Oct 25, 2011 | Sur les portulans |

Photo © Alain Cachat
Un dimanche soir calme, j’entre dans la salle de spectacle du Figuier Blanc où m’attend un grand écran de plus de quatorze mètres de longueur, il y fait frais comme à l’entrée d’une grotte. Si je suis ici, c’est pour voir ce film de Werner Herzog (oui, le même Herzog qui tourna Aguirre, Fitzcarraldo et Nosferatu) dont j’ai entendu parler par hasard. Il se trouve que le sujet en est la Grotte Chauvet, découverte en 1994, dont le mobilier et les peintures pariétales ont été estimés entre 31000 et 38000 ans, de l’aurignacien au gravettien — le sujet m’est cher. A titre de comparaison, la grotte de Lascaux est, elle, estimée à 17000 ans. Chauvet est deux fois plus ancienne !

Le travail de Werner Herzog a été de restituer l’ambiance magique, voire mystique de cette grotte qui s’étend sur 400 mètres de long à l’intérieur d’une falaise, dont la partie paléolithique orientée plein sud s’est effondrée, en surplomb d’un ancien bras de l’Ardèche, à deux pas du Pont d’Arc au lieu-dit la Combe d’Arc. La grotte a ainsi été protégée de l’extérieur jusqu’à sa découverte. Plus de quatre cents représentations d’animaux, de mains positives, et une seule représentation mi-humaine mi-animale ornent les parois de cette cavité naturelle, jusqu’à la salle du fond où le taux de CO2 rejeté par les racines des arbres est trop important pour qu’on puisse y rester trop longtemps sans risques pour la santé. Le sol n’a pas été complètement exploré encore et l’état de conservation exceptionnel de la grotte sera maintenu tel quel puisqu’elle ne sera jamais ouverte au public. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Herzog a eu l’autorisation de filmer pour fixer tout cela sur la pellicule et en faire un peu plus qu’un film. Certaines scènes sont filmées en 3D avec des gros plans impressionnants sur le sol ou les peintures, ce qui accentue fortement le volume de la pierre, et sa dimension sacrée. Limités à des plages d’une heure par jour et contraints d’y évoluer en équipes restreintes, l’équipe de tournage a laissé derrière elle un témoignage fort, une vision large d’un morceau d’humanité.

Grotte Chauvet : sectorisation de la grotte.
Relevés topographiques : Le Guillou et Maksud (2001)
© Paleo
L’intérêt de cette grotte réside dans son incroyable état de conservation et dans la multitude de ses représentations. Depuis Chauvet, on sait par exemple que le lion des cavernes qui vivait à cette époque ne portait pas de crinière, car une des représentations figure un couple lion/lionne et le mâle est clairement identifié par la présence du scrotum. On peut par ailleurs entendre dans ce film Jean Clottes (dont j’ai déjà longuement parlé sur le Perroquet Suédois) parler de ses deux concepts liés à la spiritualité du paléolithique, la fluidité et la perméabilité. Fluidité entre les espèces, dans la pensée du Sapiens paléolithique, les genres se confondent aisément, l’Homme vit au milieu de la nature et la distinction est faible entre les éléments qui la constitue, homme/femme/animal/arbre/pierre/ciel par exemple. Perméabilité entre les mondes, entre le monde des esprits caché derrière la roche, les deux mondes s’interpénètrent. Ces deux concepts difficiles pour nos pensées judéo-chrétiennes permettent de mieux comprendre la situation et le pourquoi de ces peintures rupestres.
Difficile de ne pas admirer ce travail plusieurs fois millénaire, qui tend à prouver que si l’homme qui vivait ici il y a 40000 ans était certes entouré d’un environnement minimal, très naturel, il n’en était pas moins capable du plus haut niveau d’abstraction qui soit dans l’échelle de l’évolution, c’est-à-dire la pensée religieuse, laquelle a perduré dans sa forme chamanique pendant plus de trente mille ans et survit encore aujourd’hui dans certains endroits du monde. De quoi rendre les grandes religions modestes…

Liens :
- Interview de l’inventeur de la grotte, Jean-Marie Chauvet
- La faune de la grotte Chauvet (Vallon-Pont‑d’Arc, Ardèche) : présentation préliminaire paléontologique et taphonomique
- Immédiat et successif : le temps de l’art des cavernes
- Localisation de la Grotte Chauvet sur Google Maps
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Feb 26, 2011 | Histoires de gens |
Ivan Grozny

Ivan IV le terrible, venu jusqu’à moi par l’intermédiaire de Sergueï Eisenstein dans sa superbe fresque en deux parties, admirablement servie par le géant Nikolaï Tcherkassov dont on a dit qu’il avait été imposé à Eisenstein pour surveiller sa déférence au Parti de Staline, dont il était ami personnel. Ivan IV est un des grands personnages de l’histoire de la Russie, car premier tsar de la Grande Russie, contemporain de Catherine de Médicis et de ses enfants, il est celui qui, dans une période trouble de défiance du pouvoir, de haine et de complots, arrivera à fédérer une Russie alors sous l’emprise des grands seigneurs, les Boyards. On dit qu’il était excessivement cruel et qu’il tua par inadvertance son propre fils Ivan Ivanovitch d’un coup de sceptre (peint par Ilya Repine)… Étonnamment, sa représentation la plus célèbre est celle qu’en fit Viktor Vasnetsov et on jurerait qu’Ensenstein s’en est servi pour grimer Tcherkassov…

Viktor Vasnetsov
Peintre de la fin du XIXè siècle, il se spécialisa dans les représentations de scènes de la littérature, de la mythologie et de l’histoire de la Russie. Ainsi, il peignit une très suprenant Ali Baba sur son tapis volant ou Le Chevalier à la croisée des chemins.


Ilya Repine
Peintre du début du XXè siècle, il fut un des plus grands critiques de la société russe et passa son temps à faire le portrait de ses contemporains comme Moussorgsky ou Tolstoï, des portraits lumineux et reposants des grands visages de la Russie.

Velimir Khlebnikov

Poète futuriste du début du XXè siècle aux faux airs de Bret Easton Ellis, Velimir Khlebnikov a passé les dernières années de sa vie en hôpital psychiatrique pour échapper à sa mobilisation dans l’Armée Rouge. Il en ressortira brisé et mourra vagabond dans la campagne russe. L’invention de Khlebnikov fut le zaoum, une pratique qui consiste à organiser les vers d’un poème en fonction de leur sonorité et non de leur sens, proche de l’invention du surréalisme. Son recueil le plus caractéristique, Zanguezi, n’arriva en France qu’en 1996. La construction de sa poésie est née de recherches avancées en mathématiques.
Alexandre Nevski

Également connu sous le nom d’Alexandre de la Neva, c’est un des plus grands héros nationaux de la Russie. On le reconnait également comme l’un des saints les plus importants de l’église orthodoxe russe. Le roi Alexandre acquit ses lettres de noblesse après avoir terrassé les Suédois lors de la bataille de la Neva, puis en repoussant les chevaliers Teutoniques à la bataille du lac Peïpous, écartant ainsi le “danger” de la conversion de la Russie à la religion catholique… C’est également Tcherkassov qui interpréta son rôle dans le film d’Eisenstein…

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Feb 16, 2011 | Arts |
Ce soir, à la radio, chantait la voix d’André Gide, vieux monsieur vénérable de quatre-vingt ans s’insurgeant contre la colonisation du Congo par la France et ses compagnies de transformation du caoutchouc qui n’hésitaient pas à massacrer les populations pour préserver leurs intérêts. Il y avait dans sa voix une majesté, un je-ne-sais-quoi de profondément plaisant, ce ton qui fait qu’on pourrait l’écouter parler pendant des heures, quel que soit le sujet. Il y avait cette façon de dire les choses également dans les voix de Sacha Guitry ou de Louis Jouvet, avec emphase, ou neutralité mais la langue était belle et chantante.

Parmi ces messieurs avec des voix, des mots, une diction, il y avait également Noël Roquevert ou Raymond Bussières le gouailleur…
Aujourd’hui, qui peut se targuer d’avoir cette langue, à part quelques uns comme Alain Badiou… Je n’ai même pas d’autres exemples sous la main.
Mais en parlant de voix, avez-vous remarqué cette voix de tueuse et ce regard terriblement sensuel d’Anna Calvi, découverte au Grand Journal ? On ne sort pas indemne de cette Moulinette qui n’est pas sans rappeler Chris Isaac ou Nick Cave.
[audio:Moulinette.xol]

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Jan 5, 2010 | Arts, L'oeil de la caméra |
Il en fallait du talent pour transformer l’œuvre de Maurice Sendak en film. Le livre qui a servi de point de départ au film — on ne peut pas vraiment dire que le film soit l’adaptation du livre mais plutôt le fil conducteur — est un classique de la littérature américaine pour enfant et ce qu’en a fait Spike Jonze est un véritable travail de “raconteur d’histoire”.

Le soir même du jour où j’ai visionné le film, je me suis plongé dans le bouquin de Sendak pour tenter de comprendre un peu mieux les brèches ouvertes dans le film, mais là où celui-ci élargit l’horizon, le livre en dit peu, ferme le discours, s’auto-enroule sur sa définition et c’est ce qui me porte à dire que je n’aime pas du tout le livre, que je trouve particulièrement inintéressant, contre-productif et c’est sans parler du graphisme auquel je n’adhère pas.
Il y a vraiment peu de choses à raconter du film parce que c’est le genre d’œuvre qui fait partie des expériences à vivre ; il s’en dégage une sorte de bienfaisance sacrée, entourée de mystères superficiels, d’une belle douceur de vivre que seule l’enfance est à même de porter et de sublimer.
Le tout est porté à merveille par Max, Max Records, parfait beau petit diable qui semble superbement habiter son monde imaginaire, des créatures monstrueuses ingérables et crédibles — seul bémol, le doublage de KW par Charlotte Gainsbourg, à baffer, insupportable, je n’en ferais mon amie pour rien au monde — et une bande originale littéralement géniale, composée par l’ex-petite amie de Jonze, la très provocante et jolie Karen O, chanteuse des Yeah Yeah Yeahs.

Where the wild things are (admirons tous ensemble l’imagination qu’il faut pour traduire ça en Max et les Maximonstres) est un chef d’œuvre dont on ressort difficilement tellement il nous tire vers ce que nous avons de plus intime, de plus intouchable ; notre enfance…
A déguster avec les petits, ça fait un bien fou…
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Nov 13, 2009 | Eclairs de génie |
Voici un article comme je les aime, sur un sujet complètement marginal : l’histoire qui se cache derrière les logos des majors de l’industrie du cinéma. Sur Neatorama.

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