a jamais occu­pé les lieux, ce qui explique l’ab­sence de salle d’or­di­na­tion (ubo­soth).

Thaïlande - Ayutthaya - 076 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 077 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 078 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 079 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 082 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 090 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 091 - Wat Phra Si Sanphet

Du côté nord du temple, des petits viharn contiennent des sta­tues déca­pi­tées de Boud­dha, que per­sonne ne vient plus visi­ter. Ce sont des petits havres de paix où seuls les chiens errants cher­chant à fuir la foule et la cha­leur viennent se réfu­gier. Et moi. La suc­ces­sion de ces che­di encore un peu blancs donne une pers­pec­tive superbe et un air de majes­té à l’en­droit. Avec leur cône sur le som­met, ils sont une par­faite repré­sen­ta­tion sty­li­sée et ani­co­nique du Boud­dha. Si les Bir­mans avaient sur ça, ils auraient fait bien plus de dégâts.

Thaïlande - Ayutthaya - 093 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 097 - Wat Phra Si Sanphet

Thaïlande - Ayutthaya - 101 - Wat Phra Si Sanphet

Juste à côté des ruines du temple majes­tueux, se trouve le Viha­ra Phra Mong­khon Bophit. Comme son nom l’in­dique, ce n’est pas un temple, mais juste un viharn, une salle de prière où l’on trouve un énorme Boud­dha doré cen­sé repré­sen­ter celui qui a dis­pa­ru. C’est ici que l’on voit que cette figure un peu gros­sière et clin­quante inté­resse beau­coup plus les dévots habi­tants d’Ayut­thaya que les ruines sécu­laires. On peut voir ici les gens prier, bâtons d’en­cens et fleurs de lotus blot­tis dans leurs mains jointes, accrou­pis ou debout face à l’im­mense sta­tue jaune d’or. Je reste ici quelques ins­tants à me repaître de tous ces visages tour­nés vers leur objet de dévo­tion, des visages empreints de séré­ni­té, autant que de rési­gna­tion. Tout ce monde m’é­tour­dit, les enfants crient, les jeunes parlent forts, il n’y a visi­ble­ment aucune obli­ga­tion de dis­cré­tion aux abords du temple.

Thaïlande - Ayutthaya - 104 - Vihara Phra Mongkhon Bophit

Thaïlande - Ayutthaya - 106 - Vihara Phra Mongkhon Bophit

La jour­née avance et mon esto­mac com­mence à crier famine. Je demande à Mr Sinh de me rame­ner au Wat Rat­cha­bu­ra­na, mais il semble ne pas com­prendre. On en vient !!! Oui mais je lui explique que je veux aller déjeu­ner et que c’est là-bas que je veux retour­ner. Lorsque je lui parle du res­tau­rant Chi­cken noo­dles, il com­prend mieux. A l’ombre d’une ton­nelle en métal, sur un petit siège en plas­tique, je me régale d’une soupe de pou­let aux nouilles que je m’empresse de subli­mer avec de la sauce soja et de la purée de piment. Pour quelques bahts de plus, je bois un soda trop sucré. Mr Sinh s’est assis à une table près du trot­toir pour se rafraî­chir d’un coca noyé dans les cubes de glace. Prêt à bon­dir si tou­te­fois je déci­dais d’al­ler ailleurs. Je l’in­vi­te­rais bien à ma table, mais ce sont des choses qui ne se font pas. Ce que je ferais par hos­pi­ta­li­té, lui pren­drait ça pour un geste d’ir­res­pect à mon égard… Je déteste cette impres­sion d’être à la fois un enva­his­seur et un pro­fi­teur… autant qu’un porte-mon­naie ambulant…

Thaïlande - Ayutthaya - 108 - Etudiants

Thaïlande - Ayutthaya - 109 - Chicken noodles

Thaïlande - Ayutthaya - 110 - Chicken noodles

Thaïlande - Ayutthaya - 111 - Chicken noodles

Une fois ras­sa­sié, je lui demande de me rame­ner à l’hô­tel, mais la jour­née est loin d’être terminée.

Notes :

1 — Le Prang se dis­tingue du Stu­pa par le fait qu’il est géné­ra­le­ment ouvert et per­met l’ac­cès à une cel­la. Son rôle est le même, c’est une tour sanc­tuaire ren­fer­mant géné­ra­le­ment des reliques.

Read more