Églises mono­li­thiques de Lali­be­la, Wil­fred The­si­ger le nomade #2

Sir Wil­fred Patrick The­si­ger a eu une chance folle. Tan­dis que son père Wil­fred Gil­bert exerce sa qua­li­té de diplo­mate en Éthio­pie au début du XXème siècle auprès du roi Méné­lik II, le petit Wil­fred Patrick nait dans une hutte tra­di­tion­nelle aux alen­tours d’Addis-Abe­ba (አዲስ አበባ, nou­velle fleur en amha­rique). En 1930, après des études bri­tan­niques tout ce qu’il y a de plus conven­tion­nelles, il retourne sur les terres abys­sines pour la cou­ron­ne­ment du nou­veau Negusse Negest éthio­pien, Ras Tafa­ri Mekon­nen, cou­ron­né sous le nom de Hai­lé Sélas­sié Ier (ቀዳማዊ ኃይለ ሥላሴ), où il est invi­té d’hon­neur. C’est de ce retour sur cette terre d’o­ri­gine et d’une mis­sion chez les féroces Dana­kils que naî­tra une car­rière d’ex­plo­ra­teur bien remplie.
Durant cette période, il rap­por­te­ra une ensemble de pho­to­gra­phies d’un lieu abso­lu­ment unique au monde, Lali­be­la (ላሊበላ). Située à 2 630 mètres d’al­ti­tude, la ville porte le nom du Négus de l’é­poque, Gebra Mas­kal Lali­be­la (1172 — 1212) qui avait fait du lieu sa capi­tale, rem­pla­çant ain­si la belle et antique Aksoum (አክሱም). Le lieu n’a pas été choi­si au hasard. On sait que le peuple éthio­pien est en grande majo­ri­té de confes­sion chré­tienne ortho­doxe, se disant à la fois fils de Make­da, Reine de Saba et du Roi Salo­mon. Aus­si, sous la pres­sion de l’ex­pan­sion arabe sous le règne des  Fati­mides, Jéru­sa­lem est de plus en plus dif­fi­cile à atteindre et ce lieu sera la nou­velle Jéru­sa­lem (la Jéru­sa­lem noire) en rai­son de sa topo­gra­phie. Sym­bo­li­que­ment, elle repré­sen­te­ra la Terre Sainte.
En tout, ce sont onze églises construites de part et d’autre du Yor­da­nos (on y entend Jour­dain) dont les plus célèbres sont celles de Saint-Georges (Bete Giyor­gis), Bete Med­hane Alem et Bete Emma­nuel. Leur par­ti­cu­la­ri­té est d’a­voir été creu­sées à même le roc sous le niveau du sol, ce qui implique le dépla­ce­ment de mil­liers de tonnes de pierre. Elles ont toutes été per­cées dans ces immenses blocs, ce qui en fait le plus grand ensemble mono­li­thique fonc­tion­nel au monde. Si cer­taines sont construites dans un style tra­di­tion­nel ortho­doxe, d’autres comme Bete Emma­nuel, la plus mas­sive, reprennent une orne­men­ta­tion typi­que­ment axoumite.
The­si­ger a rap­por­té de ce lieu et d’A­frique quelques pho­to­gra­phies (1960). Lali­be­la sur Google Maps.

Beta Giyor­gis vu d’en haut

Ethiopia, Lalibela, Beta Giyorgis

Beta Giyor­gis vu d’en bas

Sculp­tures et poly­chro­mies de Bete Maryam

Sculp­tures et poly­chro­mies de Bete Maryam

Bet Med­hane Alem

Les deux pre­mières pho­tos © Alu­ka, les trois sui­vantes © A. Davey.
Wil­fred The­si­ger, Visions d’un nomade, Plon, 1987, coll. Terre humaine.

Billet sui­vant: Sana’a et Shi­bam, au pays des man­geurs de qât, Wil­fred The­si­ger le nomade #3

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Au soleil chan­tant de Sicile, sous les pierres des églises…

L’his­toire dit que tout vient des moines capu­cins (Ordo Fra­trum Mino­rum Capuc­ci­no­rum) pour qui la mort revê­tait un carac­tère expia­toire et fina­le­ment devint objet de véné­ra­tion et de res­pect. La Sicile est terre de mys­tère, terre aride entou­rée d’une Médi­ter­ra­née féconde et on ima­gine par­fai­te­ment ses petites cités silen­cieuses écra­sées par le soleil entou­rées d’un voile de com­plot et de silence, et dans les rues escar­pées de ces hameaux accro­chées aux falaises pas­ser les ombres de ces moines pour le moins peu ave­nants. Dès leur arri­vée sur l’île, ils construisent des églises en cal­caire blanc et d’a­près la tra­di­tion datant de Constan­tin, sur­élèvent ces bâtisses au-des­sus d’ex­ca­va­tions qu’on nomme cata­combes, comme on peut en voir à Syra­cuse sous l’Eglise San Gio­van­ni Evan­ge­lis­ta. Consti­tuées la plu­part du temps en cime­tières com­mu­nau­taires et en hypo­gées de droit pri­vé, les pre­mières cata­combes, telles qu’on peut les visi­ter aujourd’­hui en Sicile, sont des cryptes ouvertes au vent du large, bat­tues par des vents chauds et sec et lorsque les corps des moines capu­cins décé­dés sont posés à même le sol de cette crypte, puis lavés au vinaigre, l’at­mo­sphère et le temps font leur œuvre, des­sé­chant les chairs plus vite qu’un pro­ces­sus de décom­po­si­tion normal.

Les moines ayant décou­vert ces tech­niques de conser­va­tion vont déve­lop­per leur savoir faire et redon­ner à leurs morts — en par­ti­cu­lier aux pré­lats et digni­taires mais aus­si aux riches dona­teurs — l’as­pect de vivants dans ces caves pour le moins lugubres en creu­sant des locu­li (niches) dans les­quels les cadavres sont main­te­nus dans les posi­tions debout à l’aide de câbles et de cro­chets ou assise sur des trônes per­cés afin que la gra­vi­té per­mette la des­cente natu­relle des organes en décom­po­si­tion dans ces ves­pa­siennes à usage unique… Le moins que l’on puisse dire c’est que ces moines ont déve­lop­pé une rela­tion pour le moins étroite avec leurs morts, per­fec­tion­nant des tech­niques pas­sées dans le lan­gage cou­rant des civi­li­sa­tions égyp­tiennes ou précolombiennes.

L’u­ti­li­sa­tion de ces lieux de mort a per­du­ré jus­qu’aux pré­mices du XXè siècle avec les très célèbres cata­combes capu­cines (Loca­li­sa­tion sur Google Maps) de l’é­glise San­ta Maria del­la Pace de Palerme, dans les­quels on peut voir aujourd’­hui des cen­taines de corps ali­gnés, vêtus de leurs plus beaux atours, sou­vent les yeux ouverts dans des expres­sions ter­ri­fiantes et dont la seule cou­leur de la peau et une cer­taine mai­greur laissent pen­ser que ces man­ne­quins ne sont plus en vie. Le corps de la petite Rosa­lia Lom­bar­do, décé­dée à l’âge de deux ans et embau­mé par le célèbre Alfre­do Sala­fia est aujourd’­hui  encore une attrac­tion, qui à mon sens relève plus de l’a­mu­se­ment ou de la per­for­mance que d’un rituel mor­tuaire véri­ta­ble­ment “chré­tien”.
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La légende de Saint-Ama­dour, ou Zachée le dévoué

Au cœur de dépar­te­ment du Lot se trouve un des sites de France les plus visi­tés avec le Mont Saint-Michel et la Tour Eif­fel. La situa­tion excep­tion­nelle de Roca­ma­dour rend cette ville spec­ta­cu­laire et le tou­riste ne s’y trompe  guère il afflue en masse, en famille, vers cette petite cité accro­chée au roc et compte bien y trou­ver son compte de res­tau­rant de spé­cia­li­tés du sud-ouest et bibe­lo­te­ries des plus vul­gaires. Le tou­riste aime ça, et moi je déteste le tou­riste, alors comme sou­vent, tel un chat noir, je me fau­file dans les rues lorsque la nuit tombe et tou­jours, la vie prend un autre tour­nant, je me fonds dans l’ombre.

Rocamadour, les sanctuaires

Je suis arri­vé à Roca­ma­dour un soir du mois d’août, sur le ver­sant face à la petite ville, au lieu-dit L’Hos­pi­ta­let, cer­tai­ne­ment un des lieux les plus laids de tout l’u­ni­vers, com­plè­te­ment pha­go­cy­té par le res­tau­rant pano­ra­mique et la cabane à sou­ve­nirs, à vais­selle impri­mée et napperons.
Roca­ma­dour n’est pas de ces endroits qui se laissent tra­ver­ser comme ça, comme un pic en bois tra­ver­se­rait une sau­cisse cock­tail, Roca­ma­dour se mérite ; il faut dépo­ser sa voi­ture près de la rivière Alzou et prendre le temps de mon­ter quelques volées de marches en pierre avant d’ar­ri­ver dans la rue prin­ci­pale et s’emparer de cette cité mil­lé­naire. Arpen­ter la rue cen­trale, ponc­tuée des portes Basse, Hugon, du Sau­mon et du Figuier tan­dis que le ciel se couvre de nuages d’o­rage, mena­çants et que les échoppes ferment leurs portes, laissent place à une vie noc­turne, c’est un peu comme si l’on entrait dans une Cour des Miracles . Le décor bas­cule, le ver­nis craque et Roca­ma­dour se dévoile dans ses habits de ténèbres.

Durandal

L’é­pée Durandal

Vus d’en bas, les sanc­tuaires s’illu­minent avec la nuit tom­bante et les cen­taines de marches que les pèle­rins montent sur les genoux sont autant de degrés spi­ri­tuels, de lumière, mon­tant vers le saint des saints, les sept cha­pelles votives. Ce soir là, c’est excep­tion­nel, un cycle de confé­rence à l’in­té­rieur des sanc­tuaires laisse la porte ouverte aux cha­pelles, qui en plus d’être illu­mi­nées de l’ex­té­rieur sont éclai­rées à l’in­té­rieur, lais­sant ain­si voir dans le silence et le calme des tré­sors dans une lumière dorée fri­sant la magie. Après avoir mon­té les marches et s’être fau­fi­lé dans un dédale de rues dont les enseignes sont par­fai­te­ment closes, on arrive aux portes des sanctuaires.
Roca­ma­dour est une ville mariale sur la route de Saint-Jacques de Com­pos­telle et sa construc­tion reflète par­fai­te­ment la socié­té féo­dale ; les che­va­liers dans le châ­teau, tout en haut, les reli­gieux juste au-des­sous dans les sanc­tuaires et le peuple tout en bas. Je me fais la réflexion qu’un jour, ne serait-ce que pour décou­vrir les plus beaux sites de cette Europe occi­den­tale, il fau­drait que je bour­lingue sur les pas de Santiago.
La situa­tion excep­tion­nelle du lieu a don­né nais­sance, dès 1105, à une cha­pelle construite à flanc de falaise ; les cha­pelles fleu­rissent sou­vent dans des endroits impro­bables. Le lieu est alors dénom­mé “Rupis Ama­to­ris”, le rocher de l’a­mant (ama­tor) et la vie reli­gieuse prend racine. Le pèle­ri­nage en l’hon­neur de Marie fait fureur et occa­sionne des dona­tions qui font pros­pé­rer le lieu ; la sta­tue de la vierge noire qui y repose date de la fin du XIIè siècle, et Hen­ri II Plan­ta­ge­nêt y vient pour remer­cier Marie après sa gué­ri­son. C’est alors qu’en 1166, en creu­sant le sol pour y inhu­mer un simple habi­tant, on découvre un corps en par­fait état de conser­va­tion ; la légende prend comme une traî­née de poudre, c’est cer­tai­ne­ment le corps de Saint-Ama­dour, autre­ment connu sous le nom de Zac­cheus, ou Zachée (et là atten­tion, parce qu’il va vous fal­loir plon­ger dans les plus vieilles hagio­gra­phies). Zachée est répu­té être l’é­poux de Sainte Véro­nique, celle-là même qui sur le che­min de croix du Christ lui épon­gea le visage d’un mor­ceau de tis­su, le fameux voile de Véro­nique que se dis­putent Rome, Milan et Jaén en Espagne. Cette his­toire n’est pas rela­tée dans le Nou­veau Tes­ta­ment mais on retrouve dans les Evan­giles synop­tiques l’his­toire d’une femme du nom de Béré­nice (Véro­nique signi­fiant vraie image — vera ico­na) qui serait la femme «hémo­roïsse» sans nom mira­cu­leu­se­ment gué­rie d’hé­mor­ra­gies chro­niques en tou­chant le vête­ment de Jésus.
Après la mort de son épouse, Zachée se retire à Roca­ma­dour et y meurt après avoir vécu des années en ermite. On lui aurait don­né le sur­nom de Ama­tor — Ama­dour — l’a­mant ou le dévoué.

Je sou­ris à l’é­vo­ca­tion de cette his­toire car on peut voir le tom­beau où repo­sait ce corps au pied d’un des sanc­tuaire col­lé à la falaise et j’ai pris en pho­to ce lieu sans savoir qu’à ce même endroit se trou­vait éga­le­ment un objet légen­daire de pre­mière impor­tance ; l’é­pée de Roland, Duran­dal, coin­cée dans la roche (et pieu­se­ment atta­chée à une chaîne) par l’Archange Saint Michel juste après la mort du célèbre pala­din à Ron­ce­vaux, selon la légende (j’ap­prends avec stu­pé­fac­tion que Duran­dal n’est autre que la tra­duc­tion lit­té­rale de Ron­ce­vaux en flamand).

Roca­ma­dour a une his­toire ancienne, mais telle qu’on peut la voir aujourd’­hui, elle est le fruit d’une volon­té farouche d’une poi­gnée d’homme qui au milieu du XIXè siècle firent leur pos­sible pour rendre à la ville mariale son éclat d’au­tre­fois, après avoir été rava­gée par les famines, les guerres et les pillages tout au long de son histoire.

Com­plè­te­ment rom­pus par la fatigue et le temps ora­geux, nous redes­cen­dons de la ville par là où nous l’a­vons péné­trée, jus­qu’à la rivière. Roca­ma­dour n’est pas une ville qu’on tra­verse, la route qui vient de la Porte du Figuier, l’en­trée de la ville et qui passe par la Porte Basse (pho­tos 6 et 7 du dia­po­ra­ma) mène sur des champs… Il est tard, la val­lée est illu­mi­née ponc­tuel­le­ment par les éclairs qui déchirent le ciel. Roca­ma­dour ville magique ferme ses portes sur un jour par­ti­cu­lier, un jour comme je ne pen­sais pas pou­voir en vivre. En par­tant, je regarde à nou­veau der­rière moi et j’ai une pen­sée émue pour le curé de Roca­ma­dour qui vit dans son pres­by­tère (pho­to 28), dont les fenêtres sont per­chées au-des­sus du vide… Et je lui sou­haite mal­gré tout, une bonne nuit.

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Romanes

Elles ont toutes quelque chose de fon­ciè­re­ment char­nel der­rière leur néces­saire et appa­rente sim­pli­ci­té, qu’elles soient cis­ter­ciennes ou béné­dic­tines ; les romanes.

SantesCreus

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Sar­lat-la-Cané­da, ville d’ocre

Engon­cée au cœur d’une val­lée, Sar­lat (Sar­lat e La Cane­dat en occi­tan — nous sommes ici évi­dem­ment en pays d’Oc), capi­tale du Péri­gord Noir, est une petite ville médié­vale qui a su conser­ver en son cœur l’es­prit de ces places fortes, for­te­ment reli­gieuses et fon­ciè­re­ment riches. J’a­vais des sou­ve­nirs très pré­cis de cette ville, la mai­son natale d’Etienne de la Boé­tie qui en fut maire, la lan­terne des morts, l’Eglise Saint-Sacer­dos, L“Eglise Sainte-Marie qui n’a plus rien d’un église mais fait désor­mais office de mar­ché cou­vert grâce à la recon­ver­sion opé­rée par Jean Nou­vel, un autre enfant du pays, mais je ne me sou­ve­nais plus à quel point c’est un dédale de rues sombres et étroites dont on ima­gine aisé­ment que la plu­part devaient être de véri­tables coupe-gorge la nuit venue.

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Le jour où j’é­tais à Sar­lat, c’é­tait une belle jour­née comme on en fait dans le Sud-Ouest, chaude, très chaude ; la tem­pé­ra­ture était de 38 ou 39°C, je ne sais plus bien, et en déam­bu­lant au hasard dans le ville, nous cher­chions avant tout l’ombre et l’air qui avait défi­ni­ti­ve­ment quit­té les lieux. Ce qui m’a frap­pé avant tout, c’est la cou­leur de cette ville, d’un ocre jaune ins­crit sur tous les murs et la pré­sence ponc­tuelle et bien­ve­nue d’es­paces verts au beau milieu de ce milieu for­te­ment miné­ral et sec, ici une gly­cine for­mant une ton­nelle immense, là des catal­pas ombra­geant une place en espa­liers… Der­rière les échoppes à tou­ristes se déroule une vie calme dans les arrière-cours et les jar­di­nets, les ruelles qui semblent par­fois déser­tées par tout forme de vie, comme on peut le voir à Bruges ; l’im­pres­sion d’une façade, d’un décor de car­ton pâte inhabité.

Mes pho­tos sur Obsi­dienne et les mêmes, un peu plus grandes, sur Fli­ckr.
Loca­li­sa­tion sur Google Maps.

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