Dec 25, 2013 | Passerelle |

Ça ne tient pas à grand-chose, ou plutôt ça tient à l’abondance de choses. Des lumières pour lutter symboliquement contre les forces des ténèbres qui nous engloutissent à cette période de l’année ; beaucoup de nourriture pour faire bombance une fois l’an, comme une sorte de carnaval qui aurait vocation à exorciser quelque chose ; du champagne, des bulles, plus qu’il ne faudrait ; et puis une débauche de cadeaux pour ceux qu’on aime ; des couleurs, des chansons, des décorations. Noël c’est avant tout l’abondance, pour soi et pour les autres. (more…)
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Dec 23, 2013 | Arts |
Cette très belle Maestà de Giovanni Cenni di Pepe, plus connu sous le nom de Cimabue (dont nous ne connaissons d’ailleurs pas le visage puisque l’illustration de son entrée — la première — des Vite de Giorgio Vasari n’a été composée que d’après une gravure d’époque) est conservée dans la même salle (la n°2) du Musée des Offices que la Maestà de Duccio, précédemment étudiée. La présence des deux tableaux (plus un autre que nous étudierons plus tard) n’est pas fortuite puisque ce sont des “tableaux de référence”. Référence car à la fois modèle issu des canons de la peinture byzantine et parangon de peinture pré-Renaissance ; elles sont révélatrices d’une vision momentanée de l’art, aussi bien que la référence de ce qui viendra après et qui le permettra.
Je reste persuadé qu’afin d’avoir une bonne vision des œuvres qu’on étudie, il faut avoir un minimum de connaissances sur plusieurs environnements ; d’abord la vie des artistes, ensuite l’histoire de la religion et l’histoire tout court, puis également s’intéresser aux commanditaires, et nous entrons ainsi dans une système économique dont la surface du bois peint n’est plus que l’expression ultime. Dressons le décor. Trois hommes nés à quelques années d’écart vont créer une dynamique picturale qui va faire basculer l’histoire de l’art du conservatisme byzantin à la modernité de la Renaissance.
- Cimabue (1240–1305)
- Duccio di Buoninsegna (1255–1319)
- Giotto di Bondone (1267–1337)
On le voit à leurs dates de naissance et mort, ils naissent tous les trois à plus ou moins dix ans d’écart et ce n’est pas un hasard qu’ils aient joué sur une telle scène et soient aussi déterminants car les trois hommes se connaissaient très bien ; en effet, les deux derniers ont été les élèves du premier. Cimabue occupe donc une place centrale qu’on a souvent du mal à lui restituer. Sur les trois, c’est Giotto qui remporte toujours les faveurs du plus grands nombres, mais j’ai toujours un peu de tristesse lorsque je constate à quel point on ne prend pas en compte l’influence des ainés, même si l’élève dépasse le maître. On devrait toujours dire Giotto, élève de Cimabue, comme un épithète indissociable. Donc après avoir parlé de Duccio et avant d’en venir à Giotto, il me semble normal, dans cette fresque sur les plus belles Maestà de l’histoire de la peinture, de faire un grand détour par Cimabue, que nous étudierons d’ailleurs à deux reprises au moins. Faisons fi de la chronologie pour aller où bon nous semble.

Voici donc une Maestà peinte aux alentours de 1280, mesurant 385 × 223 cm, légèrement plus petite donc, que celle de Duccio, mais immense tout de même. Lorsque l’on songe que ces tableaux étaient peints en tempera (c’est-à-dire avec cette technique immémoriale qui servait à peindre les icônes byzantines) sur des panneaux de bois, c’est-à-dire un matériau cher (le passage à la toile est implicitement un souci d’économie), et dont les parties les plus nobles étaient recouvertes de feuilles d’or, on a peine à imaginer à quel point ces œuvres sont avant tout œuvres de richesse avant d’être œuvres de religion. La tableau est donc peint, sur la commande de l’abbaye de Vallombrosa, pour l’église dont elle porte le nom, la petite basilique Santa Trinita de Florence (à deux pas du pont Santa Trinita et face à la Colonna della Giustizia, colonne monolithique en granit provenant des termes de Caracalla). Après une parcours dégradant, elle finit dans la salle n°2 de la Galerie des Offices. (more…)
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Dec 10, 2013 | Arts |
Nous voici face à une œuvre d’une force considérable. La Maestà (Vierge en majesté) portant le nom de la chapelle de Santa Maria Novella de Florence dans laquelle elle a longtemps été exposée, jusqu’en 1937, est en tout point conforme aux canons de la peinture byzantine. Le grand Siennois Duccio di Buoninsegna, Duccio pour les intimes, a réalisé là ce que la religion d’alors exigeait d’un peintre en matière d’art, ni plus, ni moins. C’est en tout cas ce qu’on certainement crû les commanditaires de ce tableau aux dimensions colossales (290x450 cm) puisque le tableau est longtemps resté accroché dans l’église.

Fond doré, taille et position des deux personnages principaux, principe isométrique de la perspective du trône, tout y est ; c’est une œuvre qui a voix au chapitre. Mais Duccio avait du génie et si l’on regarde ce tableau d’un peu plus près, on voit que le peintre n’a pas fait l’économie du parti pris esthétique. Évidemment, la Vierge est la plus belle des femmes, rien à redire là-dessus, mais la Vierge de Duccio a le regard de biais, le regard tendre et attendri, elle n’a en aucun cas ce regard froid de bourgeoise qui toise le monde, et ses joues sont légèrement rosies, son teint n’a rien à voir avec le teint cadavérique des peintures d’antan… Voilà enfin une Vierge à échelle humaine, même si ses dimensions la placent bien au-dessus du commun des mortels. La Vierge est donc une femme, une vraie, avec des émotions, de la tendresse, surtout, elle est capable d’émotion, ce n’est pas qu’une pleureuse qui s’effondre au pied de son fils crucifié. En voilà une sacrée nouvelle ! Pour faire bonne mesure et ne pas trop en dire, Duccio a également légèrement rosi les joues du potelé bambin futur Roi du Monde ainsi que celles des anges. Après tout, ce sont aussi des personnages d’essence divine… (more…)
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Dec 9, 2013 | Carnets de route (Osmanlı lale), Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Turquie) |
Épisode précédent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Carnet de voyage en Turquie – 12 août) : Retour à Antalya, en passant par le Mont Chimère (Yanartaş) et l’arrivée à Nevşehir
Bulletin météo de la journée (lundi) :
10h00 : 24°C / humidité : 46% / vent 9 km/h
14h00 : 29°C / humidité : 22% / vent 6 km/h
22h00 : 22°C / humidité : 8% / vent 2 km/h

Derniers kilomètres sur la route qui mène à la Cappadoce. Je viens de dépasser Aksaray (Saray : palais ; Ak : blanc) et je me dis que je n’ai finalement qu’une très vague idée de ce que je vais pouvoir découvrir ici. L’arrivée d’internet a ceci de confortable qu’on peut commencer à voyager avant même de partir, mais je dois confesser que je ne suis pas du tout dans cette optique. Je n’ai que quelques images floues de ce qu’est la Cappadoce, des images que je ne tente pas de faire durcir plus que ça, tant j’ai envie de me laisser surprendre par l’écart entre le fantasme et la réalité. Je ne fantasme qu’avec ce que j’en ai lu sur le Guide Bleu, mon compagnon de route et une fois encore, ce que donne à voir ou à imaginer ces guides ne sont qu’une vision très fragmentaire et très éloignée des émotions qui peuvent nous assaillir sur le terrain. J’avoue être angoissé, de la même manière que j’étais angoissé lorsque je suis arrivé à Antalya, pétri de doutes, apeuré par l’inconnu qui s’ouvre devant moi, sur la réserve lorsque je ne suis plus en terrain connu, prêt à me laisser violenter par ce qui m’attend. (more…)
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Oct 14, 2013 | Livres et carnets, Sur les portulans |
On peut commencer à lire Joseph Kessel en passant par la grande porte, avec Le Lion et les livres qui ont été portés à l’écran et que l’on connaît plus pour leur succès propre que par le nom de celui qui en a écrit l’histoire, comme La passante du sans-souci ou L’armée des ombres. Ou alors on peut entrer par la petite porte avec ses romans de jeunesse ou tardifs, ou ses reportages magnifiques. Il y a de toute façon beaucoup de matière, beaucoup à lire, et c’est ce que j’ai commencé à faire, sans trop crier gare. Une réédition récente de La vallée des rubis m’a permis de découvrir un texte passionnant sur un des lieux les plus étranges de ce monde ; Mogok. Mogok est une ville birmane située dans la région de l’ancienne capitale royale Mandalay. Réputée pour ses mines de pierres précieuses et semi-précieuses, les étrangers ne peuvent s’y rendre qu’avec un permis spécial et à condition qu’ils bénéficient d’une licence leur permettant d’exploiter le commerce des pierres. On sait aussi que les ouvriers des mines sont souvent drogués afin de supporter les conditions de travail abominables dans lesquelles sont extraites les gemmes, et que les autorités font tout pour que cela ne soit pas connu. Pas assez apparemment, mais cela n’empêche pas l’exploitation de continuer.
L’histoire de Kessel se déroule depuis Paris jusqu’à Mogok, où le narrateur et son ami Jean se rendent pour retrouver les traces d’un trésor de rubis « sang-de-pigeon » perdu de manière mystérieuse. Avant d’arriver sur les terres birmanes, ils passent par Bombay, ce qui sera pour eux une expérience glaçante… Je livre ici deux pages de ce grand livre, à lire avec précautions. Âmes sensibles… s’abstenir… (more…)
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