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Arrière-postes des forces du vent…

Arrière-postes des forces du vent…

Je me sou­viens que lorsque j’étais gamin et que je jouais (inva­ria­ble­ment) avec mes petits sol­dats de plas­tique, j’avais notam­ment une boîte de sol­dats des forces de l’OTAN qui m’ennuyait. Ces sol­dats n’avaient rien d’original et ne res­sem­blaient à rien de ce que je connais­sais. Quand mon grand-père m’a expli­qué ce qu’était cette armée, j’avais encore moins envie de les emme­ner dans un com­bat puisque pour moi, les guerres n’existaient plus, il n’y avait donc aucune rai­son de mobi­li­ser ce corps d’armée fan­toche, et sur­tout, contre qui ? Un bataillon de dra­gons ou de hus­sards ? Un régi­ment de la Waf­fen-SS ? Non, ridi­cule. Et je me sou­viens que lorsqu’il était ques­tion de l’OTAN (que j’appelais NATO parce que c’était noté comme ça sur la boîte), mon grand-père me racon­tait des trucs en vitu­pé­rant contre De Gaulle sans que je ne com­prenne un traître mot de tous ces enjeux.
De la pré­sence de l’OTAN en France res­tent aujourd’hui des cica­trices épar­pillées sur tout le ter­ri­toire, des bases aériennes amé­ri­caines ou cana­diennes aban­don­nées ou recon­ver­ties en bases pour aéro­mo­dé­listes. Un patri­moine qui, vu du ciel, montre des formes par­fois éton­nantes. Col­lec­tion d’étoiles et de fleurs à pétales arron­dis dans la belle cam­pagne de nos régions…

Base de l’US Air Force

Cham­bley-Bus­sières Air Base

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Bey­routh centre-ville — Ray­mond Depardon

Bey­routh centre-ville — Ray­mond Depardon

Bey­routh centre-ville est le récit pho­to­gra­phique de Ray­mond Depar­don dans un Bey­routh en pleine guerre. En quelques pho­tos noir & blanc, il plante le décor d’un Bey­routh idyl­lique en 1965, qu’il visite pour la pre­mière fois. Tout semble beau, les pay­sages, les gens, la jet-set un peu futile, la gen­tillesse des gens. Lors­qu’il revient, nous sommes en 1978, il vient d’en­trer à l’a­gence Mag­num et part faire son pre­mier grand repor­tage avec des bobines cou­leurs. Et là, tout a changé…
Avec ses cli­chés au plan res­ser­ré, un cadrage tou­jours très strict mal­gré par­fois l’ur­gence de la situa­tion, Depar­don monte un repor­tage uni­que­ment ponc­tué de quelques phrases laco­niques, comme à son habi­tude, qui rend la lec­ture fié­vreuse et ten­due, comme un jour sous les bombes et les tirs de mitrailleuses…

Un jour, dans une zone tenue par le PNL, en des­cen­dant de voi­ture avec mes appa­reils pho­to, une dizaine de com­bat­tants m’a encer­clé. Je n’ai pas eu le temps d’a­voir peur. J’a­vais pris l’ha­bi­tude de par­ler fort et de me pré­sen­ter en fran­çais. J’ai bien enten­du le cran de sûre­té des kalach­ni­kov sau­ter, ils me bra­quaient, la balle était enga­gée dans le canon, nous avons par­lé. J’é­tais calme, j’ai expli­qué que je sou­hai­tais sim­ple­ment les pho­to­gra­phier ; les minutes étaient longues, les crans de sûre­té sont reve­nus en posi­tion d’attente.
Puis sou­dain j’ai de nou­veau enten­du les crans de sûre­té sau­ter, la balle enga­gée dans le canon : « Il faut nous photographier ! »

 

Il y revient encore en 1991 et les images qu’il en rap­porte lui donne l’im­pres­sion d’une terre dévas­tée, vidée de son huma­ni­té. Un témoi­gnage fort, au bord du cata­clysme, inédit jusque là, d’un conflit qui reste à ce jour encore, tota­le­ment incompréhensible…

Ray­mond Depar­don, Bey­routh centre-ville
Points 2010
Mag­num Pho­tos pour les clichés,
tous dis­po­nibles sur le site de l’a­gence.

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Car­net de Homs — Jona­than Littell

Car­net de Homs — Jona­than Littell

Le livre du jour­na­liste fran­co-amé­ri­cain Jona­than Lit­tell, Car­net de Homs, est un réqui­si­toire ter­ri­fiant racon­tant de l’in­té­rieur ce qui s’est pas­sé à Homs en jan­vier 2012, juste avant le défer­le­ment de bombes qui a rava­gé le quar­tier de Baba Amr. Ecrit dans l’ur­gence, ce ne sont que des notes, vague­ment mises en forme, qui évoquent à quel point la popu­la­tion sur place est sur les dents et se sent oppri­mée. Il y raconte les tor­tures des agents du gou­ver­ne­ment sur place et en arrière-fond le sou­hait à peine mas­qué de la part d’El-Assad de faire crou­ler son pays dans une guerre civile qui aurait tout l’air d’être un conflit confes­sion­nel. On res­sort de là esso­ré, plein de pous­sière, des sco­ries de cette atmo­sphère dégueu­lasse. Lit­tell porte un regard sans conces­sion, n’hé­si­tant pas à dénon­cer ceux qui de l’in­té­rieur pro­fitent de la situa­tion, mais brosse aus­si le por­trait de femmes et d’hommes cou­ra­geux qui se battent dans l’in­dif­fé­rence totale des grands de ce monde.
Apo­théose de ce témoi­gnage, la confron­ta­tion entre son com­pa­gnon de route, le pho­to­graphe Mani (un homme for­mi­dable) et Pierre Pic­ci­nin, un type qui se dit jour­na­liste et qui pen­dant long­temps a sou­te­nu le régime en place, au moins jus­qu’en février 2012, et qui lors de ces échanges sou­tient que les acti­vistes de l’ASL ne sont que des ter­ro­ristes dont le but est de désta­bi­li­ser El-Assad. Lit­tell demande à un moment à Mani d’en­voyer la pho­to d’un enfant égor­gé « au connard de Gem­bloux ». Depuis, Pic­ci­nin semble avoir retour­né sa veste, mais il faut tou­jours se méfier des apostats.

Homs!!!

Pho­to © Free­dom House

Au beau milieu de la guerre qui frappe par­tout et tout le monde, des plus enga­gés aux plus inno­cents, sour­de­ment et aveu­gle­ment, on trouve des moments de cha­leur dans l’hi­ver syrien, qui rap­pellent que ce peuple est plus grand grand que celui qui les étrangle.

2h30 du matin. Je n’ar­rive tou­jours pas à dor­mir. Dans la grande pièce de devant, celle des sol­dats ASL, ça chante depuis des heures. je me lève et je vais voir. Une ving­taine d’hommes sont assis tout autour contre le mur, fument des ciga­rettes et boivent du thé ou du maté, et chantent à tour de rôle, a cap­pel­la. Je ne com­prends pas les paroles, bien sûr, mais on dirait des chants d’a­mour, peut-être aus­si des chan­sons sur la ville. Les voix tremblent, gémissent, sou­pirent, quand un finit, un autre recom­mence. Un homme sur­tout mène le chant, un homme d’une qua­ran­taine d’an­nées, au visage étroit, bar­bu, un peu roux, les yeux rusés, entiè­re­ment éden­té sauf pour une inci­sive iso­lée dans la mâchoire du bas. Il chante avec une émo­tion intense, concen­trée, et semble connaître toutes les chan­sons qu’on lui demande. Quand il marque une pause, un autre reprend. Les autres écoutent, ponc­tuent, par­fois battent des mains. Per­sonne n’in­ter­rompt per­sonne, il n’y a aucune concur­rence ou com­pé­ti­tion, cha­cun chante pour le plai­sir de chan­ter et écou­ter pour le plai­sir d’é­cou­ter, tous ensemble.

Jona­than Lit­tell, Car­nets de Homs
Gal­li­mard, NRF, 2012

Children chanting Syrian freedom songs. Aleppo.

Pho­to © Free­dom House

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1943, la grosse déconne…

Churchill, Roosevelt et Staline

Au cours du dîner, le 29 novembre (1943), Sta­line sug­gé­ra au pas­sage que si, à la fin de la guerre, on raflait et liqui­dait quelques cin­quante mille chefs des forces armées alle­mandes, c’en serait fini une fois pour toutes de la puis­sance mili­taire de l’Al­le­magne. Chur­chill fut inter­lo­qué par l’am­pleur des liqui­da­tions envi­sa­gées par Sta­line. Il répon­dit sim­ple­ment que le par­le­ment et l’o­pi­nion n’ac­cep­te­raient jamais de telles exé­cu­tions mas­sives. Mais Roo­se­velt répon­dit plus cha­leu­reu­se­ment à Sta­line et, voyant Chur­chill contra­rié (tel était du moins le sou­ve­nir de ce der­nier), le pré­sident amé­ri­cain ajou­ta que les Alliés devraient en exé­cu­ter non pas cin­quante mille, mais « juste qua­rante-neuf mille ». […] La dérive de cette conver­sa­tion inquié­ta si bien Chur­chill qu’il quit­ta la salle, mais un Sta­line jovial lui cou­rut après et pro­tes­ta que, bien enten­du, ce n’é­tait qu’une plaisanterie.

1943, Confé­rence de Téhé­ran, les trois lar­rons de Yal­ta se retrouvent pour par­ler de l’a­près-guerre, quand tout sera ter­mi­né. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’am­biance est déten­due, mais der­rière la plai­san­te­rie, peut-on être cer­tain qu’il n’y avait pas un fond de véri­té, quand on sait que Sta­line avait déjà fait exé­cu­ter des sol­dats et des offi­ciers russes accu­sés de couar­dise face à l’en­ne­mi. Niki­ta Khroucht­chev lui-même, alors géné­ral de l’ar­mée, fit exé­cu­ter plus de 15.000 de ses propres sol­dats sur le front.

in Les entre­tiens de Nurem­berg, Leon Goldensohn
Intro­duc­tion et pré­sen­ta­tion de Robert Gellatelly
Champs Flam­ma­rion Histoire

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L’é­li­mi­na­tion — Rithy Panh

L’é­li­mi­na­tion — Rithy Panh

Je ne sais pas pour­quoi je me suis rué sur ce bou­quin. Il m’ar­rive par­fois de retour­ner un livre pour en lire la qua­trième de cou­ver­ture et de res­ter accro­ché sur quelques mots. En l’oc­cur­rence, ce livre, s’il n’a­vait été recou­vert d’un ban­deau où figure la pho­to du cinéaste, vêtu d’une veste noire, d’un kra­ma blanc écru, les traits tirés et le regard comme per­du dans le vague, une épaisse fumée de cigare l’en­ve­lop­pant, je ne l’au­rais peut-être pas retour­né, il serait res­té en-dehors de mon champ. La pho­to dit déjà le drame.

Rithy Panh, l'elimination

Rithy Panh, je ne le connais pas, à part de nom. Je sais de lui qu’il a réa­li­sé un film, un grand film sur les années sombres où les khmers rouges ont lit­té­ra­le­ment exter­mi­né la popu­la­tion du Cam­bodge, un film au titre qui ne laisse aucu­ne­ment de place au doute : S21, la machine de mort khmère rouge. En réa­li­té, je ne savais rien des khmers rouges, je ne savais rien du Cam­bodge, et je ne savais rien de ce qui s’y était pas­sé, et je ne dis pas qu’au­jourd’­hui j’en sais beau­coup plus mais au moins je connais cette his­toire, l’his­toire de cet homme bri­sé par un pas­sé trop lourd à porter.
L’é­li­mi­na­tion, c’est le récit mêlé de son expé­rience d’en­fant dont le sou­ve­nir lui rap­pelle Phnom Penh, la capi­tale encore vivante et qui sera vidée de sa popu­la­tion, et des heures d’un pro­cès qui aurait pu faire date si les vrais res­pon­sables avaient été jugés et punis, celui du res­pon­sable du S21, le bureau de sécu­ri­té, centre de tor­ture et d’exé­cu­tion de la méca­nique mor­telle mise en place par un régime pris de folie meur­trière. Le res­pon­sable, à tous les sens du terme, c’est Kaing Guek Eav, plus connu sous le nom de Duch ou Douch.

Kaing Guek Eav - Douch à son procès

Kaing Guek Eav (Douch) à son pro­cès en 2012
Pho­to © Ho New / Reuters

L’his­toire de Rithy Panh, c’est sim­ple­ment l’his­toire d’un jeune gar­çon pris dans la folie de l’his­toire de son peuple, c’est l’his­toire de sa famille, d’un drame qui lui a ôté son père qui finit par ces­ser de croire en des jours meilleurs et se laisse mou­rir de déses­poir, un ins­pec­teur de l’é­du­ca­tion éru­dit, édu­qué, et selon l’au­teur l’ar­ché­type de l’homme tour­né vers la moder­ni­té, vers ce que l’homme a en lui du plus pré­cieux pour sa propre préservation.

C’é­tait la défaite de l’En­cy­clo­pé­die. Plu­tôt l’an­cien monde, élé­men­taire, ter­rien, que la connais­sance, froide et difficile.

Ce drame lui a éga­le­ment ôté sa mère, une femme admi­rable, aimante, qui don­na tout à ses enfants pour qu’ils s’en sortent, mais elle renonce le jour où sa fille décède. D’autres mour­ront, des êtres proches, des incon­nus, des dizaines, des mil­liers de morts jalonnent ce livre, des mil­liers d’êtres inno­cents empor­tés par la folie meur­trière d’un idéo­logue fou por­té par ses théo­ries vaseuses et une absence totale de visi­bi­li­té sur ses fins, l’hor­rible Saloth Sâr (Pol Pot) avec son visage figé et son sou­rire de sta­tue de cire.
Face au bour­reau Douch, Rithy Panh n’ar­rive à tirer que des expli­ca­tions floues, pom­peuses et vides de sens, des repen­tances, des aveux du bout des lèvres ponc­tués de phrases qui le dégagent de toute res­pon­sa­bi­li­té, lui, l’exé­cu­tant, le petit pro­fes­seur de mathé­ma­tiques deve­nu un immonde bureau­crate tor­tion­naire qui ne pou­vait être en tort, car il était en accord avec l’idéologie…

Je com­prends qu’on change de nom et de pré­nom dans la clan­des­ti­ni­té. Mais réduire l’autre à un geste, à une méca­nique, à une par­celle de son corps, ce n’est pas pro­pa­ger la révo­lu­tion. C’est déshu­ma­ni­ser. C’est tenir l’être dans son poing.
Jus­qu’à la libé­ra­tion, je suis res­té le « cama­rade chauve », et c’é­tait très bien ain­si : je ne por­tais plus le nom de mon père, trop connu. J’é­tais sans famille. J’é­tais sans nom. J’é­tais sans visage. Ain­si j’é­tais vivant, car je n’é­tais plus rien.

Le récit de Rithy Panh, c’est le récit de la déshu­ma­ni­sa­tion la plus totale, alors on pense imman­qua­ble­ment à Pri­mo Levi, Robert Anthelme ou Elie Wie­sel… C’est pré­ci­sé­ment cela l’é­li­mi­na­tion, L’Ang­kar (l’or­ga­ni­sa­tion), c’est l’é­li­mi­na­tion car vous n’êtes plus rien. Une des scènes les pires qui me reste est celle de ce jeune gar­çon dont la jambe s’in­fecte et sur laquelle il voit des vers grouiller.

Nous savions intui­ti­ve­ment que c’é­tait la fin : l’ir­rup­tion de la vie ani­male dans la vie humaine. Il est mort le lendemain.

S21 - Tuol Sleng

S21 (Tuol Sleng, la col­line du man­guier sauvage),
ancien lycée recon­ver­ti en centre de torture
Pho­to © Chris Gra­vett

J’ai lu ce livre en peu de temps, absor­bé dans ces pages qui me disaient que je devais savoir, que je devais ter­mi­ner, mal­gré les haut-le-cœur, mal­gré la nau­sée qui prend devant la déchéance qu’on fait subir à un peuple, qu’on exé­cute froi­de­ment, qu’on tor­ture et qu’on viole. Un mil­lion sept cent mille (le chiffre paraît lui-même dément) Cam­bod­giens sont morts direc­te­ment ou indi­rec­te­ment des consé­quences de cet assas­si­nat orga­ni­sé par une poi­gnée de fous. 1 Cam­bod­gien sur 5, mort… au nom d’une révo­lu­tion sans classe, une révo­lu­tion bor­née, idiote, sans raison.

Sans doute est-ce cela, un révo­lu­tion­naire : un homme qui a du riz dans son assiette ; et qui cherche un enne­mi dans le regard de l’autre.

Il faut avoir lu ce livre, pour la trace qu’il laisse, pour le futur des nations, pour être en paix avec soi mal­gré le déchi­re­ment qu’il pro­cure à l’in­té­rieur, pour appor­ter la paix aux morts, pour se regar­der en face, pour ne pas faire comme si on ne savait pas, pour lui, pour Rithy Panh et pour les autres qui se sont vu des­ti­tuer leur droit à être des êtres humains, pour peut-être cau­che­mar­der et fina­le­ment ouvrir à nou­veau les yeux sur un monde qui pro­duit des monstres, mais au moins, on ne pour­ra pas dire qu’on ne savait pas…

Duch: Je suis jour et nuit avec la mort.
Je lui réponds: Moi aus­si. Mais nous ne sommes pas du même côté.

Rithy Panh avec Chris­tophe Bataille, L’élimination
Édi­tions Grasset

EDIT : on me souffle dans l’o­reillette qu’il existe un blog autour d’un pro­jet sur la recons­truc­tion du Cam­bodge et de la mémoire des années sombre, un pro­jet d’Émilie Arfeuil et Alexandre Lie­bert qui se nomme Scars of Cam­bo­dia.

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