Julius Win­some

Snow Crystal Landscape

Julius Win­some (roman de Gerard Dono­van) est un homme froid, iso­lé dans une cabane en bois au beau milieu de la forêt, presque à che­val sur la fron­tière, dans le Maine. Il vit dans un mai­son que lui a légué son père, une cabane aux murs recou­verts de livres, et se berce de mots dans une atti­tude mutique, proche de l’é­ré­mi­tisme le plus total. Ses quelques incur­sions en ville lui per­mettent de se pro­cu­rer le strict néces­saire, mais son idéal de vie consiste à faire pas­ser ses jours de retraite dans le doux silence de la forêt ennei­gée, avec son unique com­pa­gnon Hobbes, un chien aimant et patient.
Le décor est plan­té. Nous sommes en pleine nature. La neige est tombée.

Lime Tree Avenue in the Snow

Julius Win­some n’est pas un chas­seur, contrai­re­ment aux hommes de la région, mais il pos­sède une Enfield de sni­per que son père tenait de son propre père qui l’a­vait uti­li­sé pen­dant la pre­mière guerre mondiale.
Julius compte pas­ser des moments calmes, bai­gné dans la douce lec­ture de ses livres et par­ti­cu­liè­re­ment des son­nets de Sha­kes­peare, jus­qu’au jour où un coup de feu reten­tit tout près de sa mai­son, un coup de feu qui abat­tra net son com­pa­gnon Hobbes. Le per­son­nage prin­ci­pal va alors se trans­for­mer en une bête sau­vage, froi­de­ment cal­cu­la­trice et avec son Enfield, il va par­cou­rir la cam­pagne blanche pour abattre à son tour les chas­seurs des envi­rons. Com­mence une douce des­cente aux enfers dans le silence étouf­fé de ce cau­che­mar blanc, l’ap­pren­tis­sage de la souffrance.

Je n’at­ten­dais rien et rien n’est arri­vé. Une épaisse couche de glace s’est glis­sée dans mon coeur. Je l’ai sen­tie s’ins­tal­ler, grip­per les sou­papes et apai­ser le vent qui souf­flait dans ma car­casse. Je l’ai enten­due se pla­quer sur mes os, insé­rant du silence dans les endroits fra­giles, dans tout ce qui était bri­sé. Mon coeur a alors connu la paix du froid. J’ai renon­cé à mon ami, et la veillée noc­turne s’est ter­mi­née : désor­mais, seul son esprit vien­drait me rendre visite.

La souf­france de Win­some va se muer tout dou­ce­ment en ins­tinct meur­trier dans lequel la morale n’a plus sa place ; on ne se pose plus la ques­tion de savoir si tuer est bien ou mal. Toute la ques­tion est de savoir si la ven­geance froide devient un bon moyen de pan­ser ses plaies.

La nuit m’a dur­ci comme un bâton et m’a bran­di contre le monde. J’é­tais un bâton mena­çant l’u­ni­vers. J’ai regar­dé ma main qui agrip­pait la crosse. J’é­tais le fusil. J’é­tais la balle, la cible, la signi­fi­ca­tion d’un mot qui se dresse tout seul. Voi­là le sens du mot “ven­geance”, même lors­qu’on le couche sur le papier.

frozen willow

Gerard Dono­van nous sert un roman cru et froid comme un cadavre dans la neige. C’est une ode à l’a­mi­tié, le sou­ve­nir d’un amour per­du et enfin un grand cri de soli­tude adres­sé à tous les dis­pa­rus, dans ce qu’il y a de plus dou­lou­reux. Ce roman éclate comme un coup de fusil dans la forêt, un éclat métal­lique qui se plante dans la chair et nous invite à nous poser une der­nière fois la ques­tion du deuil. Des mots trou­blants qui trouvent un écho au creux de mon existence.

J’ai décou­vert la forme du deuil, et elle m’est deve­nue fami­lière, puisque le moindre recoin, le moindre banc de Fort Kent me rap­pe­laient mon père, tous les endroits qu’il fré­quen­tait. Com­bien de fois suis-je pas­sé devant sa tombe en allant ache­ter du pain et du lait — sur­tout les pre­mières semaines après la dis­pa­ri­tion de l’homme avec qui j’a­vais par­ta­gé les trente pre­mières années de ma vie -, et je me suis deman­dé com­ment tant de science et d’ex­pé­rience avait pu s’é­teindre comme une lampe.

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Nivose entre ombre et lumière

Quelques jours à la mon­tagne sur la com­mune de Bel­le­vaux (Haute-Savoie), des jours pleins d’une saine fatigue et par­fois d’ins­tants de panique dans la neige tom­bant par paquets entiers, bat­tue par le vent. Sur les ver­sants de ces contre­forts des Alpes avec en toile de fond les char­pentes du Mont-Blanc et les Alpes Suisses le soleil s’est mon­tré cabot, jouant avec les crêtes rocheuses et se déro­bant à l’en­vi, tra­çant sur la neige vierge des routes à mi-che­min entre rêve et réalité.

Bellevaux

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Il neige

J’a­vais envie d’un peu de neige alors voi­là, comme il fait froid mais que le ciel est encore clair comme l’eau qui vient de naître, j’ai col­lé quelques flo­cons décou­pés dans mes draps et j’ai allu­mé le ventilateur.
C’est malin, j’en ai plein dans les dents…

EDIT: en fait c’est ça, pour qu’il neige sur Paris, il suf­fit de mettre des flo­cons sur mon blog.

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Retour dans la neige

Retour dans la neige

Lire Robert Wal­ser est un baume pour le cœur. Il fait par­tie de ces Grands Hommes qui ont gar­dé un pied dans le dix-neu­vième siècle et qui se sont pro­me­nés dis­crè­te­ment dans la vie d’autres Grands Hommes, lais­sant quelques traces légères à la sur­face de son époque, imper­cep­tibles. Aus­si, Wal­ser a fait l’ad­mi­ra­tion de Robert Musil, de Franz Kaf­ka mais de manière géné­rale, il est res­té confi­né dans une période un peu bâtarde.
Son écri­ture se carac­té­rise par une vision très infime des choses, son regard s’at­tache au moindre détail au point qu’il a ren­du ce trait si carac­té­ris­tique dans la forme-même de son écri­ture, dans ses «micro­grammes» (Cf. le blog de Jean-Louis Kuf­fer), une écri­ture si minus­cule cou­vrant des petits papiers qu’elle semble tendre vers l’in­fi­ni­ment petit, vers la disparition.
Robert Wal­ser a été inter­né en 1929 à la cli­nique psy­chia­trique d’He­ri­sau en Suisse, et s’est arrê­té d’é­crire en 1933, errant entre ces murs jus­qu’au jour de sa mort à 78 ans, en 1956, jour éton­nant de Noël où il s’en­fon­ça dans la neige jus­qu’à l’é­pui­se­ment, retour­nant ain­si à la neige…

Un soir, après le repas, j’allai encore en hâte au bord du lac dra­pé de je ne sais plus très bien quelle mélan­co­lie plu­vieuse et sombre. Je m’assis sur un banc sous les branches déga­gées d’un saule et ain­si, m’abandonnant à des pen­sées vagues, je vou­lus m’imaginer que je n’étais nulle part, une phi­lo­so­phie qui me pro­cu­ra un bien-être étrange et déli­cieux. L’image de la tris­tesse sur le lac, sous la pluie, était magni­fique. Dans son eau chaude et grise tom­bait une pluie minu­tieuse et pour ain­si dire pru­dente. Mon vieux père avec ses che­veux blancs m’apparut en pen­sées, ce qui fit de moi un enfant timide et insi­gni­fiant, et le por­trait de ma mère se mêla au doux et pai­sible mur­mure et à la caresse des vagues. Avec l’étendue du lac qui me regar­dait comme je le fai­sais moi-même, je décou­vris l’enfance qui me consi­dé­rait elle aus­si, comme avec de beaux yeux lim­pides et bons. Tan­tôt j’oubliais tout à fait où je me trou­vais, tan­tôt je le savais de nou­veau. Quelques pro­me­neurs silen­cieux allaient et venaient tran­quille­ment sur la rive, deux jeunes ouvrières s’assirent sur le banc voi­sin et com­men­cèrent à bavar­der et là-bas sur l’eau, là-bas sur le lac bien-aimé, où les larmes douces et sereines cou­laient pai­si­ble­ment, des ama­teurs de navi­ga­tion voguaient encore dans des bateaux ou des barques, le para­pluie ouvert au-des­sus de leurs têtes, une image qui me fit rêver que j’étais en Chine ou au Japon ou dans un autre pays de poé­sie et de rêve. Il pleu­vait si gen­ti­ment et si ten­dre­ment dans l’eau et il fai­sait si sombre. Toutes les pen­sées som­meillaient puis toutes les pen­sées étaient de nou­veau en éveil. Un vapeur sor­tit sur le lac; ses lumières scin­tillaient à mer­veille dans l’eau lisse et gris argent du lac qui por­tait ce beau bateau comme s’il éprou­vait de la joie à cette appa­ri­tion fée­rique. La nuit tom­ba peu après, et avec elle l’aimable invi­ta­tion à se lever du banc sous les arbres, à s’éloigner de la rive et à prendre le che­min du retour.

Retour dans la Neige, Robert Wal­ser,
tra­duit de l’allemand par Gol­naz Hou­chi­dar, 1999
Édi­tions Points.

Pho­to d’en-tête © Billy Wil­son

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