Sorting by

×

Le manus­crit trou­vé à Sar­ra­gosse de Jean Potocki

Il y avait bien long­temps que je n’a­vais par­ta­gé mes lec­tures. Aus­si, voi­ci un des der­niers titres que j’ai lu, une œuvre étrange et bigar­rée. Lire le Le manus­crit trou­vé à Sar­ra­gosse de Jean Poto­cki, c’est à la fois plon­ger dans un uni­vers fan­tas­tique colo­ré tel qu’on peut encore se le repré­sen­ter dans les films de Sind­bad le marin où l’on pou­vait voir excel­ler les effets spé­ciaux de Ray Har­ry­hau­sen, et c’est aus­si se retrou­ver dans les pages fleu­ries d’un grand roman d’a­ven­ture comme savait par exemple en com­po­ser Robert Louis Ste­ven­son. La pre­mière des ana­lo­gies à laquelle j’ai d’ailleurs pen­sé fait réfé­rence aux Nou­velles mille et une nuits où l’on voit évo­luer dans les nuits moites des grandes capi­tales euro­péennes la sil­houette fine du Prince Flo­ri­zel de Bohême et de son Grand Écuyer, le colo­nel Geraldine.
Voi­ci ce qu’on peut en lire sur Wikipedia:

Roman somme, le chef‑d’œuvre de Poto­cki, tar­di­ve­ment décou­vert en France, a déjà fait cou­ler beau­coup d’encre. Consi­dé­ré par Roger Caillois et les sur­réa­listes comme un des pré­cur­seurs de l’esthétique fan­tas­tique, il a long­temps été pré­sen­té aux lec­teurs sous cet angle. Tzve­tan Todo­rov, dans son Intro­duc­tion à la lit­té­ra­ture fan­tas­tique le désigne même comme le roman modèle de ce qu’il nomme le fan­tas­tique-étrange.
Mais les tra­vaux plus récents et, sur­tout, la ver­sion com­plète du roman montrent que celui-ci va beau­coup plus loin. En effet, il n’emprunte pas seule­ment à la lit­té­ra­ture gothique et fan­tas­tique mais explore aus­si les voies du roman d’ap­pren­tis­sage, du roman liber­tin, du roman à tiroirs, phi­lo­so­phique, pica­resque, et la liste est longue. Pour les cher­cheurs actuels, comme Domi­nique Triaire ou Fran­çois Ros­set, le
Manus­crit trou­vé à Sara­gosse est, plus qu’un livre fan­tas­tique, un roman sur le dis­cours et sur le roman lui-même.

Ce qui frappe au pre­mier abord dans ce livre écrit en fran­çais, c’est la richesse du voca­bu­laire et des images créées. On s’é­tonne aus­si du ton liber­tin qu’on ne retrouve à l’é­poque que dans les écrits d’un Sade. Le livre com­mence  par un aver­tis­se­ment de l’au­teur qui tient lieu d’in­tro­duc­tion car ce fameux manus­crit trou­vé l’est par un offi­cier empri­son­né dont le geô­lier est un parent du nar­ra­teur, un cer­tain Alphonse Van Wor­den. Le récit s’é­crit ensuite sur le modèle des Mille et une nuits, dans le style dit du “conte enchâs­sé” par lequel l’his­toire se déroule lors­qu’une his­toire est racon­tée par un pro­ta­go­niste et dans lequel le per­son­nage raconte lui-même une his­toire, etc.

Le sou­per ne fut point gai et je ma hâtai de sou­hai­ter le bon­soir à mes cou­sines. J’es­pé­rais les revoir dans ma chambre à cou­cher et réus­sir mieux à dis­si­per leur mélancolie.
Elles y vinrent aus­si plus tôt que de cou­tume, et, pour comble de plai­sir, elles avaient inleurs cein­tures dans leurs mains. Cet emblème n’é­tait pas dif­fi­cile à com­prendre. Cepen­dant Émi­na prit la peine de me l’ex­pli­quer. Elle me dit :
— Cher Alphonse, vous n’a­vez point mis de borne à votre dévoue­ment pour nous, nous ne vou­lons point en mettre à notre recon­nais­sance. Peut-être allons-nous être sépa­rés pour tou­jours. Ce serait pour d’autres femmes, un motif d’être sévères, mais nous vou­lons vivre dans votre sou­ve­nir et, si les femmes que vous ver­rez à Madrid l’emportent sur nous pour les charmes de l’es­prit et de la figure, elles n’au­ront du moins pas l’a­van­tage de vous paraître plus tendres ou plus pas­sion­nées. Cepen­dant, mon Alphonse, il faut encore que vous nous renou­ve­liez le ser­ment que vous avez déjà fait de ne point nous tra­hir, et jurez encore de ne pas croire le mal que l’on vous dira de nous.
Je ne pus m’empêcher de rire un peu de la der­nière clause, mais je pro­mis ce qu’on vou­lut et j’en fus récom­pen­sé par les plus douces caresses.

Le roman de Poto­cki fait appel à toutes les figures pos­sibles du genre fan­tas­tique ; his­toires de reve­nants, exor­cisme, folie démo­niaque, éso­té­risme. On voit éga­le­ment appa­raître des Gitans ou des kab­ba­listes, ce qui confère à l’en­semble une colo­ra­tion qui le fait pen­cher du côté du roman ini­tia­tique. Mais avant tout, c’est un grand roman d’a­ven­ture un peu confus et dif­fi­cile à suivre, mais d’une écri­ture lim­pide qui le rend agréable.

» Mais tel n’é­tait point le fils unique du pré­vôt, Mes­sire Thi­baut de la Jac­quière, gui­don des hommes d’armes du roi. Gen­til sou­dard et friand de la lame, grand pipeur de fillettes, rafleur de dés, cas­seur de vitres, bri­seur de lan­ternes, jureur et sacreur. Arrê­tant maintes fois le bour­geois dans la rue pour tro­quer son vieux man­teau contre un tout neuf, et son feutre usé contre un meilleur. Si bien qu’il n’é­tait bruit que de Mes­sire Thi­baud, tant à Paris, qu’à Blois, Fon­tai­ne­bleau, et autres séjours du roi. Or donc, il advint que notre bon Sire de sainte mémoire Fran­çois Ier fut enfin mar­ri des dépor­te­ments du jeune sous­drille, et le ren­voya à Lyon, afin d’y faire péni­tence, dans la mai­son de son père, le bon pré­vôt de La Jac­quière, qui demeu­rait pour lors au coin de la place de Bel­le­cour, à l’en­trée de la rue Saint-Ramond.
» Le jeune Thi­baud fut reçu dans la mai­son pater­nelle avec autant de joie que s’il y fût arri­vé char­gé de toutes les indul­gences de Rome. Non seule­ment on tua pour lui le veau gras, mais le bon pré­vôt don­na à ses amis un ban­quet qui coû­ta plus d’é­cus d’or qu’il ne s’y trou­va de convives. On fit plus. On but à la san­té du jeune gars, et cha­cun lui sou­hai­ta sagesse et rési­pis­cence. Mais ces vœux cha­ri­tables lui déplurent. Il prit sur la table une tasse d’or, la rem­plit de vin, et dit : « Sacre mort du grand diable, je lui veux dans ce vin bailler mon sang et mon âme, si je jamais je deviens plus homme de bien que je ne suis. » Ces affreuses paroles firent dres­ser les che­veux à la tête des convives. Ils se signèrent et quelques-uns se levèrent de table.

Le cinéaste Woj­ciech Jer­zy Has en fit une adap­ta­tion ciné­ma­to­gra­phique en 1965, qu’on peut encore trou­ver dans le repli de la cou­ver­ture de l’é­di­tion limi­tée édi­tée chez Tel Gal­li­mard.
L’é­tran­ge­té de l’œuvre tient à la per­son­na­li­té com­plexe du per­son­nage de Poto­cki, homme très ins­truit, ancien mili­taire et homme poli­tique, sub­ti­le­ment let­tré, cer­tai­ne­ment Franc-maçon, il écri­vit de superbes car­nets de voyage et posa les fon­de­ments de l’eth­no­lo­gie. Son carac­tère com­plexe et pas­sion­né aura rai­son de lui et il som­bre­ra dans une douce folie qui le mène­ra à sa perte pour le moins hor­rible, racon­tée par Roger Caillois.

En 1812, il se retire dans sa pro­prié­té de Ula­dow­ka, en Podo­lie, d’où il ne sort que pour tra­vailler dans la biblio­thèque de Krze­mie­niec. Il est neu­ras­thé­nique, en proie à de fré­quentes dépres­sions ner­veuses, souf­frant en outre de très dou­lou­reuses névral­gies. Dans ces accès de mélan­co­lie, il lime la boule d’argent qui sur­monte le cou­vercle de sa théière. Le 20 novembre 1815, elle est à la dimen­sion vou­lue. Une tra­di­tion veut qu’il l’ait fait bénir par le cha­pe­lain de son domaine (déri­sion ou conces­sion, on ne sait). Il la glisse alors dans le canon de son pis­to­let et se fait sau­ter la cer­velle. Les murs de la pièce en sont tout éclaboussés.

Liens:

Read more

Avant que la terre ne des­sine mol­le­ment ta forme de sa main fouisseuse

Dès la pre­mière lec­ture, cer­taines dédi­caces vous pro­mettent des voyages dont on ne revient pas indemnes. Pour la deuxième fois de ma vie, je tente de me replon­ger dans les lignes sombres de Les sept piliers de la sagesse, l’œuvre sublime de Tho­mas Edward Law­rence dont j’ai inter­rom­pu la lec­ture la pre­mière fois parce que j’ai don­né mon livre à un ami. J’en avais oublié la dédi­cace, poème superbe écrit par l’au­teur à l’at­ten­tion d’un ami dis­pa­ru (cer­tai­ne­ment Sheikh Ahmed connu aus­si sous le nom de Dahoum), un texte en forme de pro­gramme qui donne toute l’en­ver­gure du per­son­nage, à la fois pas­sion­né, méga­lo­mane très cer­tai­ne­ment et char­gé d’une puis­sance à la hau­teur du désert qui l’ac­com­pa­gna une par­tie de sa vie. Sur ce visage solaire, rayon­nant, figé, ne trans­pa­rurent jamais les sca­ri­fi­ca­tions d’une souf­france inté­rieure qui ne put être sou­la­gée que dans les mots de cette œuvre magis­trale, et dans une vie en tous points mar­gi­nale, qui se ter­mi­na au détour d’un virage sur la moto qu’il avait sur­nom­mé George VII, alors qu’il ten­tait d’é­vi­ter deux cyclistes.

à S.A.

Parce que je t’aimais
J’ai pris dans mes mains ces marées d’hommes ;
Avec les étoiles qui le sillonnaient,
Sur le ciel, j’é­cri­vis ma volonté.
A ce prix, j’ob­tins pour toi la liberté,
Demeure sacrée aux sept piliers :
Ain­si tes yeux brillaient-ils pour moi
A mon arrivée.

En route j’eus pour ser­vante la mort.
Nous appro­châmes et t’a­per­çûmes qui attendais.
A la vue de ton sou­rire, pleine d’en­vie et de larmes,
Elle me devan­ça, te prit à part,
Te fit péné­trer dans sa paix.

L’a­mour, las du che­min, aveugle, s’a­van­ça vers toi pour te toucher,
Notre salaire en ce bref instant,
Avant que la terre ne des­sine mollement
Ta forme de sa main fouisseuse,
Que les vers sans yeux ne s’en­graissent de ton corps.

A la prière des hommes j’é­di­fiai notre œuvre,
La mai­son inviolée,
En sou­ve­nir de toi.
Pour­tant je mis en pièces ce monu­ment indigne
Avant de l’achever.
Voi­ci que main­te­nant les créa­tures infimes, timi­de­ment sortent
Se hour­der des masures
Dans l’ombre souillée de mon offrande.

Tho­mas Edward Law­rence, les sept piliers de la sagesse
Tra­duc­tion de Renée et André Guillaume, Livre de Poche col­lec­tion Pochotèque
(more…)

Read more

Le monde sou­ter­rain de Qin Shi Huangdi

Si les chro­niques de l’é­poque sont exactes, le ter­rible empe­reur gisait dans sa tombe, sous mes pieds, entou­ré de ses épouses exé­cu­tées et au milieu d’une repro­duc­tion à l’i­den­tique de son empire — modèle vaste et com­pli­qué, sillon­né de rivières de vif-argent et ani­mé par d’in­vi­sibles méca­niques. Sept cents mille ouvriers, dit-on, avaient tri­mé sur ce mau­so­lée au cours des der­nières années de son règne et, à l’a­chè­ve­ment de l’ou­vrage, ceux qui en savaient trop avaient été emmu­rés dedans au moyen de portes de pierre qui s’a­bais­saient d’elles-mêmes. Dans la chambre funé­raire, par­mi des mon­tagnes sculp­tées dans le cuivre et des villes de pierres pré­cieuses, l’empereur navigue dans un cer­cueil en forme de barque, sur une rivière de mer­cure qui débouche dans une mer du même métal, sous un ciel de nuit constel­lé de perles.

Archer de Qin Shi Huangdi

Ain­si il s’é­tait ména­gé dans la mort un royaume miroir auto­nome, une maî­trise par­faite. Ses cités de gemmes bâties pour l’é­ter­ni­té fai­saient écho au sta­tisme des cieux. Des portes et des pas­sages inté­rieurs, secrè­te­ment pro­té­gés par des arque­buses armées et poin­tées des­sus, scel­laient les fron­tières de son état post­hume. Il avait emmu­ré le pas­sé et l’a­ve­nir. Ses ancêtres, comme ceux de l’Em­pe­reur jaune, avaient sans doute été des bar­bares, et pour­tant c’est de lui que la Chine tient son nom. Les lampes de graisse de phoque qui éclai­raient sa tombe devaient, paraît-il, brû­ler à jamais.

Colin Thu­bron, L’ombre de la route de la soie
Folio, 2006, p39

Read more

Kom ash-Shu­q­qa­fa

Ima­gi­nez-vous mar­cher dans les rues d’A­lexan­drie en 1900 der­rière un âne. L’âne marche d’un air débon­naire et sou­dain dis­pa­rait de l’ho­ri­zon, englou­ti par un trou béant qui s’est ouvert sous son poids. C’est appa­rem­ment le scé­na­rio qui s’est dérou­lé le jour où ont été décou­vertes les cata­combes de Kom ash-Shu­q­qa­fa (Kom-el-Chou­qa­fa — la col­line aux tes­sons), non loin du canal el Mah­mou­diya. Cet immense hypo­gée est le plus grand site archéo­lo­gique mis à jour à Alexan­drie et demeure le der­nier ves­tige de la reli­gion égyp­tienne, même si le style en est clai­re­ment romain, et la déco­ra­tion dans un style typi­que­ment gré­co-romain carac­té­ris­tique d’A­lexan­drie. Construit à la fin du Ier siècle, il a été uti­li­sé pen­dant près de trois siècles. Ce sont en tout 300 tombes qui ont été mises à jour, répar­ties sur trois niveaux dont le plus bas est aujourd’­hui inon­dé et impra­ti­cable, à 35 mètres sous terre, le tout entiè­re­ment creu­sé dans la roche. Le lieu est orga­ni­sé autour d’une grande rotonde qui des­sert toutes les pièces, tombes prin­ci­pales comme d’autres plus récentes. L’en­semble est com­po­sé d’un puits par lequel on pas­sait les corps, la rotonde, la salle prin­ci­pale, toute un bor­dée de locu­li (niches) et un tri­cli­nium, une salle de ban­quet des­ti­née aux invi­tés. Les pre­miers archéo­logues à y entrer trou­vèrent de la vais­selle et des amphores encore pleines de vins.

L’é­poque de construc­tion de cet hypo­gée cor­res­pond avec le moment où la ville d’A­lexan­drie ne sait pas quelle reli­gion adop­ter, tiraillée entre les pré­misses d’un chris­tia­nisme hési­tant, le pan­théisme de Rome ou d’A­thènes et les anciennes croyances égyp­tiennes. On voit mêlé dans la tombe disques solaires, sta­tues d’Anu­bis (dieu dévoué au pas­sage vers le pays des mort) affu­blée de la queue de ser­pent d’Aga­thos (Aga­tho­dae­mon, αγαθος δαιμων) et vêtu comme un légion­naire  romain. On y voit éga­le­ment des pein­tures repré­sen­tant l’en­lè­ve­ment de Per­sé­phone par Hadès et la momi­fi­ca­tion d’Osi­ris. La confron­ta­tion des dif­fé­rents styles a tou­jours quelque chose d’un peu étrange par­fois, pour ne pas dire ridi­cule. Le haut-relief d’A­nu­bis sty­li­sé “à la grecque”, avec muscles saillants et pose manié­rée, le tout mêlé à la repré­sen­ta­tion dans laquelle s’ex­prime le refus de tour­ner le corps est sin­gu­liè­re­ment inap­pro­priée, mais c’est un témoi­gnage des temps trou­blés, entre deux eaux.

  1. The Cata­combs of Kom el-Shu­qa­fa, the “Mound of Shards,” Part I: An Intro­duc­tion and the First Level by Zah­raa Adel Awed
  2. The Cata­combs of Kom el-Shu­qa­fa, the “Mound of Shards,” Part II: The Second Level and the Main Tomb by Zah­raa Adel Awed
  3. The Cata­combs of Kom el-Shu­qa­fa, the “Mound of Shards,” Part III: The Hall of Cara­cal­la (Neben­grab) by Zah­raa Adel Awed

Mes­sage per­so : page 453

Read more

Momies mons­trueuses

Sur Pink Ten­tacle, un article fas­ci­nant avec pho­tos à l’ap­pui sur toutes ces facé­ties pro­duites au Japon autour des momies. Entre les momies de sirènes, de démons à trois visages, de kap­pas ou encore de moines auto-momi­fiés, un large éven­tail de choses sur­pre­nantes (sur la capa­ci­té des êtres humains à créer des monstres).

Read more