Per­du entre les insom­nies et les déserts que je tra­verse seul, bâton de pèle­rin à la main, quelques bou­quins dans l’autre main, je tente de recons­truire des pans d’his­toire effon­drés comme d’im­menses falaises, l’his­toire avec un petit “h”. Les mots reviennent sur mon jour­nal à un rythme dou­ce­reux, à pas de velours, je ne brusque rien, je suis en ter­rain miné. Chaque faux pas peut m’ar­ra­cher une jambe. Tous les jours, même lorsque je suis en dehors de ces murs, je viens faire un tour du côté de chez moi, je regarde mes mots, mes choix de pho­tos, mes notes et je les appré­cie. Il semble que j’ai fina­le­ment réus­si à créer ce que je vou­lais, une sorte de moles­kine en ligne, un car­net de note amé­lio­ré sur lequel on pour­rait sen­tir les traces de ma cal­li­gra­phie sous les mots.
[audio:grandcentralptii.xol]

Dj Sprinkles — Grand Cen­tral, Pt. II
Mid­town 120 Blues (Mule Musiq, 2009)

Depuis 2003,  je cher­chais une forme qui fasse office de car­net de notes en ligne ; le voi­ci. Voi­ci son for­mat, il tient dans la poche du monde, à l’ins­tar de ces war­logs qu’é­cri­vaient les mili­taires amé­ri­cains au début des années 2000 et qui ont don­né leur nom au blog, sinon ses lettres de noblesse. Rien n’est moins inté­res­sant que les diva­ga­tions d’un bidasse affa­mé envoyé à l’autre bout du monde. A l’op­po­sé de cela, je trouve Daniel Cor­dier, qu’on a pu voir sur France 5 ces der­niers temps (inter­view) et qu’on peut lire éga­le­ment dans les lignes du der­nier livre de Georges-Marc Ben­ha­mou. Cor­dier a 90 ans. Il porte sur son visage les traces du poids qu’il devait por­ter tan­dis qu’il était secré­taire de Jean Mou­lin, cet homme excep­tion­nel dont il raconte qu’il ne savait même pas le nom jus­qu’à ce qu’il se fasse arrê­ter par la Ges­ta­po. Cor­dier a tra­ver­sé les années et nous offre le récit poi­gnant et par­fois rigo­lard d’un ancien mau­ras­sien conver­ti à la Résis­tance, por­té par un Régis Debray (inter­view) à l’é­coute, silen­cieux, com­plice. Il laisse l’homme par­ler, s’ef­face, fait signe au camé­ra­man de cou­per quand la voix de Cor­dier s’é­touffe dans un san­glot, le sou­tient d’une main sur l’é­paule. Deux fois, j’ai regar­dé ce docu­men­taire. Deux fois j’ai pleu­ré parce que mon his­toire per­son­nelle, mais aus­si l’his­toire de mon pays et de ceux qui sont venus avant moi était encap­su­lée dans tout ceci.

Je suis épui­sé de cette semaine, éprou­vé, les nerfs à vif. Envie de dou­ceur, de calme, de bord de mer, de voyage, de départ, d’o­deurs salés d’herbes et de nature, de choses légères, d’un ciel trop haut, d’ap­prendre aus­si, encore, tou­jours, me confondre dans une tour­billon de toutes ces petites choses qui aujourd’­hui me construisent.

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