Apr 23, 2011 | Arts, Sur les portulans |
Avertissement: billet à haute teneur en mots rares et précieux, sauvés de l’oubli.
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La baliste (du latin ballista et du grec βαλλίστρα, à partir du mot βάλλειν, ballein, « lancer, jeter », au pluriel ballistæ en latin) était une arme développée à partir d’une arme grecque plus ancienne. Son fonctionnement est basé sur différents mécanismes utilisant l’action de deux leviers sur des ressorts à torsion, constitués de plusieurs faisceaux de fibres tordues. Les premières versions lançaient de lourdes flèches ou des projectiles sphériques, comme des pierres de différentes tailles, au cours des sièges. Elles ont servi de base pour développer une arme de tir plus petite, le scorpion et peut-être le polybolos. Cette arme est abandonnée au haut Moyen Âge au profit des engins à contrepoids, la pierrière puis ses perfectionnements : la bricole, le mangonneau, le trébuchet. Cependant, le nom “baliste” est conservé au Moyen Âge pour désigner l’arbalète à tour et parfois, abusivement, les engins de siège à contrepoids.
Voir également : Cheiroballistra/Manuballista, carroballista, polybolos
Une baliste à quatre roues tirées par des chevaux caparaçonnés, tirée d’une gravure illustrant une édition de 1552 du catalogue de machines de guerre De Rebus Bellicis vers 400.
Mangonneau
Le terme mangonneau (dérivé du mot Greco-latin manganon, qui signifie “machine de guerre”) désigne un engin militaire offensif de l’époque médiévale, une sorte de catapulte, un engin de siège utilisé pour lancer des projectiles contre les murs des châteaux forts, très proche du trébuchet.
La signification exacte du terme est discutée, et plusieurs interprétations ont été suggérées. Il pourrait s’agir du nom d’un contrepoids d’artillerie (trébuchets), probablement un contrepoids fixe, ou avec un type particulier de cadre. Le terme arabe manajaniq vient du même mot, et s’applique à différents types de trébuchet. Il est également possible qu’il fasse référence à plusieurs types d’engins de siège, utilisés à d’autres époques ou en d’autres lieux, ou encore d’un terme général.
- Portée : 150 mètres
- Boulets : jusqu’à 100 kg
- Cadence de tir : 2 tirs par heure
- Servants : 12

Illustration issue du Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, par Eugène Viollet-le-Duc.
L’onagre était un engin de siège de la période romaine post-classique qui tire son nom de l’analogie de son mouvement avec celui de la ruade d’un onagre, sorte d’âne sauvage. Il s’agit d’une sorte de catapulte Romaine qui utilise la force de torsion, provenant généralement d’une corde torsadée, pour stocker l’énergie nécessaire au tir.
D’après le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècles (tome 5), les historiens romains s’accordent tous pour ranger l’onagre, comme la catapulte et le scorpion, dans les engins de jets offensifs mais leurs descriptions sont, ou bien succinctes, ou bien contradictoires : on trouve en effet le terme onagre comme synonyme de scorpion chez Marcellin (VIe siècle) ou onagre comme engin lançant des pierres (par opposition aux javelots) chez Végèce, ou onagre comme synonyme vulgaire de catapulte chez Jean le Lydien.Certains la décrivent comme une petite catapulte capable d’envoyer des petits projectiles à 30 m de distance ou 40 m de haut, d’autres comme une arbalète géante.

Illustration issue du Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, par Eugène Viollet-le-Duc.
Une rondache est un bouclier de forme circulaire et généralement de taille moyenne. Elle est utilisée dans les combats rapprochés, ou corps à corps, comme moyen de protection et d’intimidation. Elle est souvent associée à l’épée courte. La rondache est petite, légère et sans encombre pour l’attaque, ce qui lui donne toute sa qualité lors des combats. Sa forme ronde laisse libre cours au mouvement de l’arme et dévie facilement les coups, et peut facilement être utilisée pour repousser l’ennemi en corps à corps.

Rondache de parement : Le Laocoon
Italie du Nord, (Milan ?) seconde moitié du XVIe siècle
Département des Objets d’art, Musée du Louvre
La targe est un petit bouclier qui se tenait à la main ou, dans des cas beaucoup plus rares, était directement fixé sur le canon d’avant bras gauche si le combattant portait une armure. Le diamètre de la targe est d’au maximum 40 centimètres. Elle est constituée exclusivement de fer et non de bois.

Targe de tournoi, Allemagne, vers 1450.
Metropolitan Museum of Art, New-York
Le trébuchet fait partie des pièces d’artillerie médiévales dites à contrepoids. Il s’agit d’un engin de siège qui a été utilisé au Moyen Âge, soit pour détruire la maçonnerie des murs, soit pour lancer des projectiles par dessus les fortifications. Il est parfois appelé «trébuchet à contrepoids» afin de le différencier d’une arme plus ancienne qu’on appelait «trébuchet à traction», une version primitive de l’engin où la force de propulsion était fournie par des hommes et non par un contrepoids.
- Portée : 200 mètres
- Boulets : 80 à 100 kg
- Cadence de tir : 1 à 2 tirs par heure
- Servants : 60
Illustration issue du Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, par Eugène Viollet-le-Duc.
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Dec 16, 2010 | Histoires de gens, Livres et carnets, Sur les portulans |
Avant…

Fuir jusqu’à en perdre la tête dans le froid, s’évader de la prison qu’est son corps lorsqu’on est différent, qu’on ne souhaite pas penser comme l’armée des autres, passer par tous les états de la peur pour en sortir transfiguré, parcourir l’inconnu et voir la nature folle l’agresser, c’est un peu le destin de Ferdynand Ossendowsi, un universitaire parlant sept langues, habitué de la contestation depuis le plus jeune âge. Engagé auprès des contre-révolutionnaires russes puis dénoncé au pouvoir central, il s’enfuit avec un fusil et quelques cartouches en s’enfonçant vers l’est, jusqu’à frôler la mort dans la Mongolie interdite. Il affronte alors les hommes assoiffés de sang, et une nature en furie…
[audio:partisans.mp3]
C’est alors qu’un matin j’entendis un bruit assourdissant, celui d’une formidable canonnade, et je courus voir : le fleuve venait de soulever sa chape de glace, puis l’avait laissé retomber pour la briser.
De la rive, j’assistais à un spectacle à la fois terrible et majestueux. Descendant du sud, le fleuve charriait vers le nord une énorme masse de glace qu’il transportait sous l’épais couvercle de gel qui le recouvrait encore par endroits. Or la terrible poussée provoquée par le déplacement de cette masse avait rompu le barrage hivernal au nord : l’Ienisséï (Енисей), fleuve-père, fleuve-héros, fleuve parmi les plus longs d’Asie, profond et magnifique, encaissé tout le long de son cours moyen dans des gorges escarpées, effectuait sa dernière ruée vers l’océan Arctique. La masse énorme avait traîné avec elle de gigantesques champs de glace, les pulvérisant sur les rapides et sur les roches isolées, les faisant tournoyer en tourbillons courroucés, soulevant par portions entières les noires routes de l’hiver, emportant les tentes construites pour les caravanes qui descendent à cette saison le fleuve gelé, de Minoussinsk (Минусинск) à Krasnoïarsk (Красноярск). De temps en temps, le flot était arrêté dans son cours ; avec un sourd mugissement, les champs de glace écrasés s’empilaient parfois jusqu’à une hauteur de dix mètres et formaient un barrage. Le fleuve, par derrière, montait si rapidement qu’il inondait les terrains bas, jetant sur le sol d’énormes monceaux de glace. Soudain, avec une puissance démultipliée, les eaux s’élançaient à l’assaut du barrage et l’entraînaient vers l’aval dans un épouvantable fracas de verre brisé. Aux tournants des rivières, contre les rochers, c’était un terrifiant chaos. D’énormes blocs de glace s’enchevêtraient, se bousculaient ; quelques uns projetés en l’air, venaient s’abîmer tumultueusement contre ceux qui se trouvaient déjà là, ou, précipités contre les falaises et les berges, en arrachaient des rocs, de la terre et des arbres au plus haut des flancs escarpés. Tout le long des basses rives, ce géant de la nature pouvait élever, avec une brutalité qui donnait à l’homme la sensation de devenir aussi petit qu’un Pygmée, une grand mur de glace, de cinq à six mètres de haut. Les paysans appellent ces imposantes murailles à travers lesquelles ils doivent se tailler un chemin des zaberega. Ailleurs, j’ai encore vu le Titan accomplir cet exploit incroyable : un bloc de plusieurs pieds d’épaisseur et de plusieurs mètres de large fur projeté en l’air et retomba hors du lit de glace, écrasant de jeunes arbres à plus de quinze mètres de la rive.
En contemplant cette fabuleuse retraite des glaces, je restai saisi de terreur et de révolte devant le tableau horrible qu’offrait l’Ienisséï charriant dans sa débâcle annuelle les plus affreuses dépouilles : c’étaient les cadavres des contre-révolutionnaires exécutés, officiers, soldats et cosaques de l’ancienne armée du gouvernement général de toute la Russie anti-bolchevik, l’amiral Koltchak.

[audio:kargyraa.mp3]
Dans cette course folle pour échapper à leurs ennemis, les compagnons d’infortune se voient obliger d’affronter une fois de plus le cours de l’Ienisséï, fleuve immense et impétueux. A cheval, la traversée est entreprise et donne lieu à un morceau d’écriture nerveuse et tendue qui rend un hommage sensible et vibrant à leur monture. Ce n’est pas pour rien que le titre du livre commence par Bêtes…
Alors commença la plus terrible nuit de notre voyage. Nous suggérâmes au colon de n’embarquer que notre nourriture et nos munitions : nous passerions à la nage avec nos chevaux, pour éviter de faire plusieurs voyages. La largeur de l’Ienisséï à cet endroit est d’environ trois cents mètres. Le courant est extrêmement rapide et la rive plonge à pic. La nuit était absolument noire, sans une étoile au ciel. Le vent sifflait en rafales, la neige nous fouettait violemment le visage. Le fleuve se déroulait devant nous, tel un tourbillon d’eau noire, entraînant dans ses remous de minces plaques de glace coupante. Longtemps mon cheval refusa de descendre la rive abrupte, s’ébrouant et se raidissant. De toute ma force je dus lui fouetter l’encolure pour qu’il se jette, avec un gémissement pitoyable, dans le fleuve glacé. Nous nous immergeâmes à moitié tous les deux et j’eus grand’peine à me tenir en selle. Nous fîmes quelques mètres en nous éloignant du rivage ; la bête tendait désespérément son col pour avancer, soufflant bruyamment. Je sentais chaque mouvement de ses jambes battant l’eau, chaque contraction de ses muscles dans l’effort. Nous parvînmes enfin au milieu de la rivière, à l’endroit où le courant était le plus rapide et risquait de nous entraîner. Dans la nuit lugubre résonnaient les cris de mes compagnons et les sourds gémissements que la terreur et la souffrance arrachaient aux chevaux. L’eau glacée formait un étau autour de ma poitrine. J’étais griffé par les glaçons, giflé par les vagues qui venaient me frapper au visage. Je ne voyais plus rien, je ne sentais même plus le froid. Seul m’animait désormais l’instinct de conservation ; je ne pensais plus qu’à une chose : que mon cheval faiblisse dans sa lutte et j’étais perdu ! Concentré sur ma bête pour la soutenir dans ses efforts, je l’entendis brutalement gémir et la sentis qui coulait. L’eau qui rentrait dans les naseaux l’empêchait de s’ébrouer et sa tête venait de heurter un gros glaçon. Nous nous mîmes à dériver. Je tentais à grand’peine, m’y reprenant à plusieurs fois, de diriger de nouveau sa course vers le rivage, mais j’avais beau tirer sur les rênes comme un forcené, ses dernières forces semblaient l’avoir abandonnée ; sa tête disparaissait de plus en plus souvent sous les remous. Je n’avais pas le choix : je me laissais rapidement glisser de la selle et, m’y accrochant de la main gauche, je me mis à nager en m’aidant de mon autre main, entraînant ma monture et l’encourageant de la voix. Un moment elle flotta, les lèvres entrouvertes, les dents serrées. Dans ses yeux largement ouverts se lisait une indescriptible terreur. Mais délestée de mon poids, elle parvint à remonter à la surface et se mit à nager à son tour, plus calmement et plus rapidement. Enfin ses fers heurtaient les rochers. Les uns après les autres, mes compagnons abordaient le rivage. Les chevaux bien dressés avaient fait passer leurs cavaliers.
Nous n’avons pas encore fait connaissance avec le baron fou, mais nous sommes déjà passé par les terres des Kalmouks, des Uranhays et des Soyotes, autrement dit dans l’actuelle République de Touva… et des Mongols…
Et lorsque la nature le saisit par le beauté du paysage, elle redevient indomptable, se cabre comme un cheval fougueux, les histoires les plus folles sont racontées à son sujet…
Du haut des montagnes entourant le lac Kossogol, nous ne pûmes retenir notre admiration devant le spectacle splendide qui s’offrait à nos yeux : un vrai lac alpin, serti comme un saphir dans le vieil or des collines environnantes, rehaussé de sombres et riches forêts. Le soir, nous approchâmes de Khatyl avec de grandes précautions et fîmes halte sur le bord du cours d’eau qui descend du Kossogol : le Yaga ou Egiyn Gol. Nous trouvâmes un Mongol prêt à nous mener de l’autre côté de la rivière gelée par une route sûre qui passait entre Khatyl et Mouren Koure. Partout, le long des rives, se trouvaient de grands obos et de petits autels dédiés aux démons des eaux.
— Pourquoi y a‑t-il tant d’obos(1) ? demandâmes-nous à notre guide.
— C’est la rivière du Diable, dangereuse et rusée, répliqua l’homme. Il y a deux jours, un train de charrettes a fait craquer la glace ; trois d’entre elles ont été englouties avec cinq soldats.
Nous commençâmes la traversée. La surface du fleuve ressemblait à une épaisse plaque de verre, limpide et sans neige. Nos chevaux avançaient avec précaution, mais quelques uns tombèrent et patinèrent quelque peu avant de se remettre debout. Nous les menions par la bride. Tête baissée, tremblant de tout leur corps, ils ne quittaient pas la glace des yeux, terrifiés. Je regardai à mon tour et compris leur frayeur. A travers la couche de glace transparente, épaisse de trente centimètres environ, on pouvait voir très clairement le fond de la rivière. Sous la lumière de la lune, les pierres, les trous d’eau et les herbes aquatiques étaient visibles à une profondeur de dix mètres et plus. Le Yaga roulait ses flots furieux sous la glace à une vitesse terrifiante, marquant son cours de longues stries d’écume bouillonnante. Brutalement je fis un bon et m’arrêtait net, comme paralysé. A la surface de l’eau éclata ce qui ressemblait à un coup de canon, suivi d’un second, puis d’un troisième.
— Vite ! Vite ! s’écria notre Mongol nous faisant signe de la main.
Un nouveau coup de canon suivi d’un craquement retentit tout près de nous. Les chevaux se cabrèrent et tombèrent, plusieurs se cognant la tête contre la glace. Une seconde après, elle se déchirait sur près d’un mètre. Aussitôt, par l’ouverture béante, l’eau se mit à jaillir avec une violence inouïe.
— Vite ! Vite ! s’écria de plus belle le guide.
Mais les chevaux refusaient d’aller plus loin. Ils tremblaient, n’obéissaient plus ; seul le fouet pouvait leur faire oublier leur terreur et les forcer à avancer.
Quand nous fûmes sains et saufs sur l’autre rive, au milieu des bois, notre guide mongol nous raconta comment le fleuve s’ouvre parfois de cette façon mystérieuse, vouant aussitôt à la mort les hommes et les animaux qui parcourent son lit gelé. Le courant froid et rapide entraîne sous la glace. Quand le craquement infernal se produit juste sous les pieds du cheval, celui-ci en voulant s’écarter tombe presque à coup sûr dans l’eau, et les mâchoires de glace, se refermant brusquement, lui coupent net les jambes.
Notes :
1 — Obo : Monument sacré élevé aux endroits dangereux pour apaiser les dieux.
Note de bas de page : La présence sur cette page d’un morceau des chœurs de l’Armée Rouge est pour le moins ironique et va à contre-emploi de la situation dans laquelle s’est trouvé l’auteur pendant sa fuite, mais avouez que le chant des partisans russe est réellement un chant magnifique…
Note (bis) : Pour écouter des chants partisans russes, c’est par ici…
Ferdynand Ossendowski, Bêtes, hommes et dieux
A travers la Mongolie interdite, 1920–1921
Editions Phebus Libretto
Après…
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Jul 19, 2010 | Histoires de gens, Livres et carnets |

Édouard Ier, roi d’Angleterre, ayant expérimenté dans les longues guerres entre lui-même et Robert, roi d’Écosse, combien sa présence donnait d’avantage à ses affaires, attribuant toujours la victoire au fait qu’il menait l’entreprise en personne, [parvenu à] l’heure de sa mort, fit prendre à son fils, par serment solennel, l’engagement de faire bouillir son corps, quand il serait trépassé, pour séparer la chair des os et de la faire enterrer ; quand aux os, il devait les conserver pour les emporter avec lui, dans son armée, toutes les fois qu’il lui arriverait d’avoir une guerre contre les Écossais, comme si la destinée avait fatalement attaché la victoire à ses membres.
Jean Ziska, qui troubla la Bohème pour défendre les erreurs de Wycliffle, voulut qu’on l’écorchât après sa mort et que de sa peau on fît un tambourin pour porter à la guerre contre ses ennemis : il estimait que cela contribuerait à continuer les avantages qu’il avait eus dans les guerres qu’il avait conduites contre eux.
Michel de Montaigne, Les Essais
Livre I, Chapitre III, Collection Quarto Gallimard
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Jul 9, 2010 | Histoires de gens, Sur les portulans |
Il se tient en ce moment au musée Guimet une exposition tout à fait magique sur l’art du Gandhāra, cet étrange chose qui s’est étendue dans les plaines du Pakistan et de l’Afghanistan, dans les vallées de la Swât et de la Kâboul. L’art du Gandhāra est un syncrétisme dans lequel les formes de l’hindouisme et du bouddhisme se sont développées sur des sources artistiques grecques et moyen-orientales. L’art sculptural qui en émane est un des seuls reliquats de cette civilisation qui a vu son heure de gloire au Ier siècle et qui a disparu sous la brutalité des invasions des Huns Shvetahūna .
Étrangement, celui par lequel ces influences se sont frayées un chemin jusqu’au delta du Gange est le plus grand conquérant de tous les temps, Alexandre, fils de Philippe II, roi de Macédoine et qui a parcouru le monde jusqu’aux rives du fleuve sacré. L’histoire de ce personnage mythique est maculée d’une série de légendes qui seront portées jusqu’au Moyen-Âge sous forme de récit épique et fortement romancé, dans lequel tout est fait pour magnifier l’homme qui selon la légende finit empoisonné alors qu’il périra en fait à Babylone, terrassé par la malaria.
C’est ce texte qu’a traduit et commenté Jacques Lacarrière dans la Légende d’Alexandre pour transcrire la vision que l’homme a véhiculé au travers des siècles. La réalité est moins belle ; Alexandre, malgré sa jeunesse et sa fougue, ressemblait plus à une brute avinée et orgueilleuse qu’au bellâtre conquérant des médailles et des bustes à son effigie.

L’entreprise d’Alexandre permit donc à l’hellénisme de s’implanter durablement dans ces régions et de créer une culture originale, encore peu étudiée, un riche métissage d’hellénisme, d’iranisme et d’hindouisme qui s’exprima surtout dans le domaine de l’art. Ce sont ces grecs implantés en Bactriane et en Sogdiane qui, les premiers, donnèrent un visage au Bouddha. Jusqu’alors, les Indiens ne le figuraient que par des symboles. Et ce visage serein et pur, ce visage si révélateur de ce qu’on nomme l’art gréco-indien du Gandhara est l’œuvre d’artistes grecs venus d’Alexandrie qui l’empruntèrent aux statues et au visage d’Apollon ! Les premières statues du Bouddha ne sont pas en marbre, matériau inexistant dans ces régions, mais en schiste et en stuc — mélange de chaux vive et de sable — dont la technique est originaire d’Alexandrie. Si les artistes grecs s’inspirèrent d’Apollon pour donner des traits au Bouddha, c’est qu’avec son fin sourire, ses traits sereins, sa tunique sobrement plissée, le Dieu de la Lumière proposait une sorte d’esquisse grecque de l’illumination bouddhique. Le Lumineux prêta ses traits à l’Illuminé. Où trouver symbole plus riche et plus fort de la rencontre harmonieuse de deux cultures et de deux religions ?

Le roi Darius n’écouta pas les paroles de Candarcousis. Il dépêcha Clitéus, son bien-aimé, vers Alexandre pour qu’il le voie et qu’il lui donne son avis. Il lui fit porter aussi une petite poupée en bois qu’on fait tourner avec une baguette, deux coffrets vides, deux sacs de graines et la lettre suivante :
« Darius, le roi des rois, dieu de Perse, à son enfant Alexandre, salut. Il me semble Alexandre que tu te sois fâché de ma première lettre dans laquelle je t’écrivais de me servir. Aussi je t’envoie aujourd’hui un jouet, un petite poupée en bois que l’on fait tourner avec une baguette, pour que tu joues avec. Je t’envoies aussi deux coffrets vides et deux sacs de graine. Les coffrets, remplis-les avec les impôts de trois années, et les graines contenues dans les sacs, dénombre-les si tu le peux et tu sauras combien j’ai de soldats. Je te pardonne pour cette fois, mais si tu ne veux pas te retrouver devant moi, prisonnier, veille bien à m’envoyer les impôts et les soldats qui doivent servir dans mon armée, comme ton père le faisait. »
Clitéus remit la lettre à Alexandre et se prosterna devant lui. Il lui remit aussi les coffrets, les graines et la poupée. Alexandre lut la lettre et, cependant qu’il la lisait, hocha la tête et dit : « L’insensé, l’orgueilleux Darius, tout dieu qu’il se nomme lui-même, tombera comme un simple mortel. Pour s’être élevé jusqu’au ciel, il chutera ensuite jusqu’au fond de l’Hadès. » Il brisa les coffrets, mâcha les graines, puis répondit à Darius :

« Le roi des Macédoniens, Alexandre, à Darius, roi des Perses, salut. Tu m’as fait grand honneur et grande considération en m’envoyant cette poupée comme jouet. Tu te gonfles d’orgueil et c’est pourquoi tu tomberas de très haut. C’est un bon jouet que tu m’as adressé, à ce qu’il semble, car un jour je ferai tourner l’univers comme je fais tourner cette poupée. Sache aussi que j’ai mâché les graines, qu’ensuite je les ai recrachées et qu’ainsi je réduirai en miettes ton armée, avec la volonté du Ciel et du Seigneur Sabaoth. J’ai reçu les coffrets comme un cadeau précieux à l’image des forteresses que je prendrai. Limite-toi donc au Levant et au pays des Perses et renonce, une fois pour toutes, au Ponant. »
Il remit la lettre à Clitéus et le renvoya en Perse avec un boisseau de poivre, en guise de présent pour Darius. Avant son départ, Alexandre lui dit : « Tu as vu par toi-même comment j’ai mâché les graines et comment je les ai recrachées. Que Darius compte les grains d’une cosse de ce poivre : j’ai autant de soldats. »
Clitéus retourne chez Darius.
Cette correspondance entre Alexandre et Darius est entièrement imaginaire. Ce Clitéus, « bien-aimé de Darius » était en réalité le bien-aimé et le favori d’Alexandre. Il s’agit de Kleitos, un Noir qui servit comme officier sous le règne de Philippe et commandait un escadron nommé « L’Île royale ». Il suivit Alexandre dans toutes ses campagnes et lui sauva même la vie à la bataille du Granique. Des années plus tard, au cour d’un banquet à Samarcande, Alexandre le poignarda dans un moment d’ivresse.
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Jun 5, 2010 | Passerelle |
Perdu entre les insomnies et les déserts que je traverse seul, bâton de pèlerin à la main, quelques bouquins dans l’autre main, je tente de reconstruire des pans d’histoire effondrés comme d’immenses falaises, l’histoire avec un petit “h”. Les mots reviennent sur mon journal à un rythme doucereux, à pas de velours, je ne brusque rien, je suis en terrain miné. Chaque faux pas peut m’arracher une jambe. Tous les jours, même lorsque je suis en dehors de ces murs, je viens faire un tour du côté de chez moi, je regarde mes mots, mes choix de photos, mes notes et je les apprécie. Il semble que j’ai finalement réussi à créer ce que je voulais, une sorte de moleskine en ligne, un carnet de note amélioré sur lequel on pourrait sentir les traces de ma calligraphie sous les mots.
[audio:grandcentralptii.xol]
Dj Sprinkles — Grand Central, Pt. II
Midtown 120 Blues (Mule Musiq, 2009)
Depuis 2003, je cherchais une forme qui fasse office de carnet de notes en ligne ; le voici. Voici son format, il tient dans la poche du monde, à l’instar de ces warlogs qu’écrivaient les militaires américains au début des années 2000 et qui ont donné leur nom au blog, sinon ses lettres de noblesse. Rien n’est moins intéressant que les divagations d’un bidasse affamé envoyé à l’autre bout du monde. A l’opposé de cela, je trouve Daniel Cordier, qu’on a pu voir sur France 5 ces derniers temps (interview) et qu’on peut lire également dans les lignes du dernier livre de Georges-Marc Benhamou. Cordier a 90 ans. Il porte sur son visage les traces du poids qu’il devait porter tandis qu’il était secrétaire de Jean Moulin, cet homme exceptionnel dont il raconte qu’il ne savait même pas le nom jusqu’à ce qu’il se fasse arrêter par la Gestapo. Cordier a traversé les années et nous offre le récit poignant et parfois rigolard d’un ancien maurassien converti à la Résistance, porté par un Régis Debray (interview) à l’écoute, silencieux, complice. Il laisse l’homme parler, s’efface, fait signe au caméraman de couper quand la voix de Cordier s’étouffe dans un sanglot, le soutient d’une main sur l’épaule. Deux fois, j’ai regardé ce documentaire. Deux fois j’ai pleuré parce que mon histoire personnelle, mais aussi l’histoire de mon pays et de ceux qui sont venus avant moi était encapsulée dans tout ceci.

Je suis épuisé de cette semaine, éprouvé, les nerfs à vif. Envie de douceur, de calme, de bord de mer, de voyage, de départ, d’odeurs salés d’herbes et de nature, de choses légères, d’un ciel trop haut, d’apprendre aussi, encore, toujours, me confondre dans une tourbillon de toutes ces petites choses qui aujourd’hui me construisent.
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